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L’examen des appareils numériques à la frontière par l’ASFC – Dépasse-t-on les limites?

Plainte présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels

Le 21 octobre 2019

Sommaire

En 2017-2018, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a reçu un certain nombre de plaintes contre l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) concernant l’examen d’appareils numériques personnels – notamment des téléphones cellulaires, des tablettes électroniques et des ordinateurs portables – par les agents des services frontaliers aux points d’entrée. Le présent rapport de conclusions expose en détail notre enquête sur six plaintes déposées par des personnes dont des appareils numériques avaient été fouillés par l’ASFC. Nous estimons que l’ASFC a contrevenu à la Loi sur la protection des renseignements personnels (Loi) et avons recensé des manquements importants dans ses pratiques en général. Par conséquent, nous avons formulé à son intention plusieurs recommandations visant à corriger ses pratiques et souligné la nécessité d’une réforme du cadre législatif régissant la fouille des appareils numériques à la frontière. L’ASFC a accepté nos recommandations concernant ses pratiques et ses politiques, mais elle a rejeté celles portant sur la réforme législative.

Aperçu

  1. Le présent rapport expose en détail notre enquête sur six plaintes contre l’ASFC concernant l’examen d’appareils numériques personnelsNote de bas de page 1 par les agents des services frontaliers (ASF) à des points d’entrée. Dans tous les cas, les plaignants sont des citoyens canadiens alléguant que l’ASFC a fouillé leurs appareils numériques au cours du contrôle douanier à leur retour de l’étranger. Toutes les plaintes remettent en question le pouvoir de l’ASFC de procéder à ces fouilles. Nous nous sommes donc penchés sur la question de savoir si, dans ces cas, la collecte de renseignements personnels par l’ASFC était conforme à l’article 4 de la Loi.
  2. La Cour suprême du Canada a statué que la fouille d’un appareil numérique peut constituer une intrusion très grave dans la vie privéeNote de bas de page 2. Comme l’a indiqué le juge Fish dans R. c. Morelli, « nos ordinateurs contiennent souvent notre correspondance la plus intime. Ils renferment les détails de notre situation financière, médicale et personnelle et révèlent même nos préférences, propensions et intérêts particuliers, car ils enregistrent dans l’historique et la mémoire cache tout ce que nous recherchons, lisons, regardons ou écoutons dans l’InternetNote de bas de page 3 » [traduction]. Nos téléphones cellulaires et nos tablettes électroniques renferment non seulement des renseignements sur nos télécommunications, notamment les appels entrants et sortants, les messages vocaux et les textes, mais aussi des renseignements semblables à ceux stockés sur les ordinateursNote de bas de page 4. Lorsqu’ils sont connectés à Internet, ces appareils donnent accès à des renseignements personnels qui vont bien au-delà de ce que l’on retrouve généralement dans les bagages d’un voyageur. Par conséquent, nous estimons que d’importantes questions liées au droit à la vie privée sont en jeu lorsque l’on fouille des appareils numériques, quel que soit leur type.
  3. L’ASFC considère que l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanesNote de bas de page 5 l’autorise à examiner toute « marchandise » « importée » au Canada à des fins liées à l’administration des douanes pour assurer la conformité aux lois qu’elle applique ou exécute. D’après elle, selon la définition énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur les douanes, les « marchandises » comprennent « tout document, quel que soit son support » et englobent donc les documents électroniques stockés sur les appareils numériques. Elle reconnaît que ses pouvoirs ne lui permettent pas d’examiner les documents électroniques qui ne sont pas réellement stockés sur un appareil numérique, mais auxquels on peut avoir accès à partir d’un tel appareil, par exemple en se connectant à Internet.
  4. La définition actuelle de « marchandises » est énoncée en termes généraux dans la Loi sur les douanes. Tout en acceptant qu’un appareil numérique et les documents électroniques qui y sont stockés puissent constituer une marchandise pour l’application de l’alinéa 99(1)a), nous sommes d’accord avec l’ASFC pour dire que les documents, les données et les renseignements qui ne sont pas stockés sur l’appareil, mais auxquels on accède à distance (c.-à-d. en se connectant à Internet) ne peuvent être considérés comme des marchandises au sens de la Loi sur les douanes. Cette position est compatible avec la jurisprudence établie à ce jour par les tribunaux inférieurs ayant interprété la portée des pouvoirs conférés à l’ASFC, en vertu de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes, de fouiller les appareils numériques.
  5. Afin de s’assurer que les ASF consultent uniquement les renseignements stockés sur les appareils numériques, l’ASFC exige dorénavant dans sa politique interne, Bulletin opérationnel PRG-2015-31, Examen des appareils et des supports numériques aux points d’entrée – Lignes directrices (la Politique), qu’ils désactivent la fonction de communication réseau des appareils compatibles avec Internet, comme les téléphones cellulaires, les tablettes électroniques et les ordinateurs portables, avant une fouille (p. ex. en activant le mode Avion). À notre avis, il s’agit là d’une exigence essentielle pour s’assurer que l’ASFC respecte les limites des pouvoirs que lui confèrent l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes et l’article 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
  6. Malgré cette politique, nous avons conclu que dans l’un des six cas, un ASF n’avait pas activé le mode Avion de l’appareil et avait subséquemment utilisé l’appareil en question pour accéder aux renseignements personnels de la plaignante contenus sur les médias sociaux et à ceux relatifs aux opérations bancaires en ligne de la plaignante. En outre, l’ASFC a reconnu que dans trois autres cas, le mode Avion des appareils n’avait pas été activé avant l’examen, contrairement à sa Politique. Dans les deux autres cas, les ASF en question n’avaient pas pris de notes indiquant si le mode Avion avait été activé ou non. Ils ont toutefois affirmé avoir l’habitude de l’activer.
  7. Nous avons aussi relevé d’autres manquements de l’ASFC en ce qui concerne la conformité aux exigences de la Loi sur les douanes et de la Politique. Dans un cas, un ASF a photographié le contenu du téléphone cellulaire du plaignant comme preuve d’une infraction possible au Code criminelNote de bas de page 6. Soulignons que, selon le Manuel d’exécution de l’ASFCNote de bas de page 7, photocopier des documents non liés à l’application de la Loi sur les douanes pourrait être interprété comme une saisie illégale en vertu de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)Note de bas de page 8. L’ASFC a reconnu que les mesures prises par l’ASF dans ce cas étaient incompatibles avec le pouvoir de reproduire des documents prévu dans la Loi sur les douanes et celui de saisir des éléments de preuve en vertu du Code criminel.
  8. Dans deux cas, certains renseignements se rapportant à l’examen secondaire des appareils numériques des plaignants avaient été détruits. Or, la Loi sur la protection des renseignements personnels et le Règlement sur la protection des renseignements personnels obligent les institutions fédérales à conserver pendant au moins deux ans les renseignements personnels utilisés à des fins administratives.
  9. En ce qui concerne le seuil requis pour l’examen, l’ASFC a fait valoir que la Loi sur les douanes n’impose aucun seuil pour les motifs d’Examen des marchandises, notamment les appareils numériques. Cependant, en vertu de la Politique de l’ASFC, il ne faut pas procéder systématiquement à la fouille des appareils numériques. Entre autres, cette politique autorise les ASF à effectuer un examen progressif des appareils numériques, mais uniquement lorsqu’il y a une multiplicité d’indicateurs laissant entrevoir une éventuelle infraction ou par suite de la découverte de marchandises non déclarées, faussement déclarées ou prohibées. En outre, en vertu de la Politique, l’ASF doit consigner les types de données examinées et les motifs à l’origine de cet examen (p. ex. les indicateurs observés).
  10. Toutefois, contrairement aux exigences de la Politique, dans les six cas que nous avons examinés, les ASF avaient omis de consigner : i) les indicateurs ayant mené à la fouille progressive des appareils numériques des plaignants à ce moment; ii) les applications et les dossiers auxquels ils ont accédé sur les appareils ou les supports numériques durant la fouille; et iii) les motifs pour lesquels ils l’ont fait. Il était donc difficile d’établir si l’ASFC avait fait la preuve qu’elle avait respecté le seuil imposé par sa politique pour l’examen des appareils des six plaignants.
  11. Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d’avis que le manque de formation, de sensibilisation et de mécanismes de reddition des comptes a fait en sorte que les agents de l’ASFC n’ont ni respecté les limites de la Loi sur les douanes ni les exigences de la Politique, portant ainsi atteinte à la vie privée des plaignants. Nous formulons donc à l’intention de l’ASFC plusieurs recommandations afin qu’elle corrige les manquements.
  12. Étant donné que plusieurs dispositions essentielles de la Politique ne se reflètent pas dans la Loi sur les douanes – qui ne porte pas expressément sur la fouille des appareils numériques –, nous avons également recommandé une réforme législative.
  13. Il convient de noter que nos recommandations concernant la réforme législative et une plus grande exigence en matière de reddition des comptes cadrent avec celles formulées en décembre 2017 par le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes (ETHI) (le rapport de 2017 du Comité ETHINote de bas de page 9).

Compétence

  1. L’ASFC est une institution fédérale figurant à l’annexe des institutions fédérales de la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 10. Elle est donc visée par la Loi.
  2. Les six plaignants alléguaient une collecte inappropriée de renseignements personnels par l’ASFC. Nous avons établi dès le début de notre enquête que les renseignements visés dans chaque plainte constituent des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la Loi. En effet, il s’agit de « renseignements […] concernant un individu identifiable ». En l’occurrence, les renseignements auxquels les ASF ont accédé à partir des appareils numériques comprenaient des textos, des courriels, des photographies, des vidéos, des documents personnels ainsi que, dans un cas, des renseignements tirés du compte Facebook d’une plaignante et ses renseignements bancaires en ligne.

Questions

  1. Selon les allégations faites contre l’ASFC, la collecte de renseignements personnels au cours de la fouille des appareils numériques des plaignants contrevenait à l’article 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, selon lequel « les seuls renseignements personnels que peut recueillir une institution fédérale sont ceux qui ont un lien direct avec ses programmes ou ses activités ». En vertu de l’article 4, une institution gouvernementale qui procède à une collecte de renseignements personnels doit avoir l’autorité légale de le faireNote de bas de page 11.
  2. Au moment de déterminer si la collecte de renseignements personnels par l’ASFC contrevenait à la Loi comme l’alléguaient les plaignants, nous avons examiné la portée des pouvoirs d’examiner les appareils numériques que la Loi sur les douanes confère à l’ASFC.
  3. Étant donné la sensibilité des renseignements visés et l’absence d’exigences précises dans la Loi sur les douanes relativement aux appareils numériques, nous nous sommes aussi penchés sur la question de savoir si les ASF s’étaient conformés à la Politique de l’ASFC au moment d’examiner les appareils numériques.
  4. Nous avons également cherché à déterminer si l’ASFC respectait l’obligation lui incombant, en vertu du paragraphe 6(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de conserver les renseignements utilisés à des fins administratives (c.-à-d. dans un processus décisionnel touchant directement la personne).

