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Le 9 novembre 2016

L’article d’opinion suivant par le commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, porte sur de récents reportages des médias sur la surveillance électronique de journalistes. Des versions de cet article ont été reprises par deux quotidiens.

Surveillance des journalistes : Tous les citoyens sont à risque

Par Daniel Therrien
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

La société a eu une saine réaction d'indignation en apprenant au cours des derniers jours que des journalistes avaient fait l'objet d'une surveillance électronique en vertu de mandats émis dans le cadre d'enquêtes policières.  Les gouvernements ont aussi bien réagi, à Québec en annonçant la création d'une commission d'enquête et à Ottawa en indiquant une ouverture au renforcement des règles qui protègent la liberté de la presse.

Mais la menace mise au jour par cette controverse ne se limite pas à la liberté de la presse. Tous les citoyens sont à risque depuis que les règles permettant l'obtention de mandats de surveillance électronique ont été élargies en 2015 suite à l'adoption par le Parlement fédéral du projet de loi C-13 (Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité).

Nous ne connaissons pas tous les faits entourant l'émission des mandats visant les journalistes québécois, mais il semble que certains de ces mandats visaient à obtenir des métadonnées.  Les métadonnées sont les renseignements connexes aux communications téléphoniques ou électroniques, dont les numéros de téléphone, les adresses IP et la géolocalisation, mais elles ne comprennent pas le contenu des communications. 

Les modifications apportées par le projet de loi C-13 avaient entre autres comme objectif de libéraliser les conditions d'obtention de mandats visant les métadonnées, au motif que ces renseignements sont bien moins sensibles que le contenu des communications. Or, on comprend maintenant que les métadonnées peuvent révéler des renseignements sensibles, dont l'identité des sources journalistiques. Des études menées par des universitaires et par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada ont aussi démontré que les métadonnées peuvent révéler l'orientation sexuelle d'une personne, ses croyances religieuses, ses convictions politiques, ou si elle souffre de problèmes de santé mentale.

Les évènements récents démontrent également que les mandats visant l'obtention de métadonnées ne concernent pas que les personnes soupçonnées d'activités criminelles. Ces mandats peuvent être émis à l'endroit de personnes innocentes simplement parce qu'une personne sous enquête a communiqué avec elles, pour des raisons qui n'ont peut-être aucun lien avec la perpétration d'un crime.

Dans son document de consultation sur la sécurité nationale de 2016, le gouvernement fédéral suggère que les règles entourant l'obtention de métadonnées par les forces policières devraient peut-être faire l'objet d'une plus grande libéralisation. Selon l'une des options mises de l'avant, certaines métadonnées deviendraient accessibles sur autorisation non pas d'un juge mais de « fonctionnaires supérieurs. »

À mon avis, les évènements récents démontrent que les normes applicables devraient plutôt être resserrées et que la protection de la vie privée des personnes innocentes devrait être rehaussée.

D'une part, il est important de maintenir le rôle des juges dans l'obtention des métadonnées par les forces policières. Malgré ses imperfections, le système judiciaire assure une indépendance nécessaire à la protection des droits de la personne.

Par ailleurs, nous savons maintenant qu'il n'est sans doute pas suffisant de s'en remettre au pouvoir judiciaire. Certains juges le reconnaissent eux-mêmes. Dans un jugement récent, le juge John Sproat, de la Cour supérieure de l'Ontario, saisi d'une demande d'autorisation d'une ordonnance de production de métadonnées visant des milliers de personnes qui avaient circulé près du lieu d'un certain nombre de crimes, a reconnu ne pas avoir le pouvoir d'imposer des conditions qui auraient assuré une meilleure protection de la vie privée. Selon lui, cette tâche appartient plutôt au législateur.

Je crois aussi qu'il incombe au législateur de mieux définir les conditions en vertu desquelles les renseignements sensibles des Canadiens, dont les métadonnées, devraient être accessibles aux forces policières. 

Ces normes devraient, en premier lieu, clarifier les conditions préalables à l'obtention d'un mandat ou d'une autorisation judiciaire. Quel devrait être le fardeau de preuve exigé des policiers : soupçons ou motifs raisonnables de croire?  La communication des métadonnées ne devrait-elle n'être possible que si toutes les autres méthodes d'enquête n'ont pas donné les résultats escomptés? Ce type de surveillance devrait-il être limité aux crimes graves?

Les normes pourraient ensuite permettre aux juges, lorsque les conditions préalables existent, d'assortir leur autorisation de conditions qui protègeraient la vie privée des personnes visées accessoirement par un mandat et qui ne sont pas soupçonnées de participer à un crime. Par exemple, les métadonnées reliées à des communications qui n'ont pas de lien avec une activité criminelle devraient être détruites sans délai.

Les Canadiens veulent que les forces policières aient les moyens de les protéger mais ils veulent aussi que leurs droits soient respectés. Ils ont été choqués d'apprendre que les données personnelles émises par nos moyens de communication modernes puissent être aussi facilement disponibles, apparemment sans que des droits fondamentaux ne soient suffisamment pris en compte.

Le Parlement canadien a un rôle important afin d'éviter de telles violations du droit à la vie privée.

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