Jet Airways invoque la possibilité d’une poursuite pour justifier son refus de communiquer des renseignements personnels
Rapport de conclusions d’enquête en vertu de la LPRPDE no 2017-008
Le 17 août 2017
Plainte déposée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la « Loi » ou la « LPRPDE »)
- La plaignante prétend que Jet Airways (le « mis en cause ») lui a refusé un accès complet à ses renseignements personnels. Plus précisément, elle allègue que le mis en cause lui refuse l’accès à l’ensemble des documents, des notes et des pièces de correspondance internes et externes portant sur un incident survenu à bord d’un appareil.
Résumé de l’enquête
Incident
- Le mis en cause est une compagnie aérienne basée à Mumbai, en Inde, qui exploite des vols de passagers à destination et en provenance du Canada. Selon le mis en cause, elle est enregistrée en tant que société extraprovinciale en Colombie-Britannique en vertu de la « Business Corporations Act », SBC 2002, ch. 57.
- Au début de 2015, la plaignante et un compagnon, qui souffrent d’un handicap, avaient fait l’achat de billets aller-retour auprès du mis en cause.
- Le jour du départ, un membre de l’équipage les a avisés après l’embarquement que leurs chiens d’assistance devaient être muselés.
- La plaignante et son compagnon ont répondu qu’ils n’avaient pas de muselière pour leurs chiens d’assistance et selon les politiques du mis en cause, les chiens d’assistance n’avaient pas besoin d’être muselés et qu’une muselière empêcherait le chien d’assistance de faire son travail. L’équipage a réitéré sa demande.
- Finalement, la plaignante et son compagnon ont été priés de quitter l’avion. Ils ont été escortés à l’extérieur de l’appareil jusqu’au terminal par la police.
Demande d’accès à l’information
- À la suite de l’incident, la plaignante et son compagnon ont demandé une indemnité au mis en cause parce qu’on leur a refusé l’embarquement. Pendant les discussions avec le mis en cause sur une possible indemnisation, la plaignante lui a fait parvenir une demande écrite afin d’avoir accès à tous ses renseignements personnels qui étaient « directement ou indirectement à la disposition » du mis en cause et qui étaient en lien d’une façon ou d’une autre avec sa réservation, ce qui inclus, sans s’y limiter, les renseignements suivants :
- son dossier passager complet et/ou l’historique de celui-ci;
- l’ensemble des documents, notes, et pièces de correspondance internes et externes reliés à l’incident
- La plaignante a envoyé un courriel de suivi au mis en cause puisque 30 jours s’étaient écoulés depuis qu’elle lui avait envoyé sa demande d’accès et que cette dernière n’avait toujours pas reçu d’information. Dans ce courriel, elle demandait au mis en cause s’il avait l’intention de respecter ses obligations en vertu de la Loi et, si tel était le cas, elle voulait connaître la date à laquelle elle devait s’attendre à recevoir les documents.
- Deux jours après, l’avocat canadien du mis en cause a avisé la plaignante que sa demande avait été envoyée au mis en cause, mais qu’il n’avait toujours pas reçu les directives de sa part. Il a indiqué qu’il poursuivrait l’affaire avec le mis en cause.
- Environ deux semaines plus tard, la plaignante a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (le « Commissariat ») concernant l’absence de réponse du mis en cause à sa demande d’accès à l’information.
- Quelques jours après le dépôt de sa plainte auprès du Commissariat, le représentant de la plaignante a écrit au mis en cause afin de demander officiellement une indemnité pour l’incident. La demande a été réitérée dans une lettre subséquente et comprenait ce qui suit :
- un dédommagement en espèces ou l’équivalent pour le vol qui lui a été refusé;
- un dédommagement pour une nuit à l’hôtel prépayée;
- un dédommagement pour préjudice moral, y compris atteinte à la dignité et à l’estime de soi.
