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L’administrateur d’un site Web qui humiliait les débiteurs à des fins lucratives ferme son site Web après que le Commissariat à la protection de la vie privée a porté l’affaire devant la Cour fédérale

Résumé de conclusions d’enquête en vertu de la LPRPDE no 2017-007

Le 8 août 2017


Leçons apprises

  • Une organisation qui tente de générer des revenus en publiant en ligne les renseignements personnels qu’elle détient et en percevant des frais auprès des créanciers pour ce service exerce une activité commerciale au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE).
  • Il n'est pas approprié pour une organisation de rendre public le défaut de paiement d'un débiteur dans le but de réaliser un gain financier ou de contraindre le débiteur à payer.
  • En vertu de l’alinéa 7(3)b), les organisations peuvent communiquer des renseignements personnels (par exemple, à une agence de recouvrement de créances) à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement lorsqu’il s’agit d’appliquer les mécanismes juridiques existants en vue de recouvrer une dette. La Loi ne permet pas la communication sans discernement à grande échelle de renseignements relatifs à un débiteur judiciaire.

Plainte

Les plaignants alléguaient que l’entreprise Public Executions Inc. (« l’intimée »), administratrice du site Web publicexecutions.ca, communiquait des renseignements personnels sans leur consentement.

Résumé de l’enquête

Il était indiqué sur le site Web que l’intimée se consacre à dénoncer les débiteurs judiciaires sur le Web. Moyennant certains frais, les créanciers judiciaires pouvaient afficher sur le site des détails concernant les jugements, comme le montant en souffrance et le nom du débiteur. Ils pouvaient également ajouter d’autres renseignements personnels sur le débiteur, y compris son adresse et des photographies de lui. Il était possible d’effectuer une recherche par nom. Les données sur les plaignants affichées sur le site figuraient parmi les principaux résultats d’une recherche de leur nom que nous avons effectuée au moyen du moteur de recherche Google.

Les plaignants n’ont pas contesté l’exactitude de l’information publiée sur le site Web, mais ils ont fait valoir que l’intimée violait leur droit à la vie privée en vertu de la LPRPDE, car elle publiait leur nom et des renseignements personnels les concernant dans le but de les humilier pour les obliger à payer leurs dettes.

L’intimée a affirmé que la LPRPDE ne s’appliquait pas puisqu’il n’y avait pas de relation vendeur‑consommateur entre les débiteurs judiciaires et elle, et que la publication des renseignements personnels des individus n’était pas liée à une « activité commerciale ». Elle a par ailleurs soutenu que son site Web pratiquait une forme de journalisme, raison pour laquelle les exigences de la LPRPDE relatives au consentement ne s’appliquaient pas. L’intimée a par la suite indiqué que son site Web n’était pas différent des sites Web du gouvernement qui invitent le public à l’aider à retrouver les individus ayant omis de verser les paiements ordonnés par la cour au titre du soutien financier de la famille.

Au cours de notre enquête, on nous a informés qu’une plainte à propos du site Web avait été déposée auprès du ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs de l’Ontario, qui a ensuite exigé l’inscription du site Web à titre d’« agence de renseignements sur le consommateur » et sa conformité aux exigences de la Loi sur les renseignements concernant le consommateur de l’Ontario.

Résultat

Dans ce dossier, il est évident que les dispositions de la LPRPDE s’appliquent. Le site Web communiquait les renseignements personnels des plaignants moyennant l’imposition de frais à des tiers (les créanciers judiciaires), ce qui constitue une activité commerciale au sens de la LPRPDE. La Loi s’applique aux organisations qui recueillent, utilisent ou communiquent des renseignements personnels dans le cadre d’activités commerciales.

