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L'employeur embauche un enquêteur privé pour exercer une surveillance vidéo d'un employé

Résumé de conclusions d'enquête en vertu de la LPRPDE no 2004-269

[Principe 4.3, alinéas 7(1)b) et 7(2)d)]

Plainte

Un ancien employé d'une société s'est plaint que son employeur ait recueilli des renseignements personnels au moyen d'une surveillance vidéo et qu'il s'en soit servi pour le congédier.

Résumé de l'enquête

Lorsqu'il travaillait pour la société, le plaignant a déclaré avoir été victime d'un certain nombre d'accidents de travail. En 2000, il a demandé des mesures d'adaptation en raison de ses limitations physiques. La même année, il a aussi demandé une mutation pour raisons familiales dans une plus petite ville car un membre de sa famille était malade, ce qu'on lui a accordé. Une telle autorisation signifiait qu'il aurait le premier choix des postes offerts dans cette ville répondant à ses besoins en matière d'adaptation. C'est également au cours de cette même année que ses problèmes de santé se sont intensifiés. Il est devenu de plus en plus insatisfait des tentatives de la société pour répondre à ses besoins et de des demandes de nouveaux renseignements médicaux présentées par la société.

De son côté, la société s'est mise à douter de plus en plus des revendications du plaignant compte tenu de son comportement et des difficultés qu'elle avait à obtenir des renseignements médicaux à jour. Selon elle, le plaignant était récalcitrant et ne voulait pas effectuer son travail. La société avait tenté de recueillir du plaignant des renseignements pertinents sur sa capacité à effectuer certaines tâches, mais sans succès. Le différend portait sur une évaluation indépendante visant à déterminer la capacité de l'employé à effectuer son travail et sur un formulaire d'évaluation, que le médecin de l'employé devait remplir concernant l'incapacité ou les troubles médicaux ayant une incidence sur son travail.

Pendant qu'il attendait une mutation pour raisons familiales, on lui a offert des postes temporaires dans la ville où il habitait. Ces postes répondaient à ses limitations physiques. Il les a refusés et a pris un congé de maladie prolongé jusqu'en 2001, année où son médecin a fait savoir qu'il était apte à retourner au travail, moyennant certaines restrictions. Il y est donc retourné, mais s'est plaint de son poste de travail. Il était fréquemment absent et disait avoir d'autres incapacités physiques. Quelques mois plus tard, en octobre de cette même année, l'agente de santé de la société a demandé une nouvelle évaluation de son médecin. Elle n'en a reçu aucune malgré qu'elle en avait fait la demande verbalement et par écrit. Le plaignant était toujours insatisfait de l'emploi et du poste de travail que la société lui avait offerts. En 2002, la société lui a proposé un programme de réadaptation, mais elle y a mis fin en raison du manque de progrès et de l'inconfort physique de plus en plus grand du plaignant. En mai 2002, la société lui a demandé de se prêter à l'évaluation indépendante, ce qu'il a d'abord refusé. Les évaluateurs médicaux ont conclu que, bien qu'il ait des limitations physiques, il semblait également avoir des limitations non physiques l'empêchant de retourner au travail. Ils ont indiqué que d'autres examens des fonctions ne permettraient probablement pas de fournir une évaluation précise de ses vraies capacités fonctionnelles.

En juillet de cette même année, la société a embauché une agence d'enquêteurs privés pour exercer une surveillance du plaignant afin de déterminer s'il avait dit la vérité au sujet de ses limitations physiques. Après deux semaines de surveillance, l'enquêteur privé a remis un rapport et une bande vidéo à l'employeur. La société a utilisé cette information comme preuve que le plaignant avait fait une déclaration trompeuse sur son état de santé et a mis fin à son emploi en septembre. Au moment de l'enquête, le cas était devant un arbitre.

