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Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.), infirmé en partie par 2002 CSC 75

Juin 2014

Résumé : La disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels exigeant la tenue d’une audience à huis clos lorsque certaines exceptions sont revendiquées est inconstitutionnelle. Divers autres motifs invoqués au soutien du refus de communiquer des renseignements ont été retenus.

Faits : L’appelant, un avocat, a demandé la communication de renseignements personnels détenus par le SCRS, la GRC et le ministère des Affaires étrangères. Ces demandes ont été traitées séparément par chacune des institutions fédérales.

Demande adressée au SCRS

Le SCRS a refusé de confirmer ou de nier l’existence des documents, mais a indiqué que, à supposer que de tels documents existent, ils étaient visés par les exceptions prévues aux articles 19 (renseignements obtenus à titre confidentiel d’un autre gouvernement), 21 (affaires internationales et défense), 22 (préjudice aux activités d’enquête) et 26 (renseignements concernant un autre individu) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le commissaire à la protection de la vie privée ayant conclu que certaines de ces objections étaient infondées, le SCRS a communiqué quelques documents. La Cour fédérale a souscrit à cette conclusion et a conclu d’autre part que l’article 51 de la Loi, en vertu duquel les allégations fondées sur les articles 19 ou 21 de la Loi nécessitaient une audition ex parte à huis clos – était constitutionnel.

Demande adressée à la GRC

La GRC a initialement refusé de communiquer de nombreux renseignements en se fondant sur les articles 22 et 27 (secret professionnel des avocats) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le commissaire à la protection de la vie privée a confirmé cette décision. L’appelant ayant présenté une demande devant la Cour fédérale, la GRC a décidé de rendre publics certains documents. Au moment où la Cour devait instruire l’affaire, un seul document restait litigieux : une lettre concernant de possibles enquêtes. La Cour a conclu que la GRC pouvait à bon droit refuser de la divulguer.

Demande adressée au ministère des Affaires étrangères

Le ministère des Affaires étrangères a refusé de confirmer ou de nier l’existence des documents aux termes de l’article 16 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais a indiqué que, à supposer que de tels documents existent, ils étaient visés par l’exception prévue à l’article 22 de la Loi. Le commissaire à la protection de la vie privée a souscrit à cette conclusion, tout comme la Cour fédérale.

L’appelant a fait appel de toutes ces décisions devant la Cour d’appel fédérale.

Décision de la Cour d’appel fédérale : La Cour d’appel fédérale a infirmé en partie la décision de la juridiction inférieure.

La Cour d’appel a conclu qu’une institution fédérale pouvait refuser de reconnaître l’existence de renseignements personnels en vertu d’une politique générale plutôt que d’une analyse au cas par cas. Aucun des ministères gouvernementaux n’a commis d’erreur en agissant de la sorte.

S’agissant de l’article 19, la Cour d’appel a conclu que le SCRS devait faire des efforts raisonnables pour obtenir le consentement de l’autre gouvernement avant de refuser la communication. Le SCRS a ultérieurement demandé l’autorisation requise – laquelle lui a été refusée – et la Cour fédérale a confirmé cette décision dans une affaire plus récente (Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 595).

S’agissant des renseignements personnels concernant d’autres individus, la Cour d’appel a conclu que le SCRS devait considérer la possibilité d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 8(2)m) de communiquer les renseignements demandés dans l’intérêt du public. La Cour d’appel a renvoyé l’affaire au SCRS, et celui-ci a déterminé que l’intérêt public ne justifiait pas la communication, décision confirmée par le jugement subséquent de la Cour fédérale ci-haut mentionné.

Pour ce qui est du document de la GRC, la Cour d’appel a noté que l’appel était devenu théorique : l’exception prévue à l’alinéa 22(1)a) concernant les renseignements obtenus ou préparés par un « organisme d’enquête » déterminé par règlement n’est valable que pendant 20 ans, et le dossier en cause était vieux de 20 ans au moment où l’appel était instruit.

Enfin, la Cour d’appel a conclu que la juridiction inférieure avait commis une erreur en n’examinant pas explicitement la décision du ministère des Affaires étrangères fondée sur l’alinéa 22(1)a) de la Loi, et en ordonnant le renvoi de l’affaire pour réexamen. La Cour d’appel a également conclu que l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) ne s’appliquait qu’aux enquêtes en cours. Lorsque l’affaire lui a été renvoyée, la Cour fédérale a finalement statué que le ministère pouvait invoquer l’alinéa 22(1)a) dans la décision de 2004 susmentionnée.

Décision de la Cour suprême du Canada : La Cour suprême du Canada a été saisie de l’affaire, mais au regard de deux enjeux seulement : la validité constitutionnelle de l’audience à huis clos, et la question de savoir si l’alinéa 22(1)b) s’appliquait aux enquêtes actuelles ou à venir.

En ce qui a trait à la question constitutionnelle, la Cour suprême du Canada a conclu que les auditions à huis clos violaient l’alinéa 2b) de la Charte puisqu’elles étaient contraires au principe de la publicité des débats en justice qui procède de la liberté d’expression. La Cour a également estimé que cette violation ne se justifiait pas au regard de l’article premier de la Charte, puisqu’en exigeant que l’audience tenue par la Cour se déroule entièrement à huis clos, la disposition concernée avait une portée excessive. La Cour suprême a donc conclu que l’alinéa 51(2)a), qui prévoit la tenue d’auditions à huis clos, recevrait une interprétation atténuante si bien que seule la partie de l’audience concernant la preuve ex parte et les observations soumises au titre du paragraphe 51(3) de la Loi – c’est-à-dire les éléments de preuve et les observations présentés à la Cour à titre confidentiel, en l’absence de l’autre partie – se déroulerait à huis clos. Cette scission de l’audience suffit à prévenir la divulgation accidentelle de renseignements secrets.

Quant à la question de l’alinéa 22(1)b), la Cour suprême a confirmé la décision qu’elle avait rendue dans l’arrêt Lavigne c. Canada (Bureau du commissaire aux langues officielles) : cette disposition s’applique non seulement aux enquêtes en cours, mais aussi aux enquêtes à venir.

Principes :

  1. L’obligation de huis clos devant la Cour fédérale ne s’applique qu’à la présentation d’arguments ex parte aux termes du paragraphe 51(3) de la Loi. Le reste de l’audience se déroule publiquement.
  2. Les institutions fédérales doivent demander aux États étrangers ou aux autres gouvernements l’autorisation de communiquer un document (en procédant au cas par cas ou selon la politique en vigueur) avant de refuser de le communiquer en vertu de l’article 19 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
  3. Les institutions fédérales doivent considérer la possibilité de communiquer des renseignements concernant d’autres individus dans l’intérêt du public au titre de l’alinéa 8(2)m) de la Loi, avant de refuser de les communiquer.
  4. L’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) s’applique lorsque la communication de renseignements est susceptible de nuire à des enquêtes futures et non pas seulement à des enquêtes en cours.
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