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Validité constitutionnelle du projet de loi C-11, Loi sur la mise en œuvre de la Charte du numérique

Table des matières

I. APERÇU

II. LA COMPÉTENCE GÉNÉRALE EN MATIÈRE DE COMMERCE

III. LE CARACTÈRE VÉRITABLE DU PROJET DE LOI C-11

1. Architecture générale du projet de loi

2. Preuve intrinsèque

3. Preuve extrinsèque

4. Effets juridiques et pratiques

5. Conclusion relative au caractère véritable de la loi

IV. LES AMENDEMENTS PROPOSÉS PAR LE COMMISSAIRE NE MODIFIENT PAS LE CARACTÈRE VÉRITABLE DU PROJET DE LOI

1. Le préambule

2. Les amendements proposés à la disposition d’objet renforcent la constitutionnalité de la Loi

3. Les amendements proposés aux articles 12 et 13 auraient un effet minime sur le caractère véritable ou la validité constitutionnelle de la Loi

V. LE PROJET DE LOI C-11 REMPLIT-IL LE CRITÈRE ÉNONCÉ DANS L’ARRÊT GENERAL MOTORS RELATIF À LA VALIDITÉ CONSTITUTIONNELLE EN VERTU DE LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE COMMERCE?

1. La loi s’inscrit-elle dans un régime général de réglementation?

2. Le régime fait-il l’objet de surveillance constante par un organisme de réglementation?

3. La loi porte-t-elle sur le commerce dans son ensemble plutôt que sur un secteur en particulier?

4. Le régime est-il d’une nature telle que la Constitution n’habiliterait pas les provinces, seules ou de concert, à l’adopter?

5. L’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités dans le régime en compromettrait-elle l’application dans d’autres parties du pays?

VI. LES AMENDEMENTS PROPOSÉS À LA LPVPC PAR LE CPVP SONT-ILS COHÉRENTS AVEC LA COMPÉTENCE GÉNÉRALE EN MATIÈRE DE COMMERCE?

Notes de bas de page

Avis juridique préparé pour le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada

par Frank Addario et Samara Secter

Le 31 mars 2022

ADDARIO LAW GROUP LLP


I. APERÇU

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada (le CPVP) a retenu les services d’Addario Law Group LLP pour obtenir un avis juridique concernant la validité constitutionnelle du projet de loi C-11, Loi de 2020 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique. Nous sommes d’avis que le projet de loi constituerait un exercice valide du pouvoir fédéral en matière de commerce. Compte tenu de l’évolution de la jurisprudence portant sur le partage des compétences au cours des cinq dernières années et de l’omniprésence de l’économie numérique, nous sommes d’avis que le projet de loi serait jugé constitutionnel par les tribunauxNote de bas de page 1.

En 2020, le gouvernement fédéral a présenté la Loi de 2020 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique. Le projet de loi créerait deux lois distinctes : la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs et la Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données.

La Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs (la LPVPC) remplacerait la LPRPDE pour ce qui est de définir les responsabilités des organisations commerciales à l’égard du traitement des renseignements personnels. Elle prévoirait également de nouvelles pénalités qui pourraient être infligées en cas de non-respect de ces responsabilités. La Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données (la LTPRPD) créerait un tribunal pour entendre les appels interjetés par des organisations et plaignants touchés par les décisions et ordonnances rendues en vertu de la LPVPC et pour imposer des sanctions pécuniaires le cas échéant.

En débats parlementaires, certains députés se sont demandés si le projet de loi C-11 constituait un exercice légitime des pouvoirs fédéraux ou s’il empiétait de façon injustifiée sur les compétences des provincesNote de bas de page 2. Le gouvernement a fait valoir que le projet de loi constitue un exercice du pouvoir général que confère le paragraphe 91(2) au gouvernement fédéral en matière de trafic et de commerce. Ce débat est monnaie courante. La validité constitutionnelle de la LPRPDE avait aussi été mise en doute au motif que la protection des renseignements personnels est une question de « propriété et [de] droits civils » visée à l’article 92 et qui relève de la compétence provinciale. Cependant, la question n’a jamais été tranchée par les tribunaux. Nous sommes d’avis que les tribunaux confirmeraient la validité du projet de loi C-11 s’il devait passer ce test.

Le CPVP a proposé des amendements à la partie I de la Loi sur la mise en œuvre de la Charte du numérique. Nous sommes d’avis que ces amendements renforcent la constitutionnalité du projet de loi ou n’ont pas d’effet sur celle-ci.

Les questions que nous avons examinées ainsi que les réponses à ces questions sont les suivantes :

  1. Qu’est-ce que la compétence générale en matière de commerce?

    La compétence générale en matière de commerce permet au législateur de légiférer sur a) les échanges et le commerce internationaux et interprovinciaux; b) la réglementation générale des échanges s’appliquant à tout le Dominion. Le projet de loi C-11 est justifié en vertu du point b), la réglementation générale des échanges.
  2. Quel est le caractère véritable de la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs?

    Le caractère véritable de la LPVPC proposée est la promotion de la croissance économique par la création d’une norme nationale exécutoire relativement à la protection de la vie privée des consommateurs.
  3. Les amendements proposés par le CPVP changent-ils le caractère véritable de la loi?

    Non.
  4. Le projet de loi C-11 est-il un exercice valide de la compétence générale en matière de commerce?

    Oui.
  5. Les amendements proposés par le CPVP sont-ils cohérents avec la compétence générale en matière de commerce?

    Oui.

II. LA COMPÉTENCE GÉNÉRALE EN MATIÈRE DE COMMERCE

En vertu du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, le gouvernement fédéral a le pouvoir de légiférer relativement à la réglementation du trafic et du commerce. Le paragraphe 91(2) a deux volets : 1) la compétence en matière d’échanges et de commerce internationaux et interprovinciaux; 2) la compétence générale en matière de commerce touchant le Canada dans son ensembleNote de bas de page 3. Compte tenu du fait que le projet de loi C-11 régit non seulement les organisations internationales et interprovinciales, mais également les organisations intraprovinciales, le présent avis porte sur le deuxième voletNote de bas de page 4.

Pour que le législateur justifie une loi en vertu du second volet de la compétence conférée par le paragraphe 91(2), le caractère véritable de la loi fédérale doit d’abord avoir trait à l’économie nationale. Une fois que ce critère est rempli, les tribunaux doivent se demander si la loi relève de la compétence générale du gouvernement fédéral en matière de commerceNote de bas de page 5.

