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Lettre du commissaire adressée aux ministres de la Justice, de la Sécurité publique et de la Protection civile ainsi que de la Défense nationale demandant une protection accrue du droit à la vie privée des Canadiens aux États-Unis

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Des Canadiens inquiets ont demandé à Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, d’examiner les répercussions du décret du président Donald Trump excluant les personnes qui ne sont pas des citoyens américains ni des résidents permanents légitimes aux États-Unis de la protection offerte par la Privacy Act des États-Unis à l’égard des renseignements concernant des individus identifiables.

D’après le commissaire Therrien, la vie privée des Canadiens bénéficie d’une certaine protection aux États-Unis, mais cette protection est précaire du fait qu’elle repose principalement sur des ententes administratives n’ayant pas force de loi. Le commissaire invite donc les représentants du gouvernement du Canada à demander à leurs homologues américains de renforcer les mesures de protection de la vie privée des Canadiens

Dans la lettre ci-après, le commissaire recommande vivement au gouvernement du Canada de demander aux États-Unis d’ajouter notre pays à la liste des pays désignés en vertu de la Judicial Redress Act. Ainsi, les Canadiens bénéficieraient de certains droits de recours judiciaires prévus par la Privacy Act des États-Unis.


Le 8 mars 2017

L’honorable Ralph Goodale, C.P., député
Ministre de la Sécurité publique
et de la Protection civile
Sécurité publique Canada
269, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)  K1A 0P8

L’honorable Harjit S. Sajjan, C.P., député
Ministre de la Défense nationale
Défense nationale
101, promenade du Colonel-By
Ottawa (Ontario)  K1A 0K2

L’honorable Jody Wilson-Raybould, C.P., députée
Ministre de la Justice et procureure générale du Canada
Justice Canada
284, rue Wellington
Ottawa (Ontario)  K1A 0H8

Madame et Messieurs les Ministres,  

Au cours des dernières semaines, plusieurs Canadiens ont communiqué avec moi afin de soulever leurs graves préoccupations pour le respect de leur droit à la vie privée à la suite de l’adoption récente du décret présidentiel no 13 768 intitulé « Enhancing Public Safety in the Interior of the United States ».

L’article pertinent du décret présidentiel se lit comme suit :

[traduction] Art. 14 de la Privacy Act.  Les organismes devront, dans le respect des lois applicables, s’assurer que leurs politiques relatives aux renseignements personnels excluent les personnes qui ne sont pas des citoyens américains ni des résidents permanents légitimes des dispositions de la Privacy Act concernant les renseignements personnels.

Jusqu’en 2015, la Privacy Act des États-Unis de 1974 n’accordait aucune protection aux non‑Américains, car la définition du terme « individual » qui y est énoncée englobe uniquement les citoyens américains et les ressortissants étrangers en règle. La Judicial Redress Act de 2015 a étendu la protection offerte par la Privacy Act des États-Unis aux citoyens de certains pays désignés comme « pays couverts » par le procureur général des États-Unis. Toutefois, comme le Canada n’est pas un pays désigné, la Privacy Act des États-Unis ne protège toujours pas le droit des Canadiens à la vie privée et ne leur offre encore aucun recours à cet égard.

Le décret présidentiel en question ne change rien à cette réalité, mais il nous permet de mieux comprendre une lacune importante dans la protection des renseignements personnels des Canadiens au sud de la frontière. Cette lacune pourrait être comblée de façon utile si les États-Unis ajoutaient le Canada à la liste des pays désignés en vertu de la Judicial Redress Act. C’est pourquoi je recommande vivement au gouvernement du Canada de demander à l’administration américaine d’ajouter notre pays à cette liste.

Selon moi, cet ajout ferait en sorte que les Canadiens ne seraient plus assujettis au décret présidentiel du fait que celui-ci s’applique « dans le respect des lois applicables » . Le Canada est depuis longtemps un allié et un proche partenaire commercial des États-Unis. En conséquence, j’estime que le Canada devrait réclamer une protection égale à celle offerte aux divers pays européens qui ont été désignés comme « pays couverts » le 17 janvier 2017.