- Dans la lettre subséquente, le représentant de la plaignante faisait savoir que si l’affaire n’était pas entièrement réglée dans les 30 jours suivants, il avait reçu comme directive de déposer une plainte auprès d’autres autorités de réglementation.
- La plaignante a par la suite déposé une plainte à l’encontre du mis en cause auprès d’autres autorités de réglementation, ces procédures étant en instance au moment de la rédaction du présent rapport.
Règlement rapide
- Le Commissariat a tout d’abord tenté de régler la plainte en ayant recours au processus de règlement rapide et a invité le mis en cause à répondre à la demande d’accès à l’information de la plaignante. Après des communications plus poussées entre les parties, le mis en cause a finalement fait parvenir à la plaignante une copie de son dossier passager complet, mais a refusé de divulguer toute autre note ou tout autre document en rapport avec l’incident, argumentant que cette information est confidentielle et a été recueillie dans le cadre de l’enquête qu’il a menée sur les circonstances entourant l’incident.
- Bien que la plaignante soit satisfaite d’être parvenue à mettre la main sur les documents liés à son dossier passager, celle-ci croit que le mis en cause a toujours en sa possession des documents qui ne lui ont pas encore été divulgués, à savoir :
- le rapport du système de contrôle des départs pour le jour en question;
- les documents portant sur l’intervention de la police le jour en question;
- les documents portant sur les dispositions prises avec l’hôtel qui avaient été remis à la plaignante le jour en question;
- les documents portant sur l’enquête interne menée par la compagnie aérienne le jour en question.
- Les parties n’étant pas parvenues à s’entendre sur un règlement mutuellement acceptable, la plainte a été transférée afin qu’une enquête officielle puisse avoir lieu.
Rapport d’enquête préliminaire
- Après avoir recueilli les faits à l’origine de la plainte et obtenu les déclarations du représentant de la plaignante et du mis en cause, le Commissariat a produit un rapport d’enquête préliminaire (REP) dans le cadre de ce dossier. Les deux parties ont répondu au rapport d’enquête préliminaire et leurs réponses ont été prises en considération lors de la rédaction de ce rapport (veuillez-vous référer au Rapport d’enquête préliminaire et réponse du mis en cause, commençant au paragraphe 62 ci-après).
Déclarations de Jet Airways
- Le Commissariat a reçu plusieurs observations du mis en cause qui expliquent la manière dont il a géré la demande d’accès à l’information et appliqué les exemptions prévues dans la Loi qui l’autorisaient, selon lui, à refuser de divulguer tous autres renseignements à la plaignante.
- Plus particulièrement, bien que le mis en cause ait confirmé avoir fourni le dossier passager à la plaignante, ce dernier a déclaré ne pas être en mesure de lui divulguer des renseignements supplémentaires, comme des documents portant sur l’incident, en application des alinéas 9(3)a) et 9(3)d) de la Loi (voir les sections pertinentes ci après).
(i) Délai de réponse
- En ce qui a trait à l’absence de réponse de la part du mis en cause à la demande d’accès à l’information dans le délai de 30 jours alloué à cette fin, le mis en cause a avisé le Commissariat qu’il ne s’était pas plié à cette exigence, car il [traduction] « craignait que l’affaire aboutisse devant les tribunaux, comme l’avait laissé entendre la plaignante dans ses avis légaux ». De plus, le mis en cause n’avait pas non plus envoyé d’avis à la plaignante pour l’informer qu’il prorogeait ce délai de 30 jours supplémentaires, puisque [traduction] « l’information demandée a été envoyée directement à nos avocats et à nos représentants […] et est présumée être confidentielle et protégée en vertu de [l’alinéa] 9(3)a) ».