Pour confirmer la validité de la loi en vertu de la compétence générale en matière de commerce, les tribunaux appliquent le critère en cinq volets établi dans l’arrêt General Motors :

  1. La loi s’inscrit-elle dans un régime général de réglementation?
  2. Le régime fait-il l’objet de surveillance constante par un organisme de réglementation?
  3. La loi porte-t-elle sur le commerce dans son ensemble plutôt que sur un secteur en particulier?
  4. Le régime est-il d’une nature telle que la Constitution n’habiliterait pas les provinces, seules ou de concert, à l’adopter?
  5. L’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités dans le régime en compromettrait-elle l’application dans d’autres parties du paysNote de bas de page 6?

Bien que ces questions ne soient pas exhaustives, des réponses affirmatives donnent fortement à penser que l’objet du texte législatif fédéral est véritablement une question économique d’intérêt nationalNote de bas de page 7.

III. LE CARACTÈRE VÉRITABLE DU PROJET DE LOI C-11

Les tribunaux examineront les facteurs suivants afin de déterminer le caractère véritable de la loi :

  • L’architecture générale du régime législatif;
  • La preuve intrinsèque (le titre de la loi, le préambule et la disposition d’objet);
  • La preuve extrinsèque (le Hansard, les débats ou les contributions de comités);
  • Les effets juridiques et pratiques de la loi.

Pour que la loi constitue un exercice valide de la compétence générale en matière de commerce, elle doit répondre à une véritable question économique d’intérêt national. Par conséquent, la protection de la vie privée serait insuffisante pour tomber sous le coup de la compétence générale en matière de commerce, car elle n’est pas, prise isolément, de nature économique. Cependant, la protection de la vie privée dans le but de renforcer l’économie est une véritable question économique d’intérêt national.

1. Architecture générale du projet de loi

Le projet de loi C-11 « Loi édictant la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs et la Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois » ou la « Loi de 2020 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique » abroge la LPRPDE et la remplace par un nouveau régime qui régit l’utilisation et la protection des renseignements personnels en contexte d’activités commerciales.

La partie 1 du projet de loi C-11 introduit la Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs. La partie 1 de la LPVPC énonce les interdictions et obligations des organisations en ce qui concerne la collecte, l’utilisation et la communication des renseignements personnels recueillis dans le cadre d’activités commercialesNote de bas de page 8. La partie 2 de la LPVPC énonce les pouvoirs et obligations du commissaire à la protection de la vie privée en ce qui concerne la surveillance, l’application et la supervision des obligations énoncées dans la partie 1. La partie 2 confère au commissaire un rôle élargi ainsi que la capacité de recommander au tribunal récemment établi d’imposer des pénalités en cas de manquement à certaines dispositions de la LPVPC.

La LPVPC s’applique à toute organisation qui recueille, utilise ou communique des renseignements personnels dans le cadre d’activités commercialesNote de bas de page 9. Cependant, le gouverneur en conseil peut soustraire certaines organisations, activités ou catégories à l’application de la loi s’il est convaincu qu’une loi provinciale essentiellement similaire s’applique à l’égard de la collecte, de l’utilisation ou de la communication de renseignements personnels.

La partie 2 du projet de loi C-11 introduit la Loi sur le Tribunal de la protection des renseignements personnels et des données (la LTPRPD), qui établit un tribunal dont le mandat est de trancher les questions présentées sous le régime de la LPVPC. Les plaignants et les organisations peuvent interjeter appel des conclusions, ordonnances et décisions du commissaire auprès du Tribunal. Le Tribunal a le pouvoir d’infliger des pénalités à une organisation après avoir reçu des recommandations du commissaire et tenu une audience. Les décisions rendues par le Tribunal sont définitives, mais peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales.

Compte tenu des critiques à l’égard de la LPRPDE par le passé et des commentaires émis par le Parlement au cours des débats, les contestations constitutionnelles viseraient probablement la partie 1, à savoir la LPVPC, plutôt que le projet de loi C-11. Par conséquent, la suite du présent avis est axée sur le LPVPC et, dans une certaine mesure, la manière dont elle interagit avec la LTPRPD.

2. Preuve intrinsèque

Les tribunaux examinent la preuve intrinsèque d’une loi ou de ses dispositions afin de déterminer son objet principal. La preuve intrinsèque comprend le texte de la loi, sa structure, son titre, ainsi que les dispositions qui énoncent l’objet visé par la loiNote de bas de page 10.

a. Le titre intégral de la LPVPC montre qu’elle est axée sur l’économieNote de bas de page 11

Le titre du projet de loi C-11, Loi de 2020 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique, donne à penser que la loi a pour but de mettre en œuvre la Charte du numérique présentée par le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie en 2019. La Charte du numérique accorde la priorité à l’innovation dans l’économie numérique en s’appuyant sur la confiance des consommateursNote de bas de page 12.

Cependant, il est peu probable que le titre abrégé du projet de loi C-11 soit au cœur d’une analyse constitutionnelle. Les tribunaux sont plus susceptibles de se concentrer sur les titres intégral et abrégé de la LPVPC.

Le titre intégral de la LPVPC, Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique au moyen de la protection des renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans le cadre d’activités commerciales, donne à penser que son caractère véritable concerne la promotion du commerce électronique au moyen de la protection des renseignements personnels. Le titre abrégé, Loi sur la protection de la vie privée des consommateurs, est semblable, mais ne traite pas de la promotion du commerce électronique de manière aussi manifeste que le titre intégral. Cependant, l’objet du titre est toujours commercial, puisque la Loi vise à protéger la vie privée des consommateurs.

b. Objet et dispositions clés

L’objet de la LPVPC est de créer des règles nationales afin de protéger la vie privée des personnes pour soutenir les activités commerciales :

La présente loi a pour objet de fixer, dans une ère où les données circulent constamment au-delà des frontières et des limites géographiques et une part importante de l’activité économique repose sur l’analyse, la circulation et l’échange de renseignements personnels, des règles régissant la protection des renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit à la vie privée des individus quant aux renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstancesNote de bas de page 13.

Les dispositions clésNote de bas de page 14 sont les suivantes :

  • Vaste champ d’application : La Loi s’applique aux organisations, employés et demandeurs au sein d’entreprises fédérales, ainsi qu’aux renseignements personnels recueillis ou utilisés à l’échelle interprovinciale ou internationale (art. 6);
  • Disposition essentiellement semblable : Les organisations dans une province dotée d’une loi essentiellement semblable peuvent être soustraites à l’application de la Loi (art. 6(2)b) et 119(2)b));
  • Collecte et utilisation limitées : La collecte, l’utilisation ou la communication ne peut se faire qu’à des fins acceptables (art. 12-14);
  • Dispositions relatives au consentement : Le consentement valide doit être obtenu pour recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels individuels sauf en quelques rares exceptions (art. 15);
  • Surveillance par le commissaire : Le commissaire dispose d’un rôle élargi de surveillance, de gestion et d’investigation afin de garantir la conformité (art. 76-92);
  • Pénalités : Le commissaire recommande des pénalités qui sont imposées par la suite (art. 93-94);
  • Rôle du Tribunal : Droit d’appel, appel avec autorisation et ordonnances (art. 100-105).

