Une vision pour la protection de la vie privée : Droits, confiance et intérêt public
Allocution principale présentée lors du Symposium en ligne de l’Association du Barreau canadien sur le droit de la vie privée et de l’accès à l’information
Le 4 novembre 2022
Présentation virtuelle
Allocution prononcée par Philippe Dufresne
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
(Le texte prononcé fait foi)
Introduction
Merci de cette aimable présentation et de votre invitation à venir vous parler aujourd’hui.
Il s’agit de ma première allocution principale en tant que commissaire à la protection de la vie privée du Canada et, à bien des égards, il convient tout à fait que ce soit devant vous. L’Association du Barreau canadien (ABC) joue un rôle inestimable au Canada, non seulement pour défendre les intérêts de la profession juridique canadienne et du droit, mais aussi pour protéger et promouvoir la primauté du droit.
Ces dernières années, l’ABC s’est tout particulièrement attachée à renforcer l’égalité dans la profession et à éliminer la discrimination. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que je suis tout à fait d’accord avec ces priorités.
Je suis membre de l’ABC depuis le début de ma carrière. J’ai eu la chance d’occuper un certain nombre de rôles au sein de l’ACCJE, du forum des avocats du secteur public, des sections du droit constitutionnel et de la direction de la Division du Québec. Dans tous ces rôles, il était évident pour moi que l’ABC jouit d’une solide crédibilité et que les effets de ses contributions se font ressentir. Cela est certainement le cas pour votre groupe en ce qui concerne le droit de la vie privée. En tant que nouveau commissaire à la protection de la vie privée du Canada, je me réjouis à la perspective de collaborer étroitement avec vous pour faire progresser la réforme législative et mettre en œuvre des régimes de protection et de promotion de la vie privée de calibre mondial, dans l’intérêt du Canada et de la population canadienne.
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai consacré ma vie professionnelle au renforcement des institutions publiques du Canada ainsi qu’à la protection et à la promotion des droits fondamentaux des Canadiennes et des Canadiens. En tant qu’avocat général principal de la Commission canadienne des droits de la personne, j’étais responsable des activités juridiques et opérationnelles de l’organisation, conformément à la Loi sur les droits de la personne. En tant que légiste et conseiller parlementaire de la Chambre des communes, j’étais le principal conseiller juridique de l’institution. Je dirigeais alors ce que j’aimais décrire comme le ministère de la Justice du pouvoir législatif, chargé de la protection de la vie privée, de la démocratie parlementaire et des droits et privilèges des parlementaires. Au début de ma carrière, j’ai également occupé brièvement le poste d’avocat à Affaires mondiales Canada, où je m’occupais des dossiers liés aux droits de la personne et aux tribunaux pénaux internationaux.
Tous ces rôles exigeaient la promotion et la protection de normes juridiques et constitutionnelles fondamentales, mais aussi la réalisation d’objectifs et d’intérêts concrets. Il fallait rejeter le faux choix qui consiste à dire que l’on peut avoir soit les droits de la personne, soit la sécurité nationale; ou que l’on peut avoir soit le privilège parlementaire, soit la santé et la sécurité; ou encore soit le principe de la souveraineté nationale, soit un système de droit pénal international.
Cette approche consistant à protéger et à promouvoir les droits fondamentaux tout en réalisant des intérêts importants s’applique également au domaine de la protection de la vie privée. Au cours des prochaines années, les institutions canadiennes devront trouver les bonnes façons de protéger et de promouvoir notre droit fondamental à la vie privée tout en tirant parti des nouvelles possibilités technologiques. Il s’agit là d’un défi de taille.
Les progrès rapides que nous observons dans le secteur des technologies sont emballants. Ces avancées présentent un énorme potentiel pour stimuler l’innovation et améliorer la qualité de vie des Canadiennes et des Canadiens. Toutefois, il est essentiel de s’assurer que nous sommes en mesure d’utiliser ces innovations tout en protégeant la vie privée pour réussir en tant que société libre et démocratique, fondée sur la protection et la reconnaissance des droits individuels et collectifs.
