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Document d’orientation pour l’utilisation de caméras corporelles par les organismes d’application de la loi

Février 2015


Introduction

Le présent document d’orientation fait état de certaines facettes de la protection des renseignements personnels que les organismes chargés de voir au respect de la loiNote de bas de page 1 devraient prendre en compte au moment de déterminer s’il y a lieu d’équiper les agents d’exécution de la loi de caméras corporelles. Il décrit également le cadre de protection des renseignements personnels qui devrait faire partie intégrante de tout programme d’utilisation de caméras corporelles mis en place par ces organismes pour assurer la conformité aux lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels. Ce document d’orientation a pour objet d’aider les organismes chargés de voir au respect de la loi à élaborer les politiques et les procédures régissant l’utilisation de ces caméras. Nous y traitons de l’utilisation non dissimulée de caméras corporelles, c’est-à-dire au vu et au su du public. Nous n’abordons pas leur utilisation secrète.

Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a élaboré le présent document d’orientation en collaboration avec les organismes de surveillance de la protection des renseignements personnels de l’Alberta, du Nouveau-Brunswick et du Québec. Nous avons aussi consulté les organismes de surveillance de la protection des renseignements personnels de la Colombie-Britannique, du Manitoba, de Terre-Neuve-et-Labrador, des Territoires du Nord-Ouest, de la Nouvelle-Écosse, du Nunavut, de l’Ontario, de l’Île-du-Prince-Édouard, de la Saskatchewan et du Yukon.

Outre les exigences découlant des lois sur la protection des renseignements personnels, l’utilisation de caméras corporelles peut créer d’autres obligations dont doivent être conscients les organismes chargés de voir au respect de la loi. Ainsi, comme ces caméras permettent d’enregistrer clairement les images et les sons, notamment des conversations, il est possible qu’elles suscitent également des préoccupations au sens de la Charte canadienne des droits et libertés, du Code criminel ou d’autres lois provincialesNote de bas de page 2.Par exemple, on peut se demander si l’utilisation de ces caméras dans un contexte donné pourrait ne pas répondre aux attentes raisonnables du public en matière de droit à la protection des renseignements personnels ou constituer une interception de communications privées, y compris celles ayant lieu dans des endroits fréquentés par le public. Les organismes chargés de voir au respect de la loi doivent aussi être attentifs aux répercussions juridiques connexes en cas d’enregistrement d’images et de sons dans des lieux privés, par exemple à l’intérieur du domicile ou du véhicule des citoyens.

Caméras corporelles et protection des renseignements personnels

Les caméras corporelles sont des enregistreurs conçus pour être portés sur l’uniforme d’un agent d’exécution de la loi, y compris ses lunettes ou son casque. Elles permettent d’obtenir un enregistrement audiovisuel des événements selon le point de vue d’un agent d’exécution de la loi dans l’exercice de ses fonctions. Les images numériques haute résolution permettent de distinguer clairement les individus ainsi que de procéder à des analyses vidéo, par exemple de reconnaissance faciale. Ces caméras sont équipées de microphones, lesquels sont sensibles au point de pouvoir capter non seulement les sons associés à la situation en cours, mais également les sons ambiants et les conversations de gens qui observent ce qui se passe.

La technologie des caméras corporelles est beaucoup plus perfectionnée que celle des premières caméras fixes utilisées au moment de l’adoption à grande échelle des systèmes de caméras en circuit fermé ne captant que l’image, pas le son. À l’époque, plusieurs organismes canadiens de surveillance de la protection des renseignements personnels avaient publié des lignes directrices sur la vidéosurveillance (voir les liens à la fin du document). Les principes de base demeurent inchangés, mais l’environnement est maintenant beaucoup plus complexe. À mesure que les technologies de surveillance évoluent, on recueille dans des situations de plus en plus variées (statiques et mobiles) des quantités toujours plus grandes de renseignements personnels (vidéo et audio), lesquels peuvent être liés à d’autres renseignements personnels (p. ex. données de reconnaissance faciale ou métadonnées). Et s’il est logique que les organismes chargés de voir au respect de la loi souhaitent tirer parti des nouvelles technologies pour faire leur travail, la technologie des caméras corporelles soulève tout de même d’importantes questions quant au droit des individus à la protection des renseignements personnels. À notre avis, en prenant ces facteurs en compte dès le début, il est possible d’atteindre un juste équilibre entre les besoins liés au respect de la loi et le droit à la protection des renseignements personnels des personnes.