Portée et méthode

  1. Nous avons examiné les circonstances entourant la fouille par l’ASFC des appareils numériques de chacun des plaignants de même que ses pratiques et les politiques de façon plus générale. À cette fin, nous avons passé en revue les observations écrites reçues des plaignants. Chaque plaignant y a exposé les détails et les circonstances de son contrôle douanier. L’ASFC a répondu par écrit aux allégations formulées dans chaque plainte, notamment en expliquant les circonstances de chaque contrôle douanier.
  2. Pendant notre enquête, nos enquêteurs ont rendu visite à des représentants de l’ASFC afin d’examiner les renseignements opérationnels particuliers figurant dans les dossiers. L’ASFC a aussi pris des dispositions pour leur permettre de visiter ses installations de contrôle primaires et secondaires à l’Aéroport international d’Ottawa à titre de site représentatif. Nous avons ainsi eu une meilleure idée de son environnement et de ses processus opérationnels.
  3. Au moment d’évaluer la conformité à l’article 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, nous avons aussi pris en compte les dispositions applicables de la Loi sur les douanes et de la Charte ainsi que celles des manuels de l’exécution et des bulletins opérationnels pertinents de l’ASFC. Les six plaintes reçues concernent des problèmes liés à l’administration des douanes vécus par des citoyens canadiens au retour de l’étranger. C’est pourquoi notre enquête portait sur les activités et les pouvoirs de l’ASFC en vertu de la Loi sur les douanes plutôt que sur des questions d’immigration relevant de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiésNote de bas de page 12 (LIPR).

Résumé de l’enquête

Mandat et pouvoirs de l’ASFC

  1. L’ASFC a soutenu que les activités de traitement des voyageurs font partie de son mandat de base, qui consiste à fournir des services frontaliers intégrés à l’appui des priorités du gouvernement en matière de sécurité nationale et de sécurité publique établies au paragraphe 5(1) de la Loi sur l’Agence des services frontaliers du CanadaNote de bas de page 13. De plus, en vertu de la Loi sur les douanes et de la LIPR, à leur entrée au Canada, toutes les personnes sont tenues de se présenter devant l’ASFC, de répondre véridiquement aux questions posées par les ASF et de fournir tous les documents requis.
  2. Les voyageurs peuvent arriver au Canada par transport aérien, terrestre, ferroviaire ou maritime. Quel que soit leur citoyenneté ou le mode de transport utilisé, ils doivent tous fournir à l’ASFC dès leur arrivée une déclaration en douane.
  3. En vertu de l’article 13 de la Loi sur les douanes, « la personne qui déclare, dans le cadre de l’article 12, des marchandises à l’intérieur ou à l’extérieur du Canada, ou qu’un agent intercepte en vertu de l’article 99.1 doit : a) répondre véridiquement aux questions que lui pose l’agent sur les marchandises; b) à la demande de l’agent, lui présenter les marchandises et les déballer, ainsi que décharger les moyens de transport et en ouvrir les parties, ouvrir ou défaire les colis et autres contenants que l’agent veut examiner ».
  4. L’ASFC a fait valoir que l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes autorise les ASF à examiner toute marchandise importée au Canada sans seuil défini (c.-à-d. sans motifs raisonnables) à des fins liées à l’administration des douanes pour assurer la conformité aux lois qu’elle applique ou exécute. Plus précisément, en vertu de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes :

    « 99 (1) L’agent peut :

    a) tant qu’il n’y a pas eu dédouanement, examiner toutes marchandises importées et en ouvrir ou faire ouvrir tous colis ou contenants, ainsi qu’en prélever des échantillons en quantités raisonnables. »

  5. D’après l’ASFC, dans ce contexte, selon la définition énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur les douanes, les « marchandises » comprennent « tout document, quel que soit son support » et englobent donc les documents électroniques stockés sur les appareils numériques. À l’appui de cette position, l’ASFC a cité la décision rendue dans R. c. GibsonNote de bas de page 14, dans laquelle la Cour provinciale de la Colombie-Britannique a conclu que l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes autorise l’agent de l’ASFC à examiner les données stockées sur un appareil électronique que le voyageur a en sa possession ou parmi ses bagagesNote de bas de page 15.
  6. À n’importe quel moment pendant ses interactions avec un ASF à un point d’entrée, le voyageur pourrait être renvoyé dans la zone des services et des inspections secondaires pour un examen secondaire. Pour ces examens, il doit généralement répondre à des questions approfondies sur lui-même et ses déplacements et présenter aux fins d’inspection une partie ou l’ensemble de ses marchandisesNote de bas de page 16.
  7. Trois grands types de renvois sont possibles lorsqu’un ASF renvoie un voyageur pour un examen secondaire :
    • Un « renvoi aléatoire » est effectué au hasard pour s’assurer que les personnes se conforment à toutes les lois et à tous les règlements administrés par l’ASFC.
    • Un « renvoi sélectif » est effectué par un ASF s’il croit qu’un examen est justifié, d’après des indicateurs servant à montrer les personnes et les marchandises à risque élevéNote de bas de page 17.
    • Un « renvoi obligatoire » nécessite d’autres documents ou un examen supplémentaire par l’ASFC ou pour le compte d’autres ministères ou organismes. Il s’agit par exemple de faire remplir un formulaire ou acquitter des droits ou encore de donner suite à un avis de surveillanceNote de bas de page 18.
  8. En ce qui concerne les renvois sélectifs, un indicateur est un signe qui montre une non-conformité à des exigences législatives ou qui en évoque la possibilitéNote de bas de page 19. L’ASFC a expliqué que les indicateurs sont composés d’une multitude de facteurs qui peuvent changer et évoluer au fil du temps et varier d’une région à l’autre du pays. Il n’existe aucun répertoire central de tous les indicateurs. Les agents apprennent à les connaître grâce à la formation, à l’expérience de travail, aux bulletins opérationnels, aux rapports de renseignement, aux manuels de l’exécution et aux partenaires d’application de la loi. Les indicateurs peuvent aussi être éphémères, n’être pertinents qu’en présence d’autres indicateurs ou n’être valides que pendant un certain temps.
  9. L’ASFC nous a cité plusieurs exemples d’indicateurs situationnels et non verbaux, mais elle nous a demandé de ne pas donner de détails dans le présent rapport. Selon elle, on peut raisonnablement s’attendre à ce que la communication de ces indicateurs nuise à la conduite d’enquêtes licites.
  10. D’après l’ASFC, la vérification de la déclaration en douane d’un voyageur dans le cadre d’un examen secondaire comprend un examen progressif de ses marchandises visant à vérifier la conformité aux lois relevant de son mandat. L’ASFC a affirmé que les ASF doivent effectuer ces examens conformément aux lois canadiennes et aux politiques de l’ASFC.

La Politique de l’ASFC – Bulletin opérationnel PRG-2015-31

  1. la Loi sur les douanes lui confère le pouvoir d’examiner les marchandises, mais l’ASFC a établi sa propre politique sur l’Examen des marchandises électroniques. Cette politique indique aux ASF leurs pouvoirs relativement à l’examen des appareils ou des supports numériques aux points d’entrée. Elle fournit des précisions sur les circonstances dans lesquelles ces examens pourraient ou devraient être effectués ainsi que sur les limites actuelles de ces pouvoirs. En vertu de la Politique, les appareils et les supports numériques, ainsi que les documents numériques et les logiciels, continuent d’être classés dans la catégorie des « marchandises » dans le contexte frontalier. Par conséquent, la Politique précise que « l’examen d’appareils ou de supports doit toujours être motivé par un lien clair avec l’application ou l’exécution des lois relevant du mandat de l’ASFC, qui régit la circulation transfrontalière des personnes et des marchandises, y compris les végétaux et les animaux » [caractères gras dans l’original].
  2. De plus, la Politique précise que l’examen des appareils numériques ne doit pas être effectué systématiquement. En fait, les ASF sont autorisés à entreprendre un examen progressif des appareils et des supports numériques en présence d’une multiplicité d’indicateurs ou par suite de la découverte de marchandises non déclarées, faussement déclarées ou prohibées. L’objectif est alors de trouver des preuves de contravention à la loi ou d’appuyer leurs allégations. Les éléments de preuve peuvent comprendre, notamment, des reçus de commandes de marchandises transmis par voie électronique, de l’information liée à l’achat de marchandises ou à leur origine ou de l’information susceptible d’établir la preuve d’une contravention aux lois relevant du mandat de l’ASFC. D’après la Politique, ces éléments de preuve peuvent permettre, par exemple, de confirmer l’identité véritable du voyageur, de trouver des reçus et des factures de marchandises importées, de déceler des activités de contrebande ou d’intercepter l’importation de matériel obscène, de propagande haineuse ou de pornographie juvénile.
  3. En vertu de la Politique, si, pendant le processus d’examen, les agents découvrent des preuves d’infraction criminelle, ils doivent être conscients du stade où l’examen dépasse le cadre de l’examen réglementaire et devient du domaine d’une enquête criminelle. Les ASF doivent déterminer au cas par cas, de concert avec leur superviseur, s’il convient de poursuivre l’examen réglementaire et évaluer toute conséquence possible advenant la tenue d’une enquête criminelle. Ils doivent également suivre les directives du Manuel de l’exécution de l’ASFC, partie 9, sur l’obtention des éléments de preuve et les renvois aux Enquêtes criminelles et se conformer aux exigences régionales qui régissent les renvois à l’Exécution de la loi dans les bureaux intérieurs ou au Renseignement.
  4. En vertu de la Politique, la fouille d’appareils et de supports numériques étant de nature plus personnelle que la fouille des bagages, l’examen doit se faire dans le plus grand respect de la vie privée du voyageur. Les ASF doivent être en mesure d’exposer leurs motifs et d’expliquer pourquoi ils peuvent raisonnablement s’attendre à ce que chaque type d’information, de programme ou d’application contenus dans l’appareil ou dans le support numérique confirme ou réfute ces motifs. Par conséquent, les notes de l’agent doivent énoncer clairement les types de données examinées ainsi que le motif qui l’a poussé à effectuer cet examen.
  5. À cet égard, en vertu de la Politique, « les agents de l’ASFC consignent dans leur carnet les indicateurs ayant mené à la fouille progressive de l’appareil ou du support numérique, les applications et les dossiers auxquels ils ont accédé durant la fouille ainsi que les motifs pour lesquels ils l’ont fait. Cette mesure vise à préserver l’intégrité de l’information stockée sur l’appareil et à protéger l’agent ».
  6. Qui plus est, en vertu de la Politique, les agents de l’ASFC examinent uniquement ce qui est stocké dans l’appareil. Ils ne doivent pas lire les courriels, sauf ceux qui sont déjà téléchargés et ouverts (c.-à-d. marqués comme « lus »). Ils ne doivent pas demander les mots de passe donnant accès à quelque type de compte (notamment les comptes de médias sociaux, de réseaux professionnels, d’entreprises et les comptes utilisateurs), dossier ou information pouvant être archivé à distance ou en ligne. Les seuls mots de passe que les ASF sont autorisés à demander et à consigner sont ceux qui donnent accès à de l’information ou à des dossiers dont ils connaissent ou soupçonnent l’existence sur l’appareil ou le support numérique faisant l’objet de l’examen.
  7. Également en vertu de la Politique, « avant de procéder à l’examen d’appareils et de supports numériques, les agents doivent, si possible, désactiver les fonctions de communication sans fil et par Internet (en activant le mode Avion) afin d’empêcher l’appareil de se connecter à un hôte ou à des services distantsNote de bas de page 20 ». Cette précaution permet de réduire la possibilité d’accéder par inadvertance à Internet ou à des données stockées sur un site externe, par exemple dans les médias sociaux ou le nuage, de lancer un logiciel d’essuyage à distance ou de modifier des numéros ou des dates de version.
  8. L’ASFC a fait valoir que le respect de la vie privée et les paramètres utilisés dans le traitement des renseignements recueillis sur les appareils numériques sont les mêmes que pour tout autre type de renseignements détenus par l’ASFC. Tout document, électronique ou autre, qui est recueilli ou communiqué par la suite est visé par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur les douanes (plus précisément, l’article 107, qui porte sur la communication de renseignements). La collecte de renseignements ne peut se faire que dans la mesure où le but est d’administrer les lois relevant du mandat de l’ASFC, et où la collecte respecte tous les autres paramètres définis par ces lois (p. ex. la Loi sur les douanes, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le Tarif des douanes, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, etc.).

