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Comparution devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles concernant le Projet de Loi S-203 Loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie

OBJET

  1. À titre d’information.

ENJEU

  1. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (LCJC) nous a demandé de comparaître au sujet du projet de loi d’intérêt public du Sénat S-203Note de bas de page 1. Le projet de loi vise strictement à limiter l’accès des enfants au matériel sexuellement explicite accessible en ligne à des fins commerciales dans le but de réduire les effets néfastes sur leur santéNote de bas de page 2.
  2. Les questions de protection de la vie privée qui ont été soulevées relativement au projet de loi ont trait au régime de vérification de l’âge et à ses éléments techniques, afin de s’assurer que les entreprises vérifient l’âge des personnes tout en recueillant le moins de renseignements personnels possible à leur sujet.
  3. Des extraits du débat en deuxième lecture et de la première réunion se trouvent à l’annexe A.

CONTEXTE

  1. Le projet de loi comporte deux parties principales. La première partie érige en infraction le fait de rendre accessible aux jeunes du matériel sexuellement explicite sur Internet. La deuxième partie habilite le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à exiger des fournisseurs de services Internet (FSI) qu’ils prennent des mesures pour empêcher que du matériel sexuellement explicite soit rendu accessible aux jeunes sur InternetNote de bas de page 3.

Disposition d’infraction

  1. La première partie du projet de loi S-203 crée une infraction assortie d’amendes pour tout particulier ou toute personne morale qui rend accessible à un jeune du matériel sexuellement explicite sur Internet à des fins commercialesNote de bas de page 4. Dans le cas d’un particulier, il pourrait être passible d’une amende maximale de 10 000 $ pour une première infraction et, en cas de récidive, d’une amende maximale de 20 000 $, d’un emprisonnement maximal de six mois, ou les deux. Dans le cas d’une personne morale, elle pourrait être passible d’une amende maximale de 250 000 $ pour une première infraction et de 500 000 $ pour une récidive. Le projet de loi crée également une responsabilité pour un administrateur, un dirigeant ou un mandataire d’une personne morale.
  2. Le projet de loi S-203 précise que « matériel sexuellement explicite » s’entend au sens qui est donné à ce terme pour l’application du paragraphe 171.1(1) du Code criminel. L’article 171.1(1) du Code criminel stipule que :

    Rendre accessible à un enfant du matériel sexuellement explicite

    171.1 (1) Commet une infraction quiconque transmet, rend accessible, distribue ou vend du matériel sexuellement explicite :

    a) à une personne âgée de moins de dix-huit ans ou qu’il croit telle, en vue de faciliter la perpétration à son égard d’une infraction visée au paragraphe 153(1), aux articles 155, 163.1, 170, 171 ou 279.011 ou aux paragraphes 279.02(2), 279.03(2), 286.1(2), 286.2(2) ou 286.3(2);

    b) à une personne âgée de moins de seize ans ou qu’il croit telle, en vue de faciliter la perpétration à son égard d’une infraction visée aux articles 151 ou 152, aux paragraphes 160(3) ou 173(2) ou aux articles 271, 272, 273 ou 280;

    c) à une personne âgée de moins de quatorze ans ou qu’il croit telle, en vue de faciliter la perpétration à son égard d’une infraction visée à l’article 281.

  3. Le paragraphe 171.1(5) du Code criminel définit le matériel sexuellement explicite aux fins de ce qui précède, en précisant qu’il s’agit de matériel qui n’est pas de la pornographie juvénile et en fournissant des détails supplémentaires sur ses caractéristiques.

Vérification de l’âge

  1. Le préambule comprend ce qui suit en ce qui concerne la vérification de l’âge et la protection de la vie privée : « attendu que la technologie de vérification de l’âge en ligne est de plus en plus sophistiquée et peut maintenant vérifier efficacement l’âge des utilisateurs sans violer leurs droits à la vie privée. »
  2. Le projet de loi crée essentiellement un incitatif à mettre en œuvre des techniques de vérification de l’âge plus sophistiquées qui seront prescrites par règlement. Pour ce faire, il précise que, pour un accusé, la croyance selon laquelle le jeune était âgé d’au moins 18 ans ne constitue pas un moyen de défense, et ne peut en être un que si l’accusé a mis en place un mécanisme de vérification de l’âge prévu par règlement afin de limiter l’accès.