Collecte de renseignements personnels au moyen de caméras corporelles

Selon la définition donnée dans les lois canadiennes en la matière, les renseignements personnels sont généralement des renseignements « concernant un individu identifiableNote de bas de page 3 ». La Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels  du Québec spécifie qu’un renseignement personnel est “ tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l'identifier.”

De façon générale, un programme d’utilisation de caméras corporelles vise à enregistrer les interactions des agents d’exécution de la loi avec le public dans l’exercice de leurs fonctions. Ces caméras servent généralement à recueillir des éléments de preuve et à protéger les agents d’exécution de la loi contre les allégations de conduite répréhensible non fondées. Le fait que les caméras conduisent à une plus grande responsabilisation des agents d’exécution de la loi constitue un autre élément important qui milite en leur faveur. Compte tenu de ce contexte et de l’amélioration constante des enregistrements et de la portée des microphones, la plupart des images et des sons captés par les caméras permettront d’identifier des individus. Ces enregistrements qui renferment des renseignements personnels seront par conséquent assujettis aux lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels.

Outre les images et les sons, les caméras corporelles peuvent générer des métadonnées, notamment des données transactionnelles concernant l’utilisateur, l’appareil et les activités qui se déroulent. Les métadonnées peuvent comprendre la date, l’heure, le lieu et la durée de l’enregistrement. Or, lorsqu’elles sont reliées à un individu identifiable, elles constituent un renseignement personnelNote de bas de page 4.

Juste équilibre entre la protection des renseignements personnels et les besoins des organismes chargés de voir au respect de la loi

Différentes raisons peuvent inciter une autorité chargée de voir au respect de la loi à envisager l’utilisation de caméras corporelles. Les autorités peuvent considérer que cette technologie leur procure certains avantages pour assurer le maintien de l’ordre ou dans d’autres activités d’application de la loi. Par exemple, outre le fait que ces caméras sont utilisées pour recueillir des éléments de preuve, elles sont également liéesNote de bas de page 5 à une réduction du nombre de plaintes du public contre les agents d’exécution de la loi et à une baisse du recours à la force par ces derniers. En revanche, les caméras corporelles ont également d’importantes répercussions sur la vie privée qu’il faut mettre en balance avec les avantages prévus. Comme l’a souligné la Cour suprême du CanadaNote de bas de page 6, une personne qui apparaît en public ne renonce pas nécessairement à son droit à la vie privée, dans un monde où les avancées technologiques permettent « d’enregistrer aisément les renseignements personnels, de les diffuser à un auditoire presque illimité et de les conserver indéfiniment ». En outre, comme l’a précisé plus récemment la Cour suprême, le droit à la protection de ses informations personnelles comprend le droit à l’anonymat, qui « permet aux personnes d’avoir des activités publiques tout en préservant la confidentialité de leur identité et en se protégeant contre la surveillanceNote de bas de page 7 ».

L’utilisation de caméras corporelles à l’intérieur d’habitations soulève des questions plus délicates, notamment la probabilité plus élevée que des personnes soient filmées dans des situations hautement personnelles. Avant de mettre en place un programme d’utilisation de caméras corporelles, les organismes chargés de voir au respect de la loi devraient déterminer les pouvoirs que leur confère la loi en ce qui a trait à la collecte de renseignements personnels au moyen des caméras corporelles. De manière générale, en vertu des lois sur la protection des renseignements personnels dans le secteur public, les organismes publics peuvent recueillir uniquement les renseignements nécessaires pour mettre en œuvre les  des programmes et les activités relevant de leur mandat. Les organismes chargés de voir au respect de la loi devraient ensuite déterminer si les avantages anticipés quant à l’adoption de cette technologie l’emportent sur les atteintes à la protection des renseignements personnels qui en résultent. Autrement dit, compte tenu des répercussions de ces caméras sur la vie privée, est-il approprié d’en équiper les agents d’exécution de la loi?