Nous ne sommes pas d’accord avec l’allégation selon laquelle le site pratiquait une forme de journalisme, ce qui l’exemptait des dispositions relatives au consentement prévues dans la LPRPDE. Nous avons déterminé que le principal objectif du site Web n’était pas journalistique. Notre analyse se fonde sur la décision rendue récemment par la Cour fédérale dans l’affaire A.T. c. Globe24h, dans laquelle la Cour a fait remarquer qu’une activité ne devrait être qualifiée de journalistique que lorsqu’elle concerne un « élément de la production originale », entre autres critères. Après avoir examiné le contenu du site, nous avons déterminé que l’intimée n’était pas engagée dans une production originale puisqu’elle ne faisait qu’afficher l’information fournie par d’autres.

Dans ses constatations, le Commissariat a également tenu compte de la décision du ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs de l’Ontario selon laquelle le site Web exerçait ses activités en tant qu’« agence de renseignements sur le consommateur » au sens de la Loi sur les renseignements concernant le consommateur de l’Ontario. Ainsi, l’utilisation et la communication de renseignements concernant les dettes des individus étaient rigoureusement réglementées. Cette loi interdit expressément de publier le défaut de paiement d’un débiteur, sauf dans les conditions prévues. Les agences de recouvrement sont elles aussi soumises à une réglementation rigoureuse. Dans ce dossier, le site Web communiquait des renseignements personnels à grande échelle. Par conséquent, le Commissariat a déterminé qu’une personne raisonnable n’estimerait pas acceptable, contrairement aux exigences du paragraphe 5(3) de la LPRPDE, qu’une organisation publie largement cette information pour en retirer un gain financier et dans le but de contraindre les débiteurs à payer leurs dettes, d’autant plus qu’il existe des mécanismes juridiques permettant d’exécuter les jugements.

Dans son rapport d’enquête préliminaire, le Commissariat a recommandé que l’intimée supprime de son site Web tous les renseignements relatifs aux débiteurs et qu’elle prenne des mesures pour les faire supprimer des mémoires caches des moteurs de recherche. L’intimée a indiqué au Commissariat qu’elle n’acceptait pas ses recommandations et qu’elle n’y donnerait pas suite.

Par conséquent, le Commissariat a conclu que les plaintes étaient fondées. Étant donné que l’enquête n’a pas permis de résoudre cette affaire, le Commissariat s’est penché sur les prochaines étapes, conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par la LPRPDE.

Mise à jour : Le 16 novembre 2017, le Commissariat a intenté une action en justice auprès de la Cour fédérale du Canada par voie de demande, en vertu de l’article 15 de la LPRPDE, en vue d’obtenir une ordonnance de la cour lui permettant d’obliger l’intimée à cesser la publication en ligne des renseignements concernant les débiteurs. Peu après, l’intimée a avisé le Commissariat qu’elle avait fermé le site Web et qu’elle n’avait pas l’intention de le réactiver. Par conséquent, le 22 décembre 2017, le Commissariat a abandonné la demande qu’il avait déposée auprès de la Cour fédérale. Il a informé l’intimée qu’il continuerait de surveiller le site Web et qu’il se réservait le droit de présenter à nouveau sa demande ou d’en déposer une nouvelle auprès de la Cour fédérale si le site était réactivé.

Rapport de conclusions

Plaintes déposées en vertu de la LPRPDE

  1. Les plaignants allèguent que l’entreprise Public Executions Inc. (« l’intimée ») communique des renseignements personnels les concernant sans leur consentement sur publicexecutions.ca (« le site Web »; site en anglais seulement), une base de données sur des débiteurs judiciaires accessible au public et gérée par l’intimée. En particulier, ils ont informé le Commissariat que leurs renseignements personnels sont largement diffusés sur Internet par l’intimée, dans le but de les humilier pour les obliger à payer leurs dettes en souffrance. Ces renseignements sont généralement le nom de la personne, son adresse et des informations sur ses dettes impayées à la suite de jugements rendus par la Cour des petites créances.