- Après la publication du REP par le Commissariat dans ce dossier, le mis en cause a également indiqué, pour la première fois, que l’un de ses employés était en congé de maladie lorsque la demande d’accès à l’information a été reçue, ce qui explique pourquoi elle n’a pas été en mesure d’y répondre à l’intérieur du délai prescrit. Par ailleurs, le mis en cause a expliqué qu’avant même d’avoir pu fournir l’information demandée, la plaignante lui avait envoyé des avis l’informant d’éventuelles procédures devant d’autres autorités de réglementation. Cela étant, le mis en cause a considéré cela comme un « avis juridique en bonne et due forme », ce qui l’autorisait à ne pas divulguer l’information demandée. Le mis en cause a également souligné que la plaignante avait réussi, par un moyen quelconque, à se procurer le rapport d’incident de la police en lien avec l’incident.
(ii) Alinéa 9(3)a) – Secret professionnel entre l’avocat et son client
- Le mis en cause a déclaré que l’alinéa 9(3)a) de la Loi s’applique aux documents mentionnés au paragraphe 15 ci dessus, car il s’agit de documents internes et confidentiels qui sont visés par un avis juridique ou par un privilège relatif au litige. Pour marquer son point, le mis en cause cite la demande d’indemnisation de la plaignante et les pièces de correspondance envoyées par son représentant qui laissent présager des procédures judiciaires. Le mis en cause a estimé qu’il était fort possible que la situation entre les parties aboutisse à un litige et craignait, le cas échéant, que les documents qui lui avaient été demandés, s’il les avait divulgués, ne soient utilisés contre lui, surtout en cas de procédures devant d’autres autorités de réglementation.
- Pour donner du poids à son argument voulant que l’alinéa 9(3)a) s’applique à la demande d’accès à l’information, le mis en cause a présenté deux décisions de la Cour qu’il estime directement applicable au litige actuel. La première de ces décisions est celle rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Commissaire à la protection de la vie privée du Canada c. Air Canada (« Air Canada »), où elle devait notamment déterminer si un rapport d’incident produit par Air Canada concernant un incident survenu à bord d’un appareil était protégé par le privilège relatif au litige. Le mis en cause invoque cette affaire pour faire valoir qu’un « incident qui se produit durant un vol pourra conduire la compagnie aérienne à engager diverses procédures contre le passager, ou inversement » et que, cela étant, les documents relatifs à cet incident [traduction] « entrent dans la catégorie des documents protégés par le privilège ».
- Le mis en cause cite également la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Commissaire à la protection de la vie privée du Canada c. Blood Tribe Department of Health (« Blood Tribe ») ainsi que la décision Air Canada pour faire valoir que le Commissariat n’a pas compétence pour obliger une organisation à produire des documents pour lesquels le secret professionnel entre l’avocat et son client a été revendiqué ni même se prononcer sur la validité de ses revendications en premier lieu.
- Afin d’obtenir des précisions sur la nature des documents en la possession du mis en cause, le Commissariat lui a demandé de fournir, sur une base volontaire, des renseignements de nature générale concernant les documents en question, par exemple l’auteur, la date, le destinataire et l’objet de chacun des documents pertinents qu’il a en sa possession et qu’il refuse de divulguer. Le mis en cause a refusé de communiquer les renseignements demandés.
- De plus, le mis en cause a informé le Commissariat qu’il avait pour politique de traiter chaque incident en partant du principe qu’il pourrait aboutir à des poursuites judiciaires. Ainsi, tout document produit en rapport avec un incident est transféré dans un dossier séparé portant la mention « avocat » et transmis à son service juridique. Le mis en cause a tenu à préciser que cette procédure ne l’empêchait nullement d’arriver à un règlement dans un dossier.
- Le Commissariat a reçu une copie de la politique en question, mais n’y a trouvé aucune mention selon laquelle chaque incident doit être traité en partant du principe qu’il pourrait déboucher sur des poursuites judiciaires. À la question du Commissariat à ce sujet, le mis en cause a fait la déclaration suivante :
[Traduction]
Concernant la procédure que nous appliquons, tout grief déposé par un plaignant au service des relations avec la clientèle ainsi que toute pièce de correspondance et communication produite à l’interne concernant ce grief sont réputés être protégés et confidentiels compte tenu de la probabilité bien réelle que le grief donne lieu à des poursuites judiciaires en cours de route. Afin d’éviter les répétitions, Jet Airways a pour pratique générale de ne pas inscrire dans chacun des documents qu’il est protégé par le secret professionnel entre l’avocat et son client.