Les organismes de surveillance de la protection des renseignements personnels utilisent un test à quatre critères, qu’ils jugent utile pour déterminer si une mesure proposée peut se justifier malgré l’atteinte à la vie privée des personnes. La question de savoir « ce qu’une personne raisonnable estimerait acceptable dans les circonstances » peut servir de principe de base aux organismes chargés de voir au respect de la loi qui cherchent à établir s’il est justifié d’adopter ces caméras. Pour ce faire, les organismes chargés de voir au respect de la loi devraient s’inspirer du test à quatre critères que nous présentons ici.

Les caméras corporelles doivent répondre à un besoin opérationnel démontrable. Il faut donc déterminer les besoins opérationnels des organismes chargés de voir au respect de la loi auxquels ces caméras sont censées répondre.

Le fait que ces caméras soient considérées comme un outil fort apprécié pour le maintien de l’ordre n’est pas une raison suffisante pour justifier leur adoption. Il faut prouver qu’elles sont nécessaires pour répondre à des besoins opérationnels particuliers dans les régions où elles sont déployées.

Efficacité

Les caméras corporelles sauront-elles répondre efficacement aux besoins opérationnels cernés? Les organismes chargés de voir au respect de la loi devraient être conscients des limites de la technologie. Il est possible que certains éléments d’un incident se situent en dehors du champ de la caméra, que les enregistrements audio soient incomplets en raison de la portée insuffisante ou du bruit de fond, ou encore qu’une erreur humaine nuise à l’utilité des enregistrements ou n’en réduise l’efficacité. Si les enregistrements sont censés servir comme éléments de preuve devant les tribunaux, les organismes chargés de voir au respect de la loi doivent prendre en considération les exigences des tribunaux aux fins d’acceptation des éléments de preuve proprement dits ainsi que les mesures proposées pour la collecte et la conservation de ces éléments.

Proportionnalité

Il ne fait aucun doute que l’enregistrement d’actions et de conversations d’individus au moyen de caméras corporelles constitue une atteinte à la protection des renseignements personnels et à la vie privée des personnes filmées. Par conséquent, cette atteinte doit être réduite autant que possible et compensée par des avantages appréciables et précis. Il est parfois difficile de prévoir les effets d’une nouvelle technologie sur le maintien de l’ordre au jour le jour et sur la collectivité visée. Nous recommandons fortement la mise en œuvre d’un projet pilote, puisqu’il s’agit d’un moyen pratique d’évaluer les répercussions des caméras sur la protection des renseignements personnels et la vie privée par rapport aux avantages en découlant avant de décider de les déployer ou non, et si oui, dans quelle mesure et dans quelles circonstances effectuer ce déploiement.

Autres solutions

Enfin, on doit déterminer si une mesure alternative portant moins atteinte à la vie privée permettrait d’atteindre les mêmes objectifs. Même en présence de bons motifs justifiant  la mise en œuvre d’un programme de caméras corporelles, mais il faut envisager d’autres solutions et vérifier si elles permettent de répondre adéquatement aux besoins opérationnels tout en portant moins atteinte à la vie privée. La solution qui porte le moins atteinte à la vie privée devrait être privilégiée.

Évaluation des facteurs relatifs à la vie privée

Une pratique exemplaire fortement recommandée consiste à effectuer une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) avant d’avoir recours aux caméras corporelles pour mieux cerner les risques d’atteinte à la vie privée d’un programme d’utilisation de caméras corporelles. Cette évaluation peut s’avérer extrêmement utile aux organismes chargés de voir au respect de la loi en les aidant à éliminer ces risques ou à les ramener à un niveau acceptable. Par exemple, au moment de décider d’utiliser ou non des caméras corporelles dans certaines situations, il faudrait prendre en compte certains facteurs supplémentaires, comme le contexte et les sensibilités culturelles. L’EFVP doit contenir un plan de consultation et de mobilisation des collectivités là où les caméras sont déployées.

Les organismes chargés de voir au respect de la loi peuvent aussi solliciter l’aide de spécialistes de la protection des renseignements personnels avant de mettre en œuvre un programme d’utilisation de caméras corporelles. Ces spécialistes pourraient étudier l’utilisation proposée de caméras dans la collectivité pour s’assurer que toute collecte ou utilisation de renseignements personnels se fait de façon à respecter les obligations imposées par les lois sur la protection de ce type de renseignements.