Les plaintes

  1. Chacun des six plaignants a déclaré que l’ASFC avait procédé à la fouille d’un ou de plusieurs de ses appareils numériques personnels au cours d’une inspection aux douanes à leur retour de l’étranger. Ils ont tous remis en question le pouvoir de l’ASFC d’effectuer ces fouilles.
  2. Les plaignants étaient arrivés au Canada soit par avion dans un grand aéroport, soit par un point d’entrée routier. Dans tous les cas, les plaignants ont été renvoyés pour un examen secondaire, où un ou plusieurs ASF ont fouillé leurs appareils.
  3. Dans ses observations, l’ASFC a fourni de l’information concernant les circonstances entourant l’examen secondaire de chaque plaignant, notamment :
    • une description des indicateurs ayant mené à l’examen, par les ASF, d’un ou de plusieurs appareils numériques du plaignant dans chaque cas;
    • une description des appareils et du contenu en particulier examinés dans chaque cas;
    • l’information consignée par les ASF;
    • toute autre mesure prise par les ASF;
    • les lois relevant du mandat de l’ASFC, qui était appliquée ou exécutée ;
    • sa position générale concernant les mesures prises par les ASF pendant l’examen secondaire.
  4. L’ASFC a soutenu que dans les six cas, l’examen des appareils numériques des plaignants visait à assurer la conformité aux lois relevant de son mandat. D’après l’ASFC, une multiplicité d’indicateurs avait amené les ASF à renvoyer les plaignants pour un examen secondaire dans quatre cas. Cependant, l’ASFC a confirmé que les plaignants avaient fait l’objet d’un renvoi obligatoire à un examen secondaire dans deux cas. Elle a déclaré que l’examen avait permis de conclure dans chaque cas que les ASF avaient rendu les appareils numériques au plaignant et l’avaient laissé partir après avoir constaté que leurs préoccupations n’étaient pas fondées.
  5. Nous résumons ci-après chacun des cas que nous avons examinés pendant notre enquête.

Cas no 1 : PA-048509

  1. L’ASFC a soutenu que l’ASF ayant effectué l’examen secondaire dans ce cas avait observé une multiplicité d’indicateurs pendant son examen, entre autres un résultat positif au détecteur ioniqueNote de bas de page 21 passé sur les effets personnels du plaignant. C’est pourquoi l’agent a effectué un examen plus approfondi, notamment une fouille du téléphone cellulaire du plaignant. À la demande de l’ASF, le plaignant a saisi son code d’accès pour déverrouiller le téléphone.
  2. L’ASF a examiné les textos et la galerie de photos du plaignant pour vérifier si celui-ci avait contrevenu à la Loi sur les douanes. En faisant une recherche par mot clé, il a eu accès à un échange de textos entre le plaignant et une autre personne concernant l’achat de stupéfiants de même qu’à un site Web d’intérêt. L’examen effectué par l’ASF a montré que les messages ne contenaient aucune preuve d’une infraction, si bien que l’agent y a mis fin.
  3. L’ASF a consigné pendant l’examen des détails limités concernant l’échange de textos trouvé sur le téléphone cellulaire du plaignant (le nom du site Web, le nom des participants à cet échange, les numéros de téléphone et le fournisseur de service cellulaire). Il n’a noté aucun détail concernant l’examen proprement dit ou les motifs justifiant l’examen progressif du téléphone cellulaire du plaignant.
  4. L’ASFC a indiqué que, d’après le souvenir de l’ASF, aucun renseignement n’avait été téléchargé ou copié à partir du téléphone cellulaire du plaignant. Toutefois, l’agent avait omis d’activer le mode Avion avant la fouille.
  5. D’après l’ASFC, l’ASF a appliqué ou exécuté dans ce cas l’alinéa 99(1)a) et l’article 159 de la Loi sur les douanes ainsi que l’article 6 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substancesNote de bas de page 22.
  6. Selon son propre examen interne des faits, malgré l’omission apparente de se conformer à la Politique quant à la prise de notes et à l’activation du mode Avion, l’ASFC a soutenu que l’ASF avait agi dans les limites des pouvoirs que lui confère la loi et s’était conformé aux politiques établies relativement à la progression et à la justification de l’examen de l’appareil numérique.

Cas no 2 : PA-048620

  1. D’après l’ASFC, une multiplicité d’indicateurs dans ce cas justifiait la progression de l’examen secondaire. À la lumière de ces indicateurs, l’ASFC a soutenu que l’ASF avait procédé à l’examen des appareils électroniques du plaignant afin de déterminer si une partie du contenu était prohibée en vertu de la Loi sur les douanes. Il s’agissait entre autres du téléphone cellulaire, de l’iPad et des clés USB du plaignant.
  2. Dans ses observations écrites, le plaignant n’a pas mentionné avoir eu à fournir un mot de passe ou un code d’accès pour déverrouiller ses appareils. Selon sa lettre de plainte, l’ASF a examiné ses photos et vidéos sur le téléphone cellulaire et l’iPad ainsi que tout le contenu des clés USB. Rassuré par les résultats de l’examen des appareils, l’ASF les a rendus au plaignant.
  3. L’ASFC a confirmé que l’ASF n’avait pas pris de notes pendant l’examen secondaire. Elle a indiqué que, d’après le souvenir de l’agent, aucun renseignement n’avait été téléchargé ou copié à partir des appareils numériques du plaignant pendant l’examen. L’ASF en question ne se rappelait pas avoir inspecté le téléphone cellulaire ou l’iPad du plaignant, précisant toutefois qu’il aurait, le cas échéant, activé le mode Avion avant d’effectuer l’examen.
  4. D’après l’ASFC, l’ASF a appliqué ou exécuté dans ce cas l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes.
  5. Bien que l’ASF ne se soit pas conformé à la Politique en ce qui concerne la prise de notes et n’ait pu confirmer qu’il avait activé le mode Avion avant de procéder à la fouille du téléphone cellulaire du plaignant, l’ASFC a soutenu qu’il avait agi dans les limites des pouvoirs que lui confère la loi et s’était conformé aux politiques établies relativement à la progression et à la justification de l’examen des appareils numériques.

Cas no 3 : PA-048694

  1. Dans ce cas, le plaignant a allégué que pendant l’examen secondaire, qui comprenait une fouille de son ordinateur portable, l’ASF avait connecté l’ordinateur à Internet, fouillé son compte Gmail et son historique de navigation et accédé à divers sites Web.
  2. L’ASFC a soutenu qu’une multiplicité d’indicateurs dans ce cas justifiait la progression de l’examen secondaire.
  3. À la lumière de ces indicateurs, l’ASF a effectué un examen progressif du téléphone cellulaire et de l’ordinateur portable du plaignant. À la demande de l’agent, le plaignant a saisi son mot de passe pour lui donner accès à l’ordinateur. Au dire du plaignant, l’ASF l’a menacé de saisir l’ordinateur s’il n’acquiesçait pas à sa demande. L’ASFC a confirmé que les données examinées sur le téléphone cellulaire comprenaient des échanges sur WhatsApp, divers textos et des images. Une dizaine de photos numériques et deux documents Word ont été examinés sur l’ordinateur. L’ASFC a indiqué que, d’après le souvenir de l’ASF, les documents Word semblaient contenir des renseignements liés au travail.
  4. L’ASFC a confirmé que l’ASF n’avait pas pris de notes concernant l’examen. Elle a fait observer que, d’après le souvenir de l’agent, la fouille n’avait rien donné et aucune donnée n’avait été copiée ou transférée à partir des appareils pendant l’examen.
  5. D’après l’ASFC, l’ASF n’avait à aucun moment connecté à Internet l’un des appareils numériques du plaignant, accédé à son compte Gmail, examiné son historique de navigation ou accédé à un site Web sur son ordinateur – et il avait accédé uniquement à des éléments stockés sur l’appareil. Cependant, l’ASFC a aussi soutenu que l’agent n’avait activé le mode Avion sur aucun des appareils avant de procéder à la fouille.
  6. D’après l’ASFC, l’ASF a appliqué ou exécuté dans ce cas l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes.
  7. Dans ce cas, bien que l’ASF ne se soit pas conformé à la Politique en ce qui concerne la prise de notes et l’activation du mode Avion, l’ASFC estimait que l’ASF avait agi dans les limites des pouvoirs que lui confère la loi et s’était conformé aux politiques établies relativement à la progression et à la justification de l’examen des appareils numériques.