- En réponse au REP du Commissariat, le mis en cause a tenu à préciser qu’il ne revendiquait pas le privilège relatif au litige pour chaque document produit relativement à un incident survenu à bord d’un appareil. Néanmoins, il a soutenu que lorsqu’il avait été avisé d’une possibilité de poursuite judiciaire, comme il l’avait été dans cette affaire, il était en droit d’invoquer le privilège relatif.
(iii) Alinéa 9(3)d) – Règlement officiel des différends
- Le mis en cause a fait valoir que l’alinéa 9(3)d) de la Loi s’applique également aux documents cités au paragraphe 15 puisque le mis en cause tentait de régler le problème en recourant à ses procédures internes. Par conséquent, le mis en cause a expliqué au Commissariat qu’il n’avait pas fourni de motifs à l’origine de son refus d’accorder l’accès à chaque document contenant des renseignements personnels de la plaignante, car [traduction] « toutes les pièces de correspondance et de communications » avaient été produites dans le cadre « d’un processus de règlement officiel des différends aux termes de [l’alinéa] 9(3)d) ».
- Dans un effort pour obtenir des précisions concernant l’application de cette exemption, le Commissariat a demandé à voir les politiques et les procédures attestant le processus de règlement officiel des différends du mis en cause ainsi que la manière dont ce processus avait été suivi dans ce dossier en particulier. Le mis en cause a répondu que la plainte avait été traitée au moyen [traduction] « d’une série d’échange de pièces de correspondance entre plusieurs départements de la compagnie, notamment l’équipe des relations avec les clients et l’équipe qui se trouvait à l’aéroport après l’incident. Tous les courriels échangés à l’interne entre ces équipes sont réputés faire parties du processus de règlement officiel des différends et sont donc protégés et visés par l’exemption prévue à l’alinéa 9(3)d) de la […] LPRPDE ».
- Le mis en cause a également informé le Commissariat d’un processus de règlement des plaintes, qui peut être retrouvé sur son site Web. Ces renseignements expliquent comment une plainte peut être traitée lorsqu’elle gravit les échelons internes au sein du mis en cause. Le mis en cause a indiqué que, dans le cadre de ce processus interne, [traduction] « tous les courriels échangés sont protégés, puisqu’ils font partie du processus de règlement officiel des différends ». Aucune autre politique ou ligne directrice n’a été fournie.
Déclarations de la plaignante
- Parlant au nom de la plaignante, son représentant a fait valoir que le mis en cause confondait le secret professionnel entre l’avocat et son client et le privilège relatif au litige. Il soutient que, puisque l’alinéa 9(3)a) de la Loi ne mentionne pas le « privilège relatif au litige » , Jet Airways n’est pas autorisée à l’invoquer. Il a également soutenu que la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Air Canada était erronée puisque l’on y ignore le sens courant de l’alinéa 9(3)a).
- Quoi qu’il en soit, le représentant de la plaignante était d’avis que le mis en cause n’est pas parvenu à démontrer que le privilège relatif au litige ou le secret professionnel entre l’avocat et son client s’applique dans le cas présent. En ce qui a trait à ce dernier, il a souligné qu’il n’est indiqué nulle part sur les documents mentionnés au paragraphe 15 qu’il s’agit de communications entre le mis en cause et ses avocats.
- Pour ce qui est du privilège relatif au litige, le représentant de la plaignante a déclaré que les documents n’avaient pas été produits « principalement dans le but » d’un procès. Il a aussi cité la décision Smith c. Air Canada, dans laquelle la Cour suprême de la Colombie Britannique a conclu que le privilège relatif au litige ne s’appliquait pas à un rapport produit par Air Canada à la suite d’un incident survenu à bord d’un appareil.
