Enquête sur la fuite de renseignements d’un candidat à la Cour suprême restreinte en raison des limites de compétence de la Loi
Plainte en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels (la Loi)
Le 6 août 2020
Description
En 2019, des médias affirmaient que des documents obtenus d’une source anonyme démontraient un présumé désaccord entre le premier ministre et la procureure générale de l’époque concernant une recommandation pour une nomination d’un candidat précis à la Cour suprême du Canada. Ces documents contenaient des renseignements personnels du candidat. Notre enquête n’a trouvé aucune preuve que des institutions gouvernementales assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels, particulièrement le Bureau du Conseil privé (BCP) et le ministère de la Justice (JUS), étaient responsables de la communication non autorisée de renseignements personnels.
Points à retenir
- La compétence du Commissariat s’étend uniquement aux institutions gouvernementales énumérées dans l’annexe de la Loi sur la protection des renseignements personnels (ainsi qu’aux sociétés d’État et leurs filiales); les cabinets des ministres et le Cabinet du premier ministre (CPM) n’en font pas partie.
- Le fait que les limites de compétence de la Loi aient restreint la portée de notre enquête démontre clairement, à notre avis, la nécessité d’une réforme législative. Bien que nous n’ayons pas constaté de violation de la Loi par les institutions gouvernementales qui relèvent de notre compétence, il est clair que la vie privée du candidat à la Cour suprême a été compromise, ce qui a entraîné une atteinte en série à sa réputation ainsi qu’à l’intégrité et à la confidentialité du processus de nomination judiciaire.
Rapport de conclusions
- Le 25 mars 2019, CTV et La Presse canadienne ont publié des articles portant sur la recommandation de, la ministre de la Justice et procureure générale du Canada de l’époque, Jody Wilson-Raybould, concernant la nomination de Glenn Joyal, juge en chef de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, au poste de juge en chef de la Cour suprême du Canada en 2017. Selon les médias, des documents provenant d’une source anonyme démontraient un désaccord entre le Premier ministre et la procureure générale concernant la recommandation de cette dernière pour la nomination du juge en chef Joyal, ce qui constituait le premier de nombreux événements ayant conduit à sa démission éventuelle du Cabinet.
- L’article publié par CTV (anglais seulement) prétend entre autres que les relations entre le premier ministre Justin Trudeau et la procureure générale de l’époque, Jody Wilson-Raybould, ont commencé à s’effriter en 2017 en raison de préoccupations au sujet du choix de cette dernière pour pourvoir un poste à la Cour suprême du Canada. De même, selon les sources d’un article publié par la CBC (anglais seulement), l’un des noms figurant sur la liste finale était Glenn Joyal et que Jody Wilson-Raybould plaidait, dans une note de plus de 60 pages envoyée à Justin Trudeau, que Glenn Joyal devrait non seulement être nommé à la Cour suprême, mais qu’il devrait également en être le juge en chef.
- Nous avons par la suite reçu une plainte le 2 avril 2019 de Charlie Angus, député de Timmins-Baie-James, qui a formulé l’allégation (anglais seulement) suivante :
La fuite de renseignements confidentiels concernant la prise en considération de la candidature de Glenn Joyal, juge en chef de la Cour supérieure du Manitoba, au poste de juge à la Cour suprême du Canada est choquante. Il s’agit non seulement d’une atteinte à l’indépendance du système judiciaire et d’une marque de mépris flagrant pour l’importance de son travail, mais aussi d’une infraction potentielle à la Loi sur la protection des renseignements personnels. [traduction]
- M. Angus a spécifiquement demandé expressément une enquête sur les rôles du Bureau du Conseil privé (BCP), du ministère de la Justice (JUS), du Commissariat à la magistrature fédérale (CMF) et du Cabinet du Premier ministre du Canada (CPM) dans la prétendue violation (ou « fuite ») de renseignements personnels du juge en chef Joyal.
- Par conséquent, notre enquête vise à déterminer si les institutions mentionnées par M. Angus ont contrevenu à l’article 8, dans la mesure où elles sont assujetties à la Loi. L’article 8 précise que les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément à cet article.
Compétence en vertu de la Loi
- L’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels énoncé à l’article 2 est « de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent. » L’article 8, cité ci-dessus, limite la communication de renseignements personnels relevant d’une institution fédérale.