Utilisation secondaire

Il faut également prendre en compte la protection des renseignements personnels des employés. En effet, les caméras permettent de recueillir les renseignements personnels des agents d’exécution de la loi. Or, ces renseignements sont le plus souvent protégés en vertu des lois sur la protection des renseignements personnels dans le secteur public. Au nombre des sujets de préoccupation possibles, mentionnons l’utilisation des enregistrements réalisés au moyen des caméras corporelles aux fins de l’évaluation du rendement des employés. De plus, les employés peuvent jouir de droits à la vie privée au sens d’autres lois en la matière ou de leur convention collective, ce qui pourrait influer sur un programme d’utilisation de caméras corporelles.

Si l’on compte se servir des enregistrements à toute autre fin que celles prévues par le programme d’utilisation de caméras corporelles, par exemple, pour la formation des agents, pour la recherche, ou pour l’évaluation du rendement, ces utilisations secondaires doivent être évaluées afin d’établir si elles sont conformes aux lois, et les employés doivent en être bien informés. De plus, il faudrait établir des critères afin de limiter les répercussions sur la protection des renseignements personnels, par exemple brouiller les visages et toutes les marques permettant d’identifier les personnes, et exclure les enregistrements dont le contenu est sensibleNote de bas de page 8

Projets pilotes

Les facteurs à prendre en compte dans la mise en œuvre d’un programme d’utilisation de caméras corporelles sont complexes, et c’est pourquoi il est recommandé d’effectuer un projet pilote comme première étape avant une pleine mise en oeuvre. Lorsque l’on déploie de nouvelles technologies, il est judicieux de les mettre à l’essai de façon limitée sur le terrain. Si un organisme chargé de voir au respect de la loi estime qu’il est approprié d’adopter les caméras corporelles, la mise en œuvre d’un projet pilote permettra d’évaluer le rendement de ces appareils dans l’environnement réel et de déterminer si cette technologie donne des résultats utiles reflétant l’objectif du programme. Le projet pilote pourrait aussi permettre d’obtenir de l’information utile pour élaborer un cadre stratégique clairement défini et établir les exigences applicables en matière de formation ainsi que la supervision requise.

EFVP en continu

Lorsqu’un programme d’utilisation de caméras corporelles a été mis en place, il est recommandé en tant que pratique exemplaire d’effectuer une nouvelle EFVP chaque fois qu’on souhaite modifier le programme de façon importante. Par modification importante, on entend par exemple la collecte de renseignements personnels supplémentaires, et l’adoption de nouveaux outils d’analyse ou technologies.

Notification du public

Les organismes chargés de voir au respect de la loi doivent faire un effort raisonnable pour indiquer au public que les agents d’exécution de la loi sont équipés de caméras corporelles permettant d’enregistrer les actions et les propos des gens qui interagissent avec eux ou qui se trouvent à proximité. La transparence fait partie intégrante de la capacité des citoyens à exercer leurs droits aux termes des lois sur la protection des renseignements personnels.

Pour bien informer le public sur l’utilisation de caméras corporelles, on peut avoir recours aux médias locaux, à des campagnes dans les médias sociaux et aux sites Web des organismes chargés de voir au respect de la loi. Il faudrait prévenir les citoyens en leur indiquant si on utilise une caméra corporelle, dans quelles circonstances, à quelle fin, en vertu de quelle autorité, qui aura accès aux vidéos et qui ils peuvent contacter pour poser des questions. Dans le cadre de leurs efforts pour bien informer le public, les organismes chargés de voir au respect de la loi devraient songer à informer les personnes filmées qu’elles ont un droit d’accès aux renseignements les concernant conformément aux lois sur l’accès à l’information qui s’appliquent aux enregistrements des caméras corporelles.

La notification est importante également lorsque les agents d’exécution de la loi et le public s’affrontent. Si des agents d’exécution de la loi ne portant pas l’uniforme utilisent une caméra corporelle, le risque est encore plus grand que le public ne soit pas conscient de la possibilité que des enregistrements soient réalisés.