- Concernant l’alinéa 9(3)d), le représentant de la plaignante a déclaré que les documents n’avaient pas été produits dans le cadre d’un « processus de règlement officiel des différends » au sens de l’interprétation qu’a faite le Commissariat de cette expression dans son Rapport de conclusions d’enquête en vertu de la LPRPDE no 2016-006. De plus, les documents en question ont été produits avant que tout processus de règlement officiel des différends soit enclenché entre la plaignante et le mis en cause.
Dispositions législatives applicables
- Pour analyser les faits, nous avons appliqué les paragraphes 8(3), 8(4), 8(5) et 8(7) et les alinéas 9(3)a) et 9(3)d) de la Loi, de même que les principes 4.1.4 et 4.9 de l’annexe 1 de la Loi.
- Le principe 4.1.4 de l’annexe 1 stipule que les organisations doivent assurer la mise en œuvre des politiques et des pratiques destinées à donner suite aux principes, y compris :
- la mise en œuvre des procédures afin de protéger les renseignements personnels;
- la mise en place des procédures pour recevoir les plaintes et les demandes de renseignements et y donner suite;
- la formation du personnel et la transmission au personnel de l’information relative aux politiques et aux pratiques de l’organisation;
- la rédaction de documents explicatifs concernant les politiques et les procédures de la compagnie.
- Le principe 4.9 de l’annexe 1 stipule qu’a la suite d’une demande, une organisation doit informer toute personne de l’existence de renseignements personnels qui la concernent, de l’usage qui en est fait et du fait qu’ils ont été communiqués à des tiers, et lui permettre de les consulter.
- Le paragraphe 8(3) de la Loi veut que l’organisation saisie d’une demande visée par le principe 4.9 donne suite à la demande avec la diligence voulue et, en tout état de cause, dans les 30 jours suivant sa réception.
- Le paragraphe 8(4) autorise une organisation à proroger le délai dans des circonstances précises, elle doit cependant envoyer au demandeur, dans les 30 jours suivant la demande, un avis de prorogation l’informant du nouveau délai, des motifs de la prorogation et de son droit de déposer auprès du commissaire une plainte à propos de la prorogation.
- Le paragraphe 8(5) de la Loi énonce que si l’organisation ne répond pas dans le délai requis, cete dernière est réputée d’avoir refusé d’acquiescer à la demande.
- Le paragraphe 8(7) de la Loi stipule que l’organisation qui refuse, dans le délai prévu, d’acquiescer à la demande doit aviser le demandeur par écrit de son refus tout en indiquant les raisons motivant un tel refus et l’informe des recours que lui accorde la partie 1 de la Loi.
- L’alinéa 9(3)a) de la Loi autorise une organisation à ne pas communiquer à l’intéressé des renseignements personnels si les renseignements sont protégés par le secret professionnel liant l’avocat ou le notaire à son client ou, en droit civil, par le secret professionnel des avocats et des notaires.
- L’alinéa 9(3)d) de la Loi autorise une organisation à ne pas communiquer à l’intéressé des renseignements personnels si les renseignements ont été fournis à l’occasion d’un règlement officiel des différends.
Analyse
Délai de réponse
- Dans ce cas, le mis en cause semble être d’avis qu’il n’avait pas à répondre à la demande d’accès à l’information de la plaignante puisqu’il était en droit de refuser de divulguer l’information demandée. Cependant, les paragraphes 8(3) et 8(7) énoncent explicitement qu’une organisation, même si elle se croit en droit de refuser la demande, est tenue malgré tout de répondre à la demande dans le délai énoncé à l’article 8 et de fournir les motifs de son refus.
