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Une entreprise de services de transport exerce une surveillance constante plus intrusive que nécessaire sur ses camionneurs

Conclusions en vertu de la LPRPDE no 2021-008

Le 22 mars 2021


Plainte en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la Loi)

Rapport de conclusions

Plainte

  1. Le plaignant, un camionneur, a allégué que son employeur, Oculus Transport Ltd. (« Oculus » ou « l’intimé »), une entreprise de camionnage interprovinciale exerçant ses activités en Alberta et en Colombie-Britannique, a recueilli ses renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable n’estimerait pas acceptables dans les circonstances. Il a plus précisément allégué que l’intimé a recueilli des enregistrements audio de toutes les conversations qui ont été tenues dans la cabine de son camion, même lorsqu’il n’était pas en service.
  2. Nous avons entrepris de déterminer si l’intimé a recueilli et utilisé les renseignements personnels de ses camionneurs, comme le plaignant, au moyen de la technologie de surveillance audio, à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

Contexte

  1. L’intimé a installé des appareils de surveillance dans les cabines de ses camions en janvier 2017. Ses objectifs principaux étaient de faciliter les enquêtes sur les incidents et la répartition de la responsabilité ainsi que de garantir la conformité aux règlements provinciaux et aux politiques des propriétaires de routes.
  2. L’appareil enregistrait le son à l’intérieur de la cabine (y compris les conversations du conducteur) et les images (à travers la fenêtre avant du camion), en plus de fournir des renseignements en temps réel sur l’endroit où se trouvait le camion d’Oculus. Notre enquête se limite à la collecte des séquences audio.
  3. Selon le plaignant, un appareil de surveillance a été installé dans sa cabine en mars 2017. Il affirme qu’il croyait alors qu’il ne s’agissait que d’une caméra de tableau de bord (orientée vers l’extérieur pour enregistrer des vidéos) et qu’il ignorait que l’appareil enregistrait le son à l’intérieur du camion jusqu’à ce qu’il mène ses propres recherches.
  4. Le plaignant a retiré l’appareil de sa cabine. Oculus l’a réprimandé à cet égard et l’a congédié après qu’il ait refusé la surveillance audio.
  5. L’intimé a récemment informé le Commissariat qu’il n’utilise plus d’appareils de surveillance audio. Il utilise maintenant des caméras orientées vers l’avant qui n’enregistrent pas le son.

Analyse

Enjeu: Déterminer si Oculus utilisait la surveillance audio à des fins acceptables