Pour ce faire, il faudra moderniser les lois fédérales sur la protection des renseignements personnels dans les secteurs public et privé, tant pour réagir et s’adapter à ces changements sociétaux et technologiques que pour suivre le rythme des autres administrations en matière de législation, au Canada comme à l’étranger.
En juin dernier, le gouvernement a franchi une étape importante à cet égard en déposant le projet de loi C-27, la Loi de 2022 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique. Ce projet de loi, qui vise à moderniser la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), témoigne du fait que le gouvernement reconnaît que les Canadiennes et les Canadiens ont besoin de lois modernisées sur la protection des renseignements personnels, et qu’ils s’attendent à de telles lois. En tant que nouveau commissaire à la protection de la vie privée du Canada, je me réjouis du dépôt de ce projet de loi, qui constitue une amélioration par rapport à son prédécesseur, le projet de loi C-11, et par rapport à la LPRPDE. Je compte donner mon avis au Parlement, plus tard cet automne j’espère, sur la façon d’améliorer encore ce projet de loi.
Ce faisant, j’appliquerai les trois éléments de ma vision de la protection de la vie privée, que j’ai présentés à la Chambre des communes et au Sénat pendant mes audiences de confirmation en juin. Ces trois éléments sont les suivants :
- la protection de la vie privée est un droit fondamental;
- la protection de la vie privée est un moyen de favoriser l’intérêt public et d’appuyer l’innovation et la compétitivité du Canada;
- la protection de la vie privée est un moyen d’accentuer la confiance des Canadiennes et des Canadiens envers leurs institutions et en tant que citoyens numériques.
Cette vision repose sur le fait que les Canadiennes et les Canadiens veulent pouvoir participer activement et en toute connaissance de cause au monde numérique, sans être obligés de choisir entre cette participation et leur droit fondamental à la vie privée. Ils devraient être en mesure de bénéficier des initiatives d’intérêt public et des avancées économiques rendues possibles grâce aux nouvelles technologies, tout en ayant l’assurance que leurs lois et leurs institutions sont là pour protéger adéquatement leurs renseignements personnels. Bref, la protection de la vie privée est fondamentale, elle sert d’importants intérêts publics et privés et permet de susciter la confiance nécessaire.
Aujourd’hui, je veux parler de ce que ces trois piliers signifient pour moi en tant que commissaire à la protection de la vie privée, et de ce qu’ils signifient pour les Canadiennes et les Canadiens.
Le droit à la vie privée est un droit fondamental
En 2019, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et ses homologues internationaux à l’Assemblée mondiale pour la protection de la vie privée ont déclaré, dans une résolution, que « la protection de la vie privée est une condition préalable aux autres libertés des citoyens ainsi qu’un droit fondamental à la démocratie et au développement personnel et social ». En outre, la résolution indiquait qu’il existe « un lien indispensable entre la protection du droit à la vie privée et l’engagement de la société à promouvoir et à respecter les droits de la personne et le développement ».
Cette description du droit à la vie privée comme une condition nécessaire à l’existence d’autres droits fondamentaux est conforme à l’interprétation de longue date de la Cour suprême du Canada, selon laquelle les lois sur la vie privée ont un statut quasi constitutionnel. La Cour a réaffirmé ce principe important dans l’affaire Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce de 2013, où elle a déclaré ce qui suit : « une loi qui vise à protéger un droit de regard sur des renseignements personnels devrait être qualifiée de "quasi constitutionnelle" en raison du rôle fondamental que joue le respect de la vie privée dans le maintien d’une société libre et démocratique ».
Cela correspond au droit international et à l’inclusion du droit à la vie privée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Je tiens à souligner que le projet de loi C-27 contient maintenant un préambule qui rend explicite la reconnaissance par le Parlement de l’importance des principes de protection de la vie privée et des données exprimés dans divers instruments internationaux.
Traiter la vie privée comme un droit fondamental et quasi constitutionnel, c’est la traiter comme les autres droits de la personne, c’est-à-dire comme une priorité.
Cela signifie que la vie privée doit être protégée, et que sa protection doit être encadrée par un régime juridique solide, équitable et applicable, fondé sur les droits. Un régime qui doit offrir de véritables recours pour prévenir et traiter les infractions et qui incitera les institutions à créer une culture de protection de la vie privée. Permettez-moi de le répéter. Une culture de protection de la vie privée. La vie privée dès la conception, c’est prendre en compte la vie privée dès le départ, la valoriser et la privilégier. C’est inclure et intégrer la vie privée au début des activités d’innovation, et non y réfléchir après coup ou la considérer comme un irritant du cadre réglementaire.