- À notre avis, le fait qu’un employé du mis en cause soit parti en congé de maladie, n’exempte pas ce dernier des obligations que lui impose la Loi. Il incombe au mis en cause de prendre en tout temps toutes les mesures nécessaires pour remplir ses obligations imposées par la Loi. Par ailleurs, le paragraphe 8(4) de la Loi prévoit une prorogation du délai alloué pour faire parvenir une réponse d’une période maximale de 30 jours dans les circonstances précisées à cette disposition et énonce les exigences relatives aux avis à envoyer.
- Le mis en cause n’a pas répondu à la demande d’accès à l’information de la plaignante à l’intérieur du délai de 30 jours établi par la Loi, ni ne lui a envoyé d’avis de prorogation dans ce délai. Aucune information n’a été communiquée à la plaignante dans le délai prescrit par la Loi.
- Par conséquent, nous concluons que l’organisation a enfreint le paragraphe 8(3) de Loi et qu’elle est réputée avoir refusé la demande conformément au paragraphe 8(5).
- Malgré le fait qu’elle n’a pas respecté le délai de 30 jours et est réputée d’avoir refusé la demande d’accès à l’information, il reste que le mis en cause a fait parvenir à la plaignante son dossier de passager. Il semble également que la plaignante ait réussi, par ses propres moyens, à mettre la main sur une copie du rapport d’incident de la police. Malgré tout, le mis en cause continue de refuser l’accès à d’autres documents énumérés au paragraphe 15 en invoquant les alinéas 9(3)a) et 9(3)d) de la Loi.
Secret professionnel entre l’avocat et son client/privilège relatif au litige
- Le représentant de la plaignante a fait valoir que l’alinéa 9(3)a) n’englobe pas le privilège relatif au litige. Cependant, il est de notre point de vue, que ce cas est lié par la décision Air Canada, dans laquelle la Cour fédérale a conclu que l’alinéa 9(3)a) englobait effectivement ce privilège. De plus, dans l’affaire Blank c. Canada (Ministre de la Justice), la Cour suprême a précisé que le terme « secret professionnel qui lie l’avocat à son client » dans un texte de loi est suffisamment vaste pour englober le « privilège relatif au litige », bien qu’il s’agisse de deux concepts distincts.
- Le mis en cause invoque l’alinéa 9(3)a) pour justifier ses décisions. Le Commissariat a tenté d’obtenir des renseignements de nature générale auprès de ce dernier concernant les documents qu’il refuse de divulguer en vertu de cette disposition de la Loi, mais il a refusé de fournir les renseignements demandés.
- Le Commissariat a également tenté d’obtenir des précisions concernant les circonstances sur lesquelles le mis en cause se fonde pour revendiquer le privilège du secret professionnel entre l’avocat et son client et le privilège relatif au litige. Le mis en cause a tout d’abord déclaré qu’il s’agissait d’une politique interne de traiter chaque incident en partant du principe qu’il pouvait mener à des poursuites judiciaires, ce qui signifie que tous les documents et les renseignements produits en rapport avec l’incident tombent sous le coup du secret professionnel ou du privilège relatif au litige. Pour corroborer ses dires, le mis en cause a fait parvenir sa politique au Commissariat, mais celui ci n’a pas été en mesure de repérer cette ligne de conduite interne dans celle ci. Le Commissariat a demandé à maintes reprises des précisions concernant la revendication du secret professionnel et les documents qui expliquent et exposent l’application de ce privilège, mais aucune autre information n’a été donnée par le mis en cause.
- À notre avis, une politique générale qui s’applique à tous les documents produits à la suite d’incidents survenant à bord d’un appareil ne satisferait pas aux critères s’appliquant au secret professionnel entre l’avocat et son client et au privilège relatif au litige. Il n’est pas vrai que chaque document produit en rapport avec un incident survenu à bord d’un appareil aura pour but principal des poursuites judiciaires éventuelles ou constituera une communication visée par le secret professionnel entre l’avocat et son client. Une telle politique donnerait selon toute vraisemblance lieu à des revendications du privilège du secret professionnel dans des circonstances où une telle revendication n’est pas fondée et ferait en sorte que le mis en cause ne respecterait pas son obligation de donner accès aux renseignements personnels prévue dans la Loi.
