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Déclaration du commissaire à la protection de la vie privée du Canada sur son rapport annuel de 2019-2020 au Parlement

Le 8 octobre 2020
Par téléconférence

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien, a prononcé la déclaration suivante lors d’une conférence de presse téléphonique.

(Le texte prononcé fait foi)


Bonjour à tous. Je vous remercie de vous joindre à moi pour discuter du dernier rapport annuel du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Je mettrai l’accent sur ce que nous avons appris jusqu’à présent concernant la vie privée en temps de pandémie.

Quand une crise frappe, les décideurs prennent généralement les mesures qui s’imposent sans accorder toute l’attention voulue aux droits à respecter. Nous avons pu le constater dans le passé – particulièrement après le 11 septembre 2001. Jusqu’à présent, les choses se passent mieux dans le contexte de la crise de COVID-19.

En temps de crise, il faut appliquer les lois qui protègent les droits, comme le droit à la vie privée, avec souplesse et en tenant compte du contexte. C’est l’approche que le Commissariat préconise depuis le début de la pandémie. Nous avons indiqué clairement que la protection de la vie privée n’est pas un obstacle à la santé publique.

Même si les défis sont grands, on ne peut pas simplement mettre les droits de côté. Les lois sur la protection des renseignements personnels peuvent être appliquées de façon souple et contextuelle, mais elles doivent tout de même s’appliquer.

C’est pourquoi nous avons élaboré un cadre pour aider les institutions fédérales à évaluer les initiatives en réponse à la pandémie, afin d’assurer le respect de la vie privée en tant que droit fondamental.

Nous avons aussi publié avec nos homologues provinciaux et territoriaux une déclaration commune pour demander aux gouvernements de s’assurer que les applications de traçage de contacts respectent les grands principes de protection de la vie privée.

Ces deux documents nous ont servi de guides dans le soutien que nous avons offert aux organisations du secteur privé et du secteur public.

Depuis plusieurs mois déjà, nous constatons que les technologies sont très utiles, car elles nous permettent de poursuivre à distance et en sécurité des activités essentielles.

Nous voyons tous que la pandémie a grandement accéléré la révolution numérique.

Les technologies offrent de grands avantages, mais elles présentent aussi des risques importants.

Par exemple, la télémédecine. Lorsque la plateforme virtuelle utilisée fait intervenir une entreprise commerciale, la télémédecine présente des risques de violation du secret professionnel entre le médecin et le patient. L’apprentissage en ligne présente des risques similaires.

Il y a deux grandes leçons à tirer des travaux que nous avons menés ces derniers mois.

Premièrement, la protection de la vie privée et la poursuite d’objectifs de politique publique, comme la santé publique et la reprise économique, ne sont pas contradictoires. On peut les réaliser simultanément.

Deuxièmement, comme la pandémie a accéléré la numérisation, il est plus urgent que jamais de moderniser nos lois sur la protection des renseignements personnels.

En effet, lorsqu’il s’agit de protéger nos droits dans un environnement numérique, les lois fédérales actuelles ne sont tout simplement pas à la hauteur.

Il est plus que temps que le Canada rattrape les autres pays et qu’il suive l’exemple des gouvernements provinciaux qui ont récemment lancé de nouvelles initiatives prometteuses à cet égard. Tous les Canadiens méritent de solides mesures de protection de la vie privée.

J’aimerais maintenant attirer votre attention sur le travail que nous avons fait concernant l’application de notification d’exposition Alerte COVID du gouvernement fédéral.

Nous avons conclu que la conception de cette application respecte tous les grands principes de protection de la vie privée énoncés dans le cadre. Les Canadiens peuvent donc choisir de l’utiliser, sachant qu’elle comporte des mesures de protection de la vie privée très rigoureuses.

Cela démontre bien que, quand il le veut, le gouvernement peut adopter des pratiques respectueuses de la vie privée.

Malheureusement, les choses ne se déroulent pas toujours ainsi.

Au cours de nos discussions sur Alerte COVID, des représentants du gouvernement ont fait une déclaration surprenante : ils ont affirmé que les lois fédérales actuelles sur la protection des renseignements personnels ne s’appliquent pas à cette initiative.

Ce point mérite que l’on s’y attarde. Le gouvernement du Canada estime que ses lois en matière de vie privée ne s’appliquent pas à une application qui a pourtant une incidence considérable sur la vie privée. La protection de la vie privée est considérée comme une bonne pratique, mais pas comme une obligation juridique. Combien de temps encore cela peut-il durer?

Voyons un autre élément important : le caractère volontaire de l’application Alerte COVID et la nécessité de réduire le risque que des entreprises et des employeurs puissent en faire une mesure de dépistage, en obligeant les consommateurs et les employés à utiliser l’application et à leur communiquer des renseignements stockés dans l’application.

Au Canada, la loi n’interdit pas clairement aux organisations de contraindre les utilisateurs à communiquer les renseignements contenus dans l’application, ce qui leur permettrait de contourner son caractère volontaire. Or, à ce chapitre, le gouvernement a indiqué qu’il découragerait vigoureusement de telles mesures, mais qu’il n’irait pas plus loin.

D’autres pays ont légiféré pour s’assurer que des applications similaires sont totalement volontaires. Nos lois comportent donc de grandes lacunes à cet égard.

Un autre exemple remonte au début de la pandémie. Le Secrétariat du Conseil du Trésor a introduit des mesures provisoires afin d’assouplir les exigences pour évaluer l’incidence sur la vie privée de nouvelles initiatives – sans offrir de solutions de rechange adéquates.

Nous lui avons alors demandé de rappeler aux institutions que, malgré la suspension des règles habituelles, les règles assouplies devraient être appliquées en tenant compte de l’engagement du gouvernement, souvent exprimé, à protéger la vie privée en tant que droit de la personne, ayant de surcroît un statut quasi-constitutionnel.

Cette recommandation s’appuyait sur notre approche générale, à savoir qu’en période de crise, les lois peuvent être appliquées de façon souple et contextuelle, mais doivent tout de même s’appliquer.

Le Secrétariat du Conseil du Trésor a refusé notre recommandation. Il a déclaré qu'un tel engagement envers la vie privée en tant que droit de la personne serait incompatible avec le cadre législatif et stratégique actuel. Voilà encore une fois une déclaration surprenante, et décevante, de la part du gouvernement.

Ces exemples soulignent l’importance de la deuxième leçon que j’ai mentionnée il y a quelques minutes – c’est-à-dire que les enjeux soulevés par la pandémie font ressortir l’urgence de la réforme législative.

Le Canada a déjà été un chef de file mondial en ce qui concerne la protection de la vie privée de ses citoyens. Aujourd’hui, il tire de l’arrière par rapport au reste du monde.

Notre communiqué de ce matin contient une figure qui illustre très clairement cette situation. Bon nombre de nos partenaires commerciaux, y compris des pôles d’innovation comme Singapour, la Corée du Sud et la Californie, ont passé ces dernières années à renforcer leurs lois sur la protection des renseignements personnels.

Ces juridictions ont compris qu’en adoptant des lois rigoureuses pour protéger les renseignements personnels, on favorise la confiance dans les technologies axées sur les données, qui est une condition essentielle à la croissance. Il est temps que le Canada fasse de même.

Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

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