Dans mon analyse des questions qui m’ont été adressées, je crois qu’il est pertinent de noter l’existence d’instruments applicables à l’administration américaine, autres que la Privacy Act des États-Unis, qui assurent une certaine protection des renseignements personnels des Canadiens. Par exemple, en vertu des dispositions classifiées relevant de l’accord COMINT Royaume-Uni–États-Unis (British-U.S. Communication Intelligence Agreement) de 1946 (« accord du Groupe des cinq »), les membres du Groupe des cinq se sont engagés à exercer leurs activités tout en respectant la vie privée des citoyens des autres partenaires. Dans son rapport annuel de 2014-2015, l’honorable Jean-Pierre Plouffe, commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, a référé à ces mesures comme à des engagements de la part des partenaires « à ne pas cibler les communications des autres ». Je ne vois pas en quoi le décret présidentiel affecte ces engagements. Toutefois, comme je l’ai précisé dans mon rapport annuel au Parlement de 2015-2016, ces assurances n’ont pas force de loi et ne peuvent pas être considérées comme des garanties absolues.

J’aimerais mentionner une autre mesure pertinente prise en 2014 par l’administration américaine précédente, à savoir la Presidential Policy Directive 28 (PPD-28), Signals Intelligence Activities. Cette directive a étendu l’application des procédures d’identification, de suppression et de minimisation des renseignements étrangers des citoyens américains à tous les individus, quelle que soit leur nationalité.

Le Plan d’action Par-delà la frontière, établi par le Canada et les États-Unis, comprend l’Énoncé conjoint des principes de protection des renseignements personnels et plusieurs ententes en découlant, qui donnent aussi une certaine assurance concernant la protection des renseignements personnels des Canadiens. Certains mécanismes de protection (par exemple concernant l’accès aux renseignements personnels et leur rectification ainsi que les mesures de redressement) sont similaires à ceux prévus par la Privacy Act des États-Unis et leur efficacité peut dépendre de l’application de cette loi aux Canadiens. À mon avis, la confirmation de l’efficacité des protections offertes dans le Plan d’action constitue une autre raison de demander à l’administration américaine d’ajouter le Canada à la liste de pays désignés en vertu de la Judicial Redress Act.

En outre, les deux pays ont certainement conclu de nombreuses autres ententes de communication d’information qui régissent la communication entre leurs organismes. Afin d’analyser adéquatement les questions qui préoccupent les Canadiens, il faudrait passer en revue les instruments applicables à l’administration américaine qui pourraient prévoir la protection de la vie privée des Canadiens. À cette fin, je vous demanderais de transmettre au Commissariat une copie des ententes de communication d’information conclues par le gouvernement du Canada et l’administration américaine portant sur ces questions, à tout le moins les ententes les plus importantes dans le domaine. Je vous prierais également de consulter le Commissariat sur le contenu de ces ententes pour nous permettre de nous assurer que les renseignements personnels des Canadiens sont dûment protégés.

En terminant, je vous demanderais aussi de rester vigilants, de surveiller toute modification à la mise en œuvre des activités de communication d’information avec les États-Unis et d’informer le Commissariat de tout changement dans la mise en œuvre des ententes qui pourraient réduire la protection de la vie privée des Canadiens. Ainsi, par exemple, je crois que les Canadiens sont en droit de savoir si, malgré le récent décret présidentiel, les États-Unis respectent toujours leurs engagements en vertu de l’accord du Groupe des cinq.

Madame et Messieurs les Ministres, je vous remercie à l’avance de l’attention que vous porterez à la présente et vous prie d’agréer l’assurance de ma considération distinguée.

Le commissaire,

Original signé par

Daniel Therrien

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