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Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25

Juin 2014

Résumé : Cette affaire pose la question de savoir si les ministres et, par voie de conséquence, le cabinet des ministres, sont assujettis à la Loi sur l’accès à l’information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour suprême du Canada a conclu que la plupart des documents relevant des ministres ou se trouvant dans les cabinets des ministres échappent à l’application de ces deux lois.

Faits : Un individu a demandé d’obtenir un certain nombre de documents – principalement des agendas, des notes et des courriels – se rapportant aux activités du premier ministre, du ministre de la Défense nationale et du ministre des Transports. Les cabinets du premier ministre et des deux ministres détenaient ces documents. La GRC et le Bureau du Conseil privé avaient également une copie de ces documents. L’accès aux documents a été refusé parce que les cabinets du premier ministre et des ministres ne sont pas des « institutions fédérales » au sens de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et parce que les documents sont des « renseignements personnels » au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Commissaire à l’information a conclu que les documents devaient être communiqués et elle a demandé à la Cour fédérale d’ordonner la communication des documents. La Cour fédérale a accueilli les demandes en partie : elle a conclu que les documents en la possession de la GRC et du Bureau du Conseil privé devaient être communiqués. La Cour d’appel fédérale, en désaccord avec le jugement de la Cour fédérale, a jugé qu’aucun des documents ne devait être communiqué.

Résultat : La Cour suprême du Canada a confirmé le refus de communiquer ces documents parce que la plupart d’entre eux n’étaient pas détenus par une institution fédérale ni ne relevaient d’une institution fédérale. En outre, les documents détenus par la GRC et le Bureau du Conseil privé étaient des renseignements personnels qui ne pouvaient, par conséquent, être communiqués.

Décision : Trois principales questions se posent dans cette affaire : 1) Le cabinet d’un ministre fait-il partie d’une institution fédérale dont le ministre est responsable? 2) Les renseignements détenus par le cabinet d’un ministre « relèvent-ils » d’une institution fédérale? 3) Le ministre est il un « cadre » au sens de l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

S’agissant de la première question, la Cour suprême du Canada a conclu que le cabinet d’un ministre ne fait pas partie d’une institution fédérale. La Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels définissent toutes deux l’expression « institution fédérale » en renvoyant à une annexe dans laquelle figurent tous les différents ministères et autres institutions qui constituent des « institutions fédérales » aux fins de ces deux lois. Se fondant sur un certain nombre de moyens d’interprétation des lois, la Cour suprême du Canada a conclu que ces listes sont exhaustives. Comme les cabinets des ministres ne figurent pas dans les annexes, ils ne sont pas visés par la définition de l’expression « institution fédérale ».

S’agissant de la deuxième question, les deux lois régissent les documents « relevant » d’une institution fédérale. Par conséquent, l’application de ces lois n’est pas limitée aux documents en la possession matérielle d’une institution fédérale. La Cour suprême du Canada a approuvé le critère à deux volets suivant pour décider si un document « relève » d’une institution fédérale :

  1. Le contenu du document se rapporte-t-il à une affaire ministérielle?
  2. Dans l’affirmative, l’institution fédérale pourrait-elle raisonnablement s’attendre à obtenir une copie du document sur demande?

La première étape est relativement simple : la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur les renseignements personnels ne visent pas à englober les affaires non ministérielles. À la seconde étape, il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer si l’institution fédérale pourrait raisonnablement s’attendre à obtenir une copie du document sur demande. La possession matérielle d’un document ne constitue pas un facteur déterminant. Les facteurs pertinents sont notamment la teneur du document, les circonstances dans lesquelles il a été créé et les rapports juridiques qu’entretiennent l’institution fédérale et le détenteur du document. Si, compte tenu de tous les facteurs pertinents, l’institution fédérale devrait raisonnablement être en mesure d’obtenir une copie du document, le critère est respecté.

Dans cette affaire, les documents ne relevaient pas d’une institution fédérale. Les agendas du premier ministre avaient été créés par des membres du personnel exonéré et n’ont jamais été en la possession du Bureau du Conseil privé. Il en était de même pour les copies non abrégées des agendas du ministre des Transports. Les membres de son personnel exonéré avaient créé les agendas abrégés et les avaient remis au ministère pour une période de temps limitée, mais le ministère ne les conservait pas après cette période. Ces agendas ne relevaient donc pas du ministère. Enfin, les documents exigés du ministère de la Défense nationale avaient également été créés et conservés par les membres de son personnel exonéré pour leur usage personnel et n’ont pas été communiqués aux fonctionnaires du gouvernement; par ailleurs, certains courriels ne portaient pas sur des affaires ministérielles et ont donc été exclus pour ce motif.

La deuxième question en litige dans cette affaire concernait les « renseignements personnels ». Le Bureau du Conseil privé et la GRC, tous deux des « institutions fédérales », détenaient les agendas du premier ministre. Toutefois, ces agendas étaient également des renseignements personnels au sujet du premier ministre. La définition de l’expression « renseignements personnels » dans la Loi sur l’accès à l’information prévoit une exception qui autorise la communication de renseignements qui concernent un cadre ou employé du gouvernement fédéral et qui portent sur son poste ou ses fonctions. La Cour suprême du Canada a conclu que le premier ministre n’est pas un « cadre » du Bureau du Conseil privé, bien qu’il soit le « responsable » de cette institution fédérale aux fins de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour suprême du Canada a conclu qu’il serait illogique que le premier ministre soit un « cadre » d’une institution fédérale étant donné qu’il ne fait pas partie d’une telle institution. En bref, un ministre n’étant pas un « cadre » d’une institution fédérale au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ses renseignements personnels ne sont pas visés par l’exception prévue à l’al. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Principes :

  1. Le cabinet d’un ministre n’est pas une « institution fédérale » au sens de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
  2. La possession matérielle d’un document ne détermine pas s’il « relève » d’une institution fédérale. Pour déterminer si un document qui n’est plus en la possession d’une institution fédérale « relève » de cette institution, le tribunal examine deux éléments : a) Le contenu du document se rapporte-t-il à une affaire ministérielle? b) Dans l’affirmative, l’institution fédérale pourrait-elle raisonnablement s’attendre à obtenir une copie du document sur demande?
  3. Un ministre n’est pas un « cadre » au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, en conséquence, l’exception à la définition de « renseignements personnels » prévue à l’al. 3j) de cette loi concernant les renseignements qui portent sur son poste ne s’applique pas à un ministre. Ses renseignements personnels – même si ceux-ci portent sur son poste – sont soustraits à la communication.
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