Résumé de l’enquête

Contexte

  1. Au moyen du site Web, les créanciers judiciaires peuvent, moyennant certains fraisNote de bas de page 1, afficher des détails sur les créances impayées et les débiteurs judiciaires. Ils créent de nouveaux affichages en entrant des renseignements de base comme le numéro de dossier de la cour, la date du jugement, le montant de la dette toujours impayée et l’identité du débiteur.
  2. Les créanciers judiciaires peuvent aussi ajouter d’autres renseignements sur le débiteur qu’ils jugent pertinents, y compris son adresse personnelle, sa date de naissance, son occupation et des photographies de lui. Dans un cas que nous avons examiné, il y avait de l’information sur le type de voiture que conduit un débiteur ainsi que sa photo et, dans un autre cas, des allégations sérieuses sur les pratiques commerciales d’un débiteur et des traits de sa personnalité (p. ex. : il aime parler de ses aventures en vous regardant dans les yeux, en vous serrant la main et en volant votre argent).
  3. Une fois que les renseignements demandés ont été entrés, le site Web crée une page exclusive sur chaque débiteur judiciaire. La page peut faire l’objet d’une recherche par l’intermédiaire du moteur de recherche du site Web ainsi que par des moteurs de recherche populaires comme Google et Bing. Par exemple, une recherche avec le nom du plaignant dans Google fournit comme premier résultat un lien vers la page du plaignant sur le site Web. Le même exercice pour le deuxième plaignant fournit un lien comme huitième résultat. La page d’accueil du site Web met bien en vue une carte du Canada sur laquelle sont indiqués, à l’aide de punaises, les débiteurs à l’échelle du pays; en faisant passer le pointeur au dessus des punaises, on peut voir le nom et l’adresse du débiteur ainsi que sa photo, s’il y en a une qui a été téléchargée.
  4. Le site Web encourage également le public à fournir des informations sur les débiteurs et permet aux créanciers judiciaires d’offrir des récompenses si les informations débouchent sur le recouvrement d’une créance. Pour le versement de la récompense, il faut que les informations soient suffisamment étayées pour permettre le repérage d’un élément d’actif du débiteur judiciaire. Les informations sont aussi affichées sur le site Web. Dans le résumé concernant un débiteur/défendeur, il y a une section d’informations sur le plaignant, qui comprend un article tiré d’une revue de droit en ligne qui décrit un jugement antérieur sur le plaignant, mais non lié à la Cour des petites créances, ainsi qu’une entrée déclarant que le plaignant et sa conjointe possèdent ensemble la propriété située au [adresse] depuis 2008.
  5. L’exactitude des renseignements présentés par les créanciers judiciaires et les personnes qui fournissent des informations n’est pas vérifiée par l’intimée avant la publication. Celle ci indique sur son site Web qu’elle peut demander à un créancier judiciaire des éléments de preuve, mais il en est ainsi seulement dans l’éventualité improbable où le débiteur judiciaire communique avec elle et insiste sur le fait que l’information diffusée est fausse ou inexécutoireNote de bas de page 2.
  6. Selon le site Web, les créances judiciaires seront supprimées lorsque le jugement aura été payé en entier ou que le solde est inférieur à 200 $. Un affichage prend fin au bout de six ans, mais peut être prolongé pour la même période si les frais indiqués sont payés. L’intimée se réserve aussi le droit, à sa discrétion, de retirer des affichages et des informations.
  7. L’intimée ne recouvre pas de créances au nom de créanciers judiciaires, mais affirme plutôt qu’elle accroît la probabilité de recouvrement par les créanciers en dénonçant publiquement les débiteurs judiciaires en ligne. La partie supérieure du site Web affiche la marque de l’intimée accompagnée d’une phrase indiquant que l’intimée se consacre à l’exécution des jugements civils au Canada et qu’elle dénonce les débiteurs judiciaires sur le Web. En particulier, le site Web fait explicitement référence à la conception d’adresses URL distinctes pour chaque dette afin de rendre bien visible le débiteur judiciaire sur Internet (c. à d. au moyen des moteurs de recherche).
  8. Voici un extrait de l’énoncé de mission de l’intimée, affiché sur le site Web :

    Un registre en ligne des débiteurs judiciaires protège le public des personnes ayant des antécédents de délinquance. En publiant l’identité des débiteurs judiciaires, nous poussons les gens à s’intéresser à ce que l’argent ne peut acheter, soit une bonne réputation. Être ainsi dénoncé n’est pas seulement humiliant, mais néfaste pour les affaires.