Même si ces caméras sont visibles sur l’uniforme ou les lunettes de l’agent d’exécution de la loi, il est possible que certaines personnes ne les remarquent pas, en particulier dans les situations stressantes. Il se peut également que les individus ne soient pas conscients que la caméra enregistre non seulement les images, mais aussi les sons.

Dans la mesure du possible, les agents d’exécution de la loi devraient être tenus d’aviser les gens qu’ils enregistrent les images et les sons. Les agents d’exécution de la loi pourraient faire une brève déclaration qui serait conforme aux exigences de notification propres aux lois en vigueur dans leur administration. Les agents d’exécution de la loi pourraient aussi arborer une épinglette ou un macaron bien en vue sur leur uniforme, selon les circonstances.

Enregistrement continu ou intermittent

L’une des décisions opérationnelles les plus importantes que doivent prendre les organismes chargés de voir au respect de la loi mettant en œuvre un programme d’utilisation de caméras corporelles consiste à déterminer si les caméras devraient enregistrer en continu ou si les agents d’exécution de la loi devraient avoir la possibilité, ou la responsabilité de mettre en marche et éteindre la caméra – et dans quelles circonstances . Ces choix ont des répercussions importantes sur la protection des renseignements personnels et la vie privée.

Du point de vue de la responsabilisation, enregistrer en continu serait préférable puisqu’on obtient alors un enregistrement intégral des actions d’un agent d’exécution de la loi et ce dernier ne peut être accusé d’avoir trafiqué l’enregistrement à son avantage. Cela dit, du point de vue de la protection des renseignements personnels, il est toujours préférable de ne pas recueillir de renseignements personnels ou d’en recueillir le moins possible. Moins les caméras corporelles sont en fonction longtemps, moins l’on recueillera de renseignements personnels. En limitant le plus possible la quantité de renseignements recueillis, on réduit le risque qu’ils soient utilisés ou communiqués de façon inappropriée ou non prévue. Ces principes s’appliquent tant aux membres du public dont les renseignements personnels sont enregistrés au moyen des caméras corporelles qu’aux agents d’exécution de la loi. À certains moments de la journée de travail d’un agent d’exécution de la loi, la caméra ne captera aucun renseignement pouvant servir comme preuve ou répondant à une autre finalité du programme. C’est le cas lorsque l’agent d’exécution de la loi se trouve seul et qu’il s’acquitte de formalités administratives. En outre, les organismes chargés de voir au respect de la loi sont tenus de respecter la vie privée des agents d’exécution de la loi lorsqu’ils ne sont pas en service ou dans leurs temps libres. En ce qui concerne l’enregistrement du public, les organismes devraient tenir compte des situations qui commandent une plus grande protection des renseignements personnels, par exemple lorsque des agents d’exécution de la loi entrent dans une résidence privée.

En général, il pourrait s’avérer difficiles pour les organismes chargés de voir au respect de la loi de justifier l’enregistrement en continu. Il sera cependant plus facile de justifier le fait d’enregistrer dans le cas d’incidents particuliers ou alors d’exigences opérationnelles bien circonscrites.

Si l’on opte pour l’enregistrement intermittent, il faudrait adopter des critères stricts pour mettre en marche ou éteindre la caméra, y compris pour déterminer si l’agent d’exécution de la loi devrait avoir la latitude voulue pour la mettre en marche ou l’éteindre lui-même, ou si cela devrait se faire à distance.

Les critères établis devraient prendre en compte les libertés fondamentales, les droits de la personne, les sensibilités culturelles et d’autres préoccupations importantes exprimées par les membres de la collectivité visée.

Il faut éviter le plus possible d’enregistrer des passants

Les critères servant à déterminer quand il faut mettre en marche la caméra devraient prendre en compte la nécessité d’enregistrer le moins possible les passants innocents ou les interactions anodines avec le public. Force est de reconnaître qu’il pourrait être impossible d’éliminer complètement la saisie d’images et de propos des passants et d’autres individus non ciblés. Dans le cas des enregistrements qui ne sont pas utilisés dans le cadre d’une enquête (c’est-à-dire les enregistrements non marqués), l’établissement et le respect de périodes de conservation limitées et appropriées, et la limitation de l’accès et de la visualisation selon le principe du besoin de savoir atténueraient les répercussions sur la protection des renseignements personnels et sur la vie privée.