Responsabilités des FSI

  1. La deuxième partie du projet de loi prévoit un processus par lequel le ministre avise les FSI lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise.
  2. L’avis identifie, de la manière que le ministre estime indiquée, la personne fautive, « exige du fournisseur de services Internet qu’il prenne les mesures précisées dans l’avis », précise le délai dans lequel le FSI Internet doit se conformer aux exigences imposées par l’avis, et fournit de l’information qui peut aider le FSI à se conformer aux exigences imposées par l’avis.
  3. Cette disposition vise, en partie, à régler le problème des sites pornographiques hébergés dans d’autres pays qui ne respectent pas les dispositions du projet de loi. Plutôt que d’essayer d’imposer des amendes à des entreprises à l’étranger, cette approche leur enlèverait l’accès au marché canadienNote de bas de page 5.
  4. La non-conformité d’un FSI à une exigence énoncée dans l’avis constitue une violation et serait passible d’une pénalité d’un montant à déterminer conformément aux règlements pris en vertu de l’alinéa 11c).

Mesures semblables prises dans d’autres administrations

  1. Au cours des débats à l’étape de la deuxième lecture, la sénatrice Miville-Dechêne, qui parrainait le projet de loi, a fait allusion à un certain nombre d’autres administrations qui ont mis en œuvre ou envisagé des mesures comparables.
    • France : Le système français de vérification de l’âge pour la pornographie a été inclus dans une modification à une loi plus large sur la violence familiale, adoptée à l’unanimité au Sénat en juillet 2020. L’organisme français de réglementation de l’audiovisuel, le CSA, est responsable de l’application de la loi; il peut effectuer des vérifications et aura le pouvoir de sanctionner les entreprises qui ne s’y conforment pas, notamment en bloquant l’accès aux sites Web en France par ordonnance judiciaireNote de bas de page 6. Le choix des mécanismes de vérification de l’âge sera laissé aux plateformes.
    • Allemagne : L’Allemagne a l’intention d’obliger les FSI à bloquer l’accès aux sites pornographiques étrangers les plus populaires si ces sites continuent de refuser de mettre en œuvre un système efficace de vérification de l’âgeNote de bas de page 7.
    • Royaume-Uni : Un régime de vérification obligatoire de l’âge pour l’accès à la pornographie en ligne au Royaume-Uni a été établi dans la partie 3 de la UK Digital Economy Act 2017 (DEA)Note de bas de page 8. La DEA permet aux sites de pornographie de déterminer comment mettre en œuvre la vérification de l’âge. Toutefois, en octobre 2019, le gouvernement du Royaume-Uni a annoncé qu’il ne commencerait pas la vérification de l’âge sous l’égide de la DEA, mais qu’il s’attaquerait plutôt à ces problèmes de façon plus globale au moyen de propositions plus vastes sur les méfaits en ligne. Les défenseurs de la protection de la vie privée au Royaume-Uni ont soulevé des préoccupations en matière de protection de la vie privée liées à la vérification de l’âge dans la DEA, en particulier le « Open Rights Group », qui a dénoncé les abus potentiels de ce type de vérification, puisque les mécanismes de protection de la vie privée n’étaient pas obligatoires et soulevaient des préoccupations quant au fait que la Grande-Bretagne se dirige vers un inventaire des préférences des citoyens en matière de pornographieNote de bas de page 9.

      Les critiques étaient en partie préoccupés par le fait que MindGeek, propriétaire de plusieurs sites de pornographie, y compris Pornhub, proposait de mettre sur pied une entreprise appelée AgeID qui offrirait diverses options pour vérifier l’âge d’un utilisateur, notamment en demandant aux détaillants locaux de vérifier les pièces d’identité et d’émettre un « passe-porno » ou de recueillir les données Facebook des utilisateurs, puis utiliser leur activité pour déduire s’ils ont plus de 18 ansNote de bas de page 10.