    Il est inacceptable que de nombreux jugements n’aient pas de suites en raison de la difficulté à les faire respecter et du coût élevé en découlant. Grâce à l’approche participative, PublicExecutions.ca augmente de façon exponentielle le nombre de personnes qui sont au courant des jugements et des acteurs en jeu. Communiquer de l’information et en obtenir de cette façon fait en sorte que chaque jugement conserve son potentiel d’exécution.

  9. Dans la section Foire aux questions (FAQ) du site Web, l’intimée dresse la liste des raisons pour lesquelles les créanciers devraient utiliser son service, entre autres qu’il informe le débiteur judiciaire qu’il ne peut plus se cacher et le fait que personne ne veut qu’on sache qu’elle n’a pas payé les sommes dues en vertu d’un jugement. Selon une vidéo présentée sur le site Web, chaque somme due impayée mérite une exécution publique.
  10. Dans la section FAQ du site Web, il est aussi question de conformité à la LPRPDE :

    Est-ce correct de publier les renseignements personnels d’une personne sur Internet? Ce site Web veille à se conformer à toutes les lois canadiennes en matière de protection de la vie privée. Il a pour but de recouvrer les sommes qui vous sont dues, des créances confirmées par l’ordonnance exécutoire d’un tribunal du Canada. En vertu du droit canadien, il est permis de communiquer des renseignements personnels afin de recouvrer une créance due par une personne (voir la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques), L.C. 2000, ch. 5, article 7). […]

  11. Le site Web indique une adresse en Ontario sur la page Contactez-nous et la majorité des débiteurs semblent se trouver dans cette province.

Renseignements fournis par les plaignants

  1. Bien que les plaignants n’aient pas contesté l’exactitude des renseignements indiqués sur le site Web, ils soutiennent que l’intimée contrevient à leur droit à la vie privée en vertu de la LPRPDE, car elle publie leurs renseignements personnels et leurs noms dans le but de les humilier pour les obliger à payer leurs dettes.
  2. Par exemple, un plaignant a allégué que la publication de son adresse personnelle et du nom de sa conjointe a mis sa famille à risque, puisque son travail consistait à évincer des locataires problématiques et qu’il a donc dû se chercher un autre emploi. Il a déclaré que sa conjointe n’est pas liée aux créances judiciaires contre lui. Il a aussi soutenu que l’intimée ne peut s’appuyer sur l’alinéa 7(3)b) de la LPRPDE parce qu’elle n’est pas l’organisation à qui la créance est due. De plus, il a allégué que l’intimée contrevient à la Loi sur les services de recouvrement et de règlement de detteNote de bas de page 3 de l’Ontario en agissant, dans les faits, comme une agence de recouvrement non autorisée et en publiant des renseignements personnels en contravention de la Loi.
  3. Pendant notre enquête, le même plaignant nous a informés qu’il avait aussi déposé une plainte auprès du ministère des Services gouvernementaux et des Services aux consommateurs de l’Ontario (MSGSC) au sujet des pratiques de l’intimée. Nous avons par la suite appris que le MSGSC avait récemment émis une ordonnance contre l’intimée exigeant qu’elle s’inscrive à titre d’agence de renseignements sur le consommateur et qu’elle se conforme par conséquent à toutes les exigences de la Loi sur les renseignements concernant le consommateurNote de bas de page 4 de l’Ontario. Le Ministère a déterminé que l’intimée avait fourni un rapport sur le consommateur contenant des renseignements personnels et des renseignements sur le crédit de personnes ayant des créances en souffrance découlant de jugements, et ce, dans des circonstances qui exigent l’inscription à titre d’agence de renseignements sur le consommateur.