Cas no 4 : PA-050839

  1. L’ASFC a soutenu qu’une multiplicité d’indicateurs avait mené à la progression de l’examen secondaire.
  2. À la demande de l’ASF, le plaignant lui a donné les codes d’accès pour son téléphone cellulaire et son iPad. D’après l’ASFC, pendant l’examen initial du téléphone cellulaire du plaignant, l’agent a concentré la fouille sur les images et les textos les plus récents afin de confirmer les renseignements communiqués par le plaignant à propos de son voyage. L’ASFC a soutenu que l’agent avait découvert des photos et des textos indiquant une participation possible à des activités liées au crime organisé, ce qui justifiait la progression de l’examen.
  3. Aucune infraction criminelle n’a été découverte pendant l’examen, mais l’ASFC a soutenu que l’ASF croyait avoir la responsabilité de copier à partir du téléphone cellulaire du plaignant, comme éléments de preuve, des renseignements particuliers, entre autres des images de la galerie de photos et plusieurs échanges de textos. L’ASFC a confirmé que l’ASF s’était servi d’un appareil photo fourni par l’ASFC au point d’entrée pour photographier le contenu du téléphone cellulaire du plaignant.
  4. D’après l’ASFC, l’ASF a saisi les détails de l’examen dans le Système intégré d’exécution des douanes (SIED)Note de bas de page 23 et a communiqué les renseignements extraits du téléphone cellulaire du plaignant à sa Division des opérations relatives à l’exécution de la loi et au renseignement (DOELR). L’ASFC a confirmé que la DOELR avait par la suite transmis ces renseignements à des partenaires externes, notamment le service de police local et la Gendarmerie royale du Canda, en vertu de l’alinéa 107(5)a) de la Loi sur les douanesNote de bas de page 24 et des exigences de la Politique sur la divulgation des renseignements douaniers de l’ASFC.
  5. D’après l’ASFC, aucun renseignement autre que la consignation du passage du plaignant à la frontière n’avait été saisi dans le SIED. L’ASFC a précisé que les renseignements communiqués aux partenaires externes n’existaient plus et qu’elle ne pouvait donc pas nous les transmettre pour les besoins de notre enquête. Elle a confirmé que les partenaires externes avaient détruit les renseignements en question à l’automne 2017, sans toutefois pouvoir préciser la date précise ni expliquer les motifs à l’origine de la destruction des renseignements.
  6. D’après l’ASFC, l’ASF n’avait pas pris de notes concernant l’examen secondaire du plaignant, de son téléphone cellulaire ou de son iPad. De plus, l’agent ne se rappelle pas avoir consulté son superviseur pendant l’examen – d’ailleurs, l’ASFC n’a pas affirmé que le superviseur avait été consulté. L’ASF n’a pas été en mesure de confirmer de mémoire s’il avait activé le mode Avion du téléphone cellulaire du plaignant avant l’examen. Il a toutefois expliqué avoir l’habitude de s’assurer que ce mode est activé avant de procéder à une fouille.
  7. Au départ, l’ASFC a soutenu que l’ASF avait agi conformément au pouvoir que lui confère le paragraphe 489(2) du Code criminelNote de bas de page 25 de photographier le contenu du téléphone cellulaire du plaignant. Toutefois, face à l’insistance du Commissariat, l’ASFC a reconnu que la prise de photos par l’ASF était incompatible avec l’orientation de sa politique relativement au pouvoir des agents, en vertu de la Loi sur les douanes, de reproduire des documents pendant un examen à la frontièreNote de bas de page 26 et à celui de saisir des éléments de preuve en vertu du paragraphe 489(2) du Code criminel ainsi qu’avec la responsabilité de prendre des notes leur incombant en vertu de la Politique de l’ASFC.
  8. L’ASFC a déclaré qu’elle examinerait la disposition particulière de sa politique concernant les directives sur l’obtention des éléments de preuve afin d’améliorer l’orientation donnée aux agentsNote de bas de page 27. Elle n’a pas indiqué au Commissariat si d’autres mesures correctives avaient été mises en œuvre dans ce cas.

Cas no 5 : PA-051902

  1. Dans ce cas, le plaignant avait fait l’objet d’un renvoi pour un examen secondaire par un ASF exerçant des fonctions de patrouille près de la zone d’inspection primaireNote de bas de page 28. L’ASFC a soutenu qu’une multiplicité d’indicateurs avait mené l’ASF à renvoyer le plaignant pour un examen secondaire. Elle a expliqué que d’autres indicateurs relevés lors de l’examen secondaire justifiaient la progression de l’examen.
  2. L’ASF ayant procédé au renvoi a lui-même effectué l’examen secondaire. Selon l’ASFC, le plaignant a indiqué à l’agent qu’« il pourrait y avoir quelque chose dans l’historique de navigation ». L’ASF a examiné le contenu du téléphone cellulaire du plaignant dans le but de vérifier s’il y a lieu de craindre que l’appareil contienne du matériel obscène ou de la pornographie infantile. Il a affirmé n’avoir consulté que le contenu de la galerie de photos pendant l’examen. D’après lui, la fouille n’a donné aucun résultat et aucune donnée n’a été copiée à partir de l’appareil pendant l’examen.
  3. L’ASFC a confirmé que l’ASF avait pris des notes pendant l’examen, reconnaissant toutefois que celles-ci ne donnaient pas de détails concernant l’examen ou les motifs justifiant un examen progressif du téléphone cellulaire du plaignant. L’ASF ne se rappelait pas s’il avait obtenu un code d’accès ou s’il en fallait un pour accéder au téléphone cellulaire du plaignant. Dans ses observations écrites, le plaignant n’a pas mentionné avoir fourni son code d’accès à l’ASF. L’ASFC a cependant confirmé que l’ASF n’avait pas activé le mode Avion avant d’examiner le téléphone cellulaire.
  4. D’après l’ASFC, l’agent a appliqué ou exécuté dans ce cas l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes.
  5. L’ASFC a reconnu que l’ASF ne s’était pas conformé à la Politique quant à la prise de notes et à l’activation du mode Avion, mais elle estimait que celui-ci avait agi dans les limites des pouvoirs que lui confère la loi relativement à la progression et à la justification de l’examen du téléphone cellulaire du plaignant.

Cas no 6 : PA-052068

  1. D’après l’ASFC, deux ASF ont effectué l’examen secondaire du téléphone cellulaire de la plaignante dans ce cas. Compte tenu de la présence d’une multiplicité d’indicateurs, l’examen a progressé de manière à inclure des questions plus intenses et un examen du contenu de son téléphone cellulaire.
  2. À la demande de l’ASF, la plaignante a déverrouillé son téléphone cellulaire. L’ASFC a confirmé que l’agent avait examiné ses textos, son compte Facebook et ses messages WhatsApp pour vérifier si les préoccupations concernant les activités transfrontalières illégales étaient fondées ou non. À la demande de l’ASF, la plaignante lui a ensuite fourni son mot de passe pour une application bancaire en ligne sur le téléphone. L’ASFC a aussi confirmé que, en raison des réponses contradictoires et vagues de la plaignante concernant ses finances ainsi que de l’existence de l’avis de surveillance, l’examen portait notamment sur ses finances – en particulier son compte bancaire en ligne.
  3. D’après l’ASFC, les résultats de la fouille ont été négatifs et aucune donnée n’a été copiée électroniquement à partir de l’appareil de la plaignante. L’ASFC a aussi déclaré que les notes manuscrites prises par un des ASF avaient servi à remplir un rapport d’examen dans le SIED. Cependant, l’agent avait déchiqueté ces notes dix jours après l’examen. Aucun motif acceptable n’a été invoqué pour justifier leur destruction, ce qui contrevenait à la Politique de l’ASFC.
  4. L’ASFC a confirmé que l’ASF n’avait pas activé le mode Avion sur le téléphone cellulaire avant l’examen, ce qui avait permis d’examiner les renseignements sur les médias sociaux et les renseignements bancaires en ligne. D’après l’ASFC, l’ASF ne savait pas qu’il devait activer le mode Avion. L’ASFC a déclaré que l’agent était un nouvel employé en formation et que c’était la première fois qu’il examinait un téléphone cellulaire.
  5. D’après l’ASFC, les ASF ont appliqué ou exécuté dans ce cas l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes.
  6. L’ASFC a reconnu que les mesures prises par les ASF n’étaient pas conformes à sa politique, notamment l’examen des renseignements bancaires en ligne de la plaignante, le déchiquetage des notes manuscrites et l’omission d’activer le mode Avion sur son téléphone cellulaire avant l’examen. Elle a aussi reconnu que l’interrogatoire de la plaignante avait dépassé le niveau d’un interrogatoire habituel aux fins de la réglementation des douanes et que l’examen et la collecte connexe de renseignements étaient allés au-delà des exigences.
  7. Au cours de notre enquête, l’ASFC a déclaré qu’elle ferait une vérification et supprimerait tous les renseignements saisis dans le SIED qui avaient été recueillis de manière excessive à titre de renseignements douaniers lors de l’examen secondaire en question. Au moment de la rédaction du présent rapport, l’ASFC nous a informés qu’elle procédait à la suppression des renseignements dans son système et s’assurait qu’aucun des renseignements visés ne se trouvait ailleurs, mais que ce processus n’était toutefois pas terminé.
  8. L’ASFC a par ailleurs déclaré qu’elle avait mis en œuvre plusieurs mesures correctives à la suite de ce cas, entre autres :
    • le personnel local a reçu une formation d’appoint sur la progression de l’examen secondaire et sur la force du lien avec les lois relevant du mandat de l’ASFC;
    • des séances d’information supplémentaires portant sur les examens électroniques pour les différents quarts de travail ont été organisées;
    • après l’examen d’un appareil numérique, un surintendant examine dorénavant les cahiers de notes des agents pour s’assurer que l’examen est conforme à l’orientation de la Politique;
    • à l’échelle locale, tous les agents ont reçu une formation sur l’examen des appareils numériques des voyageurs;
    • lors de réunions bilatérales, le directeur de district a informé le directeur général régional de l’avancement de ces mesures correctives.

Pratiques de l’ASFC – Tenue de documents et formation

  1. En plus de traiter les six plaintes susmentionnées, nous avons examiné les pratiques de l’ASFC en général. Nous avons cherché à obtenir de l’information indiquant en détail la fréquence à laquelle les ASF examinent les appareils numériques. L’ASFC a précisé qu’elle ne consigne pas systématiquement le moment où l’on procède à ces fouilles. Ainsi, les notes se rapportant à l’Examen des marchandises électroniques se limiteraient au carnet de notes de l’agent conformément à la Politique ou à un exposé narratif, du texte ou des notes de format libre dans les systèmes de traitement des cas de divers points d’entrée.
  2. Cependant, l’ASFC a déclaré par la suite avoir publié en novembre 2017 le Bulletin opérationnel PRG-2017-61, Collecte de données relatives à l’examen d’appareils numériques des voyageurs — Exigence provisoire en matière d’établissement de rapports. Ce bulletin opérationnel (BO) oblige les ASF à déclarer sur une feuille de suivi fournie par le surintendant tous les cas où ils examinent des données stockées sur un appareil numérique d’un voyageur. Soulignons que les exigences de ce BO ne visaient que deux des six cas – les cas nos 4 et 6 –, où la fouille des appareils numériques a eu lieu après son entrée en vigueur. Dans un de ces deux cas, l’ASFC n’a pas pu faire la preuve que l’ASF s’était conformé au nouveau BO.
  3. L’ASFC a indiqué qu’elle prévoit mettre à niveau les systèmes de TI opérationnels actuels qui sont utilisés aux points d’entrée pour recueillir des renseignements précis, notamment le motif justifiant les examens des appareils numériques des voyageurs ainsi que le moment et le lieu de ces examens. D’après l’ASFC, cette mise à niveau lui permettra également de mieux quantifier les avantages qu’elle tire de ces examens et réduira le dénombrement et la journalisation manuels actuellement réalisés aux points d’entrée.
  4. Nous avons aussi demandé à l’ASFC de l’information sur la formation et l’orientation données aux ASFC quant à la fouille des appareils numériques et à l’obligation de désactiver la fonction de communication par Internet avant d’entreprendre une fouille. L’ASFC a répondu qu’elle n’offre aux nouveaux employés aucune formation s’inscrivant dans un programme de cours consacrée à l’examen des appareils numériques des voyageurs aux points d’entrée, mais qu’elle donne une orientation à cet égard dans le matériel de cours. Par exemple, dans le cours Examen des marchandises, on demande aux agents de consulter le BO de 2015.
  5. Reconnaissant que les ASF ne s’étaient conformés à la Politique dans aucun des six cas, l’ASFC s’est aussi engagée à revoir complètement ses politiques applicables à l’examen des appareils numériques aux points d’entrée. Elle a notamment fait observer qu’elle revoit la politique actuelle (le BO PRG-2015-31) en vue de la remplacer et d’améliorer l’orientation donnée aux agents. L’ASFC reverra par la suite la formation connexe à l’intention de tous les agents.