En ce qui a trait aux enregistrements marqués pour servir de preuve ou à toute autre fin prévue antérieurement, on devrait recourir à des moyens techniques pour atténuer le risque d’atteinte à la protection des renseignements personnels et à la vie privée. Compte tenu des règles de preuve, et en particulier de la jurisprudence concernant la fiabilité de la preuve, on dépersonnalisera les images des passants et des autres individus non ciblés, par exemple en brouillant les visages et en déformant le son dans la mesure du possible.

Si l’on communique des images ou du son au public dans le but d’identifier un individu, il faudrait brouiller le visage des autres personnes sur l’image, tout en prenant des mesures pour préserver l’intégrité et la fiabilité de l’enregistrement en tant qu’élément de preuve.

Protection, conservation, destruction et stockage appropriés des enregistrements des caméras corporelles

Conformément aux lois sur la protection des renseignements personnels, les organismes chargés de voir au respect de la loi sont tenus de protéger les renseignements personnels contre la consultation, l’utilisation, la communication, la copie, la modification ou la destruction non autorisées ainsi que contre la perte et le vol. Des mesures raisonnables s’imposent pour protéger ces enregistrements, par exemple :

  • chiffrer les enregistrements et les stocker sur un serveur sécurisé;
  • limiter l’accès aux enregistrements selon le principe du besoin de savoir;
  • s’assurer que les enregistrements vidéo et audio sont à l’épreuve de la falsification;
  • mettre en place une piste de vérification pour donner l’assurance que les enregistrements n’ont pas été modifiés ou consultés sans autorisation.

Les organismes chargés de voir au respect de la loi qui comptent stocker les enregistrements des caméras corporelles dans le nuage informatique doivent songer aux préoccupations qui peuvent surgir en matière de sécurité ainsi qu’aux contraintes juridiques en vigueur dans leur région. Par exemple, les lois sur la protection des renseignements personnels de la Colombie-Britannique et de la Nouvelle-Écosse (respectivement, Freedom of Information and Protection of Privacy Act,et Personal Information International Disclosure Protection Act) pourraient interdire aux organismes publics de stocker des renseignements personnels à l’extérieur du Canada ou imposer certaines conditions pour leur conservation à l’extérieur de la province (selon la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels applicable au Québec.).

En raison des répercussions appréciables des caméras corporelles sur la protection des renseignements personnels et la vie privée, il faudrait établir des périodes de conservation clairement définies en fonction des exigences de toutes les lois applicables. La détermination et le respect de ces périodes limiteront les risques de communication inappropriée ou de mauvaise utilisation de renseignements, y compris la possibilité que des individus soient surveillés sans motif raisonnable ou cause probable.

Les politiques en matière de conservation des enregistrements marqués, y compris ceux destinés à servir comme preuve, devraient être compatibles avec les lois applicables, par exemple la Loi sur la preuve au Canada et la loi applicable régissant les services policiers. Au sens des lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels, les renseignements personnels utilisés pour prendre une décision touchant un individu doivent être conservés pendant une période suffisante pour donner à l’intéressé une possibilité raisonnable de les consulter et de contester leur exactitude. La période de conservation des enregistrements qui n’ont pas été identifiés comme pertinents à une enquête ou à d’éventuelles poursuites judiciaires devrait être aussi courte que possible.

À l’expiration de la période de conservation, on devrait détruire les enregistrements en toute sécurité conformément aux politiquesNote de bas de page 9 et aux règlements applicables.

Il est important que des systèmes soient en place pour assurer le respect des politiques en matière de protection, de conservation et de destruction des enregistrements.

Utilisation de l’analyse vidéo

Si l’on envisage d’utiliser l’analyse vidéo de concert avec des caméras corporelles, il faudrait bien évaluer la raison d’être à l’origine du programme. Grâce aux avancées technologiques, nous sommes de plus en plus en mesure de chercher et d’analyser des images numériques au moyen de techniques toujours plus perfectionnées. Il est possible d’explorer les bases de données d’images numériques pour y trouver de l’information sur des personnes en particulier ou des activités précises. Des individus auparavant anonymes peuvent être identifiés et pris en filature.