Ces dispositions s’appliquent de concert avec la disposition d’objet afin de protéger la vie privée des consommateurs dans leurs interactions avec des entreprises. Collectivement, les dispositions clés donnent à penser que l’objet de la Loi est de créer des règles applicables et exécutoires ayant une vaste portée, qui visent à protéger la vie privée des personnes tout en soutenant l’activité commerciale.

3. Preuve extrinsèque

a. Hansard

Lorsqu’elle examine le caractère véritable d’une loi ou d’une disposition, la cour peut prendre en considération l’historique législatif de celle-ci, comme le Hansard ou des procès-verbaux de comités parlementairesNote de bas de page 15. Lorsqu’il a présenté le projet de loi C-11, le ministre Bains a expliqué que celui-ci visait à promouvoir la croissance et la stabilité économiques en créant une norme nationale pour la protection de la vie privée :

  • Les trois grands objectifs du projet de loi (permettre aux consommateurs d’assurer un contrôle significatif de leurs données, favoriser l’innovation responsable et créer un modèle d’application et de surveillance rigoureux et réfléchi) se combinent pour offrir aux Canadiens ce dont ils ont besoin pour participer à l’économieNote de bas de page 16.
  • Le projet de loi protège la vie privée des Canadiens tout en renforçant la capacité des entreprises canadiennes à faire face à la concurrence internationaleNote de bas de page 17.

Le ministre Champagne, qui a repris le portefeuille du ministre Bains en 2021, a fait des commentaires qui, dans le même ordre d’idées, soutenaient le caractère véritablement économique du projet de loi :

  • Le développement économique exige que nous examinions la manière de moderniser et renforcer les lois sur la protection des renseignements personnels s’appliquant à la consommationNote de bas de page 18.
  • Le projet de loi C-11 cherche à atteindre le juste équilibre entre les impératifs en matière de vie privée et le besoin de renforcer la confiance des Canadiens dans l’économie numériqueNote de bas de page 19.
  • Une économie numérique robuste et fondée sur les données doit reposer sur la confianceNote de bas de page 20.
  • Afin de bâtir une économie nationale forte et innovante, les règles sur la protection de la vie privée doivent être harmonisées à l’échelle nationaleNote de bas de page 21.

4. Effets juridiques et pratiques

Pour établir le caractère véritable d’une loi, les tribunaux vont en examiner les effets juridiques et pratiques. Les effets juridiques découlent des dispositions de la loi et les effets pratiques sont les effets indirects de celles-ciNote de bas de page 22. L’effet juridique des dispositions 9 à 52 de la LPVPC est de créer des normes nationales auxquelles les organisations commerciales doivent se conformer afin de garantir que les renseignements personnels sont adéquatement protégés dans le cadre de leurs activités. La partie II est la méthode par laquelle le commissaire, le Tribunal et les individus, en se prévalant de leur droit privé d’action, font enquête relativement à la conformité aux normes nationales établies dans la partie I, et appliquent celles-ci.

Bien qu’il soit impossible de mesurer l’effet pratique de la loi proposée, des dispositions semblables de la LPRPDE ont eu pour effet de créer un régime national en ce qui concerne les renseignements personnels divulgués et utilisés dans le cadre d’activités commerciales. Les entreprises de tout le pays ont remanié leurs pratiques en matière de renseignements personnels de façon à procurer aux consommateurs une assurance accrue quant à la sûreté des renseignements personnels qu’ils communiquent dans le cadre de transactions commerciales ou autres.

La LPVPC pourrait s’avérer plus efficace que la LPRPDE pour encourager la conformité aux normes en raison de ses mesures d’application rigoureuses, notamment le rôle élargi du commissaire à la protection de la vie privée et la possibilité d’imposer des sanctions pécuniaires ainsi que d’intenter des poursuites privées en cas de manquement. Les changements proposés pourraient avoir un effet dissuasif accru sur les entités commerciales susceptibles d’enfreindre les règles.

5. Conclusion relative au caractère véritable de la loi

Le caractère véritable du projet de loi C-11 est la promotion de la croissance économique par la création d’une norme nationale exécutoire relativement à la protection de la vie privée des consommateursNote de bas de page 23.

IV. LES AMENDEMENTS PROPOSÉS PAR LE COMMISSAIRE NE MODIFIENT PAS LE CARACTÈRE VÉRITABLE DU PROJET DE LOI

Le commissaire à la protection de la vie privée a proposé des amendements au projet de loi C-11. Le présent avis porte principalement sur les amendements suivants : 1) l’ajout d’un préambule; 2) les modifications apportées à la disposition d’objet; 3) les amendements aux articles 12 et 13. Nous sommes d’avis qu’aucun des amendements proposés ne modifie le caractère véritable du projet de loi de manière à le détourner de son orientation économique nationale. En fait, certains de ces amendements renforceront la validité constitutionnelle du projet de loi en clarifiant le rôle central qu’y jouent l’économie nationale et sa promotion au moyen de mesures strictes de protection de la vie privée.

1. Le préambule

Les préambules sont utiles pour les tribunaux en ce qu’ils éclairent sur le « mal » auquel une loi en particulier vise à remédierNote de bas de page 24. L’absence de préambule peut entraîner de la confusion ou créer un désaccord en ce qui concerne la raison d’être d’une loiNote de bas de page 25.

a. Le préambule amendé ne change pas le caractère véritable de la Loi

Le préambule proposé par le commissaire est constitué de 11 clauses pouvant être regroupées en cinq points distinctsNote de bas de page 26 :

  1. La protection de la vie privée est un droit fondamental de la personne qui protège l’autonomie, la dignité et le fonctionnement de la démocratie (paras 1, 2, 4 et 10);
  2. La protection de la vie privée est nécessaire au bon fonctionnement de notre société et de son économie (para 3);
  3. Notre contexte économique et technologique actuel facilite la collecte de quantités massives de données personnelles d’une manière qui peut avoir des répercussions positives et négatives sur les personnes, même les plus vulnérables (paras 5, 6 et 7);
  4. L’objet de la LPVPC est de promouvoir le commerce en garantissant une protection du droit à la vie privée des personnes (paras 8 et 9);
  5. La loi a été reconnue par les tribunaux comme étant de nature quasi constitutionnelle
    (para 11)Note de bas de page 27.

