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Allocution au Symposium de Venise sur la protection de la vie privée 2023 : panel d’ouverture sur les possibilités et le changement de paradigme que présente la Convention 108+

Le 17 avril 2023
Venise (Italie)

Allocution prononcée par Philippe Dufresne
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Je suis heureux d’être ici aujourd’hui avec vous tous dans la belle ville de Venise.

C’est la première fois que je participe au Symposium sur la protection de la vie privée, et je suis honoré d’être assis aux côtés de si distingués collègues : Mme Nataša Pirc Musar, présidente de la Slovénie; M. Pasquale Stanzione, président de Garante; M. Bjørn Berge, secrétaire général adjoint du Conseil de l’Europe; Mme Beatriz de Anchorena, directrice de l’Agence nationale de l’accès à l’information publique d’Argentine; Mme Tiziana Lippiello, de l’Università Ca' Foscari Venezia; et M. Sébastien Ziegler, président du Forum international de l’Internet des objets et du Centre européen de certification et de protection de la vie privée.

J’avais hâte de participer à ce symposium et je suis ravi d’avoir l’occasion d’échanger avec des leaders exceptionnels de la protection de la vie privée de partout dans le monde sur ces questions importantes.

Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a le privilège de présider le groupe de travail de l’Assemblée mondiale pour la protection de la vie privée (AMVP) sur la protection des données et autres droits et libertés.

Mes propos aujourd’hui sur la Convention s’inscrivent dans la foulée des discussions et des travaux de ce groupe, qui compte des représentants de plus de deux douzaines d’autorités de la protection des données de partout dans le monde.

Nos travaux reposent principalement sur la reconnaissance de la protection de la vie privée et de la protection des données comme un droit fondamental, et la reconnaissance du respect du droit à la vie privée comme condition essentielle à notre dignité et à la pleine jouissance des libertés fondamentales.

Je suis heureux d’être ici aujourd’hui pour prendre part à la discussion sur le potentiel et les avantages d’instruments internationaux comme la Convention 108+.

Je tiens à souligner que je m’adresse à vous aujourd’hui en tant qu’autorité de protection des données du Canada et que je ne représente pas le gouvernement du Canada, lequel a la compétence exclusive pour négocier et conclure des traités internationaux.

De mon point de vue, et en tant que membre de l’AMVP, l’intérêt continu que portent les autorités internationales de protection des données à l’égard du potentiel de la Convention modernisée se décline en 3 volets.

Premièrement, il y a le potentiel éducatif de la Convention, à la fois comme point de référence et comme point de repère réglementaire. L’expertise et le soutien réunis dans le cadre de la Convention, au Conseil de l’Europe par l’entremise du Comité consultatif (ou T-PD), sont considérables et de grande envergure. Cette expertise et ce soutien étaient manifestes lors des réunions et des plénières et lors de l’élaboration de documents d’orientation et de rapports.

À titre d’exemple, les travaux du T-PD sur la protection des données inter-juridictionnelles représentent un corpus de connaissances et de recherches s’échelonnant sur des décennies. Il s’agit là d’une réalisation digne de mention. Depuis 1981, la Convention et les transferts transfrontaliers de données personnelles sont au cœur des délibérations du T-PD, et les travaux de ce comité ont été grandement utiles à la communauté mondiale de la protection des données.

Deuxièmement, il y a le potentiel normatif d’une convention modernisée, qui pourrait à la fois servir à marquer une étape et à tracer la voie à suivre. Des centaines de lois nationales et territoriales sur la protection de la vie privée sont en vigueur partout dans le monde, et elles sont constamment soumises à des révisions réglementaires et à des réformes juridiques. Parallèlement, en raison de la circulation des données, des voix s’élèvent pour harmoniser les approches de surveillance et de protection des données et pour favoriser une plus grande harmonisation réglementaire afin de protéger le droit à la vie privée et d’assurer la cohérence en matière d’application de la loi.

À cette fin, la Convention offre un langage commun pour aplanir ces différences. Elle peut être adoptée par les pays peu importe leurs orientations de marché, leur population, leur historique sur le plan juridique et leurs normes culturelles. En effet, depuis 2018, des États qui ne font pas partie de l’Union européenne suivent les travaux avec intérêt et sont même devenus signataires eux-mêmes.

Une approche fondée sur les droits par rapport à une approche non fondée sur les droits en matière de protection de la vie privée : voilà qui a fait l’objet de nombreux débats et discussions, qui se poursuivent encore aujourd’hui. Les approches peuvent différer d’un pays à l’autre et, selon l’endroit où l’on vit, la protection de la vie privée peut être considérée comme un droit individuel, un droit des consommateurs ou un droit constitutionnel.

À mon avis, il est possible de traiter et de reconnaître la protection de la vie privée et la protection des données comme un droit fondamental, quelle que soit la façon de les aborder. Nous ne protégeons pas la vie privée simplement parce qu’il s’agit d’un droit individuel, d’un droit des consommateurs ou d’un droit constitutionnel – nous protégeons la vie privée parce qu’elle sous-tend de nombreux autres droits fondamentaux, comme les droits démocratiques (par exemple Cambridge Analytica) et le droit d’être protégé contre toute discrimination (par exemple Clearview AI).

Ce qui importe, c’est que la vie privée et la protection des données soient traitées comme une priorité et reconnues comme un droit fondamental. L’universalité de cette approche est très claire lorsque l’on examine les nombreux instruments juridiques internationaux qui codifient explicitement la protection de la vie privée ou la protection des données comme un droit fondamental, et lorsque l’on constate les nombreux signataires de chacun de ces instruments (par exemple la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politique, etc.).

Troisièmement, il y a le potentiel de défense des droits, que nous pouvons constater dans le texte même. Par exemple, les liens explicites établis dans le préambule et les premiers articles soulignant la relation entre la protection des données, le droit à la vie privée et d’autres droits fondamentaux.

Encore aujourd’hui, dans de nombreuses juridictions et de nombreux environnements réglementaires, ces liens ne sont pas toujours pris en compte de la même manière – en particulier concernant la façon dont le droit à la vie privée sous-tend d’autres droits et libertés importants, ainsi que la mesure dans laquelle ces droits sont fondamentaux, tels qu’ils sont reconnus dans le droit international, les instruments multilatéraux et dans de nombreuses juridictions nationales par les lois sur la protection de la vie privée ou les tribunaux.

Du point de vue du Groupe de travail sur la protection des données et des autres droits et libertés de l’AMVP, mais aussi de mon point de vue en tant que commissaire à la protection de la vie privée du Canada, ces interdépendances sont essentielles. Les renseignements personnels sont intimement liés à notre identité, et le respect du droit à la vie privée est essentiel à notre dignité et à la pleine jouissance des libertés fondamentales.

La Convention présente un cadre clair et concret qui permet de reconnaître et de résoudre des enjeux mondiaux de protection des données. Pour moi, il s’agit d’un succès historique, d’une promesse très importante et d’une prémisse cruciale sur laquelle nous pouvons et devons nous appuyer.

Merci.

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