La position de l’intimée

  1. L’intimée a affirmé que la LPRPDE ne s’appliquait pas, car elle vise à protéger le droit à la vie privée des consommateurs et qu’il n’y avait pas de relation vendeur consommateur entre les débiteurs judiciaires et l’intimée. Selon cette dernière, la LPRPDE a pour but d’empêcher les entreprises commerciales qui recueillent des renseignements personnels sur les personnes au cours d’une activité commerciale à utiliser ou à communiquer ces renseignements à l’insu de la personne et sans son consentement. Elle ne visait pas, soutenait-elle, à conférer une protection aux débiteurs récalcitrants.
  2. L’intimée a soutenu que le site Web a été conçu pour promouvoir l’accès à la justice et la primauté du droit au Canada en offrant aux créanciers judiciaires frustrés une plateforme où sont publiés les faits relatifs à leurs jugements. Il était clair que l’intimée considérait son site Web comme un correctif à l’égard de ce qu’elle considère comme une lacune du système juridique qui permet aux débiteurs judiciaires d’éviter de payer leurs dettes.
  3. Comme le site Web de l’intimée consiste simplement en une plateforme, l’intimée a soutenu également qu’elle ne recueillait ni ne communiquait de renseignements personnels aux termes de la LPRPDE. C’était plutôt les créanciers judiciaires qui affichaient l’information et qui ensuite la diffusaient en utilisant sa plateforme.
  4. L’intimée a de plus affirmé que son site Web pratiquait une forme de journalisme puisque les faits sont publiés dans l’esprit et le but d’informer le public et, ainsi, de le protéger. Elle a aussi fait valoir que les jugements émis contre les plaignants relèvent du domaine public et que le site Web constitue une plateforme à la disposition des créanciers pour faire connaître le document public au moyen de la technologie moderne.
  5. Sur la question du consentement, l’intimée a indiqué que la notion selon laquelle le consentement est requis ou qu’il pourrait raisonnablement être obtenu de la part des débiteurs judiciaires récalcitrants est absurde, et que les renseignements personnels en cause ne sont pas de nature délicate au point de l’emporter sur le droit du créancier judiciaire de prendre des mesures raisonnables pour faire respecter le jugement.
  6. À la défense de son modèle opérationnel, l’intimée a mentionné le programme « Les bons parents payent », mis en œuvre par le gouvernement de l’OntarioNote de bas de page 5, et un programme semblable mis en place en AlbertaNote de bas de page 6 pour assurer le versement des pensions alimentaires ordonnées par un tribunal. Les sites Web affichent des renseignements sur les mauvais payeurs introuvables dans le but d’obtenir l’aide du public pour les retracer.

    Les personnes dont le nom est affiché sur ces sites Web sont inscrites auprès du bureau responsable du respect du paiement des pensions; elles n’ont pas versé la pension alimentaire imposée par un tribunal et sont introuvables. Une recherche en ligne des personnes indiquées sur les sites Web permet d’obtenir leur nom et le lien vers le site Web; par conséquent, ces pages sont indexées par les moteurs de recherche.

Application

  1. Dans son analyse des faits, le Commissariat a appliqué le paragraphe 5(3) ainsi que les alinéas 4(1)a), 4(2)c) et 7(3)b) de la LPRPDE.
  2. L’alinéa 4(1)a) précise que la partie 1 de la Loi s’applique à toute organisation à l’égard des renseignements personnels qu’elle recueille, utilise ou communique dans le cadre d’activités commerciales.
  3. L’alinéa 4(2)c) précise que la partie I de la Loi ne s’applique pas à une organisation à l’égard des renseignements personnels qu’elle recueille, utilise ou communique à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires et à aucune autre fin.
  4. Le paragraphe 5(3) prévoit qu’une organisation ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu’à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.
  5. L’alinéa 7(3)b) précise que l’organisation peut communiquer des renseignements personnels à l’insu de l’intéressé et sans son consentement si la communication est faite en vue du recouvrement d’une créance qu’elle a contre l’intéressé.