      Bien que le gouvernement du Royaume-Uni ait depuis présenté de nouveaux plans dans un livre blanc sur les méfaits en ligne, qui réintroduit la question de la vérification de l’âge, du blocage des FSI et des responsabilités du régulateur, il n’a pas encore déposé un nouveau projet de loi à cet effetNote de bas de page 11.
    • Australie : En février 2021, un comité parlementaire australien a recommandé l’établissement d’un système de vérification de l’âge par un tiers pour accéder aux sites de pornographie et de jeu en ligne en réponse aux préoccupations généralisées de la collectivité. Le rapport du comité, intitulé Protecting the age of innocenceNote de bas de page 12, soulignait que même si la vérification de l’âge n’est « pas une solution miracle », elle jouerait un rôle majeur pour empêcher les jeunes, en particulier les jeunes enfants, d’être exposés à des contenus nocifs. Bien que le projet de loi Online Safety Bill 2021Note de bas de page 13 de l’Australie, déposé en février 2021, ne propose pas d’exigences de vérification obligatoire de l’âge pour les sites de pornographie en ligne en particulier, il comprend des dispositions sur le matériel considéré comme réservé à un public de 18 ans et plus, des dispositions pour établir des « systèmes à accès restreint » pour certains contenus, ainsi qu’un régime de plaintes connexeNote de bas de page 14.

CONSIDÉRATIONS STRATÉGIQUES

  1. Les préoccupations relatives à la protection de la vie privée soulevées par le projet de loi à ce jour concernent principalement le régime de vérification de l’âge et ses éléments techniques. Bien que les méthodes précises de vérification de l’âge ne soient pas décrites dans le projet de loi et seront par la suite prescrites par règlement, il y a eu des discussions au cours des débats sur les solutions techniques possibles pour la vérification de l’âge.
  2. Plus précisément, la sénatrice Miville-Dechêne, qui parraine le projet de loi, suggère que les experts s’entendent pour dire que ces vérifications doivent être effectuées non pas par les sites pornographiques, mais par des sociétés tierces, spécialisées dans le domaine, de sorte que les sites pornographiques n’ont pas accès aux renseignements personnels de leurs clientsNote de bas de page 15.
  3. La sénatrice parle également du bien-fondé du chiffrement et des défis que pose l’utilisation de la reconnaissance faciale pour vérifier l’âgeNote de bas de page 16. Les sénateurs ont entendu des représentants d’entreprises privées, plus précisément d’une entreprise britannique appelée Yoti, qui offre des services cryptés de vérification de l’âge par des tiers. Au cours des débats, il a été suggéré que les internautes se verraient remettre un jeton d’âge certifié dans leurs fureteurs qui ne comprend aucune donnée d’identité autre que celle indiquant que son propriétaire a 18 ans ou plusNote de bas de page 17. Selon son site Web, Yoti dispose également d’une technologie de reconnaissance faciale pour fournir une estimation de l’âgeNote de bas de page 18.
  4. Parmi les autres méthodes mentionnées dans les débats, il y a l’achat d’une « passe-porno » dans un magasin qui contrôle de visu l’âge de l’acheteur, ainsi que l’identité numérique, sous forme d’application pour les téléphones intelligents, qui a été présentée comme une option permettant aux utilisateurs de garder le plein contrôle de leurs donnéesNote de bas de page 19.
  5. Les sénateurs sont certainement conscients de la nécessité de trouver une solution technique efficace permettant de vérifier l’âge d’une personne tout en recueillant le moins de renseignements personnels possible à son sujet, surtout compte tenu des sensibilités entourant le contenu et de ce qu’il pourrait révéler au sujet des préférences sexuelles des adultes.
  6. Les principales considérations relatives à la protection des renseignements personnels associées aux méthodes de vérification de l’âge comprennent :
    • Veiller à ce que la collecte et l’utilisation des renseignements personnels se limitent à ce qui est nécessaire et proportionnel pour vérifier l’âge.
    • L’importance de protéger les enfants et leurs renseignements personnels, tout en protégeant les choix sexuels privés des adultes.
    • Mesures de protection techniques.
    • Efficacité par rapport à l’atteinte à la vie privée.

ANNEXES

ANNEXE A : Extraits de la deuxième lecture et de la première réunion

CONSULTATIONS : V. Thomas (AT), A. Lévesque (Services juridiques)

APPROBATION

   
         

Rédigé par

Erin Courtland, Analyste principale en matière de politiques et de recherche, PRAP

             
   
     
         

Date

14 avril 2021

            
   

Révisions

21 mai 2021

             
   
   
         

Approuvé par gestionnaire

             

Leslie Fournier-Dupelle
Gestionnaire, recherche

             
   
   

Date

            
                              
   
   
         

Approuvé par Directeur et/ou Directeur exécutif

             

Lara Ives
Directrice exécutive, Politiques de la recherche et des affaires parlementaires

             
   
   

Date

            
                              
   
   
         

Approuvé par sous-commissaire

             

Gregory Smolynec
Sous-commissaire, Politiques et promotion

             
   
     

Date

            
                              
   
   
         

Approuvé par Commissaire

[case à cocher] J’approuve les mesures proposées.

