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Résultats réels Vol. 3

Décembre 2021

La recherche innovatrice pour protéger
les droits relatifs à la vie privée

Être parent à l’ère du numérique

En affichant les photos et les renseignements personnels de leurs enfants sur des sites de médias sociaux, les parents peuvent, par inadvertance, exposer leurs enfants à des conséquences désastreuses comme la cyberintimidation, le vol d’identité et même le leurre et l’exploitation sexuelle.



Mère et fille dans le salon. La fille semble fachée de ce qui se trouve sur l'ordinateur.

Le partage a été fait uniquement pour s’amuser en toute innocence. Pour rigoler, une mère de famille a décidé d’habiller son jeune fils en fille, avec une perruque et un maquillage complet. Il avait l’air si drôle qu’elle a publié la photo sur sa page Facebook, et les mentions J’aime et les commentaires positifs d’amis et de membres de la famille ont afflué : « Hilarant », « LOL », « Trop mignon ». Un partage inoffensif, n’est-ce pas?

Quelques années plus tard, ce garçon est devenu un adolescent timide. L’un de ses camarades trouve la photo en ligne et la publie sur de nombreux sites de médias sociaux. Au fur et à mesure que la photo est diffusée parmi ses camarades de classe du secondaire, le garçon se sent de plus en plus humilié.

Fondé en partie sur une histoire vraie, cet incident de cyberintimidation a été mis au jour au cours d’une série de groupes de discussion organisée dans le cadre d’un projet de recherche financé par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : « Être parent à l’ère numérique : Le partage de renseignements personnels sur les réseaux sociaux et ses conséquences sur le droit à la vie privée et à l’image des enfants ». Dirigée par Christian Corbeil, Myriam Chagnon et Josiane Fréchette d’Option consommateurs, un groupe de défense des droits des consommateurs, l’équipe s’est penchée sur les risques et les répercussions possibles du « surpartage parental (sharenting) » – le phénomène croissant des parents qui partagent souvent et en grand nombre des aspects de la vie de leurs enfants sur les médias sociaux, notamment des photos, des moments importants et des renseignements personnels.

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« Le phénomène croissant des parents qui partagent souvent et en grand nombre des aspects de la vie de leurs enfants sur les médias sociaux, notamment des photos, des moments importants et des renseignements personnels ».

Les parents semblent publier des renseignements sur leurs enfants à toutes les étapes de leur développement : Premiers pas, premier anniversaire, premier jour d’école. Baignant dans un écosystème de partage en ligne, il semble difficile pour les parents d’aujourd’hui de résister. Néanmoins, lorsqu’ils publient des photos d’Halloween ou de l’animal de compagnie de la famille, ils n’imaginent probablement pas les pires scénarios – la possibilité que quelqu’un, quelque part, puisse utiliser une photo ou des renseignements personnels à des fins moins nobles, et que cette mauvaise utilisation puisse se produire de nombreuses années après la première publication.

Une recherche approfondie

Afin de commencer à cerner les risques possibles relatifs à la communication de renseignements personnels sur les enfants par les parents sur les réseaux sociaux, l’équipe de recherche financée par le Commissariat a analysé les conditions d’utilisation de plusieurs services en ligne, comme Facebook et Instagram.

« Nous voulions comprendre les obligations des sites de médias sociaux et des parents qui publient l’information, et les possibilités, par exemple, pour un enfant de supprimer l’information publiée par son parent », explique Alexandre Plourde, un avocat qui travaille avec Option consommateurs.

L’équipe a également mené des groupes de discussion avec deux groupes démographiques principaux : les jeunes adultes dont les parents ont peut-être partagé leurs photos et leurs renseignements personnels en ligne lorsqu’ils étaient plus jeunes, et à l’inverse, les parents qui ont peut-être partagé des photos de leurs propres enfants et des renseignements au sujet de ceux‑ci. L’objectif était de mieux comprendre le point de vue des parents et des enfants sur ces pratiques et de déterminer ce qu’ils pensent qu’il faudrait faire, le cas échéant, au sujet du surpartage parental.

L’équipe a par la suite entrepris une analyse détaillée afin de cerner les lacunes dans le cadre juridique, en particulier dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ainsi que les mécanismes juridiques  utilisés pour s’attaquer à ces problèmes dans d’autres administrations.