- Les « renseignements personnels » sont définis à l’article 3 de la Loi comme des « renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable ». Dans le contexte de la plainte à l’étude, le nom du juge en chef Joyal et tous les autres renseignements relatifs à sa candidature et à sa prise en considération dans le cadre du processus de nomination à la Cour suprême de 2017 constituent des renseignements personnels au sens de la Loi. Ces renseignements comprennent notamment ses études, ses antécédents professionnels ainsi que les points de vue ou opinions de toute autre personne à son sujet et à l’égard de ses qualifications (p. ex. la note de 60 pages mentionnée par des sources médiatiques), comme le prévoit la Loi.
- Le terme « institution fédérale » est défini à l’article 3 de la Loi comme « tout ministère ou département d’État relevant du gouvernement du Canada, ou tout organisme, figurant à l’annexe », ainsi que toute société d’État mère ou filiale. Ni le CMF ni le CPM ne figurent expressément à l’annexe de la Loi, ni ne sont des sociétés d’État ou des filiales.
- Dans le jugement Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, la Cour suprême du Canada a confirmé que les cabinets ministériels, y compris le CPM, sont exclus de la définition d’« institution fédérale » dans le cadre de la Loi sur l’accès à l’information (LAI), dont la définition et la liste exhaustive des institutions fédérales sont les mêmes que celles de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
- À la lumière de la définition d’« institution fédérale » précisée dans l’annexe de la Loi sur la protection des renseignements personnels ainsi que de la décision de la Cour suprême, nous sommes d’avis que notre compétence en vertu de la Loi ne s’étend pas aux pratiques de traitement des renseignements du CMF ou du CPM. Nous avons donc axé notre enquête sur les rôles du BCP et de JUS dans la présumée communication non autorisée de renseignements personnels du juge en chef Joyal, puisqu’il s’agit d’institutions fédérales selon l’annexe. Notre enquête sur ces deux institutions a donc été entamée en vertu du sous alinéa 29(1)h)(ii) de la Loi, qui stipule que le Commissariat à la protection de la vie privée reçoit et examine les plaintes qui concernent toute question relative à l’usage ou à la communication de renseignements personnels relevant d’une institution fédérale.
Contexte de la plainte
- Le 25 mars 2019, CBC a publié ce qui suit dans un article (anglais seulement) au sujet de la fuite concernant le juge en chef Joyal et le processus de nomination des juges de la Cour suprême du Canada de 2017 :
La Presse canadienne a appris que Jody Wilson-Raybould avait recommandé en 2017 à Justin Trudeau qu’il nomme un juge conservateur du Manitoba à la tête de la Cour suprême du Canada, même si ce juge n’y siégeait pas déjà et qu’il avait vivement critiqué cette institution, notamment sur sa façon d’interpréter la Charte des droits.
Des sources indiquent que la recommandation de l’ancienne ministre de la Justice avait suscité un « désaccord important » avec le premier ministre, qui dépeint le Parti libéral comme « le parti de la Charte des droits » et dont le défunt père, Pierre Trudeau, a lancé la campagne visant à enchâsser la Charte des droits et libertés dans la Constitution en 1982. [traduction]
- Le même article explique ensuite l’importance de la fuite comme suit :
M. Trudeau a créé un comité consultatif indépendant et non partisan, dirigé par l’ancienne première ministre conservatrice Kim Campbell, qui devait lui soumettre une liste de présélection composée de trois à cinq candidats qualifiés à des fins d’examen, pour pourvoir le poste vacant dans l’Ouest et le Nord.
Selon les sources, l’un de ces candidats était Glenn Joyal, qui avait été nommé en 2011 par l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper au poste de juge en chef de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba.
Par la suite, Mme Wilson-Raybould a fait parvenir à M. Trudeau un document de plus de 60 pages dans lequel elle affirmait que le juge en chef Joyal devrait non seulement être nommé à la Cour suprême, mais qu’il devrait également en être le juge en chef.
Dans l’histoire du Canada, un premier ministre a nommé un juge en chef qui ne siégeait pas déjà à la Cour suprême qu’une seule fois, soit en 1906, lorsque sir Wilfrid Laurier a nommé son ministre de la Justice à la plus haute fonction judiciaire du pays. [traduction]
- L’exposé des faits présentés dans l’article ci-dessus laisse supposer un désaccord entre le premier ministre et la procureure générale de l’époque au sujet de la nomination possible du juge en chef Joyal. M. Trudeau aurait écarté la recommandation de Mme Wilson-Raybould en raison de l’approche prétendument conservatrice ou modérée du juge en chef Joyal quant à l’interprétation de la Charte. Selon le Global News en date du 25 mars 2019, le juge en chef Joyal a fait la déclaration (anglais seulement) publique suivante au sujet de la fuite :
En 2016, le Commissariat à la magistrature fédérale a annoncé un processus indépendant et non partisan de nomination à notre plus haut tribunal. Le processus confidentiel a permis d’évaluer chaque candidat en fonction de son mérite.