Le préambule proposé (en particulier le paragraphe 8) donne à penser que l’idée maîtresse de la LPVPC est le renforcement de l’économie par la protection de la vie privée.

À notre avis, ce préambule ne changerait pas le caractère véritable de la loi dans sa forme actuelle. Bien que le droit à la vie privée joue un rôle de premier plan dans le préambule proposé, il ne prend pas le dessus sur la nature économique de la Loi. En ce qui concerne le point d) ci-dessus, le droit à la vie privée va de pair avec la promotion de l’économie. En d’autres termes, le préambule démontre que la confiance des consommateurs est plus élevée lorsque leurs renseignements personnels sont solidement protégés et qu’une confiance accrue des consommateurs favorise la croissance économique.

Ce libellé est comme celui de l’ébauche de la loi fédérale examinée dans le Renvoi relatif aux valeurs mobilières. Dans cette affaire, le préambule mettait l’accent sur la nécessité de réglementer les marchés de façon coordonnée afin de promouvoir et de protéger la stabilité du système financier canadienNote de bas de page 28. La Cour suprême a conclu que la Loi ne visait pas à réglementer les aspects courants du commerce des valeurs mobilières, mais plutôt à réglementer le marché de façon systémique – un objectif légitime en vertu de la compétence générale en matière de commerce.

Dans le même ordre d’idées, la LPVPC ne concerne pas la réglementation courante des renseignements personnels ou d’un secteur en particulier. Au contraire, son objectif général est de promouvoir l’économie et d’encourager la participation au marché en protégeant la vie privée des consommateurs – un objectif légitime en vertu de la compétence générale en matière de commerce.

b. Critiques potentielles au sujet du préambule

Certains pourraient faire valoir que le préambule proposé recentre la Loi sur le renforcement et la protection du droit à la vie privée plutôt que sur la croissance économique. Ainsi, on pourrait considérer que le caractère véritable de la Loi n’est pas réellement de nature économique, mais est plutôt un véhicule pour la protection de la vie privée.

Il existe deux réponses possibles à cette critique. La meilleure d’entre elles renvoie au fait qu’elle fait abstraction de l’interdépendance entre la vie privée et l’économie. Le régime vise à promouvoir l’économie en protégeant la vie privée. La preuve dont disposait le législateur porte à croire que les consommateurs sont moins susceptibles de participer à plusieurs formes d’activités commerciales modernes si leurs renseignements personnels ne sont pas protégés par la loiNote de bas de page 29. Étant donné que les frontières provinciales ne limitent pas le commerce moderne, des normes nationales s’imposent afin de protéger cet aspect de l’économie.

La deuxième réponse renvoie au fait que réglementer la protection de la vie privée peut relever à la fois de la compétence fédérale et de celle des provinces. Le législateur a le droit de protéger la vie privée dans la mesure où cela aura une incidence sur les intérêts économiques nationaux. Il n’est pas nécessaire de cloisonner les compétences. La compétence du législateur de promouvoir l’économie en protégeant la vie privée n’empêche pas les provinces de la protéger encore davantage.

c. Solutions potentielles

Afin de lever tout doute quant au fait que le caractère véritable du projet de loi est la croissance et la stabilité économiques, nous recommandons que les modifications suivantes soient apportées au préambule :

  • Associer les clauses axées sur le droit à la vie privée à la croissance économique ou à l’importance de protéger la vie privée dans le contexte commercial;
  • Déplacer la clause 8 – l’objet de la Loi – au début de la liste;
  • Souligner l’importance d’une normalisation nationale du droit à la vie privée.

Les deux premières modifications proposées démontreraient que la LPVPC concerne non seulement le droit à la vie privée, mais aussi la croissance économique au moyen de mesures de protection à la vie privée.

La dernière modification proposée soulignerait l’importance d’établir des normes nationales en matière de protection de la vie privée pour l’économie. Par exemple, dans les Renvois relatifs à la LTPGES, le juge en chef a souligné que l’importance accordée dans le préambule à la nécessité de prendre des mesures à l’échelle nationale appuyait sa conclusion selon laquelle le caractère véritable de la loi était l’établissement de normes nationales minimales de tarification des émissions de GES dans l’ensemble du pays afin de réduire les émissionsNote de bas de page 30. Bien qu’elle ne change pas de manière significative le caractère véritable de la loi, cette modification soulignerait la nature véritablement nationale de la préoccupation économique et serait utile afin d’évaluer si les cinq volets du critère énoncé dans l’arrêt General Motors sont remplis.

2. Les amendements proposés à la disposition d’objet renforcent la constitutionnalité de la Loi

Le CPVP recommande que les amendements suivants soient apportés à la disposition d’objet de la LPVPC :

Dans une ère où une part importante de l’activité économique repose sur l’analyse, la circulation et l’échange de renseignements personnels et le mouvement de ces renseignements au-delà des frontières provinciales et internationales, la présente loi a pour objet de fixer des règles régissant la protection des renseignements personnels d’accroître la confiance à l’égard du commerce axé sur l’information et, par conséquent, de favoriser la durabilité de ce commerce en fixant des règles régissant la protection des pour assurer la collecte, l’utilisation et la communication licites, justes, proportionnelles, transparentes et responsables de renseignements personnels d’une manière qui tiennent compte :

  1. du droit fondamental à la vie privée des individus;
  2. quant aux renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins et d’une manière qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances;
  3. du fait que le niveau de protection garanti par le droit canadien ne doit pas être compromis lorsque des renseignements personnels sont transférés à l’extérieur du Canada.

Les amendements proposés n’auraient pas pour effet de modifier le caractère véritable de la Loi, qui est de promouvoir la croissance et la stabilité économiques en protégeant la vie privée. Au contraire, les amendements renforcent la nature commerciale de la loi et précisent la manière dont le législateur entend soutenir l’économie dans le contexte de la circulation rapide des renseignements personnels. En particulier, les amendements suivants renforcent l’orientation économique de la Loi :

  1. Le déplacement de l’expression « part importante de l’activité économique », qui repose sur les renseignements personnels, au début de la disposition d’objet remet la Loi dans son contexte;
  2. La reconnaissance du fait qu’accroître la confiance dans la confidentialité des renseignements personnels est nécessaire à la viabilité du commerce axé sur l’information fait ressortir le caractère véritable déjà déterminé;
  3. L’ajout de l’alinéa 5c) fait ressortir l’importance d’imposer des normes nationales pour les cas où des données personnelles pourraient sortir du Canada.