- Le mis en cause a depuis changé sa position et ne soutient plus que tous les documents produits en rapport avec un incident survenu à bord d’un appareil soient protégés par le privilège relatif au litige. En revanche, il maintient qu’il était en droit de revendiquer le privilège relatif au litige une fois « l’avis légal » envoyé. Il est de l’avis du Commissariat que cette ligne de conduite est tout aussi problématique, puisqu’elle pourrait donner lieu à la revendication du privilège relatif au litige pour des documents ayant été produits avant la réception d’un « avis légal » et principalement dans un but autre que la préparation à un litige.
- Le Commissariat conclut donc que le mis en cause enfreint le principe 4.1.4 en ne se dotant pas de politiques et de pratiques qui respectent les principes énoncés à l’annexe 1 et, plus précisément, le principe 4.9 dans l’affaire qui nous occupe.
- Cependant, au vu des décisions rendues dans les affaires Blood Tribe et Air Canada, qui ont un effet obligatoire pour le Commissariat, nous sommes dans l’impossibilité d’enquêter davantage sur les documents dont il est question dans le cas présent et de déterminer si les renseignements qu’ils contiennent satisfont aux critères s’appliquant au privilège relatif au litige ou au secret professionnel entre l’avocat et son client. Par conséquent, il nous est impossible de nous prononcer sur la question, à savoir si le mis en cause était en droit de refuser de divulguer à la plaignante ses renseignements personnels au titre de l’alinéa 9(3)a).
Processus de règlement officiel des différends
- Le mis en cause a par ailleurs fait savoir qu’il ne pouvait fournir d’autres renseignements, notamment les quatre catégories de documents manquants dont il est question au paragraphe 15 du présent rapport, puisqu’ils ont été produits dans le cadre d’un processus de règlement officiel des différends.
- Dans le Rapport de conclusions d’enquête en vertu de la LPRPDE no 2016-006, le Commissariat était arrivé à la conclusion que, pour qu’un processus soit considéré comme un « règlement officiel des différends », sa description doit dépasser celle, plus générique, d’un « règlement des différends ». Un « processus de règlement officiel des différends » se distingue donc d’un simple « processus de règlement des différends » du fait qu’il suppose la présence d’un cadre législatif ou défini d’un commun accord par les parties pour régler le différend. Il suppose aussi que le processus se conforme à des règles reconnues.
- Dans cette affaire, le mis en cause n’a fourni aucun renseignement concret pour confirmer son affirmation voulant que ses tentatives visant à régler le litige avec la plaignante constituent un « processus de règlement officiel des différends » ou conduisent en soi à un tel processus. Le mis en cause fait état « d’un échange de pièces de correspondance entre plusieurs de ses services », mais rien ne laisse entendre qu’il ne s’agit pas simplement d’un processus informel qu’il a mis en place pour répondre aux plaintes des clients. Il n’est pas rare qu’une plainte reçue par une organisation nécessite la contribution de plusieurs départements, et donc, il ne s’agit de rien de plus qu’une procédure de gestion des plaintes standard.
- Au sujet du processus de règlement des plaintes du mis en cause, le Commissariat est d’avis que ceci ne constitue pas ou ne fait pas partie d’un processus de règlement officiel des différends. Ce mécanisme ne fait qu’autoriser une personne à soumettre une plainte à un échelon supérieur au sein de l’organisation si elle est insatisfaite du traitement initial. D’après le Commissariat, il s’agit purement et simplement d’un autre volet du système de gestion des plaintes interne du mis en cause et non d’un processus de règlement officiel des différends assujetti à un cadre législatif, défini d’un commun accord par les parties au litige et conforme à des règles reconnues. En fait, comme l’atteste la mise sur pied du processus de règlement des plaintes, le mis en cause se réserve une certaine flexibilité quant à la nature interne des processus qu’il adopte.