Le rapport qui en a résulté a suscité un grand intérêt de la part du public et des médias. L’une des principales conclusions de ce rapport est qu’il faut sensibiliser davantage les parents aux dangers que peut présenter la publication de renseignements sur leurs enfants dans les médias sociaux.

« Bien que les parents se disent préoccupés par la publication de renseignements sur leurs enfants dans les réseaux sociaux, la plupart le font de toute façon », affirme M. Plourde. « Les parents que nous avons interviewés estiment que ce comportement ne présente aucun risque pour leurs enfants. »

Les risques pour les enfants

Quels sont les risques liés à la publication en ligne des photos et des renseignements personnels de nos enfants?

Le rapport souligne à tout le moins que les parents peuvent avoir une vision différente de celle de leurs enfants concernant ce qui est acceptable de publier en ligne. Les parents peuvent créer une présence en ligne non souhaitée pour leurs enfants – une présence que de nombreux enfants, s’ils en avaient la possibilité, chercheraient à supprimer.

Par exemple, les participants aux groupes de discussion ont signalé des cas où la communication de renseignements en ligne par les parents a causé beaucoup d’embarras à leurs enfants, et a même entraîné de la cyberintimidation. Comme dans l’exemple précédemment cité d’une mère de famille qui publie innocemment une photo de son fils habillé en fille, les camarades de classe qui veulent ridiculiser un autre enfant peuvent visiter les réseaux sociaux pour trouver des photos et des renseignements gênants sur les comptes des parents de cet enfant, pour ensuite les transmettre à d’autres camarades de classe.

Même si une photo passe inaperçue auprès des camarades de classe, les publications en ligne peuvent causer des conflits majeurs entre les enfants et leurs parents. Un enfant peut demander à l’un de ses parents de retirer une photo qui a été publiée en ligne, photo qu’il juge malaisante ou potentiellement humiliante. Si le parent refuse de retirer cette photo, des bouleversements familiaux peuvent s’ensuivre.

Il est choquant de constater qu’une faible proportion de parents ont intentionnellement utilisé les médias sociaux à des fins malveillantes, pour tenter délibérément d’humilier leur enfant. Une situation de ce genre a été mise en évidence dans le cadre de l’étude : un parent avait puni son enfant en le forçant à se rendre à l’école. Le parent a filmé la scène et l’a ensuite publiée en ligne, ce qui s’est avéré extrêmement humiliant pour l’enfant.

« Tous ces scénarios peuvent être psychologiquement dommageables pour un enfant », souligne M. Plourde. « Même s’ils n’ont pas atteint l’âge de la majorité, les jeunes ont droit au respect de leur dignité personnelle. »

En plus de mettre leurs enfants dans l’embarras ou même de leur causer du tort, volontairement ou non, les parents peuvent aussi, sans le vouloir, jeter les bases d’un vol d’identité.

« Quand les parents publient une photo de leur enfant sur Internet, cela peut être une véritable mine d’or pour les fraudeurs », explique M. Plourde. « S’ils publient une photo de la fête d’anniversaire de leur enfant, les fraudeurs peuvent déduire la date de naissance exacte de l’enfant. Les fraudeurs peuvent aussi faire une recherche dans le profil du parent pour découvrir le nom de jeune fille de la mère, le nom du premier animal de compagnie de l’enfant, et ainsi de suite. Ces renseignements sont tous des données qui peuvent être utilisées des années plus tard – même 10 ans plus tard – pour commettre un vol d’identité, et même demander un crédit au nom de l’enfant. »

Dans les cas extrêmes, les publications des parents peuvent mener au leurre ou à l’exploitation sexuelle de l’enfant.

« Si les parents publient une photo de leur enfant le jour de la rentrée scolaire, cela peut révéler de l’information à un tiers malveillant, notamment l’âge de l’enfant, le quartier dans lequel il vit, l’école qu’il fréquente et plus encore », avertit M. Plourde. « Les parents ne sont pas forcément conscients de la quantité d’information qu’ils publient sur le Web et des risques auxquels ils exposent leurs enfants. »

Même des photos innocentes d’enfants qui nagent ou prennent un bain ont été partagées illégalement par des pédophiles et publiées sur le Web caché. Ces photos peuvent être téléchargées par une personne qui a accès au compte de médias sociaux des parents et diffusées partout sur Internet.