Analyse

Portée de l’examen des appareils numériques – Renseignements non stockés sur les appareils

  1. De toute évidence, les appareils numériques renferment une vaste quantité de renseignements personnels, et parfois sensibles, à propos de personnes identifiables. Comme l’ont fait ressortir les six cas que nous avons examinés, le contenu auquel ont accédé les ASF comprenait des documents, des textos, des photographies et, dans un cas, du contenu figurant sur Facebook ainsi que des renseignements bancaires.
  2. L’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes, en vertu duquel les agents peuvent examiner toute « marchandise » importée au Canada, ne mentionne pas expressément les appareils numériques personnels. D’après l’ASFC, la définition de « marchandise » énoncée dans cette loi comprend « tout document, quel que soit son support » et englobe donc les documents électroniques stockés sur les appareils numériques. À ce sujet, la Politique de l’ASFC précise que les appareils et les supports numériques, ainsi que les documents numériques et les logiciels, continuent d’être classifiés dans la catégorie des « marchandises » dans le contexte frontalier.
  3. Compte tenu de la définition générale de « marchandise » énoncée dans la Loi sur les douanes et de la jurisprudence des tribunaux inférieurs, nous reconnaissons que l’ASFC a, en vertu de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes, le pouvoir d’examiner les appareils numériques. Ce pouvoir se limite toutefois aux renseignements stockés sur les appareils. C’est ce qui ressort de la décision rendue par le tribunal dans R. c. Gibson :

    Je conclus aussi que les données importées sur un appareil électronique, conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur les douanes et aux éléments de preuve qui m’ont été présentés, se limitent aux données stockées sur l’appareil électronique au moment de son importation. Pour se conformer à la Loi sur les douanes, un agent des douanes qui fouille un appareil électronique doit d’abord activer un mode empêchant l’appareil d’accéder à Internet. Il est entendu que cela signifie que l’ASF ne peut demander à consulter les données stockées dans le nuage, sur des réseaux éloignés ou à distance sur d’autres appareils que le voyageur n’a pas en sa possession au moment de traverser la frontière, ni celles qui ne sont pas stockées sur un ou plusieurs des appareils que le voyageur a en sa possession à ce moment. Les données stockées à distance ne constituent pas, au sens de l’alinéa 99(1)a), une marchandise importée par le voyageur au moment où il se présente à l’ASF. Cependant, les lecteurs de disque dur, les clés USB et les autres appareils de stockage de données que le voyageur a réellement en sa possession ou qui se trouvent dans ses bagages au moment où il se présente au bureau des douanes constituent des marchandises et peuvent faire l’objet d’une inspection [traduction]Note de bas de page 29.

  4. L’ASFC ne conteste pas que son pouvoir se limite aux renseignements stockés sur un appareil numérique. D’ailleurs, en vertu de sa politique, les agents doivent, si possible, activer le mode Avion avant d’examiner des appareils électroniques, ce qui devrait réduire la possibilité d’accéder à Internet ou à des données stockées à l’extérieur de l’appareil, que ce soit dans les médias sociaux ou le nuage.
  5. Également en vertu de la Politique, les ASF examinent uniquement ce qui est stocké sur l’appareil – par exemple les photos, les fichiers et les courriels déjà téléchargés et ouverts – et sur d’autres supports. Les seuls mots de passe que les ASF sont autorisés à demander et à consigner sont ceux qui donnent accès à de l’information ou à des dossiers dont ils connaissent ou soupçonnent l’existence sur l’appareil ou le support numérique faisant l’objet de l’examen. En fait, nous notons que l’ASFC a reconnu devant le Parlement qu’elle doit obtenir un mandat émis par un juge pour pouvoir chercher sur un appareil électronique des renseignements qui sont accessibles uniquement lorsque l’appareil est connecté au nuageNote de bas de page 30.
  6. L’ASFC a reconnu que dans l’un des cas que nous avons examinés – le cas no 6 –, le compte Facebook et les renseignements bancaires en ligne de la plaignante avaient été consultés au cours de l’examen malgré les exigences clairement énoncées dans sa politique. Or, ces renseignements étaient accessibles uniquement par Internet. À notre avis, l’examen et la collecte connexe de renseignements ont clairement dépassé, dans ce cas, le pouvoir que la Loi sur les douanes confère à l’ASFC. Étant donné que l’ASFC n’était pas autorisée par la loi à recueillir des renseignements personnels, il s’agit aussi manifestement d’une contravention à l’article 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
  7. En outre, dans quatre des six cas, l’ASFC a reconnu que les ASF n’avaient pas activé le mode Avion, ce qui contrevenait à sa propre politique et à l’orientation donnée par le tribunal dans R. c. Gibson. Dans les deux autres cas, elle n’a pas pu affirmer catégoriquement que l’ASF avait en fait activé ce mode vu que les ASF n’avaient pas pris de notes appropriées.
  8. En outre, les plaignants et l’ASFC nous ont fourni une description contradictoire des événements concernant le contenu que les ASF auraient consulté sur un ou plusieurs appareils, par exemple les comptes Facebook et WhatsApp, l’historique des sites Web consultés et les comptes Gmail. L’ASFC a reconnu que les ASF avaient examiné le contenu des messages Facebook et WhatsApp pendant certains examens secondaires, mais nous n’avons pas pu confirmer que leur examen s’était limité au contenu stocké sur les appareils – surtout lorsque les agents avaient omis de désactiver les fonctions de communication par réseau cellulaire ou par Internet. En outre, le fait que les ASF n’ont pas consigné de détails concernant les examens nous empêche de déterminer ce que l’ASFC a en fait examiné ou consulté à ce moment et de savoir si ces examens se limitaient au contenu stocké sur les appareils.

Copie de renseignements à partir d’appareils numériques

  1. Dans le cas no 4, les mesures prises par l’ASF consistant à photographier le contenu du téléphone du plaignant étaient incompatibles avec le pouvoir que la loi confère à l’ASFC ou avec sa politique, en vertu de laquelle les agents doivent suivre les directives du Manuel de l’exécution de l’ASFC, partie 9, sur l’obtention des éléments de preuve. Selon ces directives, « un agent peut saisir des registres, des livres ou des documents qui se rapportent à des marchandises importées ou exportées et il saisira les originaux plutôt que de faire des photocopies, sauf indications contraires. Nota : La photocopie de renseignements personnels non liés à l’application de la Loi sur les douanes peut être interprétée comme une saisie illégale en vertu de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertésNote de bas de page 31 [traduction] ».
  2. La partie 4 du Manuel de l’exécution de l’ASFC indique aux ASF que la photocopie de documents constitue une saisie au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle leur donne aussi des directives claires à cet égard :

    En aucun cas, on ne peut photocopier des documents, de quelque nature que ce soit, qui ne sont pas nécessaires à l’application ou à l’exécution de la Loi sur les douanes, à moins qu’ils aient été saisis à d’autres fins en vertu d’un pouvoir conféré par la loi ou que le propriétaire ou la personne les ayant en sa possession ait autorisé la photocopie des documents en question. Par exemple, les pièces d’identité des personnes qui entrent au Canada ne peuvent être photocopiées ni transmises au service de police pour les besoins du renseignement. Chaque fois qu’un document est photocopié, il faut en aviser l’intéresséNote de bas de page 32. [Traduction]

  3. L’ASFC a reconnu que les mesures prises par l’agent dans le cas no 4 étaient incompatibles avec le pouvoir que la Loi sur les douanes confère à l’ASFC de reproduire des documents pendant un examen à la frontière ainsi qu’avec le pouvoir que lui confère le Code criminel de saisir des éléments de preuve. Par conséquent, les mesures prises par l’ASFC dans ce cas contrevenaient également à l’article 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
  4. Nous avons aussi constaté dans le cas no 4 que la DOELR de l’ASFC avait communiqué des renseignements à des partenaires externes. Dans ses observations à l’intention du Commissariat, l’ASFC a confirmé la transmission par courriel de renseignements, notamment un résumé de l’interaction avec le plaignant lors du contrôle secondaire ainsi que des photographies du contenu trouvé sur son téléphone cellulaire. Dans ce cas, le Commissariat n’a pas été en mesure d’examiner en toute indépendance les renseignements en question, car l’ASFC et les partenaires externes les avaient détruits.
  5. Il est important que les agents de l’ASFC fassent la distinction entre un examen effectué à des fins réglementaires liées à l’administration des douanes et un examen qui touche également le domaine des enquêtes sur une infraction criminelle. On ne sait pas clairement quelles procédures, le cas échéant, l’ASFC a mises en œuvre afin de former les agents sur l’étendue de leurs pouvoirs de fouille ou sur les responsabilités leur incombant et les pouvoirs dont ils disposent lorsqu’ils découvrent des preuves d’infraction ou d’activité criminelle dans l’exercice de leurs fonctions. Comme nous l’avons déjà signalé, l’ASFC a déclaré au Commissariat qu’elle examinerait la disposition particulière de sa politique concernant les directives sur l’obtention des éléments de preuve et les renvois aux Enquêtes criminelles afin d’améliorer l’orientation donnée aux agents.