Des technologies telles que la reconnaissance des plaques d’immatriculation ou des formes et la reconnaissance faciale peuvent servir à identifier et à prendre en filature des individus et compiler des dossiers sur eux. L’utilisation par les organismes chargés de voir au respect de la loi de la technologie de l’analyse vidéo soulève d’autres questions reliées à la protection des renseignements personnels qui doivent être analysées attentivement, ce qui dépasse le cadre de ce guide.

Pour le moment, nous constatons simplement que si l’on parvient à justifier l’emploi de l’analyse vidéo dans le cadre des lois sur la protection des renseignements personnels, on devra gérer avec soin la capacité d’analyse des enregistrements pour s’en tenir aux finalités documentées du programme d’utilisation de caméras corporelles. L’intégration des enregistrements et de l’analyse vidéo ou audio devrait être envisagée uniquement au cas par cas et dans des situations très limitées à déterminer par le dirigeant de l’autorité chargée de voir au respect de la loi, et sous réserve d’une nouvelle EFVP, au besoin.

Consultation par les individus

En vertu des lois fédérales, provinciales et territoriales sur la protection des renseignements personnels, les citoyens ont le droit de consulter les renseignements personnels les concernant, y compris ceux contenus dans des enregistrements audio ou vidéo réalisés au moyen de caméras corporelles. Ce droit est assujetti à des exceptions précises, par exemple l’application de la loi ou une enquêteNote de bas de page 10. En vertu des lois sur l’accès à l’information, les personnes ont le droit de demander à avoir accès à leurs renseignements personnels détenus par des organismes publics. Les organismes chargés de voir au respect de la loi devraient établir une procédure pour répondre aux demandes de consultation des renseignements personnels contenus dans ces enregistrements. En permettant aux citoyens de consulter leurs renseignements personnels, ils doivent s’assurer que les renseignements personnels de toute autre personne, par exemple son image ou sa voix, sont protégés dans la mesure du possible.

Documentation des politiques et des procédures

Dans le cadre de tout programme d’utilisation de caméras corporelles, les organismes chargés de voir au respect de la loi devraient consigner par écrit les politiques et les procédures énonçant clairement les objectifs du programme et définissant les règles qui le régissent. Ces politiques et procédures devraient prévoir les éléments suivants.

Gouvernance et responsabilisation

  • La raison d’être du déploiement des caméras corporelles, y compris les objectifs du programme et les besoins opérationnels.
  • Les autorisations législatives s’appliquant à la collecte de renseignements personnels dans le cadre du programme.
  • Les rôles et responsabilités des employés relativement aux caméras corporelles et aux enregistrements connexes.
  • Les critères établis pour déterminer, le cas échéant, quels contextes justifient l’enregistrement continu ou le fait de mettre en marche et d’éteindre les caméras corporelles.
  • Un guide opérationnel et une formation pour les employés afin de s’assurer que les agents d’exécution de la loi comprennent les répercussions des caméras corporelles sur la protection des renseignements personnels et sur la vie privée et sont conscients des responsabilités qui leur incombent en vertu des politiques et des procédures régissant l’utilisation de ces caméras.
  • La protection des renseignements personnels des employés enregistrés au moyen des caméras corporelles.
  • L’attribution de la responsabilité d’assurer la conformité aux politiques et aux procédures régissant l’utilisation des caméras corporelles, étant entendu que la responsabilisation au plus haut niveau incombe au dirigeant de l’organisation.
  • Les conséquences du non-respect des politiques et des procédures.
  • Le droit de recours des individus. Les individus devraient être informés qu’ils ont le droit de porter plainte auprès de l’organisme de surveillance de la protection des renseignements personnels au sein de l’organisme chargé de voir au respect de la loi au sujet de la gestion d’un enregistrement contenant des renseignements personnels pour déterminer s’il y a eu infraction à la loi.
  • L’exigence selon laquelle tout contrat conclu entre un organisme chargé de voir au respect de la loi et un tiers fournisseur de services doit préciser que l’autorité gardera le contrôle des enregistrements et que ceux-ci seront assujettis aux lois applicables sur la protection des renseignements personnels.
  • Une disposition prévoyant des vérifications internes périodiques du programme d’utilisation de caméras corporelles pour assurer la conformité à la politique, aux procédures et aux lois sur la protection des renseignements personnels. Les vérificateurs devraient déterminer si la surveillance exercée au moyen des caméras corporelles demeure justifiée à la lumière des objectifs énoncés du programme.
  • Dans les administrations dotées d’une politique sur les EFVP, une disposition qui prévoit une EFVP chaque fois que le programme est modifié de manière importante. 
  • Le nom et les coordonnées d’une personne qui peut répondre aux questions du public.