Cela signifie que la collecte, l’utilisation, la conservation et la communication de renseignements personnels doit être limitée à ce qui est manifestement nécessaire et proportionnel.
Cela signifie que, tout comme nous ne pouvons pas nous soustraire aux droits de la personne, la protection de la vie privée ne peut pas reposer entièrement sur un modèle de consentement. En effet, dans un système juridique fondé sur la primauté du droit et les principes démocratiques, on ne peut pas seulement laisser aux individus le soin d’assurer la protection de leur droit fondamental à la vie privée, comme une pure question contractuelle. Certes, le consentement constitue un élément important du droit de la vie privée, mais il ne peut en être le seul.
Ceux qui travaillent dans l’économie du savoir et qui en tirent profit doivent également rendre compte de la manière dont ils utilisent les renseignements. Comme le savent les plaideurs parmi nous, l’une des façons pour les tribunaux de décider à quelle partie il revient de faire quelque chose est d’évaluer laquelle est la mieux outillée pour accomplir la tâche ou fournir les renseignements nécessaires, et laquelle est la plus vulnérable ou a besoin de protection.
Cela est particulièrement vrai pour les enfants, qui ont besoin de garanties encore plus strictes en matière de protection de la vie privée. Ceux d’entre nous qui sont parents ont pu constater que les enfants ont utilisé davantage la technologie et les médias sociaux ces dernières années. En raison de la pandémie, certaines utilisations sont même devenues obligatoires, car des écoles exigent dorénavant que les élèves utilisent diverses applications en ligne à des fins éducatives.
S’il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que les adultes comprennent les formulaires de consentement et les règles complexes en matière de protection de la vie privée, et à ce qu’ils en assument la responsabilité, il est tout simplement inacceptable d’imposer ce fardeau aux enfants. Le système juridique et ses institutions doivent prendre le relais pour offrir davantage de mesures de protection aux enfants, ainsi que de l’information sur la façon de naviguer dans le monde numérique en toute sécurité en protégeant leur vie privée.
Traiter le droit à la vie privée comme un droit fondamental, c’est donner à celui-ci une interprétation large et téléologique conforme à la finalité et aux objectifs de la législation. Dans le cas de la loi sur la protection des renseignements personnels applicable au secteur privé, il peut s’agir de la promotion du commerce en tant que question de compétence fédérale.
Cela signifie que dans les cas de conflit – et ceux-ci seront rares – entre le droit quasi constitutionnel à la vie privée et les intérêts privés ou publics, la protection de la vie privée l’emportera. Je dis que ces conflits seront rares parce qu’en créant une culture de protection de la vie privée et en protégeant les renseignements personnels dès le départ, nous serons en mesure d’éviter la plupart des conflits et d’atteindre à la fois le respect de la vie privée et les intérêts publics ou privés souhaités.
Cela m’amène à mon deuxième pilier.
La protection de la vie privée est un moyen de favoriser l’intérêt public et d’appuyer l’innovation et la compétitivité du Canada
Le deuxième élément de ma vision est la reconnaissance des effets positifs de la protection de la vie privée et le rejet du faux choix entre la protection de la vie privée et l’intérêt public ou l’innovation. Tout comme nous pouvons et devons combiner les droits de la personne et la sécurité nationale, nous pouvons et devons également protéger la vie privée tout en favorisant l’intérêt public et l’innovation. Il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle et, comme dans tant de domaines, nous devons rejeter les extrêmes dans l’une ou l’autre direction.
Les Canadiennes et les Canadiens devraient pouvoir participer activement et en toute connaissance de cause au monde numérique, sans être obligés de choisir entre cette participation et leur droit fondamental à la vie privée. Le Canada peut être un centre de l’innovation et un modèle de bon gouvernement tout en disposant d’un régime juridique quasi constitutionnel solide et efficace pour protéger les renseignements personnels de la population.