L’ajout suivant contribuerait à la validité constitutionnelle du projet de loi : d) la nécessité de mettre en place des normes nationales de protection de la vie privée compte tenu du commerce interprovincial et de la nature de l’économie numérique.

3. Les amendements proposés aux articles 12 et 13 auraient un effet minime sur le caractère véritable ou la validité constitutionnelle de la Loi

a. Amendements proposés à l’article 12

12(1) L’organisation ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu’à des fins et que d’une manière qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

12(2) Pour établir le caractère acceptable des fins et des moyens visés au paragraphe (1), on peut tenir il est tenu compte notamment des éléments suivants :

  1. la mesure dans laquelle les renseignements personnels sont de nature délicate; [à supprimer si la modification proposée d’ajouter un élément sur la non-exhaustivité au paragraphe 12(2) n’est pas adoptée]
  2. le fait que les fins visées correspondent à des besoins commerciaux légitimes de l’organisation;
  3. le degré d’efficacité de la collecte, de l’utilisation ou de la communication pour répondre aux besoins commerciaux légitimes de l’organisation;
  4. l’existence ou non de moyens portant une atteinte moindre à la vie privée de l’individu et permettant d’atteindre les fins visées à un coût et avec des avantages comparables;
  5. la proportionnalité entre l’atteinte à la vie privée de l’individu ou à d’autres droits et intérêts fondamentaux et les avantages pour l’organisation, au regard des moyens, techniques ou autres, mis en place par l’organisation afin d’atténuer les effets de l’atteinte pour l’individu.

[L’alinéa pourrait aussi être modifié de la façon suivante : « la proportionnalité entre l’atteinte à la vie privée, à la dignité, à l’autonomie et à l’autodétermination de l’individu et les avantages pour l’organisation. »]

  1. [si les paragraphes 12(1) et 12(2) sont modifiés comme nous l’avons proposé, avec l’ajout des moyens employés] les moyens employés pour la collecte, l’utilisation et la communication des renseignements sont justes, licites et transparents;
  2. tout autre élément pertinent dans les circonstances.

Les amendements proposés auraient peu d’incidence sur le caractère véritable de la Loi. Étant donné que la Loi prévoit la nécessité de consolider les mesures de protection à la vie privée afin de renforcer l’économie, les amendements proposés ne font que contribuer au caractère véritable de la Loi dans sa forme actuelle.

Reconnaître la nature fondamentale du droit à la vie privée ne change en rien la nature commerciale de la Loi. C’est particulièrement vrai compte tenu du fait qu’il est reconnu aux alinéas 12(2)b) et 12(2)c) que les renseignements sont recueillis pour répondre aux besoins commerciaux légitimes d’une organisation. Ainsi, il convient de souligner l’importance du droit à la vie privée non pas dans le but de disposer de mesures de protection distinctes, mais dans le but d’encourager les consommateurs à participer à l’économie en garantissant que leurs renseignements personnels sont uniquement recueillis à des fins commerciales légitimes.

Certains pourraient soutenir que les suppressions proposées aux alinéas 12(2)d) et 12(2)e) visent à privilégier la protection de la vie privée plutôt que les intérêts économiques dans la Loi. Cependant, une analyse juste des modifications apportées à ces alinéas, interprétées conjointement avec le préambule proposé et la disposition d’objet amendée, montre qu’en renforçant les dispositions relatives à la vie privée, on cherche à soutenir l’économie nationale. En d’autres termes, on pourrait répliquer à cet argument qu’une amélioration des mesures de protection de la vie privée accroît la participation à l’économie, ce qui favorise en retour la viabilité économique.

En ce qui concerne les modifications proposées à l’alinéa 12(2)e), on pourrait faire valoir que, dans certaines situations, la protection de la vie privée l’emporterait sur la volonté commerciale d’une organisation. Cependant, la Loi vise à servir l’économie nationale de manière générale, et non une entreprise ou un secteur en particulier. Même si la protection de la vie privée pourrait l’emporter sur la volonté d’une entreprise dans certaines situations, l’objectif de la Loi est de créer une économie florissante en protégeant la vie privée. Au moyen de l’alinéa 12e), la Loi protège les gains économiques à long terme découlant de la confiance des consommateurs dans le fait qu’il est sécuritaire de communiquer des renseignements personnels sur le marché.

b. Amendement proposé à l’article 13

Une fois amendé, l’article 13 prévoirait ce qui suit : L’organisation ne peut recueillir que les renseignements personnels qui sont nécessaires aux fins spécifiques, explicites et légitimes qu’elle a établies et consignées en application du paragraphe 12(3).

Nous sommes d’avis que cet amendement n’aura aucune incidence sur le caractère véritable de la Loi.

V. LE PROJET DE LOI C-11 REMPLIT-IL LE CRITÈRE ÉNONCÉ DANS L’ARRÊT GENERAL MOTORS RELATIF À LA VALIDITÉ CONSTITUTIONNELLE EN VERTU DE LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE COMMERCE?

Après avoir établi que le caractère véritable de la Loi est de nature économique, la prochaine question que les tribunaux devraient se poser est celle de savoir si la loi proposée satisfait au critère en cinq volets énoncé dans l’arrêt General Motors pour être valide en vertu de la compétence générale en matière de commerce. Nous sommes d’avis que la LPVPC remplit ce critère.

1. La loi s’inscrit-elle dans un régime général de réglementation?

Malgré le fait que la LPVPC et la LTPRPD soient deux lois distinctes, si elles sont adoptées, elles créeraient conjointement un système coordonné de réglementation régissant la collecte, l’utilisation et la communication des renseignements personnels à des fins commerciales.

Dans l’arrêt General Motors, le juge Dickson a conclu que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions créait un système réglementaire puisqu’elle 1) désignait des pratiques interdites, 2) créait une procédure d’enquête et 3) établissait un mécanisme de recoursNote de bas de page 31. Ces trois critères se retrouvent également dans le projet de loi.

a. Pratiques interdites

De manière générale, la Loi énonce un système complexe de règles visant à reconnaître, définir et freiner les comportements qui enfreignent le droit à la vie privée.

