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Bernard c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 13

Juin 2014

Résumé : La Loi sur la protection des renseignements personnels n’interdit pas la communication des adresses postales et des numéros de téléphone à domicile des employés à l’unité de négociation, pourvu que certaines mesures soient mises en place pour protéger la sécurité de ces renseignements.

Faits : L’appelante, une employée de l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), est représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (« IPFPC »), bien qu’elle n’en soit pas membre. Il s’agit d’une « employée assujettie à la formule Rand » : elle verse des cotisations à un syndicat qui la représente mais dont elle n’est pas membre. En 2007, l’IPFPC a déposé auprès de la Commission sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») une plainte selon laquelle le refus de l’ARC de lui fournir les coordonnées résidentielles des membres de l’unité de négociation portait atteinte à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Commission a accueilli la plainte et a ordonné aux parties d’essayer de s’entendre sur la nature des renseignements personnels à communiquer à l’IPFPC. Il a finalement été convenu que l’ARC communiquerait trimestriellement les adresses postales et numéros de téléphone des membres de l’unité de négociation. L’IPFPC a accepté de se soumettre à trois conditions destinées à accroître le respect de la vie privée : 1) il ne se servirait des coordonnées résidentielles qu’aux fins légitimes prévues par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, c’est-à-dire pour remplir ses obligations en matière de représentation; 2) il ne divulguerait les renseignements qu’aux représentants chargés de s’acquitter desdites obligations; 3) il s’engagerait à respecter les principes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Politique sur la sécurité du gouvernement. La Commission a intégré cet accord à une ordonnance.

La demanderesse a été informée de cette ordonnance et l’a contestée par voie de contrôle judiciaire. La Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission a commis une erreur en entérinant simplement l’accord sans considérer ses répercussions sur la vie privée, et lui a ordonné de réexaminer sa décision – en permettant cette fois à la demanderesse et au commissaire à la protection de la vie privée d’intervenir. Après réexamen, la Commission a confirmé sa décision initiale, en y ajoutant trois mesures additionnelles de protection de la vie privée : 1) les coordonnées résidentielles doivent être protégées par un mot de passe ou être chiffrées; 2) l’ARC doit aviser les employés, dès qu’ils sont nommés à leur poste, que leurs coordonnées résidentielles seront communiquées à l’IPFPC; 3) l’IPFPC doit se débarrasser des coordonnées résidentielles désuètes lorsque l’ARC lui fournit des renseignements à jour. La demanderesse a contesté sans succès la deuxième décision de la Commission devant la Cour d’appel fédérale.

Résultat : La Cour suprême du Canada a confirmé la décision de la Commission.

Décision : La Cour suprême du Canada a estimé que les syndicats devaient disposer d’un moyen efficace de contacter les employés pour s’acquitter de leurs obligations de représentation, et qu’ils devaient être sur un pied d’égalité avec l’employeur quant aux renseignements pertinents relatifs à la relation de négociation collective. Il ne peut être satisfait au besoin du syndicat de pouvoir communiquer avec les employés sur le même pied que l’employeur que s’il lui est permis d’utiliser les coordonnées résidentielles des employés qu’il représente pour les contacter; à cet égard, les coordonnées des employés au travail sont insuffisantes puisqu’elles peuvent être contrôlées par l’employeur.

La principale question soulevée au regard de la Loi sur la protection des renseignements personnels concernait la conclusion de la Commission selon laquelle la divulgation des renseignements personnels d’un employé à son syndicat était autorisée par l’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels – disposition qui permet la divulgation pour « les usages […] compatibles avec » les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis par l’institution. La Cour suprême du Canada a conclu qu’aux termes de l’alinéa 8(2)a), il doit exister un lien suffisamment direct entre l’objet initial et l’usage projeté, de manière à ce qu’il soit raisonnable que l’employé s’attende à ce que les renseignements soient utilisés de la manière proposée. La Cour a conclu que les employeurs recueillent les coordonnées résidentielles de leurs employés notamment pour être en mesure de les contacter au sujet des conditions de leur emploi, que l’usage projeté par le syndicat était compatible avec cette fin, et que ces coordonnées lui étaient nécessaires pour remplir « rapidement et efficacement » ses obligations de représentation.

L’appelante a soulevé un argument lié à la Charte, et allégué que l’ordonnance de la Commission portait atteinte à sa liberté d’association. La Cour suprême du Canada, à la majorité, a conclu que la Commission avait eu raison de refuser d’examiner cet argument compte tenu de la portée restreinte de l’ordonnance par laquelle la Cour d’appel fédérale lui a renvoyé l’affaire. Une minorité de juges a conclu que la Commission aurait dû traiter cette question. Les juges majoritaires et minoritaires ont tous estimé cependant que cet argument de l’appelante était infondé. La Cour a confirmé dans des décisions précédentes que la formule Rand ne portait pas atteinte à la liberté d’association; les conséquences de cette formule (par exemple, d’avoir à fournir des renseignements personnels à un syndicat) n’enfreignent donc pas non plus la Charte.

Principes :

  1. Les renseignements peuvent être communiqués au titre de l’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels lorsqu’il existe un lien suffisamment direct entre les fins auxquelles ils ont été recueillis et leur usage projeté, de sorte qu’il serait raisonnable que l’employé s’attende à ce qu’ils soient utilisés de la manière proposée.
  2. L’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels autorise l’employeur à fournir les coordonnées résidentielles d’un employé au syndicat qui le représente.
  3. Avant de fournir des coordonnées résidentielles au syndicat, l’employeur doit s’assurer que les six mesures de protection suivantes sont mises en place :
    • le syndicat ne peut se servir des coordonnées résidentielles que pour remplir ses obligations de représentation;
    • le syndicat ne peut communiquer les renseignements qu’aux représentants chargés de s’acquitter desdites obligations;
    • le syndicat doit s’engager à respecter les principes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les politiques internes de l’employeur en matière de respect de la vie privée;
    • les coordonnées résidentielles doivent être protégées par un mot de passe ou être chiffrées;
    • l’employeur doit aviser les employés, dès qu’ils sont nommés à leur poste, que leurs coordonnées résidentielles seront communiquées à leur syndicat;
    • le syndicat doit se débarrasser des coordonnées résidentielles désuètes lorsque l’employeur lui fournit des renseignements à jour.
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