Analyse et conclusions

Application

  1. Examinons d’abord la question du champ d’application de la Loi, est-ce que la LPRPDE s’applique au modèle opérationnel du site Web? En vertu de l’alinéa 4(1)a), elle s’applique aux renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans le cadre d’une activité commerciale. Comme il est indiqué ci dessus, il est clair, selon le site Web de l’intimée, que des frais sont perçus auprès des créanciers pour l’affichage de renseignements sur les débiteurs judiciaires; par conséquent, l’intimée est engagée dans une activité commerciale. De plus, le modèle opérationnel de l’intimée repose sur la publication de l’identité des débiteurs judiciaires, et d’autres renseignements personnels les concernant, pour exercer des pressions sur eux pour qu’ils payent leurs dettes. À notre avis, l’intimée communique donc des renseignements personnels sur le site Web dans le cadre d’une activité commerciale au sens de la LPRPDE. Le seul fait que la page FAQ mentionne la conformité du site Web avec la LPRPDE renforce cette position.
  2. Cette conclusion est conforme à l’objet de la LPRPDE, qui consiste à établir un équilibre, dans une « une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l’échange de renseignements », entre le droit à la vie privée des personnes et les besoins raisonnables des organisations en matière de collecte, d’utilisation et de communication des renseignements personnelsNote de bas de page 7. Même si l’intimée n’est pas dans une relation vendeur¬consommateur avec les débiteurs judiciaires, elle essaie néanmoins de générer des revenus en exposant leurs renseignements personnels en ligne. Il s’agit donc du type d’activités visé par la LPRPDE.

Fins journalistiques

  1. La LPRPDE ne s’applique pas aux renseignements qu’une organisation recueille, utilise ou communique strictement à des fins journalistiques. L’intimée a soutenu que la communication des renseignements personnels des plaignants servait une fonction journalistique, car les faits sont publiés dans l’esprit et le but d’informer le public et, ainsi, de le protéger.
  2. Dans une décisionNote de bas de page 8 récente, la Cour d’appel fédérale indique que les critères suivants ont fourni un cadre raisonnable pour définir l’exception d’objectif « journalistique » :
    « […] une activité ne devrait être qualifiée de journalistique que lorsque son objectif est 1) d’informer la collectivité sur des questions qui l’intéressent, 2) lorsqu’elle concerne un élément de la production originale et 3) une « auto-discipline visant à présenter une description exacte et juste des faits, des opinions et des débats d’une situation. »
  3. À notre avis, l’intimée ne satisfait pas à la définition ci dessus. Tout particulièrement, elle ne tente pas d’informer la collectivité sur des questions d’intérêt public (c. à d. des questions qui l’intéressent), mais cherche plutôt à forcer les personnes à payer leurs dettes en rendant publics les détails s’y rapportant. Bien que l’intimée soutienne que le site Web sert à protéger le public, nous constatons qu’il existe déjà des moyens légitimes, y compris, par exemple, les rapports de solvabilité, pour obtenir de l’information sur la capacité financière des personnes. L’intimée n’est pas non plus engagée dans une production originale puisqu’elle ne fait que réafficher l’information fournie par d’autres et ne fait pas preuve d’auto discipline afin de présenter une description exacte et juste des faits puisqu’elle permet aux créanciers judiciaires et aux personnes qui fournissent des informations de publier des renseignements sans vérifier au préalable les faits ou tenter de présenter tous les points de vue, ce que ferait normalement un journaliste.
  4. Quoi qu’il en soit, selon nous, le principal objectif du site Web (tel qu’il est présenté dans l’énoncé de mission de l’intimée) consiste à faire connaître l’identité des débiteurs judiciaires afin de miner leur réputation, et au bout du compte, de les forcer à payer leurs dettes. Par conséquent, le Commissariat n’accepte pas la position selon laquelle la communication des renseignements sert uniquement à des fins journalistiques et conclut donc que l’alinéa 4(2)c) de la LPRPDE ne s’applique pas.

