Le consentement valable : obstacle ou catalysateur à l’innovation en santé ?
Les innovations technologiques peuvent transformer radicalement notre système de santé, mais elles reposent souvent sur la collecte, l’utilisation et la communication de données personnelles sensibles. De quelle manière les patients peuvent-ils donner un consentement valable pour bénéficier des avantages de ces innovations?
De l’intelligence artificielle aux appareils mobiles en passant par la surveillance à distance, les innovations technologiques révolutionnent le domaine de la santé. Malheureusement, les mesures de protection de la vie privée ne suivent pas le rythme. Il semble que nous puissions innover en santé ou protéger la vie privée, mais qu’il n’est pas possible de concilier les deux. Toutefois, Angela Power, directrice de la protection de la vie privée et de la mobilisation du public au Centre d’information sur la santé de Terre-Neuve-et-Labrador, pense le contraire, pour autant que nous soyons prêts à repenser radicalement les modèles de protection de la vie privée et de consentement.
La protection de la vie privée comme catalyseur
Le vif désir de considérer la protection de la vie privée comme un catalyseur plutôt qu’un obstacle à l’innovation est ce qui a amené Mme Power et Holly Etchegary, à organiser une séance de conception unique sur la « modernisation du consentement pour l’utilisation des renseignements personnels sur la santé ». Avec l’appui du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, l’équipe avait pour objectif d’examiner plus en profondeur la façon dont le consentement valable pourrait être abordé dans le secteur de l’innovation en santé.
« Parfois, la protection de la vie privée est considérée comme un obstacle à l’innovation, affirme Mme Power. Or, nous voulions renverser tout ce paradigme et dire : “Eh bien, non, ce n’est pas le cas. Pourquoi ne pas redéfinir la protection de la vie privée et le consentement comme des catalyseurs de l’innovation? Ouvrons le dialogue. Redéfinissons et repensons le consentement pour qu’il soit favorable aux nouvelles innovations et technologies, car il ne devrait pas toujours constituer une menace.” »
La première étape de l’équipe a été de mettre sur pied un groupe de travail, lequel a permis de réunir des intervenants de toute la province et du Canada pour planifier la séance de conception. Le groupe de travail était composé de représentants de l’Université Memorial; du ministère des Services de santé et communautaires de la province; du Centre d’information sur la santé de Terre-Neuve-et-Labrador; de l’Eastern Health; de la Health Research Ethics Authority; de Bounce Innovation et de Hacking Health; d’Inforoute Santé du Canada; et, encore plus important, d’un certain nombre de patients et de citoyens.
« Ouvrons le dialogue. Redéfinissons et repensons le consentement pour qu’il soit favorable aux nouvelles innovations et technologies, car il ne devrait pas toujours constituer une menace ».
L’événement d’une journée avait pour but de « placer les patients au cœur des activités d’innovation en santé ». Au cours de la journée, plus de 50 participants – dont des patients et des citoyens, des intervenants de jeunes entreprises et d’entreprises de technologie, ainsi que des organismes de réglementation – ont participé activement au remue-méninges et à l’élaboration de solutions. L’objectif était d’examiner où le consentement peut être intégré dans le système de santé afin de maximiser le contrôle des patients quant à l’utilisation de leurs données sur la santé.
De nos jours, la quantité de données sur la santé produites monte en flèche. Les dispositifs connectés sont de plus en plus utilisés dans les hôpitaux et les établissements de santé. Des milliers de patients Canadiens portent des dispositifs médicaux de surveillance à distance ou se les sont fait implanter. De plus, il est désormais courant d’utiliser des « accessoires intelligents », qu’il s’agisse d’accessoires pour le suivi de l’état de santé en vente libre ou d’appareils plus sophistiqués, comme des glucomètres qui permettent d’ajuster à distance l’administration d’insuline ou des moniteurs cardiaques qui permettent de détecter des anomalies et d’envoyer des données en temps réel aux médecins.
Puis la pandémie a frappé, faisant passer un domaine déjà en évolution rapide à une vitesse supérieure.
« La COVID-19 nous a permis de constater que ce qui se passait déjà dans le domaine de la santé s’est accéléré de manière exponentielle du jour au lendemain », souligne Mme Power. « Le recours aux soins virtuels a tout simplement explosé. Nous sommes nombreux à vouloir profiter des avantages de la surveillance à distance. Nous sommes nombreux à vouloir avoir accès à ces nouvelles solutions, mais pas au détriment de notre vie privée. »
Avantages attrayants, mais…
Les innovations dans le domaine des soins de santé offrent trois avantages possibles attrayants : améliorer la qualité et la sécurité des soins prodigués aux patients, améliorer l’expérience vécue par les patients et, ultimement, améliorer les résultats sur le plan médical. Face à la double difficulté que constituent le vieillissement de la population et la hausse des coûts, l’innovation devrait également permettre d’améliorer l’économie des soins de santé.
Toutefois, ces innovations reposent aussi sur la collecte, l’utilisation et la communication de données personnelles sensibles. Les patients sont-ils en mesure de donner un consentement « valable » pour l’utilisation de leurs données personnelles afin de pouvoir bénéficier de ces accessoires intelligents?
« J’ai été témoin de nombreux exemples d’innovations dans le domaine des soins de santé où, certes, les avantages existent, mais où la transparence n’est pas de la partie », poursuit Mme Power. « De plus, je suis grandement préoccupée par le fait que, même dans le domaine de la santé, les données sont exploitées de façon extrêmement troublante. »
Outre la manière dont sont utilisées les données dans le domaine de la santé, Mme Power s’inquiète également du nombre sans précédent de partenariats entre les secteurs privé et public pour la mise en œuvre d’innovations dans le domaine des soins de santé ainsi que de la façon dont la « tension » entre ces deux secteurs pose des difficultés particulières en matière de protection de la vie privée.
