Attaran c. Canada (Défense nationale), 2011 CF 664
Juin 2014
Résumé : L’institution fédérale doit expurger les documents afin de s’assurer, avec un niveau élevé de certitude, de ne pas communiquer de renseignements personnels. Dans cette affaire, les photographies du visage de certains individus ne pouvaient pas être caviardées (au moyen d’une ligne noire sur les yeux ou autrement) pour veiller à ce que les individus ne puissent être identifiés. L’institution fédérale a donc eu raison de noircir tout le visage.
Faits : Le professeur Attaran a présenté une demande d’accès à l’information au ministère de la Défense nationale (le MDN) en vue d’obtenir des renseignements sur les détenus que les Forces canadiennes avaient transférés au ministère de la Défense de l’Afghanistan. Le MDN a refusé de communiquer certains renseignements, notamment des photographies du visage des détenus — particulièrement, celles de trois détenus dont le dossier médical indiquait qu’ils avaient subi des blessures au visage alors qu’ils étaient en captivité. Le professeur Attaran avait présenté une demande semblable au Service correctionnel du Canada (le SCC) qui lui avait fourni des photographies de personnes dont le visage avait été partiellement noirci. Le professeur Attaran a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information qui a souscrit à la décision du MDN de ne pas communiquer les photographies. Il a ensuite saisi la Cour fédérale de l’affaire.
Résultat : La Cour fédérale a confirmé la décision du MDN de refuser de communiquer les photographies.
Décision : Toutes les parties se sont entendues pour dire que les photographies sont des « renseignements personnels » sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les principales questions en litige consistaient à savoir si les photographies pouvaient être communiquées dans une forme caviardée et si elles devraient être communiquées parce que des raisons d’intérêt public justifiaient une violation du droit à la vie privée des personnes visées.
S’agissant du caviardage, la Cour fédérale n’a pas souscrit à l’argument du professeur Attaran selon lequel le critère applicable au caviardage est celui de la simple probabilité de communication. La Cour a conclu que le caviardage est un exercice qui exige « un niveau élevé de certitude » qui « ne doit laisser place ni à l’erreur ni au risque que l’identité de la personne soit divulguée » et qu’une prudence extrême est justifiée — particulièrement dans les circonstances de cette affaire, parce que l’identification des détenus exposerait leurs familles à un risque de représailles en Afghanistan. Le caviardage n’est pas un exercice de pondération entre le droit à la protection de la vie privée et la communication.
La Cour a reproché au SCC d’avoir communiqué les photographies caviardées de certains détenus, affirmant que l’application d’une petite ligne noire sur les yeux des personnes photographiées laissait « plusieurs traits distinctifs et reconnaissables du visage ». Ces tentatives de caviardage démontrent que caviarder des photographies n’est pas une opération aussi simple qu’elle peut le paraître.
Enfin, le professeur Attaran a fait valoir que des raisons d’intérêt public justifiaient une violation du droit à la protection de la vie privée dans cette affaire et qu’en conséquence, il y avait lieu de communiquer les renseignements en vertu de l’al. 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour a conclu à l’existence d’un risque véritable que la communication de l’identité de ces détenus puisse les mettre, eux ou leur famille, en danger parce qu’ils pourraient être soupçonnés de collaboration. En outre, aucune raison d’intérêt public ne justifiait la communication parce que le MDN avait communiqué des rapports médicaux dans lesquels l’étendue des blessures au visage a été décrite. Les photographies elles-mêmes n’auraient pas été utiles pour apprécier la conduite des Forces canadiennes ou des responsables. Elles ne représentaient pas non plus « des prisonniers victimes d’abus systématiques ou de traitements dégradants ». Dans ce contexte, le droit à la protection de la vie privée des personnes visées l’emportait sur les raisons d’intérêt public de communiquer les renseignements.
Principes :
- La photographie d’une personne constitue un renseignement personnel qui la concerne.
- Lorsque l’institution fédérale caviarde un document avant de le communiquer, elle doit faire preuve de prudence pour garantir qu’elle ne communique pas des renseignements personnels par inadvertance. L’institution fédérale doit s’assurer de la présence d’un « niveau élevé de certitude » qu’elle ne communiquera pas des renseignements personnels.
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