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Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403

Juin 2014

Résumé : Il s’agit de l’arrêt de principe en droit canadien sur la démarche à adopter pour interpréter la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information, notamment l’expression « renseignements personnels » que l’on trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette expression devrait être interprétée d’une manière libérale afin de protéger la vie privée des particuliers relativement aux renseignements personnels les concernant. Malgré cette interprétation large donnée à l’expression « renseignements personnels », les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont tranché que, dans l’affaire en cause, les noms des fonctionnaires figurant sur une feuille de présence devaient être communiqués parce que l’information concernant leurs heures de travail avait trait aux conditions liées à leurs postes et était donc exclue de la définition de « renseignements personnels » aux fins de la demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Faits : Cette affaire portait sur une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information visant à obtenir des copies des feuilles de présence que des employés avaient signées à leur arrivée et à leur départ de leur lieu de travail au ministère des Finances pendant certaines fins de semaine au cours du mois de septembre 1990. Le ministre des Finances avait communiqué les feuilles de présence, après y avoir cependant supprimé les noms, numéro d’identification et signature des employés pour le motif que ces renseignements constituaient des « renseignements personnels » qui étaient ainsi exemptés de communication. Le commissaire à l’information a confirmé la décision du ministre. L’auteur de la demande a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire. La Cour fédérale a conclu que les noms visés ne constituaient pas des renseignements personnels et qu’ils devraient être communiqués. Lors de l’appel interjeté par le ministre, la Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision et a ordonné que les noms en question ne soient pas communiqués.

Issue : Les neuf juges de la Cour suprême du Canada se sont entendus sur les principes généraux d’interprétation de l’expression « renseignements personnels » figurant dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les juges étaient toutefois partagés sur la question de savoir si les feuilles de présence relevaient de l’exception concernant les renseignements personnels prévue à l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels parce que ces documents portaient sur les « attributions [du] poste » occupé par un employé d’une institution fédérale. Cinq juges ont répondu par l’affirmative (et ont conclu que les feuilles de présence devaient être communiquées), alors que les quatre autres juges ont répondu par la négative.

Décision : Comme il a déjà été mentionné, il s’agit de l’arrêt de principe sur l’interprétation de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Voici certains des principes qui y sont formulés :

  • La Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels font partie d’un « code homogène » et doivent être interprétées ensemble.
  • Les deux lois reconnaissent que, « dans la mesure où il est visé par la définition de “renseignements personnels” contenue à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information ».
  • La protection de la vie privée est une valeur fondamentale au Canada, digne d’être protégée par la Constitution. La Loi sur la protection des renseignements personnels protège l’un des aspects relatifs au droit à la vie privée des Canadiens, soit le droit à la vie privée en matière d’information. Cet aspect se définit comme le droit du particulier de déterminer lui même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements personnels le concernant.

La Cour a ensuite traité de l’interprétation de l’expression « renseignements personnels » au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Suivant l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, « renseignements personnels » s’entend des « renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment […] »; cette disposition donne ensuite plusieurs exemples. La Cour a fait observer que cette phraséologie indique que la disposition liminaire générale doit servir de principale source d’interprétation et que l’énumération subséquente ne fait que donner des exemples du genre de sujets visés par la définition générale. En conséquence, si un document est visé par cette disposition liminaire, il importe peu qu’il ne relève d’aucun des exemples donnés. L’interprétation de l’expression « renseignements personnels » est donc très large et vise « tout renseignement sur une personne donnée ».

Au vu des faits de la présente affaire, les renseignements demandés révélaient les heures pendant lesquelles des employés se trouvaient à leur lieu de travail pendant la fin de semaine. Même la communication des noms de ces employés à elle seule permettrait de divulguer des renseignements concernant ces personnes. Il s’agissait de « renseignements […] concernant un individu identifiable », relevant donc de la définition de « renseignements personnels » figurant dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.

La Cour s’est ensuite penchée sur la question de savoir si les feuilles de présence relevaient de l’une des exceptions prévues dans la définition de « renseignements personnels » à l’al. 3j), et s’est demandée si les renseignements visés portaient sur « le poste ou les fonctions » d’un cadre ou d’un employé de l’État. La Cour a estimé à l’unanimité qu’il incombait à l’administration fédérale d’établir que le document visé ne relevait pas de l’une des exclusions de la définition de « renseignements personnels », notamment de celle prévue à l’al. 3j). La Cour a également estimé que les noms figurant sur les feuilles de présence ne se rapportaient pas au « nom [d’un individu] lorsque celui ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi » au sens du sous al. 3j)(iv) de la Loi sur la protection des renseignements personnels : ces feuilles ne sont pas « établies » par les employés en question « au cours de [leur] emploi », mais plutôt pour avoir accès à l’immeuble. Si la Cour a convenu de ces principes généraux d’interprétation, elle a été partagée sur la question de savoir si les feuilles de présence comprenaient des renseignements concernant la nature d’un poste en particulier. Les juges majoritaires ont conclu que les heures passées au travail constituent des renseignements généraux qui portent sur le poste ou les fonctions de l’individu, alors que le nombre d’heures travaillées a trait aux « attributions » de son poste. Les noms figurant sur les feuilles de présence relevaient donc de la disposition liminaire de l’exception prévue à l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou, subsidiairement, de l’exception plus précise prévue au sous al. 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Enfin, la Cour a examiné le pouvoir discrétionnaire du ministre prévu au sous al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels lui permettant de communiquer des renseignements personnels lorsque des raisons d’intérêt public justifient une violation de la vie privée. La Cour a estimé à l’unanimité qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, ce qui signifie que la Cour n’interviendra pas si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé de bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé.

Principes :

  1. La Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels font partie d’un « code homogène » et doivent être interprétées ensemble.
  2. La protection des renseignements personnels l’emporte sur le droit d’accès à l’information.
  3. La notion de « renseignements personnels » est très large. La définition de « renseignements personnels » figurant dans la Loi sur la protection des renseignements personnels présente de simples exemples qui n’ont pas pour effet de limiter la portée de cette définition.
  4. Les renseignements concernant un poste, notamment les heures de travail, sont exclus de la définition de « renseignements personnels » en vertu de l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
  5. Le responsable d’une institution fédérale dispose du pouvoir discrétionnaire de communiquer des renseignements personnels lorsque les raisons d’intérêt public justifient la divulgation, mais ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de bonne foi.
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