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Déclaration du commissaire à la protection de la vie privée du Canada à la suite d’une enquête sur l’utilisation par la GRC de Clearview AI

Le 10 juin 2021
Par téléconférence

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien, a prononcé la déclaration suivante lors d’une conférence de presse téléphonique.

(Le texte prononcé fait foi)


Bonjour,

Le rapport spécial sur l’enquête réalisée par le Commissariat sur l’utilisation par la GRC de la technologie de reconnaissance faciale de Clearview AI a été déposé au Parlement.

Notre rapport de conclusions s’ajoute à une enquête que nous avons menée plus tôt cette année sur les pratiques de l’entreprise Clearview elle-même.

Ce premier volet de l’enquête révélait que Clearview AI avait créé une banque de données renfermant plus de 3 milliards d’images prélevées sur des sites Internet à l’insu des utilisateurs. Les clients du service, comme la GRC, pouvaient comparer des photographies de personnes avec les images de la banque de données.  

En février dernier, nos homologues du Québec, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique et nous-mêmes avons conclu que les pratiques de Clearview constituaient une surveillance de masse et étaient illégales en vertu des lois fédérale et provinciales sur la protection de la vie privée dans le secteur privé.

Notre plus récente enquête a permis de conclure que la GRC avait contrevenu à la loi du secteur public (la Loi sur la protection des renseignements personnels) lorsqu’elle a recueilli des renseignements personnels auprès de Clearview. À notre avis, une institution fédérale ne peut recueillir de renseignements personnels auprès d’un tiers si celui-ci les a recueillis illégalement.

Notre enquête a fait ressortir d’autres préoccupations.

Nous avons en particulier constaté qu’il y avait des lacunes graves et systémiques dans les politiques et les systèmes de la GRC au chapitre du suivi, de l’identification, de l’examen et du contrôle des nouvelles collectes de renseignements personnels par l’entremise de nouvelles technologies.

L’utilisation par les services de police des technologies de reconnaissance faciale, avec leur pouvoir de perturber l’anonymat dans les espaces publics et de permettre une surveillance de masse, présente le potentiel de graves atteintes à la vie privée, à moins que des mesures de protection appropriées ne soient mises en place.

Les Canadiens doivent être libres de participer aux activités courantes d’une société moderne, qui sont de plus en plus numériques, sans risquer que leurs activités ne soient systématiquement recensées, suivies et surveillées.

Même si certaines atteintes à ce droit peuvent être justifiées dans des circonstances précises, les citoyens ne renoncent pas à leur droit à la vie privée simplement en interagissant dans le monde d’une manière qui peut révéler leur visage à d’autres ou qui peut permettre à une caméra de saisir leur image.

Aujourd’hui, le Commissariat, de concert avec ses homologues provinciaux et territoriaux, lance une consultation sur un projet de document d’orientation visant à aider les services de police à s’assurer que l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale est conforme aux lois actuelles et limite les risques d’atteintes à la vie privée. Nous consulterons les corps policiers, des représentants de la société civile et divers intervenants au sujet de la teneur de ce document d’orientation avant qu’il ne soit finalisé.

Nous pensons aussi qu’il y a lieu d’examiner attentivement les questions liées à la technologie de reconnaissance faciale alors que le Canada cherche à moderniser les lois fédérales sur la protection de la vie privée.

Présentement, l’utilisation de cette technologie est réglementée par une mosaïque de lois et de décisions judiciaires qui, pour la plupart, ne tiennent pas compte des risques propres à la technologie. Cette situation crée une incertitude quant aux utilisations acceptables de la reconnaissance faciale et quant aux conditions d’utilisation.

La nature des risques liés à la technologie de reconnaissance faciale nous enjoints à réfléchir collectivement aux limites de ce que constitue une utilisation acceptable de la technologie.

Par exemple, les enquêtes que nous avons menées sur Clearview AI et la GRC soulignent une lacune importante que nous constatons de plus en plus fréquemment lorsque nos lois fédérales sur la protection de la vie privée s’appliquent aux partenariats public-privé.

Dans l’enquête de la GRC, nous avons conclu qu’il incombait au service de police de s’assurer que la base de données qu’il utilisait était compilée légalement. De son côté, la GRC a soutenu que cela créerait une obligation déraisonnable et que la loi n’impose pas expressément une telle obligation. Cela dit, nous notons que la GRC s’engage maintenant à mettre en œuvre nos recommandations, malgré ce désaccord fondamental.

L’adoption de principes de protection de la vie privée, communs aux lois applicables au secteur public et au secteur privé, permettrait de combler les lacunes sur le plan de la responsabilité là où il y a une interaction entre ces deux secteurs.

À cette fin, dans nos mémoires concernant le projet de loi C-11 (dans le secteur privé) et la consultation du ministère de la Justice sur la Loi sur la protection des renseignements personnels (dans le secteur public), nous proposons que nos lois fédérales sur la protection de la vie privée devraient avoir une approche fondée sur les droits. Elles devraient aussi comprendre les principes de protection de la vie privée que sont la nécessité et la proportionnalité, pour garantir que les pratiques pouvant porter atteinte à la vie privée sont mises en œuvre pour un objectif suffisamment important et que celles-ci sont rigoureusement adaptées afin de ne pas porter atteinte au droit à la vie privée plus que cela n’est nécessaire.

De plus, les lois canadiennes devraient préciser que le concept de « renseignements personnels auxquels le public a accès » (renseignements publics), qui permet certaines exceptions en vertu de la législation sur la protection des renseignements personnels, ne s’applique pas aux renseignements à l’égard desquels un individu a une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. Cela est d’autant plus important dans le cas de la technologie de la reconnaissance faciale, car elle s’appuie sur d’énormes bases de données d’images que les Canadiens ne considèrent pas toujours publiques.

Je serais heureux de répondre à vos questions concernant les résultats de notre enquête, la version préliminaire de notre document d’orientation pour les services de police, ou nos propositions de réforme législative.

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