La société s'est appuyée sur les alinéas 7(1)b) et 7(2)d) pour recueillir et utiliser les renseignements personnels sur le plaignant à son insu et sans son consentement. Elle a décidé de recourir à la surveillance vidéo après avoir consulté une petite équipe de professionnels des domaines juridique, médical et des relations industrielles, qui ont estimé que la surveillance vidéo était nécessaire en tant que « dernier recours » dans ce cas particulier pour déterminer la véracité de ses dires. Elle a admis qu'elle n'avait aucune politique ou procédure officielle destinée à guider les directeurs se trouvant dans ce genre de situation.

Quant aux directives données à l'agence d'enquêteurs privés, le directeur des relations industrielles a fourni de l'information au sujet des limitations du plaignant et enjoint l'enquêteur d'observer les activités de ce dernier pendant plusieurs jours, au besoin. L'enquêteur l'a suivi pendant 139 heures au cours d'une période de deux semaines et a remis une bande vidéo d'une durée de huit heures à la société. Sur la bande, on pouvait voir le plaignant mener des activités qui, selon le médecin praticien, étaient en contradiction avec ses affirmations concernant ses limitations physiques. La société a prétendu que, dans les cas soumis à l'arbitrage touchant des employés ayant dénaturé les faits, elle devait recueillir suffisamment d'information durant une période significative pour dresser un tableau complet des capacités de la personne concernée et pour réunir une preuve solide factuelle et irréfutable de la fausseté des affirmations de cette personne. Elle a ajouté que la jurisprudence en matière d'arbitrage démontrait la nécessité d'un contexte d'information approprié dans les cas semblables afin de garantir l'intégrité de l'information et l'existence d'une preuve raisonnable en ce qui a trait au comportement. Un court vidéoclip ou des images d'une personne dans une situation donnée ne fournit pas le contexte approprié. L'information doit plutôt être recueillie pendant un certain nombre de jours et permettre d'établir sans l'ombre d'un doute ce que sont les capacités de la personne. De plus, la société soutenait que des courts extraits de bandes vidéo pris hors contexte pourraient présenter injustement la personne.

Conclusions

Rendues le 23 avril 2004

Application : Le principe 4.3 stipule que toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu'il ne soit pas approprié de le faire. L'alinéa 7(1)b) constitue une exception. Il établit qu'une organisation peut recueillir des renseignements personnels à l'insu de la personne concernée et sans son consentement s'il est raisonnable de s'attendre à ce que la collecte effectuée au su et avec le consentement de l'intéressé puisse compromettre l'exactitude du renseignement ou l'accès à celui-ci, et la collecte est raisonnable à des fins liées à une enquête sur la violation d'un accord ou la contravention du droit fédéral ou provincial. Il existe une exception relative à l'exigence du consentement à l'alinéa 7(2)d), qui permet à une organisation d'utiliser des renseignements personnels à l'insu et sans le consentement de la personne s'ils ont été recueillis en vertu de l'alinéa 7(1)b).

Au moment de formuler les recommandations au sujet de ce cas, on a également tenu compte du principe 4.1.4 c), qui stipule que les organisations doivent assurer la mise en oeuvre des politiques et des pratiques destinées à donner suite aux principes, y compris la formation du personnel et la transmission au personnel de l'information relative aux politiques et pratiques de l'organisation, et du principe 4.4, qui énonce que l'organisation ne peut recueillir que les renseignements personnels nécessaires aux fins déterminées et doit procéder de façon honnête et licite.

La commissaire adjointe à la protection de la vie privée a souligné d'emblée que le Commissariat à la protection de la vie privée considère la surveillance vidéo comme une technologie portant grandement atteinte à la vie privée. La nature même de ce médium permet la collecte d'un grand nombre de renseignements personnels qui peuvent toucher des tiers innocents, qui sont sans rapport avec le sujet ou qui peuvent entraîner des jugements sur la personne en cause qui n'on rien à voir avec la collecte des renseignements initiale. Le Commissariat estime que la surveillance vidéo, en particulier lorsqu'elle est exercée sur les employés à l'extérieur de leur lieu de travail, ne doit être utilisée que dans des cas très précis.