En fin de compte, j’ai dû retirer ma candidature pour des raisons personnelles, en raison du cancer du sein métastatique de ma femme. Malheureusement, ce détail a été omis des articles publiés dans les médias. Une seule occasion de répondre m’a été accordée, dans un délai d’environ une heure.
Je crains que quelqu’un se serve de mon ancienne candidature à la Cour suprême du Canada pour faire avancer des intérêts sans rapport avec le processus de nomination.
Les Canadiens devraient être fiers de la qualité et de la rigueur exceptionnelles de notre système judiciaire. Je suis personnellement honoré de servir ma collectivité à titre de juge en chef de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. [traduction]
- En réponse à ce qu’elle a affirmé être un exposé inexact et injuste au sujet de la philosophie judiciaire du juge en chef Joyal et de son approche à l’égard d’importants droits garantis par la Charte, l’Association du Barreau du Manitoba a fait la déclaration (anglais seulement) suivante :
L’Association du Barreau du Manitoba est également très préoccupée par les commentaires concernant le juge en chef Joyal de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. On a laissé entendre que le juge en chef Joyal pourrait rendre des décisions qui porteraient atteinte aux droits des femmes et des membres de la communauté LGBTAB. Une telle suggestion est tout à fait inappropriée, et même fausse. Le juge en chef Joyal est un juriste très respecté qui a défendu la culture juridique et politique du Canada, et qui s’est prononcé en faveur d’un pouvoir judiciaire fort et d’un pouvoir législatif tout aussi fort. Il a également défendu l’importance de protéger l’égalité dans la société, ainsi que les droits individuels et collectifs. Au cours de sa carrière judiciaire, aucune de ses actions ni aucun de ses commentaires médiatisés n’ont laissé entendre qu’il s’opposait au droit des femmes à choisir, au mariage homosexuel ou aux droits des LGBTAB en général. Il est particulièrement consternant qu’une description aussi inexacte ait été insinuée. [traduction]
- En ce qui concerne la source de la fuite, le Globe and Mail a annoncé (anglais seulement) le 27 mars 2019 que l’ancienne procureure générale a déclaré qu'elle n'était en aucune façon impliquée dans la fuite :
Mme Wilson-Raybould a dit mercredi qu’elle ne pouvait pas commenter la véracité des reportages sur sa recommandation. « Je me sens dans l’obligation de dire que je n’ai été la source d’aucune de ces histoires, contrairement à ce que certains ont laissé entendre, et que je n’ai jamais autorisé qui que ce soit à parler en mon nom », a-t-elle déclaré. « Je condamne fermement toute personne qui s’exprimerait sur des sujets aussi sensibles ou qui fournirait des renseignements sur de tels sujets. » [traduction]
- Le 28 mars 2019, la CBC a annoncé (anglais seulement) que le premier ministre et son cabinet ont également nié avoir eu connaissance de la source de la fuite :
Le premier ministre a dit que son cabinet n’avait « joué aucun rôle dans les fuites de renseignements ». Son cabinet a également nié la situation hier.
« Nous prenons au sérieux l’intégrité de nos institutions », a déclaré Chantal Gagnon, la porte parole du CPM. « Le Cabinet du premier ministre ne laisserait jamais filtrer les candidatures pour une nomination à la magistrature. » [traduction]
- Par la suite, le 12 avril 2019, le Lawyer’s Daily a annoncé (anglais seulement) que l’actuel ministre de la Justice et procureur général, David Lametti, a également déclaré pendant une entrevue que ni le BCP ni le CPM n’étaient responsables de la fuite.
Le ministre de la Justice David Lametti, affirme qu’une fuite préjudiciable concernant la dernière nomination à la Cour suprême du Canada était « ponctuelle » et ne provenait ni de son ministère ni du Cabinet du premier ministre (CPM). Le gouvernement Trudeau ne se trouve donc pas dans l’obligation de retrouver la ou les sources de la fuite, ni de réexaminer le caractère adéquat des mesures de protection de la confidentialité entourant le processus de nomination à la Cour suprême.