Les articles 12 à 18 et 53 à 55 énoncent un ensemble d’obligations et d’interdictions relatives à la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels :

  • Par exemple, l’article 13 prévoit qu’une organisation peut uniquement recueillir des renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables. Dans les faits, cette disposition interdit la collecte des renseignements à des fins qu’une personne raisonnable estimerait inacceptables. Le non-respect de ces obligations entraîne des procédures d’enquête et peut donner lieu à des pénalités Note de bas de page 32.
  • L’article 14 interdit aux organisations d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels sans consentement sauf à des fins jugées acceptables et raisonnables.
  • L’article 53 interdit aux organisations de conserver des renseignements personnels pour une période plus longue que celle nécessaire à la réalisation des fins pour lesquelles ils ont été recueillis.

b. Procédure d’enquête

La partie 2 de la LPVPC énonce les attributions du commissaire à la protection de la vie privée pour faire respecter les obligations et interdictions prévues dans la Loi.

c. Mécanismes de recours

En ce qui concerne le dernier critère, les mécanismes de recours sont énoncés dans la LPVPC et la LTPRPD. Le paragraphe 92(2) permet au commissaire, après qu’il ait mené une investigation, d’ordonner à une organisation de prendre des mesures pour se conformer à la Loi, de cesser toute action qui contrevient à la Loi, de respecter un accord de conformité antérieur, ou de prendre d’autres mesures publiques afin de satisfaire aux obligations qui lui incombent sous le régime de la LoiNote de bas de page 33. Le paragraphe 93(4) de la LPVPC énonce les pénalités pouvant être recommandées par le commissaire par suite d’une contravention à la Loi. C’est la LTPRPD qui impose ces pénalités.

Il importe peu qu’un aspect du régime de réglementation de la LPVPC soit énoncé dans la LTPRPD. Dans l’arrêt Compufinder, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’un régime de réglementation peut ressortir d’une seule disposition ou d’une partie d’une loi qu’il est possible d’isoler, ou constituer une loi en
entierNote de bas de page 34.

Nous sommes d’avis que le projet de loi satisfait au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt General Motors.

2. Le régime fait-il l’objet de surveillance constante par un organisme de réglementation?

Le projet de loi satisfait également au deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt General Motors. Le commissaire à la protection de la vie privée surveille le régime.

L’organisme de réglementation en cause, soit le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, doit exercer un contrôle important sur l’application de la LoiNote de bas de page 35. C’est le cas en l’espèce.

  • Le commissaire surveille le processus de plainte, les investigations et les vérifications;
  • Le commissaire approuve le code de pratique et le programme de certification pour diverses entités (art. 76(3) et 77(2));
  • Le commissaire peut ordonner à une organisation de cesser toute action qui contrevient à la Loi et de s’y conformer (art. 92(2));
  • Au terme de son investigation, le commissaire peut décider de recommander au Tribunal d’imposer une pénalité à l’organisation concernée (art. 93).

Le fait que le commissaire ne soit pas habilité à imposer des sanctions pécuniaires et qu’il peut uniquement faire des recommandations au Tribunal n’est pas déterminant. En clair, le Tribunal ne peut fonctionner sans la surveillance du commissaire. Par exemple, le Tribunal se fonde sur les conclusions tirées par le commissaire (art. 94(2))Note de bas de page 36. En outre, la compétence du Tribunal est limitée aux appels interjetés en vertu des articles 100 et 101 et à l’infliction de pénalités en vertu de l’article 94Note de bas de page 37. En d’autres termes, sans la surveillance de la LPVPC par le commissaire, le Tribunal n’aurait aucun travail à faireNote de bas de page 38.

La surveillance exercée par le commissaire à la protection de la vie privée en vertu du projet de loi C-11 est semblable, sinon plus importante, que celle exercée par le directeur des enquêtes et recherches en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, laquelle satisfaisait au deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt General Motors. Comme dans le cas de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, le commissaire à la protection de la vie privée mène des investigations et peut soumettre des recommandations à un autre organisme de réglementation (le Tribunal créé par la LTPRPD)Note de bas de page 39. Cette mesure satisfaisait aux exigences réglementaires de la Cour suprême dans l’arrêt General Motors. Ainsi, il devrait en être de même pour la surveillance et la gestion effectuées par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

3. La loi porte-t-elle sur le commerce dans son ensemble plutôt que sur un secteur en particulier?

Nous sommes d’avis que la loi satisfait également au troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt General Motors.

a. La Loi a un vaste champ d’application

La Loi définit en termes généraux une « activité commerciale » comme toute activité ainsi que tout acte qui revêtent un caractère commercialNote de bas de page 40. Dans le même ordre d’idées, le terme « organisation » englobe les associations, sociétés de personnes, personnes et organisations syndicalesNote de bas de page 41. L’article 6, qui porte sur le champ d’application de la Loi, confirme que celle-ci ne s’adresse pas à un secteur en particulier. La Loi s’applique explicitement à toute organisation qui recueille, utilise ou communique des renseignements personnels dans le cadre d’activités commerciales, ainsi que des renseignements personnels qui concernent ses employés ou les individus qui postulent pour le devenir dans le cadre d’une entreprise fédérale. La clause « Précision » qui suit confirme que la Loi s’applique même si les renseignements sont recueillis à l’échelle interprovinciale ou internationale, ou s’ils sont recueillis, utilisés et communiqués à l’intérieur d’une province (pourvu que la province ne soit pas exclue de l’application de la Loi).

b. La jurisprudence antérieure confirme que la Loi porte sur le commerce dans son ensemble

Contrairement à la loi en cause dans le Renvoi relatif à la LVM, la LPVPC ne régit pas « tous les aspects » des contrats dans un secteur en particulierNote de bas de page 42. Elle ne régit pas non plus la réglementation courante d’un type d’entrepriseNote de bas de page 43. Elle s’applique plutôt de manière horizontale à tous les types d’entreprises au CanadaNote de bas de page 44.

  • Dans l’arrêt General Motors, la Cour suprême a conclu que la réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles ne s’applique pas à un lieu, une entreprise ou un secteur en particulierNote de bas de page 45. Il en va de même pour les activités allant à l’encontre de la vie privéeNote de bas de page 46;
  • Dans le Renvoi relatif aux valeurs mobilières, la Cour suprême a conclu que l’ébauche de la loi fédérale ne se préoccupait pas de la réglementation détaillée de tous les aspects du commerce des valeurs mobilières. La LPVPC (et son application par l’entremise de la LTPRPD) traite des risques économiques en général et non de la stabilité d’un secteur en particulierNote de bas de page 47.
  • Finalement, dans l’arrêt Compufinder, le juge Nadon a souligné que le commerce en ligne est devenu un pilier de l’économie nationale canadienneNote de bas de page 48. Il a conclu qu’une réglementation des messages électroniques non sollicités permet de lutter contre les menaces en ligne ayant des coûts directs et indirects sur toutes sortes d’entreprises. Il en va de même pour la protection de la vie privée. Alors que les Canadiens sont de plus en plus préoccupés par la protection de leur vie privée en ligne et l’accessibilité accrue de leurs renseignements, l’absence de mesures de protection adéquates relatives aux renseignements personnels menace le commerce dans son ensemble au Canada. Cette menace est omniprésente dans l’économie canadienne et ne se limite pas à une industrie ou un secteur en particulier.

c. La Loi ne réglemente pas les renseignements personnels comme s’il s’agissait de marchandises

Certaines critiques de la LPRPDE laissent entendre que celle-ci réglemente le commerce des renseignements personnels comme s’il s’agissait de marchandises et qu’elle ne satisfait donc pas au troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt General MotorsNote de bas de page 49. Il s’agit là d’une compréhension erronée du rôle de la LPRPDE et du rôle proposé pour le projet de loi C-11.