Elle a donc délibéré comme suit :

  • Il ne faisait pas de doute que la société avait recueilli les renseignements personnels sur le plaignant à son insu et sans son consentement. La question était de savoir si l'alinéa 7(1)b) pouvait s'appliquer dans ce cas.
  • Il fallait examiner un certain nombre de facteurs quant au droit de la société à s'appuyer sur l'alinéa 7(1)b) pour justifier la collecte de renseignements personnels au moyen de la surveillance vidéo à l'insu et sans le consentement de la personne en cause. Cette exception ne doit pas être interprétée séparément. La commissaire adjointe a souligné qu'une organisation doit avoir une preuve substantielle permettant d'étayer le soupçon de perte de relation de confiance, doit montrer qu'elle a pris tous les autres moyens pour obtenir l'information nécessaire en utilisant des façons portant moins atteinte à la vie privée et doit restreindre au maximum la collecte de renseignements.
  • La commissaire adjointe a indiqué que la société avait tenté, pendant deux ans, de répondre aux besoins du plaignant à son lieu de travail. En juin 2001, on l'a autorisé à retourner au travail, moyennant certaines restrictions. Cependant, il a continué à s'absenter fréquemment en raison de ses troubles médicaux. Du mois d'octobre 2001 au mois de juillet 2002, au moment où la société a décidé d'embaucher une agence d'enquêteurs privés, la société a tenté sans succès d'obtenir des renseignements médicaux à jour. Lorsque le plaignant a accepté de se prêter à une évaluation indépendante, les résultats n'ont pas contredit les doutes de plus en plus forts de l'employeur selon lesquels le plaignant ne rendait pas fidèlement compte de son état de santé.
  • En raison de ces circonstances, la commissaire adjointe a été convaincue que le but de la société, c'est-à-dire déterminer si le plaignant enfreignait son contrat de travail en faisant une déclaration trompeuse sur son état de santé, était fondé sur une preuve substantielle.
  • La commissaire adjointe a également été convaincue que la société avait eu recours à des moyens portant moins atteinte à la vie privée pour recueillir l'information dont elle avait besoin. Il y a eu de nombreuses tentatives, tant verbales qu'écrites, pour obtenir des renseignements médicaux fiables, que le plaignant a tenté de bloquer. On lui a offert de se livrer à une évaluation indépendante des capacités, à laquelle il s'est plié de mauvais gré. Toutes ces démarches portent beaucoup moins atteinte à la vie privée, mais dans le cas présent, elles n'ont pas dissipé les doutes de l'organisation. Lorsque la société a décidé d'embaucher un enquêteur privé, elle a indiqué quels étaient les renseignements qu'elle voulait obtenir, se concentrant autant que possible sur la collecte des renseignements personnels au sujet du plaignant.
  • En somme, la commissaire adjointe a accepté que la société s'appuie sur les alinéas 7(1)b) et 7(2)d) pour recueillir et utiliser des renseignements personnels sur le plaignant à son insu et sans son consentement. La société avait un motif raisonnable et probable de croire qu'il enfreignait son contrat de travail et avait manifestement de la difficulté à obtenir de l'information précise au su et avec le consentement du plaignant.

Par conséquent, elle a conclu que les plaintes étaient non fondées.

Autres considérations

Indépendamment des conclusions, la commissaire adjointe a souligné qu'elle était persuadée que la société n'avait eu recours à la surveillance vidéo qu'après avoir pris de nombreuses mesures pour obtenir l'information nécessaire de la part du plaignant. Elle a recommandé que la compagnie officialise les démarches qu'elle a effectuées, en élaborant une politique et des pratiques qui tiennent compte de la protection des renseignements personnels.

Elle a suggéré qu'une telle politique prenne en considération les éléments suivants :

  • la surveillance vidéo ne devrait être utilisée qu'en dernier recours et n'être envisagée que lorsque tous les autres moyens de recueillir des renseignements personnels ont déjà été pris;
  • la décision d'exercer une surveillance vidéo doit être prise à un échelon très élevé de l'organisation;
  • l'enquêteur privé devrait recueillir les renseignements personnels conformément à la Loi et être particulièrement attentif au principe 4.4.

La commissaire adjointe a demandé à la société de lui rendre compte de sa politique dans les 120 jours.

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