  1. À notre avis, une personne raisonnable ne considérerait pas qu’Oculus a recueilli et utilisé les renseignements personnels de ses conducteurs, au moyen de sa technologie de surveillance, à des fins acceptables dans les circonstancesNote de bas de page 1.
  2. Conformément au Document d’orientation sur les pratiques inacceptables du traitement des données : Interprétation et application du paragraphe 5(3)Note de bas de page 2, le Commissariat tient compte des facteurs énoncés par les tribunaux afin de déterminer si une personne raisonnable estimerait que la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements par une organisation sont effectuées à des fins acceptables dans les circonstances. Plus précisément, outre le degré de sensibilité des renseignements personnels en cause, nous pouvons aussi tenir compte des facteurs suivants :
    1. le besoin ou les intérêts commerciaux légitimes des fins visées par l’organisation;
    2. l’efficacité de la collecte, de l’utilisation et de la communication pour répondre au besoin de l’organisation;
    3. l’existence de moyens portant moins atteinte à la vie privée qui permettent d’atteindre les mêmes fins pour un coût et des avantages comparables;
    4. la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée par rapport aux avantages.
Caractère sensible des renseignements personnels recueillis au moyen de la technologie de surveillance
  1. Les renseignements personnels recueillis par l’intimé au moyen de la technologie de surveillance comprennent les conversations tenues par les employés à l’intérieur de la cabine de leur camion pendant que la clé était dans le contact et que le moteur était en marche. Des conversations privées avec des parents, des amis, des docteurs ou des tierces parties pourraient avoir été enregistrées. Par conséquent, le Commissariat est d’avis que les séquences audio recueillies pourraient être de nature sensible.
Besoin ou intérêts commerciaux légitimes
  1. L’intimé a affirmé que ses fins concernaient la logistique, la sûreté, la sécurité, la communication et le rendement des employés. Plus précisément, Oculus indique deux objectifs principaux pour son utilisation des appareils de surveillance audio et vidéo dans les cabines :
    1. Faciliter les enquêtes sur les incidents et la répartition de la responsabilité;
    2. Garantir la conformité législative aux règlements provinciaux.
  2. L’intimé a expliqué qu’il exerce principalement ses activités dans des régions éloignées (par exemple sur des chemins de service forestiers) et que la grande majorité des communications entre les camionneurs est effectuée au moyen de radios bidirectionnelles. Les routes contrôlées au moyen de communications radio sont assujetties aux règlements provinciauxNote de bas de page 3 et aux politiques des propriétaires de routes. Selon l’intimé, le non-respect des exigences d’une route contrôlée au moyen de communications radio – par exemple l’annonce (au moyen d’une radio bidirectionnelle) de l’emplacement d’un véhicule à différents points de repère – peut entraîner de graves conséquences, comme des accidents et l’interdiction d’utiliser la route dorénavant.
  3. Compte tenu de ce qui précède, nous reconnaissons que les motifs d’Oculus constituaient un besoin légitime.
Efficacité
  1. Oculus a affirmé que l’utilisation des appareils de surveillance audio et vidéo a grandement aidé aux enquêtes, puisqu’elle permettait à l’entreprise de démontrer que les règles et procédures appropriées avaient été suivies.
  2. L’intimé a fourni divers exemples de situations dans le cadre desquelles des enregistrements audio, associés à des enregistrements visuels, auraient pu constituer une source de preuve précieuse. Par exemple, ils auraient permis à Oculus de démontrer l’utilisation adéquate des radios bidirectionnelles, de vérifier les directives données aux camionneurs par les clients et de recréer le déroulement d’événements liés à un accident, à un incident ou à une plainte.
  3. Dans le cas d’un accident, les enquêteurs auraient pu utiliser les enregistrements pour corroborer ou contester les témoignages du conducteur et du témoin relativement à l’événement. Cela aurait permis à Oculus d’économiser du temps et de l’argent dans le cadre du processus d’enquête et d’attribuer la responsabilité adéquatement, au besoin.
  4. L’intimé a affirmé que l’utilisation d’appareils de surveillance audio et vidéo aurait pu permettre à Oculus de démontrer la conformité à des règlements et à des règles de sécurité en particulier.
  5. Bien que nous n’ayons pas reçu d’exemples précis de situations dans le cadre desquelles la surveillance audio a été utilisée, nous supposons qu’elle peut avoir aidé Oculus à atteindre ses objectifs sous-jacents.
Moyens portant moins atteinte à la vie privée
  1. Oculus a expliqué que l’appareil enregistrait dès que la clé était dans le contact et que le camion était en marche, mais qu’il était configuré pour écraser les renseignements toutes les 72 heures. Les séquences audio et vidéo étaient conservées sur une carte mémoire SD. L’appareil était verrouillé physiquement et seuls les employés autorisés pouvaient y accéder et examiner son contenu, dans des circonstances particulières comme une plainte, un accident ou un incident.
  2. Oculus affirme avoir examiné d’autres méthodes de surveillance audio, sans réussir à déterminer une méthode portant moins atteinte à la vie privée et permettant d’atteindre efficacement les mêmes fins. L’entreprise a par exemple envisagé d’effectuer une surveillance vidéo seulement, mais puisqu’elle est axée sur la communication et la radiocommunication, cette solution n’a pas été choisie. Le système d’enregistrements manuels utilisé précédemment par l’entreprise n’a pas répondu efficacement à ses besoins en ce qui a trait aux enquêtes urgentes et aux enquêtes sur des accidents.
  3. Bien que le Commissariat reconnait que les enregistrements audio aient pu être utiles pour l’intimé dans certaines circonstances, nous jugeons qu’il n’était pas nécessaire d’enregistrer le son en tout temps lorsque le camion était en marche. Comme les camionneurs sont souvent sur la route et passent du temps dans leur camion lorsqu’ils ne sont pas en service (par exemple avec le moteur en marche pour se chauffer pendant qu’ils dorment, la nuit), nous sommes d’avis que les enregistrements audio auraient dû être limités aux heures de travail.
  4. De plus, l’intimé a indiqué que son besoin principal était d’enregistrer les communications effectuées au moyen de radios bidirectionnelles pour faciliter les enquêtes sur les incidents, déterminer la responsabilité et démontrer la conformité aux lois. Nous nous demandons donc pourquoi Oculus n’aurait pas pu limiter l’enregistrement audio aux communications effectuées au moyen de radios bidirectionnelles.
Proportionnalité
  1. Nous reconnaissons que les enregistrements audio étaient protégés contre tout accès non autorisé et qu’il était seulement possible d’y accéder dans des circonstances précises et limitées. Toutefois, les enregistrements concernés auraient fourni jusqu’à 72 heures de son. Il s’agit de beaucoup plus de données que nécessaire pour répondre aux besoins indiqués, et celles-ci auraient pu comprendre des conversations personnelles de nature sensible ayant eu lieu alors que le camionneur n’était pas en service. À notre avis, cette mesure constituait une intrusion importante relativement à la vie privée des camionneurs et n’était pas proportionnelle aux avantages obtenus par l’intimé.
  2. Finalement, à notre avis, une personne raisonnable ne considérerait pas qu’Oculus a recueilli les enregistrements de l’intérieur de la cabine de ses conducteurs à des fins acceptables. Nous reconnaissons que la surveillance audio a été effectuée pour répondre à un besoin légitime et qu’elle peut avoir aidé l’intimé à atteindre ses objectifs. Toutefois, nous jugeons que la collecte des renseignements potentiellement sensibles des camionneurs, jusqu’à 24 heures par jour, y compris hors de leurs heures de travail et pendant leur sommeil, constituait une mesure plus intrusive que nécessaire. L’incidence sur la vie privée des camionneurs n’était pas proportionnelle aux avantages obtenus par l’entreprise grâce à cette surveillance.

Conclusion

  1. Comme l’intimé a informé le Commissariat qu’il n’effectue plus de surveillance audio, nous considérons la plainte comme fondée et résolue.
  2. Si Oculus décide d’effectuer une surveillance audio dans les cabines à l’avenir, nous nous attendons à ce que l’entreprise limite l’enregistrement des séquences audio aux données nécessaires pour l’atteinte de ses objectifs et qu’elle tienne compte de l’analyse et des conclusions du présent rapport.
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