[case à cocher] Je ne suis pas satisfait de ces recommandations pour les raisons suivantes :

Commentaires ou des instructions supplémentaires :


Daniel Therrien
Le commissaire à la protection de la vie privée

   
     

Date

 

 



 

                              
   

DISTRIBUTION : Politiques de la recherche et des affaires parlementaires, AT, Services juridiques

ANNEXE A : Extraits de la deuxième lecture et de la première réunion du comité

Débats à l’étape de la deuxième lecture

Au cours des débats à l’étape de la deuxième lecture, les sénateurs ont pris note du projet de loi à venir de la ministre du Patrimoine canadien visant à créer un organisme de réglementation pour lutter contre l’exploitation des enfants et les discours haineux en ligne, ainsi que de l’étude en cours du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique (ETHI) sur la protection de la vie privée et de la réputation sur des plateformes comme Pornhub.

Le sénateur Cormier (GSI) a également souligné que « il serait intéressant d’imaginer la façon dont ce projet de loi s’intégrerait aux autres initiatives gouvernementales, notamment la Charte numérique du Canada et le projet de loi C-11, ou encore l’engagement du gouvernement à créer de nouveaux règlesments qui encadrent les médias sociaux en ce qui concerne le retrait de contenu illégal en 24 heuresNote de bas de page 20. »

Première réunion du Comité – 21 avril 2021Note de bas de page 21

Le Comité n’a tenu qu’une seule réunion jusqu’à maintenant à propos de ce projet de loi. Au cours de la première réunion, le Comité a entendu la sénatrice Miville-Dechêne, qui parraine le projet de loi, qui a proposé que le ministre du Patrimoine soit chargé de la mise en œuvre du projet de loi S-203, compte tenu de ses interactions avec le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion, et le projet de loi à venir du ministère du Patrimoine. Elle propose également que l’organisme de réglementation chargé d’appliquer les sanctions soit le CRTC ou le nouvel organisme de réglementation proposé pour le projet de loi du ministère du Patrimoine.

Certains membres du comité semblent convaincus que la technologie (comme le chiffrement) et l’application de la loi suffiront à atténuer les risques pour la vie privée liés au régime de vérification de l’âge. Voici d’autres questions liées à la protection de la vie privée qui ont été mentionnées au cours de cette réunion :

  • Un témoin a souligné l’obligation du Canada d’appuyer la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies.
  • La vérification de l’âge pourrait se faire au moyen de documents délivrés par le gouvernement ou d’une estimation au moyen de la biométrie et de l’intelligence artificielle. On a fait valoir que ce serait un inconvénient mineur, notant que les sites de pornographie payante surveillent déjà l’identité de leurs clients au moyen de cartes de crédit et que les sites de jeu vérifient déjà l’âge.
  • Même si elle ne fonctionne pas parfaitement, la vérification de l’âge présente des avantages. Les adolescents peuvent très bien contourner les fenêtres contextuelles de vérification de l’âge s’ils le souhaitent, mais cela évitera au moins les visionnements accidentels, ce qui, selon l’expérience de travail d’un témoin auprès des jeunes, se produit assez souvent.
  • Traitement des renseignements personnels par des tiers : La technologie permet aux « entreprises spécialisées » de vérifier l’âge d’un client en quelques secondes tout en cryptant ses données, de lui donner une identité numérique et d’informer seulement le site pornographique que la personne a plus de 18 ans.
  • La restriction des sites par les FSI : Le projet de loi S-203 obligerait les FSI à bloquer certains sites, ce qui pourrait soulever des questions au sujet de la constitutionnalité, de la liberté d’expression, etc., comme on l’a vu dans les discussions portant sur la législation sur les méfaits en ligne et le retrait de contenu.
  • Algorithmes ciblant les jeunes : Un témoin a soulevé une préoccupation au sujet des algorithmes « créés au moyen des traces de données et des données induites » qui peuvent être utilisés pour encourager les jeunes à visiter des sites Web qui offrent du matériel sexuellement explicite.
Date de modification :