Pouvoir d’exiger le mot de passe ou le code d’accès des appareils

  1. En vertu de la Politique de l’ASFC, lorsque l’accès aux appareils numériques est protégé par un mot de passe ou un code d’accès, les agents doivent demander le mot de passe ou le code d’accès au voyageur et le consigner dans leur carnet de notes. En fait, la Politique précise que les agents ne doivent pas permettre à un voyageur de saisir lui-même son mot de passe ou son code d’accès sur un appareil ou un support numérique.
  2. Les tribunaux canadiens n’ont pas encore statué sur la question de savoir si un ASF peut obliger une personne à lui fournir son mot de passe ou son code d’accès afin de permettre la fouille de ses appareils numériques à un poste frontalier. Si le voyageur refuse de fournir cette information, il est possible que ses appareils soient retenus pour une inspection approfondie. Le Commissariat se penche actuellement sur cette question dans le cadre d’une enquête distincte. Nous n’exprimerons donc pas notre point de vue sur la Politique de l’ASFC pour ce qui est du pouvoir d’obliger les voyageurs à fournir le mot de passe ou le code d’accès de leurs appareils ou de l’obligation incombant aux agents de l’ASFC de les consigner dans son cahier de notes.
  3. Nous avons néanmoins remarqué que dans deux des cas susmentionnés, les ASF avaient contrevenu à la Politique en demandant aux voyageurs de saisir eux-mêmes leur mot de passe ou leur code d’accès sur leurs appareils.

Motifs justifiant l’examen et la prise de notes

  1. L’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes n’impose aucun seuil pour l’examen de marchandises, notamment les appareils numériques. Cette loi a été adoptée bien avant que les appareils numériques portables deviennent omniprésents. Nous estimons qu’elle ne reflète pas la réalité des technologies et des communications numériques modernes. la Loi sur les douanes ne comporte aucune disposition s’appliquant expressément aux appareils numériques, à l’information électronique qui y est stockée ou à laquelle ils permettent d’accéder ou encore au pouvoir de fouiller ces appareils. D’après nous, les appareils numériques doivent être considérés comme bien plus que de simples « marchandises » pouvant faire l’objet d’une fouille sans motifs à la frontière.
  2. La Politique de l’ASFC impose un seuil plus élevé pour l’examen de ces appareils. Elle exige explicitement une multiplicité d’indicateurs que les appareils ou les supports numériques pourraient contenir des preuves de contraventions. À notre avis, cette disposition est appropriée, vu la nature dynamique et la grande portée des renseignements stockés sur les appareils numériques et les exigences de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, la Politique de l’ASFC demeure simplement une politique. D’après nous, pour assurer une protection adéquate des droits des personnes, il faut modifier la Loi sur les douanes de manière à imposer un seuil pour l’examen des appareils numériques personnels.
  3. D’après l’ASFC, des indicateurs particuliers avaient mené dans tous les cas à l’examen des appareils numériques des plaignants dans le but de s’assurer que les marchandises et le voyageur étaient conformes aux lois relevant du mandat de l’ASFC.
  4. Bien que l’ASFC ait souligné certains indicateurs ayant mené à l’examen des appareils numériques des plaignants dans chaque cas, les ASF avaient souvent fourni ces justifications plusieurs mois après les examens. De plus, ils l’avaient fait de mémoire en raison de lacunes dans la consignation des notes. Dans certaines observations de suivi présentées au Commissariat, l’ASFC a en fait déclaré que l’ASF avait donné des précisions sur les indicateurs auxquels il s’en était remis pour justifier l’examen progressif des appareils numériques personnels des plaignants, fournissant ainsi de nouveaux détails qui ne figuraient pas dans ses observations initiales.
  5. À notre avis, les indicateurs auxquels s’en remettent les ASF doivent être fondés sur les faits précis et bien documentés qui sont consignés au moment de l’examen. Dans tous les cas que nous avons examinés, ils n’avaient pas consigné les indicateurs ayant alors mené à la fouille des appareils numériques des plaignants, les applications et les dossiers auxquels ils avaient accédé durant la fouille, ni les motifs pour lesquels ils l’avaient fait, comme l’exige clairement la Politique. Nous avons plutôt dû nous fier à la mémoire changeante des ASF concernant les circonstances propres à chaque cas, souvent plusieurs mois après l’examen.
  6. En outre, l’ASFC doit pouvoir établir que chaque fouille d’un appareil numérique a été réalisée à une fin valide liée à l’administration des douanes, ce qui limitera forcément la portée d’une fouille. À ce sujet, le tribunal a souligné dans R. c. Gibson : « Premièrement, la fouille doit être effectuée à une fin valide liée à l’administration des douanes, ce qui, à mon avis, ne limite pas toujours l’examen à une fouille sommaire. Toutefois, en pratique, comme le montrent les éléments de preuve dans la présente affaire, c’est généralement le cas. » [Traduction]
  7. Il faut donc documenter de façon appropriée la fouille des appareils numériques pour établir qu’il existe en fait une fin valide liée à l’administration des douanes. Nous avons constaté que les ASF n’avaient aucunement documenté les examens dans la plupart des cas. Dans les cas où ils avaient pris des notes limitées, nous avons constaté que celles-ci ne renfermaient aucun détail concernant l’examen, comme l’exige la Politique.
  8. En outre, nous sommes fort troublés par le fait que, dans les cas nos 4 et 6, l’ASFC a détruit des renseignements se rapportant à deux examens secondaires. L’ASFC est assujettie à la Loi sur la protection des renseignements personnels et doit s’assurer que ses pratiques de protection de la vie privée sont compatibles avec les dispositions de cette loi et de son règlement d’application et qu’elles s’y conforment. Elle doit notamment adopter de saines pratiques de gestion du droit à la vie privée pour la création, la collecte, la conservation, l’utilisation, la communication, l’exactitude et l’élimination des renseignements personnels qui relèvent d’elle. Dans ces cas, l’ASFC n’a pas démontré au Commissariat comment elle s’était conformée aux exigences du paragraphe 6(1) de la Loi, qui, de concert avec le Règlement sur la protection des renseignements personnels, exige que les renseignements personnels utilisés à des fins administratives soient conservés pendant au moins deux ans.
  9. Dans le cas no 6, un ASF a même déchiqueté ses notes manuscrites dix jours après l’examen des appareils de la plaignante, soit trois jours après l’envoi de notre avis informant l’ASFC de la plainte. Dans ce cas en particulier, l’ASFC a affirmé que l’ASF était un nouvel employé en formation et qu’il s’agissait de son premier examen d’un téléphone cellulaire. Cette situation renforce nos préoccupations concernant le caractère adéquat de la formation donnée aux agents. En effet, nous nous attendrions à ce que les ASF nouvellement formés connaissent bien la procédure à suivre.
  10. Le Manuel de l’exécution de l’ASFC oblige les agents à étayer leurs décisions en consignant les indicateurs qui ont fourni des motifs raisonnables d’effectuer l’examen ou de procéder à la fouille. Il y a problème si le dossier ne renferme aucune justification claire à l’appui de l’examen secondaire des appareils des plaignants et des motifs précis ayant mené les ASF à croire à ce moment que les appareils contenaient des preuves de contraventions à une loi relevant du mandat de l’ASFC et justifiaient un examen. En outre, le Commissariat est incapable de confirmer en toute indépendance les circonstances particulières de ces examens ou de déterminer s’il existait en fait un lien clair entre les motifs invoqués et une contravention éventuelle aux lois liées à l’administration des douanes à l’appui de la progression de l’examen et de la fouille des appareils numériques des plaignants.

Conclusion

  1. Dans le cas no 6, l’ASFC a reconnu que la série de questions et la collecte connexe de renseignements par les ASF avaient dépassé le pouvoir que la Loi sur les douanes confère aux agents. Dans le cas no 4, les mesures prises par l’ASF consistant à copier des renseignements à partir de l’appareil numérique étaient incompatibles avec le pouvoir que la Loi sur les douanes et le Code criminel confèrent aux agents. Dans ces deux cas, nous considérons que l’ASFC a contrevenu à l’article 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
  2. Nous estimons aussi que l’ASFC a contrevenu au paragraphe 6(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans les cas nos 4 et 6 en omettant de conserver les renseignements personnels utilisés à des fins administratives.
  3. De façon plus générale, notre examen a mis au jour des manquements dans les pratiques de l’ASFC, ce qui révèle des problèmes chroniques touchant directement l’exigence de responsabilité de l’ASFC face au public – à la fois pour l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés et pour la conformité aux exigences de la Loi.
  4. À cette fin, nous concluons que la Politique ne permet pas à elle seule de s’assurer efficacement que les examens et la fouille des appareils numériques respectent le droit à la vie privée. Les mécanismes de formation et de responsabilité en place pour s’assurer que les agents de l’ASFC se conforment aux exigences nécessaires établies par la Politique ne sont pas suffisants.
  5. Nous considérons donc que toutes les six plaintes sont fondées.
  6. Nous estimons que des modifications à la Loi sur les douanes s’imposent pour moderniser complètement le régime d’inspection douanière de l’ASFC. Nous donnerons ci-après plus de précisions sur ces recommandations. Nous formulons aussi dans la prochaine section une série de recommandations se rapportant à un changement opérationnel qui, d’après nous, aidera l’ASFC à répondre aux préoccupations soulevées dans le présent rapport quant aux obligations lui incombant en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
  7. L’ASFC a accepté de mettre en œuvre l’ensemble de nos recommandations, comme nous le décrivons ci-dessous, mis à part les recommandations portant sur la réforme législative. En tenant compte de cet engagement de la part de l’ASFC, nous considérons que les préoccupations soulevées dans le présent rapport, à l’exception de la réforme législative, sont conditionnellement résolues. Nous reconnaissons que la réforme législative n’est pas du ressort de l’ASFC, mais bien du Parlement.

Recommandations

  1. À la lumière de nos conclusions, nous sommes d’avis que l’ASFC doit prendre des mesures pour s’assurer que l’on reconnaît l’important droit à la vie privée qui est en jeu pendant la fouille d’appareils numériques. C’est pourquoi nous insistons dans nos recommandations sur le fait que l’ASFC doit prendre des mesures immédiates pour s’assurer que la Politique est reconnue et respectée et que des mesures de surveillance adéquates sont en place pour l’examen des appareils numériques.
  2. Conformément à l’alinéa 35(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le Commissariat a présenté à l’ASFC un rapport de conclusions préliminaire et lui a demandé de l’informer de toute mesure qu’elle prendrait ou prévoirait prendre afin de mettre en œuvre les recommandations formulées dans ce rapport ou des raisons pour lesquelles elle n’y donnerait pas suite ou ne prévoirait pas le faire.
  3. Nous présentons ci-après nos recommandations détaillées, accompagnées de la réponse de l’ASFC à chacune d’entre elles.
  4. De manière globale, l’ASFC a répondu qu’elle avait élaboré une nouvelle politique préliminaire sur l’examen des appareils numériques des voyageurs aux points d’entrée. Selon elle, cette nouvelle version renforcera le régime de conformité et assurera que tous ses agents recevront une orientation claire. L’ASFC nous a informés que la politique préliminaire renfermait des dispositions strictes concernant la prise de notes. Cet aspect constituera un volet de la formation sur l’examen des appareils numériques donnée aux agents. L’ASFC a par ailleurs mis sur pied un groupe de travail qui se penchera sur la question.