- Pour toutes ces raisons, le Commissariat conclut, concernant l’exemption prévue à l’alinéa 9(3)d) de la Loi, qu’elle ne s’applique pas dans les circonstances.
Rapport d’enquête préliminaire et réponse de la compagnie aérienne
- Dans le REP, le Commissariat recommandait au mis en cause de revoir son application de l’alinéa 9(3)a) de la Loi et de divulguer tout document n’étant pas visé par le secret professionnel entre l’avocat et son client ou le privilège relatif au litige. En guise de réponse, le mis en cause est resté sur sa position et continue de soutenir que les alinéas 9(3)a) et 9(3)d) s’appliquent aux documents en question.
- Le Commissariat a également recommandé que le mis en cause revoie sa politique qui consiste à appliquer l’alinéa 9(3)a) à chaque document produit relativement à un incident, dès qu’il se produit, afin de se conformer au principe 4.1.4. Tel qu’il a été mentionné précédemment, le mis en cause affirme maintenant qu’il n’applique pas une telle politique. Nous demeurons cependant préoccupés par le fait que le mis en cause applique le privilège relatif au litige à tous les documents portant sur un incident, peu importe les circonstances dans lesquelles ils sont produits, une fois qu’il est avisé de la probabilité d’une poursuite judiciaire.
- Pour ce qui touche les demandes d’accès à l’information, le Commissariat a recommandé au mis en cause de mettre en place des procédures pour y répondre d’une manière qui respecte les exigences de la Loi, c’est à dire des procédures qui énoncent de manière explicite qu’il est tenu de répondre à toute demande d’accès à l’information en respectant le délai et les exigences de notification précisés dans la Loi, même lorsqu’il s’estime en droit de refuser l’accès à l’information en vertu d’une exemption prévue dans la Loi.
- Le mis en cause n’ayant apporté aucune modification à ses procédures, nous craignons toujours qu’il ne respecte ou ne remplisse pas les obligations que lui impose la Loi concernant les demandes d’accès aux renseignements personnels.
Conclusions
- Considérant l’ensemble des faits, le Commissariat conclut que cette plainte est fondée au regard du paragraphe 8(3) et du principe 4.1.4 de la Loi. Il conclut également que la plainte est fondée concernant l’application non justifiée de l’alinéa 9(3)d).
- Quant à savoir si le mis en cause était en droit de refuser de divulguer les renseignements personnels de la plaignante en vertu de l’alinéa 9(3)a) de la Loi, le Commissariat est incapable de se prononcer et signale une impasse relative au privilège.
- Le Commissariat continue de faire les recommandations suivantes à la compagnie aérienne :
- il doit mettre en place des procédures afin de répondre aux demandes d’accès à l’information qui respectent les délais et les exigences énoncées dans Loi;
- il doit revoir les documents et les renseignements qu’il a en sa possession et qu’il refuse de divulguer relativement à la demande d’accès à l’information visée aux présentes, et divulguer tout ce qui n’est pas protégé par le secret professionnel entre l’avocat et son client ou le privilège relatif au litige;
- il doit réviser sa politique qui consiste à appliquer l’alinéa 9(3)a) de la Loi afin d’éviter de revendiquer le secret professionnel entre l’avocat et son client ou le privilège relatif au litige dans les circonstances où ceux ci ne s’appliquent pas;
- il doit revoir sa politique qui consiste à appliquer l’alinéa 9(3)d) de la Loi afin de s’assurer de l’appliquer correctement et en conformité avec la Loi.
- Compte tenu de l’intérêt du Commissariat à s’assurer à ce que le mis en cause se conforme à la Loi et du fait que cette plainte n’était toujours pas été réglée au moment de la publication de ce rapport, il consultera et examinera les pouvoirs que lui confère la Loi pour s’assurer que le mis en cause donne suite à ses recommandations.
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