Pour faire une comparaison avec le système judiciaire, nous conviendrions tous, en tant qu’avocats, que l’équité procédurale et la justice naturelle dans les procès sont essentielles. Mais nous reconnaissons également que les procédures judiciaires doivent être conclues sans délais déraisonnables et que les coûts du système judiciaire doivent être gérés efficacement. Nous ne considérons pas ces objectifs comme un jeu à somme nulle, où nous échangeons l’équité contre la réduction des coûts ou la rapidité. Au contraire, nous devons unir nos efforts au sein de la profession juridique, et quel que soit notre rôle dans le système, pour faire en sorte que le droit fondamental à la justice naturelle soit protégé tout en atteignant les autres objectifs importants d’intérêt public que sont une justice rapide et abordable. Je ne dis pas que c’est facile, mais je dis que c’est nécessaire.
Cela s’applique avec la même force lorsqu’il s’agit de la protection de la vie privée, de l’intérêt public et de l’innovation. Bien que le droit à la vie privée l’emporte en cas de conflit, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter ces conflits et atteindre ces objectifs tout en protégeant la vie privée.
L’importance d’éviter de tels conflits a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, lorsque la Cour a déclaré que la première étape dans le traitement d’un conflit potentiel entre des droits concurrents est de tout mettre en œuvre pour le prévenir. C’est particulièrement vrai dans le cas d’un conflit potentiel entre un droit fondamental comme la vie privée, d’une part, et des intérêts publics ou privés ordinaires mais importants, d’autre part.
La solution pour éviter le conflit consiste à prendre en compte la vie privée dès le départ, et non après coup. Ce sera moins cher et plus efficace, et les sommes dépensées deviendront des investissements.
D’ailleurs, selon une enquête réalisée par Cisco au début de l’année, la protection de la vie privée est une bonne chose pour les affaires : 81 % des personnes interrogées ont déclaré que leurs dépenses liées à la protection de la vie privée donnaient des résultats avantageux. L’argent dépensé pour protéger et promouvoir la vie privée est un investissement dans la confiance et la sécurité de vos clients, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.
Il ne s’agit pas ici de choisir une option et d’exclure l’autre. Même dans le contexte d’outils portant atteinte à la vie privée tels que la technologie de reconnaissance faciale, les commissaires à la protection de la vie privée fédéral, provinciaux et territoriaux au Canada n’ont pas demandé une interdiction pure et simple, mais plutôt un cadre juridique clair et solide pour réglementer son utilisation. C’est d’ailleurs le sujet d’un récent rapport du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes, qui a recommandé un moratoire sur l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale jusqu’à ce qu’elle puisse être examinée par les tribunaux ou par le Commissariat.
J’accueille favorablement le rapport du Comité, qui confirme et réaffirme la nécessité de réglementer adéquatement et rapidement les technologies ayant une incidence sur la vie privée, comme la reconnaissance faciale et l’intelligence artificielle, de manière à protéger et à promouvoir le droit fondamental des Canadiennes et des Canadiens à la vie privée. Le rapport souligne la nécessité de mettre en place d’importantes mesures en ce sens, dont les suivantes :
- rendre obligatoires les évaluations des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) et la consultation du Commissariat avant l’adoption, la création et l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale;
- favoriser la responsabilisation et la transparence au moyen d’une supervision accrue et de mécanismes renforcés de consultation et de communication publique;
- adopter un cadre juridique solide et efficace permettant de fixer des limites à l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale par les services de police et de s’assurer que la vie privée est protégée à toutes les étapes du processus;
- moderniser les lois sur la protection des renseignements personnels applicables aux secteurs public et privé.
La semaine dernière, mes collègues provinciaux et territoriaux et moi-même avons publié une résolution sur l’identité numérique. Nous y avons exprimé que les avantages d’un écosystème d’identité numérique ne pourront se concrétiser qu’avec des normes adéquates pour protéger la vie privée. Au moment d’annoncer cette résolution, j’ai déclaré que la conception et l’exploitation d’un écosystème d’identité numérique constituent une occasion en or de démontrer comment l’innovation et la protection de la vie privée peuvent coexister.