D’abord, la LPRPDE et le projet de loi C-11 visent à établir des [TRADUCTION] « pratiques équitables en matière de renseignements » afin de garantir une saine croissance économiqueNote de bas de page 50. Ils ne s’intéressent pas principalement à la manière dont les renseignements sont commercialisés et échangés comme des marchandises au même titre que les valeurs mobilières. Il ne s'agit pas uniquement de « l’industrie » des renseignements personnels. Ensuite, même si les renseignements personnels étaient des marchandises, ce qui pourrait être contesté, il s’agit de marchandises sur lesquelles se fondent presque toutes les entreprises au paysNote de bas de page 51. Par conséquent, le fait de voir les « renseignements personnels » comme des marchandises ne change en rien la réponse à la question de savoir si la loi s’intéresse au « commerce dans son ensemble ».

d. La protection de la vie privée au sein des entreprises est une question d’intérêt national

La protection de la vie privée dans un contexte commercial est une question d’intérêt national et ne se limite pas à un secteur ou une province. Dans une étude nationale, le commissaire à la protection de la vie privée a tiré les conclusions suivantes :

  • 87 % des Canadiens sont à tout le moins quelque peu préoccupés par la protection de leur vie privée, y compris 32 % des Canadiens qui se disent énormément préoccupés par cette question.
  • Une minorité importante de Canadiens est en désaccord avec l’énoncé suivant : « En général, j’estime que les entreprises respectent mon droit à la vie privée. »
  • Bien que 81 % des Canadiens fassent assez confiance aux banques quant à la protection de leurs renseignements personnels :
    • 51 % avaient peu confiance ou pas du tout confiance envers les fournisseurs de services de télécommunications et d’accès à Internet quant à la protection de leurs renseignements personnels;
    • 58 % avaient peu confiance ou pas du tout confiance envers les grandes entreprises de technologie quant à la protection de leurs renseignements personnels;
    • 57 % avaient peu confiance ou pas du tout confiance envers les détaillants en ligne quant à la protection de leurs renseignements personnels.
  • 88 % des Canadiens sont à tout le moins quelque peu préoccupés par la façon dont les entreprises et les organisations pourraient utiliser les renseignements en ligne les concernant pour prendre des décisions à leur sujet.
  • Sept Canadiens sur dix ont refusé de fournir leurs renseignements personnels en raison de préoccupations liées à la protection de la vie privéeNote de bas de page 52.

Les préoccupations soulevées par les Canadiens ne sont pas théoriques. La LPVPC protège l’économie en atténuant ces préoccupations et en permettant aux consommateurs de participer au marché à l’échelle nationale.

4. Le régime est-il d’une nature telle que la Constitution n’habiliterait pas les provinces, seules ou de concert, à l’adopter?

Récemment, dans le Renvoi relatif aux valeurs mobilières et les Renvois relatifs à la LTPGES, la Cour suprême a précisé le sens du quatrième volet du critère énoncé dans l’arrêt General Motors. Si la loi vise à atteindre des objectifs nationaux concernant les risques économiques systémiques, les provinces, seules ou de concert, seront incapables d’adopter la loi d’un point de vue constitutionnel.

En bref, cette question ne porte pas sur la « capacité juridictionnelle » dans le sens où un gouvernement provincial pourrait avoir la capacité constitutionnelle d’adopter une loi essentiellement semblableNote de bas de page 53. Il s’agit plutôt de savoir si le caractère véritable de la loi s’intéresse aux objectifs nationaux et s’il traite des risques économiques nationaux. En effet, dans l’arrêt General Motors, la Cour suprême a clairement indiqué que la validité d’une loi fédérale doit être déterminée « sans tenir compte de la loi provincialeNote de bas de page 54 ». Par conséquent, une loi provinciale existante ayant trait au même sujet ne détermine pas la constitutionalité de la loi fédérale.

Le juge en chef Dickson a souligné dans l’arrêt General Motors que la concurrence ne constitue pas un seul et même sujet, et que les provinces aussi peuvent traiter de concurrence dans l’exercice de leurs pouvoirs législatifs. Il a toutefois conclu que « le Parlement a aussi le pouvoir constitutionnel de réglementer les aspects intraprovinciaux de la concurrence »Note de bas de page 55. Cette analyse s’applique également à la protection de la vie privée dans un contexte d’activités commerciales.

L’incapacité des provinces signifie que ces dernières peuvent décider d’établir des protections minimales uniformes en matière de vie privée, mais que cela « n’assurerait pas l’application d’une approche soutenue en matière d’établissement de normes nationales minimalesNote de bas de page 56 ». Compte tenu du fait que les provinces conservent la souveraineté constitutionnelle de soustraire leur adhésion à un régime interprovincial, et qu’elles peuvent donc choisir de ne pas adhérer au régime coopératif, la loi fédérale doit remédier à la situationNote de bas de page 57. Si une approche véritablement nationale est nécessaire, les provinces sont dans l’incapacité de l’adopterNote de bas de page 58.

À notre avis, le projet de loi satisfait au quatrième critère énoncé dans l’arrêt General Motors.

5. L’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités dans le régime en compromettrait-elle l’application dans d’autres parties du pays?

Cette question vise à déterminer si les matières « transcendent les intérêts provinciaux et revêtent une importance et une portée véritablement nationalesNote de bas de page 59 ». L’objectif de promotion de l’économie par la protection de la vie privée serait-il compromis si une province ne participait pas au régime? Nous pensons que oui.

Compte tenu de l’augmentation du consumérisme interprovincial et international, les effets de mesures de protection inadéquates en matière de vie privée dans un endroit peuvent s’avérer nuisibles à l’économie nationaleNote de bas de page 60. L’exigence relative à la protection de la vie privée transcende les frontièresNote de bas de page 61. En outre, compte tenu du fait que les consommateurs ne savent pas toujours l’endroit où se situe l’organisation à laquelle ils fournissent leurs renseignements, l’absence de protection dans une province peut miner la confiance dans l’économie à l’échelle du Canada. L’adoption de normes nationales prévient l’adoption de mesures inapplicables et fragmentées dans tout le paysNote de bas de page 62.