Recommandation no 1 : Formation obligatoire

  1. Nous avons constaté dans le cadre de notre enquête un manque manifeste de connaissance de la politique actuelle de l’ASFC et d’uniformisation dans son application. L’ASFC devrait mettre en œuvre un programme de formation pour s’assurer que les agents sont correctement formés afin d’effectuer un examen progressif des appareils et des supports numériques. Son programme de formation devrait mettre l’accent sur plusieurs aspects :
    • le pouvoir d’examiner les appareils numériques;
    • les situations où les agents peuvent effectuer ces examens;
    • la progression de l’examen;
    • la distinction entre les examens réglementaires et les enquêtes criminelles;
    • un cours obligatoire sur la prise de notes;
    • la consignation d’information dans les systèmes électroniques de l’ASFC;
    • les conséquences de la non-conformité aux exigences de la Politique.
  2. Nous avons recommandé que la participation aux séances de formation soit obligatoire pour tous les ASF, nouveaux ou déjà en poste, de même que pour leurs superviseurs, et que cette participation soit documentée. En outre, la stratégie de formation de l’ASFC devrait être complétée par des séances de sensibilisation, des bulletins, etc., pour assurer la conformité continue aux exigences de la Politique.
  3. L’ASFC a répondu au Commissariat qu’elle acceptait cette recommandation :

    La nouvelle politique mise en œuvre par l’ASFC prévoit une formation obligatoire pour les agents en poste et les recrues qui suivent le Programme de formation de base pour les agents (PFBA). L’Agence a élaboré un programme de formation exhaustif ainsi que des outils de travail afin de s’assurer que les agents ont les outils et la formation requis pour effectuer ces examens. Les agents devront suivre la formation et comprendre les responsabilités qui leur incombent. En plus de cette formation officielle des agents, l’ASFC élabore actuellement sur son réseau interne une page qui donnera accès à des outils, à des conseils et à des statistiques que les agents pourront consulter. [Traduction]

Recommandation no 2 : Surveillance et vérification de la conformité

  1. Compte tenu du droit à la vie privée en jeu pendant la fouille d’appareils numériques, l’ASFC devrait s’assurer que des mécanismes de surveillance et d’examen adéquats sont en place afin de renforcer les mécanismes de responsabilité et de préserver la confiance du public et le respect des droits individuels. Nous avons recommandé à l’ASFC d’établir des mesures de surveillance et d’examen dans le but de vérifier la conformité des ASF à la Politique et aux pratiques en ce qui concerne l’examen des appareils numériques. Mentionnons notamment les inspections par les agents, la vérification des cahiers de notes ou des systèmes, et les indicateurs dans les systèmes montrant que l’examen d’appareils numériques s’impose.
  2. L’ASFC a répondu au Commissariat qu’elle acceptait cette recommandation :

    L’ASFC mettra en œuvre des mesures de surveillance dans le but de vérifier la conformité à la Politique. Une fois la nouvelle politique mise en œuvre, l’examen des appareils numériques sera un volet permanent du programme du Comité des opérations afin de vérifier la conformité durant la première année et au besoin par la suite. L’ASFC chargera les surintendants de vérifier périodiquement la conformité (« vérifications ponctuelles ») des agents à la Politique. En outre, des évaluations prévues par le Programme des points d’entrée seront réalisées tous les six mois. Ces évaluations permettront de vérifier et de mesurer la conformité aux politiques dans le cadre des opérations. [Traduction]

Recommandation no 3 : Vérification indépendante

  1. Nous avons recommandé à l’ASFC de réaliser une vérification indépendante de l’application de sa politique et du cadre opérationnel pour l’examen des appareils numériques en vertu de la Loi sur les douanes. Cette vérification l’aidera à évaluer et à améliorer les contrôles et le cadre de surveillance en place afin d’élaborer un plan d’action pour améliorer ses politiques, ses systèmes et ses pratiques et vérifier le respect des obligations qui lui incombent en vertu des lois relevant de son mandat et de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
  2. L’ASFC a rejeté notre recommandation concernant la vérification indépendante, mais elle a proposé de procéder à une vérification interne et accepté de nous faire parvenir une copie de son rapport de vérification :

    La Direction de la vérification interne et de l’évaluation des programmes de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) peut s’engager à amorcer une vérification approfondie portant sur les recommandations nos 1 et 2 […] au cours du prochain exercice financier (2020-2021). Étant assujettie aux normes de l’Institut des vérificateurs internes établies par le Conseil du Trésor, celle-ci exerce une fonction de vérification interne objective en toute indépendance de la direction de l’Agence. Comme demandé par le Commissariat, l’ASFC lui fera aussi parvenir une copie de son rapport de vérification. [Traduction]

  3. Bien que nous ayons recommandé une vérification par un tiers indépendant, dans le cas présent, nous sommes d’avis que le programme de vérification interne proposé par l’ASFC et mené par la Direction de la vérification interne et de l’évaluation des programmes répondra aux objectifs visés par notre recommandation. Par conséquent, nous considérons que notre recommandation a été acceptée.

Recommandation no 4 : Mise à jour des manuels de l’ASFC

  1. Nous avons recommandé à l’ASFC de mettre à jour le Manuel de l’exécution de l’ASFC en fonction des exigences de sa politique actuelle, notamment :
    • la définition de « marchandise » pour reconnaître que les appareils numériques renferment des renseignements personnels sensibles et peuvent donc faire l’objet d’exigences particulières concernant les examens;
    • l’orientation donnée aux agents de l’ASFC quant à leur pouvoir d’examiner les appareils numériques aux points d’entrée;
    • les précisions sur les circonstances dans lesquelles les agents doivent et peuvent effectuer ces examens et sur les limites de leurs pouvoirs à cet égard;
    • l’orientation sur la progression de l’examen c.-à-d. documentation appropriée d’une multiplicité d’indicateurs, de la désactivation de la fonction de communication sans fil et par Internet, de l’examen du contenu stocké sur l’appareil ou de la copie de renseignements trouvés sur l’appareil);
    • l’orientation sur les mots de passe et les pouvoirs d’exécution (c.-à-d. avis de détention et pouvoirs d’arrestation);
    • l’orientation sur les situations dans lesquelles un examen réglementaire entre dans le domaine des enquêtes criminelles ainsi que sur les pouvoirs et autorisations des agents.
  2. L’ASFC a répondu au Commissariat qu’elle acceptait cette recommandation :

    La nouvelle politique exhaustive constituera un chapitre du Manuel de l’exécution de l’ASFC et comprendra tous les points soulevés par le Commissariat dans cette recommandation. L’ASFC prévoit publier sa politique au début de l’automne 2019. Elle aura alors mis en place tous les plans de formation et les mécanismes de surveillance connexes requis pour l’appuyer. [Traduction]

Recommandation no 5 : Transparence et reddition de comptes

  1. L’ASFC devrait afficher sur son site Web sa politique actuelle, y compris tous les autres manuels et bulletins opérationnels pertinents, pour accroître la transparence et l’exigence de responsabilité envers le public en ce qui concerne l’examen des appareils numériques.
  2. L’ASFC a répondu au Commissariat qu’elle acceptait en partie cette recommandation :

    L’ASFC est déterminée à faire preuve de transparence et de responsabilité tout en tenant compte de la nécessité de protéger ses techniques d’enquête. Elle reconnaît l’importance des initiatives fédérales concernant l’information et les données ouvertes et fournira plus d’information au public sur son site Web. L’ASFC élabore actuellement à l’intention des voyageurs un document d’orientation dans lequel elle explique ce à quoi ils peuvent s’attendre en ce qui concerne leurs appareils numériques au moment de traverser la frontière. Ces mesures vont dans le sens des efforts qu’elle déploie pour améliorer la conformité globale et s’assurer que les voyageurs sont bien renseignés sur les exigences à respecter au moment de traverser la frontière. [Traduction]

  3. Nous estimons que les actions proposées par l’ASFC répondront aux objectifs de notre recommandation et, par conséquent, nous considérons que cette dernière est acceptée.

Recommandation no 6 : Suivi de l’examen des appareils numériques et production de rapports à ce sujet

  1. D’après ce que nous comprenons, l’ASFC assure depuis novembre 2017 un suivi de l’examen des appareils numériques en consignant systématiquement la fréquence de ces examens. Nous lui recommandons de compiler et de produire des données statistiques se rapportant à l’examen de ces appareils et de prendre des mesures proactives afin que le public y ait accès.
  2. L’ASFC a répondu au Commissariat qu’elle acceptait cette recommandation :

    L’ASFC recueille depuis novembre 2017 des statistiques sur l’examen des appareils numériques. Depuis, elle a déjà communiqué cette information aux médias, au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et aux parlementaires. Reconnaissant l’importance de faire preuve de transparence, le gouvernement du Canada s’est engagé à maximiser la diffusion de données ouvertes. Dans cette optique, l’Agence affichera sur son site Web externe des statistiques sur le nombre d’examens d’appareils numériques qu’elle effectue. [Traduction]

Autres – Modifications législatives

  1. Le Commissariat a soulevé précédemment des préoccupations concernant le droit à la vie privée à la frontière. Comme nous l’avons souligné au cours de comparutions devant des comités parlementaires et dans le cadre d’études connexes, la fouille d’un appareil électronique à la frontière est une pratique extrêmement intrusive.
  2. Nous avons également souligné les problèmes que pose la pratique consistant à considérer les appareils numériques comme de simples « marchandises » pour l’application de la Loi sur les douanes. Une conséquence concrète de cette interprétation est que les agents peuvent fouiller tous les appareils personnels à la frontière, sans motif fondé sur la loi. Cette idée de toute évidence dépassée ne tient pas compte des réalités de la technologie d’aujourd’huiNote de bas de page 33. la Loi sur les douanes a été adoptée en 1985, bien avant que les téléphones cellulaires et autres dispositifs électroniques deviennent aussi omniprésents.
  3. En outre, nous soulignons que le Comité ETHI a conclu dans son rapport de 2017 que la Politique de l’ASFC ne peut être appliquée de façon efficace, car elle n’a pas force de loi. Le Comité a donc formulé des recommandations au Parlement afin de faire établir un cadre législatif clair pour la fouille des appareils numériques à la frontière et d’améliorer la responsabilité. Les recommandations nos 1 et 2 figurant dans son rapport de 2017 touchent directement l’objet de notre enquêteNote de bas de page 34. Nous sommes entièrement d’accord avec ces recommandations et apportons des précisions ci-après.
  4. Comme ces recommandations se rapportent à des modifications législatives, nous reconnaissons qu’elles nécessiteront des consultations et des mesures dépassant les capacités de l’ASFC. C’est pourquoi nous communiquons également à Sécurité publique Canada la version finale du présent rapport. Il se peut aussi que nous mentionnions et présentions nos conclusions finales dans un rapport au Parlement.