Nous sommes conscients des avantages d’un système qui permettra aux particuliers, aux entreprises et aux gouvernements de confirmer l’identité des individus et d’effectuer des transactions en ligne avec un haut degré d’efficacité et de confiance. Mais nous devons également reconnaître que si les projets d’identité numérique et les cadres qui les soutiennent ne répondent pas à des normes élevées en matière de protection de la vie privée, de sécurité, de transparence et de responsabilité, ils ne seront pas considérés comme étant suffisamment fiables pour être largement adoptés, et les avantages ne se concrétiseront pas. Dans notre résolution, nous demandons aux gouvernements et aux intervenants d’intégrer dès le départ ces caractéristiques dans l’écosystème.
Plus tôt cet été, j’ai participé à la réunion des autorités de protection des données du G7 à Bonn, en Allemagne. Le thème de notre réunion était « La libre circulation des données dans la confiance ». Nos discussions ont porté sur les espaces internationaux de données, les outils de transfert de données, les technologies d’amélioration de la confidentialité et les normes de dépersonnalisation. Tous ces thèmes vont dans le sens de la proposition selon laquelle la protection de la vie privée et le commerce international peuvent et doivent coexister.
Les exercices de réforme de la loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, mis de l’avant par le gouvernement, ont cherché à atteindre cet équilibre en donnant aux organisations une plus grande souplesse pour utiliser les renseignements personnels, même sans consentement, si cela est fait pour des intérêts commerciaux légitimes. Comme vous vous en souvenez peut-être, dans son mémoire sur l’ancien projet de loi C-11, lequel est mort au feuilleton l’été dernier, le Commissariat était d’accord avec cette intention, à condition que cela soit fait dans un cadre fondé sur les droits, selon les principes de nécessité et de proportionnalité, et avec une plus grande responsabilité pour les entreprises.
Parmi les outils permettant de défendre à la fois l’intérêt public et l’intérêt des particuliers et de protéger la vie privée, soulignons la protection de la vie privée dès la conception, la préparation d’évaluations des facteurs relatifs à la vie privée dans les cas appropriés, ainsi que la réglementation et l’utilisation de renseignements dépersonnalisés.
Traiter la vie privée comme un droit fondamental et simultanément trouver des moyens de défendre l’intérêt public et l’innovation, ce n’est pas seulement possible, c’est aussi un cercle vertueux qui suscitera la confiance et servira ces intérêts. Cela m’amène à mon troisième pilier.
La protection de la vie privée est un moyen d’accentuer la confiance dans l’économie numérique
Lorsque le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a présenté le projet de loi C-27 en juin dernier, il a souligné l’importance de la confiance. Je suis du même avis que lui, et j’ajouterais que la façon de gagner cette confiance passe par une protection efficace de la vie privée.
Lorsque les gens ont la certitude que leurs droits seront protégés, ils se sentent en confiance pour participer librement à l’économie numérique. C’est avantageux à la fois pour la population canadienne, pour les affaires et pour l’innovation.
Pourtant, dans notre plus récent sondage auprès de la population canadienne, plus de la moitié des répondants ont affirmé avoir l’impression que les entreprises ne respectent pas leur vie privée.
Comment pouvons-nous rétablir cette confiance? Permettez-moi de souligner trois choses.
Premièrement, nous avons besoin d’un ensemble solide de lois sur la protection des renseignements personnels dans les secteurs public et privé. Des lois qui réglementent équitablement et efficacement la collecte, l’utilisation, la conservation et la communication des renseignements personnels des Canadiennes et des Canadiens, afin que ces derniers sachent qu’ils ne sont pas laissés à eux-mêmes pour protéger leur droit fondamental à la vie privée. Comme je l’ai déjà dit, ces lois doivent être fondées sur les droits et prévoir des recours efficaces en cas d’atteinte à la vie privée. Pour y parvenir au Canada, il faudra moderniser autant la LPRPDE que la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Deuxièmement, et cela concerne directement le Commissariat, nous devons veiller à ce que les autorités de protection des données disposent des pouvoirs et des ressources nécessaires pour fournir non seulement des mécanismes de conformité et de protection pour traiter les plaintes, mais aussi pour donner des conseils indépendants et spécialisés aux organisations, afin que la protection de la vie privée puisse être pleinement intégrée dans les grandes initiatives dès le départ et suivie en permanence.