« Il s’agit de problèmes concrets qui ne sont pas du tout hypothétiques », déclare M. Plourde. « Fait intéressant : après avoir entendu parler de notre recherche dans les médias ou après avoir vu notre campagne de sensibilisation, de nombreux parents nous ont dit qu’ils ne se rendaient pas compte de tous les renseignements que l’on peut dévoiler au moyen d’une simple photo. Ils ont signalé avoir modifié les paramètres de confidentialité sur leurs réseaux sociaux. Certains parents ont également déclaré qu’ils ne révélaient plus la date de naissance de leur enfant sur les réseaux sociaux ou qu’ils n’affichaient plus de photos de la rentrée scolaire. »

« De nombreux parents n’étaient tout simplement pas conscients des risques, et plusieurs d’entre eux ont désormais changé leurs comportements à la suite de cette prise de conscience. »

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Le consentement et les droits des enfants

Un petit garçon faisant le geste de silence avec le doigt sur ses lèvres.

Les conséquences potentiellement désastreuses du partage par les parents des renseignements de leurs enfants sur les sites de médias sociaux soulèvent plusieurs questions : Les enfants ont-ils consenti au préalable à ce que leurs photos soient publiées en ligne? D’un point de vue juridique, sont-ils même en mesure de donner leur consentement? Peuvent-ils exiger que leurs photos et leurs renseignements soient supprimés?

En fin de compte, explique Alexandre Plourde, puisque les enfants sont mineurs, ce sont leurs tuteurs et d’autres adultes dans leur entourage – notamment les parents, les grands-parents, les membres de la famille élargie, les voisins et les amis de la famille – qui prennent la décision de publier des renseignements à leur sujet. À l’heure actuelle, non seulement un enfant n’est pas en mesure d’accepter ou de refuser explicitement que ses photos et ses renseignements personnels soient partagés, mais il ne peut pas non plus supprimer quoi que ce soit une fois que cela est publié en ligne, même après avoir atteint l’âge de la majorité.

Il serait sans doute préférable que le Canada dispose d’une loi semblable au Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Europe. Ainsi, lorsque les enfants atteignent l’âge adulte, ils pourraient choisir de supprimer d’Internet toute image et tout renseignement personnel sensible. Également connu sous le nom de « droit à l’effacement », il donne aux particuliers le droit de demander aux organisations de supprimer leurs données personnelles. Le « droit à l’oubli », qui a fait l’objet d’une importante couverture médiatique après un jugement de la Cour de justice de l’UE, a établi un précédent pour la disposition relative au droit à l’effacement du RGPD.

Au niveau fédéral, le Canada n’a pas encore reconnu le « droit à l’oubli » ni édicté de lois sur l’effacement; toutefois, les parties lésées peuvent utiliser la procédure de plainte prévue par la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE).

Au niveau provincial, le Québec pourrait bien être à l’avant-garde dans ce domaine. À l’automne 2021, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi no 64, une loi qui modernise les dispositions législatives relatives à la protection des renseignements personnels. Inspiré du RGPD européen, cette loi apporte des changements importants à la législation québécoise sur la protection de la vie privée dans les secteurs privé et public. Option consommateurs a été appelé à témoigner devant le Comité de l’Assemblée nationale chargé d’étudier le projet de loi et, selon M. Plourde, certaines de leurs recommandations se retrouvent dans la nouvelle loi.

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Accroître la sensibilisation

Mère et fille regardant ensemble quelque chose en ligne.

En plus d’avoir fait l’objet d’une couverture médiatique importante sur les sites de médias traditionnels, le rapport d’Option consommateurs sur les risques que présente le surpartage parentala été diffusé par les médias sociaux, atteignant un public de plus de 50 000 personnes. Avec l’appui du Commissariat, l’organisation a également fait des démarches pour produire deux films d'animation visant à sensibiliser les parents aux risques éventuels. Les films d’animation bilingues ont été diffusés sur les sites de médias sociaux les plus populaires du Canada, ainsi qu’auprès de certains partenaires et de leur public. Le groupe de défense des consommateurs a également créé une page Web qui fournit de l’information sur les risques pour les enfants, ainsi que des conseils aux parents sur la façon de limiter ces risques au moment de mettre en ligne une publication. Les deux films d’animation et la page Web ont été très populaires et ont été visionnés près de 8 000 fois à ce jour.

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Avertissement : Le Programme des contributions du Commissariat finance des projets de recherche indépendants sur la protection de la vie privée et des initiatives d'application des connaissances. Les opinions exprimées par les experts dans la présente publication ne reflètent pas nécessairement celles du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

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