Dans une entrevue exclusive, M. Lametti a déclaré au Lawyer’s Daily qu’il était convaincu que la fuite du mois dernier à la Presse canadienne et à CTV News (communications confidentielles prétendument révélées et désaccord en 2017 entre l’ancienne ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould et le premier ministre Justin Trudeau au sujet d’une nomination à la Cour suprême et au poste de juge en chef du Canada) ne provenait pas du ministère de la Justice (JUS) ni des fonctionnaires du CPM. [traduction]
Résumé de l’enquête
- Comme première étape de l’enquête, les représentants du CMF ont volontairement accepté de nous rencontrer afin d’expliquer le rôle du CMF dans le processus de nomination des juges de la Cour suprême de 2017, ainsi que le flux de renseignements tout au long du processus en général. En mai 2019, nos enquêteurs ont rencontré le directeur exécutif des nominations à la magistrature et avocat principal, qui a fourni des renseignements pertinents pour comprendre la nature confidentielle des processus de nomination des juges à l’échelle fédérale, particulièrement en ce qui concerne la Cour suprême du Canada.
- Nous avons constaté que le processus de nomination à la Cour suprême est dirigé par un Comité consultatif indépendant (CCI), composé d’un président et de six autres membres. Le CCI est appuyé par le CMF, qui assure le soutien logistique et administratif du processus, y compris les services de secrétariat au CCI. En 2017, la très honorable Kim Campbell a été nommée présidente du CCI.
- La signature d’une entente de confidentialité est une condition préalable à la nomination des membres du CCI. Les délibérations du CCI ainsi que tous les renseignements personnels qui lui sont communiqués demeurent strictement confidentiels. Le CCI procède à l’évaluation des candidats en vue d’une nomination à la Cour suprême (examen des candidatures, entrevue des candidats, etc.), puis délibère pour décider quels candidats seront recommandés au premier ministre. Une liste de candidats possibles (aussi appelée « liste de présélection ») est ensuite dressée. Le CPM transmet au BCP des formulaires de sécurité remplis par les candidats à l’étude afin de procéder aux vérifications d’antécédents requises. Ces dernières comprennent une vérification du casier judiciaire effectuée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Une fois les vérifications des antécédents effectuées par le BCP, le CMF confirme la liste de présélection de candidats du CCI et l’envoie au CPM. Dans le cas présent, le CMF a confirmé qu’un des membres de son personnel a remis en main propre au CPM, le 23 octobre 2017, une liste de présélection de trois candidats.
- Selon le CMF, une fois la liste de présélection fournie au CPM, le CCI et le CMF ne participent plus au processus de nomination. La procureure générale a mené une série de consultations auprès de divers intervenants du milieu juridique canadien après avoir reçu la liste de présélection du CPM. Elle a ensuite informé le premier ministre du candidat ou candidate qu’elle recommandait.
- Les étapes individuelles du processus de nomination sont indiquées dans le diagramme ci dessous.
Version textuelle de la figure 1
- Lancement du processus en 2017 par le PM (14 juillet 2017)
- Nomination du CCI
- Candidatures reçues par le CMF (9 semaines)
- Évaluation effectuée par le CCI
- Délibérations des membres du CCI pour recommandation au premier ministre
- Renseignements sur le candidat envoyés au BCP pour vérification des antécédents
- Le CPM fournit de l’information au CMF
- Le CMF remet une liste de présélection au CPM (23 octobre 2017)
Le CMF et le CCI ne participent plus au processus. - Le CPM communique la liste de présélection au procureur général
- Processus de consultation du procureur général en lien avec la liste de présélection (du 23 oct. au 17 nov.)
- La procureure générale fait une recommandation au PM
- Le PM annonce le candidat choisi (29 novembre 2017 )
- Le 29 novembre 2017, le premier ministre a annoncé la nomination de l’honorable Sheilah L. Martin à la Cour suprême du Canada, qui a par la suite été officiellement nommée le 18 décembre 2017.
Le BCP peut-il être tenu responsable de l’atteinte à la vie privée?
- Nos enquêteurs se sont entretenus avec des représentants du BCP au cours de l’enquête. Ces derniers ont confirmé que le BCP ne joue aucun rôle dans la détermination ou l’évaluation des candidats à la nomination à la magistrature (comme le montre le diagramme ci-dessus).