Les normes nationales empêchent aussi que des entreprises trouvent refuge dans certaines provinces où la réglementation n’est pas en vigueurNote de bas de page 63. Dans l’arrêt Compufinder, le juge Nadon a souligné que si une province adoptait des lois plus laxistes que d’autres à l’égard des messages électroniques commerciaux, les expéditeurs de pourriels pourraient facilement, par le truchement de l’infonuagique, transmettre leurs pourriels à partir de serveurs situés dans cette provinceNote de bas de page 64. Il en va de même pour les lois relatives à la protection de la vie privée. Si une province dispose de mesures de protection plus souples que d’autres en matière de vie privée, cela faciliterait l’accès de tiers malveillants aux renseignements qui sortent du pays depuis cette province, et d’autres organisations pourraient y déplacer leurs activités afin de profiter de telles mesures. Cette situation pourrait entraîner une méfiance importante à l’échelle du paysNote de bas de page 65.

Les analyses effectuées dans les arrêts General Motors et Kirkbi AG, ainsi que dans le Renvoi relatif aux valeurs mobilières (2018) et les Renvois relatifs à la LTPGES s’appliquent toutes en l’espèce.

  • Dans l’arrêt General Motors, la Cour suprême a conclu que la concurrence est une question non pas d’intérêt purement local, mais d’importance capitale pour l’économie canadienne. Le juge en chef Dickson a souligné que les effets néfastes de pratiques monopolistiques dépassent les frontières provincialesNote de bas de page 66. Il en va de même pour les comportements contraires au droit à la vie privée.
  • Dans l’arrêt Kirkbi, la Cour suprême a conclu que le fait d’exclure une province du régime des marques de commerce minerait la loi dans son ensemble puisque des marques de commerce non déposées pourraient être mieux protégées que des marques déposéesNote de bas de page 67. Cette situation renvoie à la question du « refuge » évoquée ci-dessus. Si une province dispose d’un régime de protection de la vie privée laxiste ou si elle ne dispose d’aucun régime, il est possible que les entreprises affluent vers cette province. Les renseignements des consommateurs canadiens pourraient sortir du le pays sans être protégés, ce qui créerait de la méfiance envers l’économie nationale et mondiale.
  • Dans le Renvoi relatif aux valeurs mobilières (2018), la Cour suprême a conclu que le fait qu’une province n’adhère pas au régime pourrait sérieusement nuire à la capacité de ce dernier de protéger l’économie canadienne. Il en va de même si une province n’adopte pas des mesures suffisantes de protection de la vie privée.
  • Dans les Renvois relatifs à la LTPGES, la Cour suprême a signalé que la « fuite de carbone », c’est-à-dire le phénomène qui se produit lorsque des entreprises de secteurs produisant beaucoup de carbone s’installent dans des ressorts aux politiques de tarification du carbone moins rigoureuses, constituait un risque à l’égard de l’objectif national visé par la loi proposéeNote de bas de page 68. Il en va de même si certaines provinces sont autorisées à mener leurs activités sans normes minimales à respecter en matière de protection de la vie privée. Certes, la création de politiques et la mise en œuvre de pratiques visant à protéger la vie privée des consommateurs nécessite du temps et des ressources. Si des entreprises s’installent dans des provinces où elles peuvent mener leurs activités sans mesures de protection à la vie privée, c’est l’économie nationale qui risque de souffrir puisque les consommateurs pourraient décider de réduire leur participation à celle-ci.

Par conséquent, selon toute vraisemblance, le projet de loi satisfait au cinquième volet du critère énoncé dans l’arrêt General Motors.

VI. LES AMENDEMENTS PROPOSÉS À LA LPVPC PAR LE CVPC SONT-ILS COHÉRENTS AVEC LA COMPÉTENCE GÉNÉRALE EN MATIÈRE DE COMMERCE?

Nous sommes d’avis que les amendements proposés par le CVPC ne changeraient pas les réponses au critère énoncé dans l’arrêt General Motors. Même avec l’ajout des amendements, on répondrait toujours à ces questions par l’affirmative et, dans certains cas, d’une manière encore plus convaincante.

Toutefois, ces amendements, s’ils sont modifiés pour tenir compte de nos propositions, pourraient souligner la nature économique de la question, l’importance de mettre en place une norme unifiée et nationale, ainsi que les effets néfastes qu’aurait une dérogation des provinces sur le succès de l’opération. Ces suggestions permettraient de consolider la constitutionnalité de la loi en tant qu’exercice de la compétence générale en matière de commerce.

Table des matières

I. APERÇU

II. LA COMPÉTENCE GÉNÉRALE EN MATIÈRE DE COMMERCE

III. LE CARACTÈRE VÉRITABLE DU PROJET DE LOI C-11

1. Architecture générale du projet de loi

2. Preuve intrinsèque

3. Preuve extrinsèque

4. Effets juridiques et pratiques

5. Conclusion relative au caractère véritable de la loi

IV. LES AMENDEMENTS PROPOSÉS PAR LE COMMISSAIRE NE MODIFIENT PAS LE CARACTÈRE VÉRITABLE DU PROJET DE LOI

1. Le préambule

2. Les amendements proposés à la disposition d’objet renforcent la constitutionnalité de la Loi

3. Les amendements proposés aux articles 12 et 13 auraient un effet minime sur le caractère véritable ou la validité constitutionnelle de la Loi

V. LE PROJET DE LOI C-11 REMPLIT-IL LE CRITÈRE ÉNONCÉ DANS L’ARRÊT GENERAL MOTORS RELATIF À LA VALIDITÉ CONSTITUTIONNELLE EN VERTU DE LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE COMMERCE?

1. La loi s’inscrit-elle dans un régime général de réglementation?

2. Le régime fait-il l’objet de surveillance constante par un organisme de réglementation?

3. La loi porte-t-elle sur le commerce dans son ensemble plutôt que sur un secteur en particulier?

4. Le régime est-il d’une nature telle que la Constitution n’habiliterait pas les provinces, seules ou de concert, à l’adopter?

5. L’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités dans le régime en compromettrait-elle l’application dans d’autres parties du pays?

VI. LES AMENDEMENTS PROPOSÉS À LA LPVPC PAR LE CPVP SONT-ILS COHÉRENTS AVEC LA COMPÉTENCE GÉNÉRALE EN MATIÈRE DE COMMERCE?

Notes de bas de page

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