Fins acceptables

  1. Selon l’énoncé de mission de l’intimée, le site Web vise à faire connaître publiquement l’identité des débiteurs judiciaires afin de s’attaquer à leur réputation et, au bout du compte, de les forcer à payer leurs dettes. Le site Web fait explicitement référence à la conception délibérée d’adresses URL distinctes afin de rendre bien visible le débiteur judiciaire sur Internet. De plus, l’intimée ne se limite pas à rendre publique l’existence d’un jugement de tribunal. Elle fait état aussi publiquement du non paiement de la créance judiciaire, du montant de la dette en souffrance et de divers autres renseignements sur le débiteur. Une grande partie de l’information, y compris des renseignements concernant les membres de la famille du débiteur (souvent non liés aux créances judiciaires), leur adresse personnelle et leurs actifs, pourrait être considérée de nature délicate selon le contexte.
  2. Pour trancher la question, le Commissariat a examiné les règles que doivent suivre les agences de recouvrement et les agences de renseignements sur le consommateur en Ontario en présence de renseignements sur les créances impayées. En général, l’utilisation et la communication par ces entités de renseignements au sujet des dettes de personnes sont strictement réglementées et peuvent avoir lieu dans certaines circonstances seulement. En particulier, le règlement pris en vertu de la Loi sur les services de recouvrement et de règlement de dette de l’Ontario interdit aux agences de recouvrement, ou aux personnes agissant en leur nom, de « publier ou [de] menacer de publier le défaut de paiement du débiteur » et « [d’e]xercer des pressions indues, excessives ou abusives »Note de bas de page 9.
  3. De la même manière, la Loi sur les renseignements concernant le consommateur de l’Ontario interdit aux personnes qui agissent à titre d’agences de renseignements sur le consommateurNote de bas de page 10 de communiquer les renseignements figurant dans leurs dossiers (y compris les renseignements sur les obligations impayées), sauf dans des circonstances précises, par exemple, à des personnes qui, selon ce que l’agence de renseignements sur le consommateur est fondée à croire, se proposent d’en faire usage pour le recouvrement d’une dette, à des fins d’emploi, relativement à la souscription d’une police d’assurance ou qui en ont un besoin direct relativement à une opération commercialeNote de bas de page 11. D’après notre examen de cette loi, il ne semble pas qu’une personne qui agit à titre d’agence de renseignements sur le consommateur serait autorisée à communiquer au grand public des renseignements sur le crédit de la manière que le fait l’intimée.
  4. Bien que les règles varient au Canada, le QuébecNote de bas de page 12, la Colombie BritanniqueNote de bas de page 13 et l’AlbertaNote de bas de page 14 ont mis en place des restrictions semblables pour les agences de recouvrement de créances et les agences de renseignements sur le consommateur, qui interdisent la communication de renseignements relatifs à une dette à quiconque en dehors d’un groupe strictement défini.
  5. Pour justifier sa conduite, l’intimée a attiré notre attention sur les similitudes entre le site Web et les programmes d’exécution des ordonnances de pension alimentaire mis en œuvre par les gouvernements de l’Ontario et de l’Alberta. Toutefois, il y a aussi d’importantes différences. Ces programmes sont régis par un organisme gouvernemental provincial qui est créé par une autorité législative particulière et lié par les exigences énoncées dans la loi. En comparaison, la pratique de l’intimée n’est pas expressément autorisée par la loi, vise un but commercial et, dans les faits, entraîne la communication de renseignements concernant des dettes impayées d’une manière qui semble interdite aux agences de recouvrement et aux agences de renseignements sur le consommateur.