- Le BCP a confirmé qu’il effectue, à la demande du CMF, la vérification des antécédents des candidats potentiels. Nous avons rencontré des responsables de la sécurité au BCP, qui nous ont expliqué que seul un nombre limité d’employés des opérations de sécurité ont le mandat d’effectuer ce type de vérification. Lorsque le BCP reçoit une demande du CMF qui contient les formulaires de consentement à la vérification des antécédents remplis par les candidats, ces renseignements sont protégés et ne sont communiqués à personne d’autre au BCP. Les renseignements sont communiqués au CMF seulement.
- Il est important de noter que lorsque le BCP reçoit une demande du CMF, aucun contexte particulier n’explique le processus pour lequel les formulaires ont été remplis. Les responsables de la sécurité ont indiqué qu’ils n’avaient reçu aucun renseignement précisant si les candidats individuels faisaient partie ou non de la liste de présélection. Par conséquent, aucun employé du BCP n’aurait été au courant de la recommandation de la ministre de la Justice et procureure générale de l’époque concernant la nomination.
- Enfin, le BCP a participé, à la fin du processus, à l’élaboration de produits de communication pour le premier ministre en vue de l’annonce publique de la personne choisie. En 2017, les fonctionnaires du BCP ont été informés de l’identité de la personne choisie quelques jours seulement avant l’annonce publique de la nomination par le premier ministre.
- Le BCP nous a fourni des observations écrites qui indiquent clairement qu’il n’a « aucune raison de croire que le BCP n’ait jamais sciemment eu ce rapport en sa possession [traduction] ». Ces observations sont appuyées par de nombreux documents concernant principalement les relations avec les médias et l’élaboration de produits de communication externes, comme les représentants du BCP l’ont expliqué. En révisant ces observations nous avons conclu qu’elles témoignent du rôle limité du BCP dans le processus de nomination à la Cour suprême en 2017.
- Dans ce contexte, aucun élément de preuve ne démontre que le BCP avait accès à l’information relative à la prétendue recommandation formulée par l’ancienne procureure générale concernant la nomination du juge en chef Joyal à la Cour suprême. Par conséquent, nous n’avons donc trouvé aucune preuve que la communication des renseignements provenait du BCP.
JUS peut-il être tenu responsable de l’atteinte à la vie privée?
- Comme il est indiqué aux paragraphes 9 et 10 du présent rapport, dans le jugement Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’un cabinet de ministre au sein d’un ministère n’est pas compris dans la définition d’« institution fédérale ». Notre enquête se limitait donc nécessairement à l’examen de la conformité à la Loi sur la protection des renseignements personnels du personnel du ministère de la Justice, et non du personnel du Cabinet du ministre de la Justice et procureur général.
- Après avoir reçu l’avis d’enquête, des observations écrites provenant du sous-ministre et des fonctionnaires du Secteur de la vérification interne et de l’évaluation de JUS nous ont été transmises. Ces fonctionnaires ont par la suite rencontré nos enquêteurs et ont donné un aperçu du rôle de JUS dans le processus de nomination à la Cour suprême. Les fonctionnaires de JUS ont souligné que, bien que le Ministère est impliqué dans la conception du processus de nomination à la Cour suprême et aux préparatifs en lien avec la dotation d’un poste, il n’est pas impliqué dans l’examen ou la sélection des candidats. Ces fonctions sont effectuées par le CMF, le CCI et la procureure générale, comme il est indiqué ci-dessus. Néanmoins, le sous-ministre de la Justice a décidé de procéder à un examen interne de recherche des faits pour déterminer si le ministère de JUS pouvait être responsable de la fuite de renseignements.
- Une copie du rapport de conclusions de JUS concernant son examen interne de recherche des faits a été fournie à nos enquêteurs. L’objectif de l’examen était de confirmer si l’intégrité du processus de nomination à la Cour suprême en 2017 a été affecté par les employés ou les travailleurs de JUS menaçaient l’intégrité du processus de nomination à la Cour suprême de 2017 et si les renseignements personnels appartenant à des juges en exercice ou à des candidats à la Cour suprême en 2017 ont été communiqués de façon inappropriée. Le sous ministre de la Justice, le sous-ministre adjoint principal de la Justice, le sous-ministre adjoint de la Justice et plusieurs autres représentants ministériels du Service des affaires judiciaires, de la Division de la sûreté, de la sécurité et de la gestion des urgences, et de la Direction générale des communications de JUS comptent parmi les personnes qui ont été interrogées dans le cadre de l’examen de JUS.