La fusion des secteurs privé et public
« Au cours des quinze dernières années environ, j’ai vu l’ensemble du paysage de la protection de la vie privée évoluer de façon exponentielle aux côtés de nombreuses technologies émergentes », souligne Mme Power. « Dans le domaine de la santé en particulier, j’ai vu les secteurs privé et public fusionner à maintes reprises. À mesure que de nouvelles technologies émergent, que cela concerne l’intelligence artificielle, les appareils mobiles ou la surveillance à distance des patients, elles sont souvent offertes dans un contexte de soins par l’entremise d’un partenariat ou d’une entente contractuelle quelconque. »
« À tout le moins, nous voulions que la séance de conception nous permette de faire la lumière sur la façon dont les données sont utilisées et de mettre en évidence le rapprochement émergent entre les secteurs public et privé au Canada – surtout lorsque le secteur public est chargé de la prestation des soins, et que le secteur privé est à même d’intégrer ces nouvelles solutions aux nouvelles technologies », explique Mme Power.
Selon Mme Power, des tensions surviennent parce que les entreprises privées et les jeunes entreprises doivent agir rapidement pour rentabiliser leurs investissements, mais aussi pour prouver au système de santé que leur technologie peut être utile et bénéfique. En outre, ces entreprises doivent pouvoir compter sur un système de santé publique capable de répondre rapidement aux demandes de données afin de pouvoir mettre à l’essai et utiliser leurs innovations.
« Conception » d’un modèle de consentement
Le système de santé et le cadre législatif ont du mal à suivre le rythme rapide en matière d’innovation, souligne Mme Power. Les modèles habituels de consentement et de protection de la vie privée accusent un retard par rapport aux capacités technologiques actuelles.
« De même, les patients et le public doivent faire des choix difficiles quant à l’utilisation de leur information sur la santé », explique Mme Etchegary. « Nous avons pensé qu’il était temps de repenser la façon de gérer la confidentialité et le consentement afin d’envisager de nouveaux modèles de consentement dynamique en temps réel. »
Un aspect nouveau de la séance de conception a été la composition des « tables de travail sur le consentement ». Chaque table était composée de divers intervenants, notamment des patients, des cliniciens, des représentants d’organismes de réglementation de la protection des renseignements personnels, des décideurs des gouvernements provinciaux, des innovateurs commerciaux et des chercheurs. Cette composition a permis de faire en sorte que des perspectives diverses soient prises en compte dans le cadre des travaux de chaque table sur le consentement.
« Nous voulions créer une occasion où divers intervenants pourraient discuter ouvertement de cette question et examiner où se situe le problème. Nous voulions aussi qu’ils soient en mesure de discuter de ce à quoi pourraient ressembler certaines solutions si nous devions créer un modèle de consentement qui est à la fois valable et conforme aux principes de protection de la vie privée. Notre objectif était d’entamer le dialogue, de réunir les divers intervenants et d’éliminer les obstacles », explique Mme Power.
Ironiquement, l’une des grandes difficultés initiales de l’équipe de recherche a été de définir le concept de « consentement valable » dans un contexte de santé.
« Il nous a fallu beaucoup plus de temps au début de la séance de conception pour aider les gens à comprendre que nous parlions de consentement pour la collecte, l’utilisation et la communication de données ou de renseignements personnels – par opposition au “consentement aux soins” », explique Mme Etchegary.
À la fin du processus, les participants à la séance de conception ont proposé une série de solutions possibles pour obtenir le consentement par l’entremise de six moyens différents : aux kiosques dans les hôpitaux, dans les points de services pour renouveler la carte d’assurance-maladie provinciale, sur un portail pour les patients, sur un portail de recherche sur la santé, dans les établissements de soins cliniques et au moyen d’applications mobiles.
Les organisateurs de la séance de conception ont présenté des considérations précises liées au consentement pour chacune des solutions. Toutefois, ils ont souligné l’existence de caractéristiques communes à toutes ces solutions, notamment la nécessité de disposer de multiples possibilités de consentement, de modèles de consentement qui donnent aux patients le contrôle ultime de l’utilisation de leurs données personnelles sur la santé ainsi que des modèles qui donnent aux patients la possibilité de revoir et de changer leurs préférences en matière de consentement au fil du temps. L’élaboration de modèles de consentement « dynamiques » et « transparents » peut contribuer à assurer le respect de ces caractéristiques.
En fin de compte, « le consentement ne devrait pas se limiter à choisir entre deux éléments qui s’opposent : avoir une vie privée ou bénéficier de l’innovation », souligne Mme Power. « La séance de conception a démontré qu’il est possible de rassembler les gens pour essayer de résoudre un problème complexe lié à la protection de la vie privée – l’émergence des technologies dans le domaine de la santé – de sorte que nous puissions profiter des avantages que celles-ci ont à offrir tout en ayant une vie privée. »
Pour en savoir plus
Qu’est-ce que l’« innovation dans le domaine des soins de santé »?
L’innovation dans le domaine des soins de santé comprend des activités qui permettent d’améliorer la qualité et la sécurité des soins prodigués aux patients, l’efficacité administrative, l’expérience vécue par les patients ainsi que les résultats des patients sur le plan médical. Au Canada, des efforts sont actuellement déployés pour transformer les soins de santé en tirant parti de la technologie et des données afin que les provinces et les territoires puissent trouver de nouvelles façons d’offrir des traitements et des services médicaux.
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Avertissement : Le Programme des contributions du Commissariat finance des projets de recherche indépendants sur la protection de la vie privée et des initiatives d'application des connaissances. Les opinions exprimées par les experts dans la présente publication ne reflètent pas nécessairement celles du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.
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