  6. Nous remarquons aussi qu’il existe des moyens juridiques à la disposition des créanciers pour faire respecter légalement une ordonnance. Par exemple, le ministère du Procureur général de l’OntarioNote de bas de page 15 a publié un document d’orientation intitulé Guide sur la façon d’obtenir des résultats après le jugement fondé sur les lois pertinentes et les règles de procédure. Ce document décrit six mesures d’exécution forcée, y compris la saisie arrêt. Bien que l’intimée semble motivée par ce qu’elle perçoit comme des lacunes dans les moyens juridiques existants, cela ne l’autorise pas à contourner les protections mises en place particulièrement pour les personnes ayant des créances impayées.
  7. Comme la pratique de publier le défaut de paiement d’un débiteur est une pratique expressément interdite aux agences de recouvrement réglementées et que des restrictions semblables semblent exister pour les agences de renseignements sur le consommateur, nous sommes d’avis qu’une personne raisonnable jugerait comme inapproprié qu’une organisation rende publique cette information pour en tirer un gain et forcer les débiteurs à payer leurs dettes, en raison surtout de la disponibilité de moyens juridiques pour faire respecter les jugements.
  8. Bien que l’intimée semble contester l’application de la Loi sur les renseignements concernant le consommateurNote de bas de page 16, selon nous, ses actions sont à tout le moins contraires à l’esprit de cette loi ainsi qu’aux protections générales mises en place par l’Assemblée législative de l’Ontario pour protéger les débiteurs du type d’exposition publique activement pratiquée et publicisée par l’intimée.
  9. De plus, le Commissariat se préoccupe beaucoup d’un modèle opérationnel qui cherche, à des fins coercitives, à tirer des profits financiers de l’exposition publique de renseignements personnels de nature délicate par le truchement des moteurs de recherche, essentiellement en se servant de la réputation des personnes et en nuisant éventuellement à cette réputation. L’utilisation de ce modèle opérationnel présente un risque important, car toute personne effectuant une recherche sur le Web au sujet de personnes dont le nom est indiqué sur le site Web de l’intimée pourrait avoir accès involontairement à cette information, ce qui pourrait causer du tort à la réputation et d’autres préjudices, entre autres l’utilisation de l’information hors contexte à une fin quelconque, comme de participer à des activités susceptibles d’être discriminatoires.
  10. Enfin, l’intimée, sur son site Web, laisse entendre que sa pratique est expressément permise en vertu de l’alinéa 7(3)b) de la LPRPDE. Toutefois, cet alinéa est assujetti à la condition préalable du paragraphe 5(3) et doit être interprété à la lumière de cette dispositionNote de bas de page 17. L’alinéa 7(3)b) permet aux organisations de communiquer des renseignements personnels lorsqu’elles utilisent les moyens juridiques existants pour recouvrer une dette (par exemple, à une agence de recouvrement). Il ne permet pas la communication sans discernement au grand public de renseignements concernant un débiteur judiciaire de la manière dont le fait l’intiméeNote de bas de page 18.

Rapport d’enquête préliminaire

  1. Dans le rapport d’enquête préliminaire, le Commissariat a recommandé que l’intimée supprime de son site Web et de ses serveurs tous les renseignements relatifs aux débiteurs judiciaires qu’elle publie, dont les renseignements personnels, et qu’elle prenne les mesures pour les enlever des mémoires caches des moteurs de recherche. L’intimée n’a pas répondu au rapport préliminaire et a confirmé au Commissariat qu’elle n’accepterait pas les recommandations ni ne fournirait de réponse écrite au rapport préliminaire.

Conclusion et recommandations

  1. Par conséquent, le Commissariat conclut que la plainte est fondée en vertu du paragraphe 5(3) de la LPRPDE et qu’elle est non réglée.
  2. Le Commissariat continuera de veiller à ce que Public Executions Inc. se conforme à la LPRPDE. Par conséquent, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada se penchera sur les prochaines étapes à cette fin, conformément aux pouvoirs que lui confère la LPRPDE.
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