- Selon la conclusion du rapport, le rôle de JUS dans le processus de nomination à la Cour suprême de 2017 a été limité à la prestation de conseils juridiques et stratégiques concernant la nomination des juges fédéraux en général et à la fourniture de notes d’information et d’autres documents nécessaires pour appuyer ce processus. Le rapport conclut que les fonctionnaires de JUS n’ont jamais participé au traitement ou à l’approbation des candidatures à la Cour suprême en 2017 et qu’ils n’ont pas non plus été consultés à propos des candidats faisant partie de la liste de présélection fournie au CPM par le CCI. Selon le rapport, JUS n’avait donc aucune connaissance des types de renseignements sur les candidats à la nomination à la Cour suprême qui auraient fait l’objet d’une fuite. Le rapport conclut également que les fonctionnaires de JUS n’ont jamais eu connaissance des recommandations du CCI au premier ministre, ni des préférences ou opinions de la procureure générale ou du CPM.
- Nonobstant ce qui précède, nous avons été contacté par la suite par une personne (ci-après « le témoin ») qui, bien qu'elle ne soit pas impliquée dans la fuite, a affirmé avoir été témoin d’événements entourant la fuite de renseignements relative à la candidature et la nomination du juge en chef Joyal à la Cour suprême.
- Au cours d’une entrevue, le témoin a affirmé que le Cabinet du ministre de la Justice et la procureure générale de l’époque appliquaient généralement de mauvaises pratiques en matière de protection des renseignements électroniques et physiques et par conséquent, il serait possible que les employés de JUS aient eu accès à des documents ministériels confidentiels et privilégiés. Le témoin était d’avis que ces documents comprenaient des dossiers concernant les candidats à la nomination à la Cour suprême et que ces dossiers contenaient une partie, mais vraisemblablement pas la totalité, des renseignements personnels révélés à propos du juge en chef Joyal. Le témoin nous a fourni les noms des employés de JUS qui, selon lui, auraient une connaissance directe de cet accès potentiel aux dossiers ministériels par le personnel du JUS.
- Nos enquêteurs ont également pris connaissance de la transcription de la réunion du 25 juillet 2019 du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Au cours de cette réunion, plusieurs questions ont été posées concernant la fuite de renseignements sur la candidature du juge en chef Joyal et la recommandation de l’ancienne procureure générale. Dans ce contexte, l’honorable Lisa Raitt a demandé à l’actuel ministre de la Justice et procureur général :
Monsieur Lametti, en avril dernier, vous avez accordé une entrevue au Lawyer’s Daily au cours de laquelle vous vous êtes dit très confiant du fait que la fuite ne venait pas du ministère de la Justice ou des fonctionnaires du Cabinet du premier ministre. Mme Campbell dit maintenant que la fuite ne vient pas de son comité consultatif. Alors, d’où vient-elle?
Je ne sais pas. Le commissaire à la protection de la vie privée a déclaré qu’il avait ouvert une enquête à ce sujet, et je ne vais pas faire de commentaire au sujet d’une enquête en cours. Je me contenterai de dire que les ministères fédéraux vont collaborer pleinement avec le Commissariat à la protection de la vie privée, et que j’ai pris des mesures dans le cadre du processus actuel, tant pour limiter le nombre de personnes qui avaient accès au processus au sein de mon ministère que pour séparer le serveur et faire tout ce qui devait être fait pour assurer qu’il n’y avait pas d’atteinte à la vie privée dans mon ministère.
- Comme nous n’avons pas compétence sur les pratiques de traitement de l’information du Cabinet du premier ministre ou du Cabinet du ministre de la Justice et procureur général, notre enquête s’est limitée à déterminer si le ministère de la Justice avait joué un rôle dans la fuite de renseignements. Compte tenu de la réponse du ministre Lametti durant la réunion du Comité et des déclarations du témoin, nous avons cherché à comprendre si des employés de JUS auraient pu avoir accès à des renseignements personnels contenus dans les documents ministériels ainsi recueillis d’une manière incompatible avec les responsabilités et les pouvoirs de leur poste.