Utilisation et communication d’enregistrements

  • Les situations dans lesquelles on peut visionner les enregistrements selon le principe du besoin de savoir. En l’absence de soupçon d’acte criminel ou d’allégation de conduite répréhensible, personne ne devrait visionner les enregistrements.
  • Les fins pour lesquelles les enregistrements peuvent être utilisés et tout critère ou circonstance en limitant l’usage, par exemple le retrait de tout contenu délicat dans des enregistrements devant servir à la formation.
  • Les limites applicables à l’utilisation de l’analyse vidéo et audio.
  • Les situations dans lesquelles les enregistrements peuvent être diffusés publiquement, le cas échéant, et les paramètres qui s’appliquent à cette diffusion, par exemple l’obligation de brouiller les visages et de déformer les voix dans la mesure du possible.
  • Les situations dans lesquelles les enregistrements peuvent être communiqués à des tiers, par exemple d’autres organismes gouvernementaux pour les besoins d’une enquête en cours ou des procureurs pour la divulgation de la preuve devant le tribunal.

Mesures de sécurité et intervention en cas d’atteinte à la vie privée

  • Les mesures de sécurité prises pour éviter que des gens consultent les enregistrements sans autorisation ou qu’ils les modifient.
  • Un mécanisme pour intervenir en cas d’atteinte à la protection des renseignements personnels lorsque des renseignements personnels sont consultés sans autorisation ou communiqués en contravention des lois sur leur protection.

Accès aux enregistrements par les individus

  • Une procédure permettant de répondre aux demandes d’accèsNote de bas de page 11 aux enregistrements, y compris les demandes d’individus qui veulent avoir accès à leurs renseignements personnels et les demandes faites en vertu des lois sur l’accès à l’information, de même que les demandes de personnes qui veulent faire corriger leurs renseignements personnels. Cette procédure devrait comprendre le nom et les coordonnées de la personne à qui l’on doit adresser les demandes d’accès aux renseignements personnels.

Conservation et destruction des enregistrements

  • Les périodes de conservation des enregistrements et les dispositions relatives à leur retrait.

Ces politiques et procédures devraient être mises à la disposition du public pour promouvoir la transparence et la responsabilisation. Pour assurer le respect du droit des individus à la protection de leurs renseignements personnels et de leur vie privée, on doit montrer aux citoyens qu’il existe des politiques et des procédures et que les agents d’exécution de la loi sont tenus de s’y conformer. La documentation devrait également montrer que l’on a consulté et mobilisé la collectivité, et que l’on tient compte des sensibilités culturelles.

Conclusion

En plus d’enregistrer les actions et les propos des individus, les caméras corporelles montrent leurs interactions avec d’autres personnes qui se trouvent dans leur champ, y compris les parents et amis, les passants, les victimes et les suspects. L’enregistrement d’individus au moyen d’une caméra personnelle présente un risque important d’atteinte à la protection des renseignements personnels et à la vie privée. Les organismes chargés de voir au respect de la loi doivent s’efforcer de limiter le recours aux caméras corporelles à un usage qui respecte et protège le droit du public et des employés à la protection de leurs renseignements personnels et de leur vie privée.

Références

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Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée de Terre-Neuve-et-Labrador. Guidelines for Video Surveillance by Public Bodies in Newfoundland and Labrador, mai 2005.

Commissariat à l'information et à la protection de la vie privée du Yukon. Guidance for Public Bodies on the Use of Video Surveillance, 2014.

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Supports de substitution

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