L’utilisation par la GRC d’outils d’enquête sur appareil, rendue publique récemment, illustre bien l’importance pour les organisations de pouvoir obtenir des conseils indépendants, et d’être perçues comme telles. Ces outils d’enquête permettent d’accéder au contenu des téléphones intelligents et d’activer les fonctions photo et audio de ces téléphones, à l’insu des utilisateurs. En juin dernier, la GRC a confirmé au Parlement qu’elle avait utilisé de tels outils après avoir obtenu une autorisation judiciaire, mais sans en informer le Commissariat, alors que la politique gouvernementale l’exige bel et bien. Les Canadiennes et les Canadiens ont exprimé leur inquiétude à cet égard, et le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes a amorcé une étude sur le sujet.
Dans mon témoignage devant le Comité, j’ai fait remarquer que, bien qu’il puisse être justifié d’utiliser de tels outils selon les circonstances, le fait que la GRC n’a pas consulté le Commissariat a entraîné une baisse du niveau de confiance de la population canadienne. J’ai précisé qu’il était impératif qu’une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée soit présentée au Commissariat dans de tels cas, et que cela devrait devenir une exigence juridique contraignante dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Lors d’une autre comparution cet été devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications dans le cadre d’un examen des modifications proposées à la Loi sur la radiodiffusion, j’ai formulé une recommandation semblable, à savoir que le CRTC devrait être tenu de communiquer avec le Commissariat lorsqu’il envisage de rendre des ordonnances qui pourraient avoir une incidence sur la vie privée des Canadiennes et des Canadiens.
J’espère que dans la plupart de ces situations, soit nous serons satisfaits des mesures qui sont prises, soit nous serons en mesure de donner des conseils permettant de corriger le tir dès le départ. Ce qui est certain, c’est que l’existence même de ces consultations avec le Commissariat susciterait la confiance des Canadiennes et des Canadiens dans le fait que leur vie privée est dûment prise en compte et qu’elle est protégée.
Troisièmement, pour rétablir la confiance, nous devons créer une solide culture de protection de la vie privée, où les Canadiennes et les Canadiens n’ont pas l’impression d’être poussés ou encouragés à fournir plus de renseignements que ce qui est strictement nécessaire et proportionnel pour atteindre les objectifs des organisations qui en font la demande. Il faut qu’ils puissent choisir facilement les paramètres de sécurité protégeant le mieux la vie privée et il faut expliquer clairement quand, comment et pourquoi leurs renseignements sont recueillis, utilisés, communiqués et conservés.
Nos conclusions dans l’enquête sur Tim Hortons ̶ dont l’application suivait l’emplacement des utilisateurs même lorsque celle-ci n’était pas utilisée, et ce, à l’insu des utilisateurs ou sans leur consentement ̶ montrent comment la confiance peut être ébranlée lorsque la vie privée n’est pas suffisamment prise en compte et protégée. Cela nous rappelle le travail qu’il reste à faire en tant que société pour favoriser une culture où la protection de la vie privée est le paramètre par défaut et où les Canadiennes et les Canadiens ont le réflexe de toujours demander pourquoi leurs renseignements personnels sont demandés. Une culture de protection de la vie privée, c’est avec la protection de la vie privée dès la conception et la protection de la vie privée par défaut.
En conclusion, il ne fait aucun doute que l’économie moderne est de plus en plus dépendante de la valeur des données extraites au moyen des technologies numériques. Toutefois, nous avons aussi constaté les risques inhérents aux technologies qui ne disposent pas de mesures de protection adéquates, et les préjudices qu’elles peuvent causer. Les Canadiennes et les Canadiens ne devraient pas avoir à regarder par-dessus leur épaule lorsqu’ils utilisent la technologie. L’approche à adopter consiste en une réforme de nos lois sur la protection des renseignements personnels de manière à ce qu’elles soient axées sur la reconnaissance et la protection de la vie privée en tant que droit fondamental, et que du même coup, elles servent l’intérêt public, favorisent l’innovation et renforcent la confiance des Canadiennes et des Canadiens à l’égard de leurs institutions et de l’économie numérique.
C’est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions.
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