Recommandation no 7 : Mise à jour de la définition de « marchandise » énoncée dans la Loi sur les douanes

  1. Nous recommandons au législateur de mettre à jour la Loi sur les douanes pour reconnaître que les appareils numériques renferment des renseignements personnels sensibles et que ces appareils ne sont pas que de simples « marchandises » au sens de la Loi sur les douanes.
  2. L’ASFC a répondu au Commissariat qu’elle rejetait cette recommandation en expliquant les motifs de ce rejet :

    Les renseignements stockés sur les appareils numériques peuvent être sensibles, mais il ne s’agit pas forcément de renseignements personnels. Il est entendu que les gens stockent de plus en plus des documents officiels, des documents professionnels et des documents personnels ensemble sur leurs appareils numériques. En outre, les gouvernements et les transporteurs aériens ainsi que les autres organismes du secteur des transports émettent des documents de voyage sous forme numérique. Les reçus et autres documents justificatifs sont aussi de plus en plus souvent transmis en format numérique. L’examen de ces types de documents est essentiel dans le cadre des contrôles à la frontière. En autorisant un agent à examiner systématiquement un reçu imprimé, mais non un reçu en format PDF stocké sur un appareil électronique, on porterait atteinte aux fonctions de base de l’ASFC.

    Les tribunaux ont déjà conclu que les appareils numériques et leur contenu sont reconnus comme des marchandises au sens de la Loi sur les douanes. En modifiant la définition du terme « marchandise » énoncée dans cette loi, on établirait en fait une distinction selon laquelle les marchandises entrées au pays sur des appareils électroniques seraient assujetties à un seuil d’inspection plus élevé que celles stockées de manière plus traditionnelle. Comme les téléphones intelligents et les technologies connexes sont de plus en plus perfectionnés, cette distinction ne ferait que s’amplifier si bien qu’un nombre croissant de marchandises seraient ainsi soustraites aux pouvoirs de longue date permettant à l’ASFC d’effectuer des inspections sans qu’un seuil soit imposé. Cette mesure aurait pour effet d’empêcher l’ASFC de s’acquitter de son mandat prévu par la loi, notamment de son rôle visant à permettre au Canada de s’acquitter de ses obligations internationales. [Traduction]

Recommandation no 8 : Élaboration d’un cadre législatif clair

  1. Nous recommandons au législateur de modifier la Loi sur les douanes de manière à définir clairement le cadre législatif pour l’examen des appareils numériques ainsi que des règles précises imposant un seuil plus élevé pour l’examen de ces appareils, conformément aux exigences de la Politique de l’ASFC.
  2. Cette recommandation concorde avec la recommandation no 1 formulée par le Comité ETHI dans son rapport de 2017, qui préconise que « les lignes directrices du bulletin opérationnel de l’Agence des services frontaliers du Canada intitulé Examen des appareils et des supports numériques aux points d’entrée – Lignes directrices soient expressément prévues dans le libellé de la Loi sur les douanes ».
  3. L’ASFC a répondu au Commissariat qu’elle rejetait cette recommandation en expliquant les raisons de ce rejet :

    La technologie et le contexte opérationnel à la frontière évoluent rapidement. Il est donc important que l’ASFC puisse s’adapter et mettre à jour ses politiques afin de suivre le rythme des changements. Les tribunaux ont reconnu que le gouvernement a la latitude voulue pour protéger les droits garantis par la Charte grâce aux pratiques ministérielles. Les modalités utilisées pour assurer cette protection varieront selon le contexte. Puisque la façon dont les ASF effectuent une fouille licite peut contrevenir à la Charte et que de nombreux facteurs entrent en jeu, les orientations stratégiques à l’intention des agents constituent un mécanisme de contrôle adéquat dans le contexte particulier.

Recommandation no 9 : Rehaussement du seuil de manière à exiger des « motifs raisonnables de soupçonner »

  1. Nous avons recommandé de remplacer l’expression « multiplicité d’indicateurs » figurant dans la Politique de l’ASFC par « motifs raisonnables de soupçonner » dans le cas des appareils numériques et de modifier la Loi sur les douanes pour tenir compte de ce seuil plus élevé.
  2. Cette recommandation est pratiquement identique à la recommandation no 2 formulée par le Comité ETHI dans son rapport de 2017, qui préconise que « le seuil de la “multiplicité d’indicateurs” exigé pour l’examen d’appareils électroniques prévu dans le bulletin opérationnel de l’Agence des services frontaliers du Canada intitulé Examen des appareils et des supports numériques aux points d’entrée – Lignes directrices soit remplacé par le seuil défini en droit des “motifs raisonnables de soupçonner” ».
  3. Cette fois encore, l’ASFC a répondu au Commissariat qu’elle rejetait cette recommandation en expliquant les raisons de ce rejet :

    En vertu du mandat que lui confère sa loi habilitante, l’ASFC fournit « des services frontaliers intégrés contribuant à la mise en œuvre des priorités en matière de sécurité nationale et de sécurité publique et facilitant le libre mouvement des personnes et des biens ». Pour s’acquitter de cet aspect de son mandat, elle a principalement recours à l’Examen des marchandises traversant les frontières, ce qui est essentiel pour classer les marchandises, établir leur valeur en douane, percevoir les droits et les taxes, déterminer l’admissibilité des marchandises, assurer la conformité aux lois canadiennes ainsi que détecter la non-conformité et exercer un effet dissuasif à cet égard.

    Les pouvoirs conférés par la Loi sur les douanes permettent l’application de nombreuses lois aux frontières. La nature même du contexte frontalier suppose un manque de connaissances préalables ou de contrôle concernant les marchandises avant leur arrivée à la frontière. En l’absence de connaissances ou d’information préalables, il est parfois impossible d’étayer des soupçons raisonnables à l’égard de marchandises.

    En outre, l’ASFC impose un seuil supérieur à celui que prévoit la loi pour l’examen des appareils numériques. Le Commissariat a d’ailleurs reconnu par le passé que « la politique de l’ASFC pour l’examen des appareils numériques impose un seuil et une exigence de responsabilité plus stricts » que ce qu’elle est tenue de faire. Or, si la loi prévoit un seuil correspondant aux « motifs raisonnables de soupçonner », l’ASFC craint que certaines circonstances n’entrent pas dans la catégorie des motifs raisonnables de soupçonner en dépit d’anomalies observées par les agents. Les ASF n’auraient donc aucun moyen d’atteindre ce seuil.

    Comme nous l’avons mentionné, de plus en plus de documents sont numérisés et les agents de l’ASFC ont tout aussi besoin de consulter ces documents que s’ils fouillaient les bagages du voyageur. Si l’on imposait un seuil d’inspection uniquement pour les documents numériques, les voyageurs cherchant à contourner les interdictions prévues par le Canada concernant les marchandises importées ou bien à se soustraire aux droits ou aux taxes, voire à cacher leur identité, auraient davantage de chances d’y parvenir.

    Enfin, les voyageurs n’ont pas toujours leurs appareils numériques sur eux au moment de traverser la frontière : ils peuvent aussi envoyer ces appareils par la poste ou par messager. En l’absence d’une personne à interroger, il est pratiquement impossible de soupçonner raisonnablement une infraction concernant ces marchandises.

Commentaires

  1. Nous constatons avec satisfaction que l’ASFC a accepté dans une large mesure nos recommandations opérationnelles et qu’elle a rédigé une nouvelle politique exhaustive. Toutefois, nous sommes surpris et déçus que l’ASFC rejette toutes nos recommandations concernant les modifications législatives, d’autant plus que i) le Comité ETHI est arrivé en toute indépendance aux mêmes conclusions dans son rapport de 2017; ii) l’ASFC reconnaît elle-même que l’examen d’appareils numériques devrait faire l’objet d’exigences spéciales étant donné la probabilité que ces appareils contiennent des renseignements personnels sensibles ou qu’ils puissent servir à accéder à de tels renseignements. Une fois de plus, nous soulignons le fait que la législation actuelle a été adoptée à une époque où les appareils numériques et leur incidence sur le stockage et la communication de renseignements personnels n’avaient pas encore été considérés.
  2. Nous constatons aussi que l’ASFC, dans les raisons qu’elle invoque pour rejeter nos recommandations nos 7 et 9, établit des comparaisons entre les documents numériques et les documents papier traditionnels. Selon elle, les modifications législatives rehausseraient le seuil pour l’examen des documents numériques. Toutefois, l’ASFC a elle-même reconnu qu’un seuil plus élevé pour l’examen d’appareils numériques serait approprié compte tenu de l’ampleur des renseignements que ces derniers peuvent contenir. En termes simples, fouiller un appareil numérique n’est pas apparenté à consulter un reçu papier, par exemple, et la politique de l’ASFC tient déjà compte de cette réalité.
  3. En outre, nous ne voyons pas comment la mise en œuvre de nos recommandations empêcherait l’ASFC de consulter les documents de voyage sur support électronique dans le cadre de ses opérations de routine. L’exigence de produire un document de voyage – sous forme électronique ou autre – pour inspection n’exige pas que l’on soumette un appareil et l’entièreté de son contenu à une fouille, et ne serait pas visée par nos recommandations. À notre avis, l’ASFC affirme à tort faire face à des obstacles opérationnels à la réforme législative, obstacles que nie le fait que sa propre politique fait déjà une distinction au sujet des appareils numériques et applique un seuil plus élevé à leur égard.
  4. En ce qui concerne notre recommandation no 8, l’ASFC affirme que les contrôles prévus dans sa politique constituent la meilleure façon d’assurer que les ASF respectent les droits des voyageurs garantis par la Charte. Or, nous estimons que notre enquête a clairement montré que ce n’est pas le cas. Dans les six cas examinés, nous avons constaté que les agents avaient d’une façon quelconque contrevenu aux politiques de l’ASFC, que ce soit en ce qui a trait aux procédures de fouille des appareils numériques ou à la consultation inappropriée de documents.
  5. En outre, comme nous l’avons souligné au paragraphe 86 du présent rapport, l’ASFC a publié en novembre 2017 le bulletin opérationnel PRG-2017-61. Ce bulletin oblige les ASF à déclarer sur une feuille de suivi fournie par le surintendant tous les cas où ils examinent les données stockées sur l’appareil numérique d’un voyageur. Or, l’ASFC n’a pu montrer que les agents s’étaient conformés au nouveau bulletin opérationnel dans un des deux cas visés par notre enquête, où la fouille avait été effectuée après la mise en œuvre de cette politique.
  6. C’est pourquoi nous avons des raisons de douter de l’efficacité des contrôles prévus dans la politique employés seuls. Nous encourageons donc fortement l’ASFC, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et le ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé, à examiner plus en détail les recommandations nos 7 à 9 formulées par le Commissariat. Il s’agit selon nous de réformes nécessaires afin de protéger adéquatement le droit à la vie privée et les droits garantis par la Charte des citoyens canadiens à leur retour de l’étranger.
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