- À cette fin, nous avons interrogé un employé de JUS (désigné par le témoin mentionné au paragraphe 34 du présent rapport) qui était familier avec la façon dont les renseignements étaient transmis entre le cabinet du ministre et le ministère de JUS. Le témoignage que nous avons recueilli n’a révélé aucune preuve (insuffisance des contrôles physiques et de technologie de l’information au cabinet du ministre) qui pourrait suggérer un accès, par les membres du personnel, aux renseignements concernant la recommandation de l’ancienne procureure générale sur la nomination à la Cour suprême ou à tout autre renseignement personnel connexe conservé dans des dossiers ou des documents ministériels.
- Dans ce contexte, aucun élément de preuve ne démontre que JUS avait accès aux renseignements personnels relatifs à la recommandation de l’ancienne procureure générale concernant la nomination à la Cour suprême. Aucune preuve que la communication des renseignements provenait de JUS n’a donc été relevée.
Analyse
- Compte tenu de ce qui précède, bien qu’il soit clair que les renseignements concernant la prétendue recommandation par l’ancienne procureure générale de nommer le juge en chef Joyal à la Cour suprême et le rejet présumé de la recommandation par le premier ministre, ont été communiqués aux médias, rien ne nous laisse croire que le BCP ou JUS soient responsables de cette divulgation. Cette conclusion est fondée sur les observations fournies par les deux ministères, les entrevues avec le personnel des ministères et la recherche de faits, qui ont démontré qu’aucun d’entre eux n’était en possession des renseignements à propos de la candidature du juge en chef Joyal ou de la recommandation de l’ancienne procureure générale concernant la nomination à la Cour suprême. Par conséquent, nous n’avons aucune preuve qu’une communication non autorisée de renseignements personnels par le BCP ou JUS a eu lieu, ce qui contreviendrait à l’article 8 de la Loi.
- Le paragraphe 64(2) de la Loi stipule que : « Le Commissaire à la protection de la vie privée peut divulguer au procureur général du Canada des renseignements concernant la perpétration d’une infraction fédérale ou provinciale par un administrateur, un dirigeant ou un employé d’une institution fédérale, si, à son avis, il existe des éléments de preuve d’une telle infraction. »
- Notre enquête était restreinte par les limites de la compétence de la Loi, de sorte que nous n’avons pas enquêté sur les entités qui ne sont pas assujetties à la Loi. Toutefois, aucune preuve n’a été dévoilée au cours de notre enquête concernant une infraction particulière qui pourrait être communiquée au procureur général en vertu du paragraphe 64(2).
Conclusions
- Par conséquent, nous concluons que les deux plaintes contre le BCP et JUS ne sont pas fondées.
Autres considérations
- À notre avis, le fait que notre enquête ait été restreinte par les limites de compétence de la Loi démontre clairement la nécessité d’une réforme législative. Au cours des dernières années, le Commissariat à la protection de la vie privée a fait de nombreuses déclarations publiques à cette fin, en plus de présenter des mémoires au Parlement demandant, entre autres, que la Loi soit modifiée de façon à ce qu’elle s’applique à toutes les institutions fédérales, y compris aux cabinets des ministres et à celui du premier ministre.
- Bien que nous n’ayons pas constaté d’infraction à la Loi de la part des institutions fédérales qui relèvent de notre compétence, il est clair que la vie privée du juge en chef Joyal a été compromise et a subi les conséquences négatives de cette communication de renseignements personnels liée au processus de candidature et de nomination à la Cour suprême. Cela a entraîné une série de préjudices, non seulement sous la forme de dommages collatéraux à la réputation du juge en chef Joyal, mais aussi en ce qui a trait à l’intégrité et à la confidentialité du processus de nomination judiciaire.
- Au cours de notre enquête, nous nous sommes entretenus avec le juge en chef Joyal afin d’obtenir de plus amples renseignements sur les répercussions de la fuite sur la vie privée. Informé des limites juridictionnelles de notre enquête pour ce qui est de déterminer la nature et la source de la fuite, il a affirmé qu’il maintenait sa déclaration de mars 2019 (voir le paragraphe 13 du présent rapport) et demeure déçu que ses renseignements personnels aient été utilisés pour créer un faux récit du prétendu désaccord entre le premier ministre et l’ancienne procureure générale. Il estime que cela est particulièrement grave en raison du tort qu’elle a causé à sa réputation et du manque de respect démontré à l’égard du processus de nomination des juges, qui est censé être strictement confidentiel afin de protéger l’indépendance de la magistrature et l’intégrité du processus de nomination.
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