Discussion sur la protection des renseignements personnels
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Allocution prononcée à une présentation au caucus ouvert du Sénat
Le 30 mai 2018
Ottawa (Ontario)
Allocution prononcée par Daniel Therrien
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
(Le texte prononcé fait foi)
Les allégations au sujet d’une utilisation non autorisée des renseignements personnels de 50 millions d’utilisateurs Facebook sonnent l’alarme d’une crise en développement pour le droit à la vie privée. Non seulement la confiance des consommateurs a été mise à mal, mais aussi celle des citoyens à l’égard des processus démocratiques.
Il est maintenant évident que les renseignements personnels peuvent faire l’objet d’analyses à des fins bien plus insidieuses que pour le marketing.
Le Commissariat a lancé une enquête officielle sur Facebook. Nous devons bien entendu faire preuve d’impartialité et nous abstenir d'anticiper les résultats. Néanmoins, les allégations mettent en lumière les lacunes de nos lois sur la protection de la vie privée.
Les Canadiens veulent profiter des nombreux bienfaits de l’économie numérique, mais ils s’attendent à juste titre à ce qu’ils puissent le faire tout en sachant que leurs droits seront protégés par des lois efficaces et que leurs renseignements personnels ne seront pas utilisés contre eux. L’autoréglementation est de toute évidence insuffisante. Même les grandes entreprises technologiques le constatent ouvertement à présent.
Les lois canadiennes relatives au respect de la vie privée sont dépassées et ne sont plus à la hauteur de la tâche à accomplir. Nous avons un besoin urgent de lois modernes pour nous protéger, en tant que citoyens et consommateurs.
En ce moment, par exemple, les partis politiques fédéraux ne sont pas assujettis aux lois sur la protection de la vie privée. Cette situation est inacceptable. Le Canada doit également agir devant la gravité d’allégations selon lesquelles les renseignements personnels des électeurs font l'objet d'analyses visant à influencer les processus démocratiques. Soumettre les partis aux lois de la vie privée serait un pas dans la bonne direction.
Il faut également considérer que l’information au sujet de nos opinions politiques est très sensible et doit donc être protégée. C’est un fait reconnu dans plusieurs administrations, y compris en Europe, en Nouvelle-Zélande et en Colombie-Britannique. J’ai entendu des politiciens fédéraux dire qu’ils acceptent que les partis politiques devraient être assujettis aux lois relatives au respect de la vie privée, tout comme les entreprises et les ministères gouvernementaux. D’autres, comme les ministres Brison et Gould, semble-t-il, craignent que cela nuirait aux communications entre les partis et les électeurs. Le gouvernement semble penser que la situation des partis et des compagnies n’est pas la même. Je n’ai pas encore vu de preuve à cet effet. Il est possible que cette preuve existe, mais elle n’a pas encore été présentée. Ce que l’on sait c’est que la démocratie semble toujours florissante dans les pays où les partis doivent se soumettre aux lois relatives au respect de la vie privée.
Il importe peu d’identifier la loi précise où trouver les règles en matière de protection de la vie privée. Ce pourrait être dans la Loi électorale, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ou une autre loi. Ce qui importe, c’est que des principes de protection de la vie privée reconnus à l’échelle internationale (non pas des politiques définies par des partis) soient intégrés dans la législation nationale, et qu’un tiers indépendant, possiblement le Commissariat, puisqu’il possède l’expertise nécessaire, ait l’autorité de vérifier la conformité.
Les risques liés à la protection de la vie privée sont également en hausse dans le monde des affaires. Les renseignements personnels occupent une place centrale dans les nouveaux modèles d’affaires en ligne, et ils jouent un rôle essentiel dans les avancées concernant l’utilisation des mégadonnées et de l’intelligence artificielle. Ces avancées sont essentielles au développement économique du pays.
La confiance visant à permettre à l’économie numérique de croître repose sur l’existence d’un cadre juridique approprié.
D’abord et avant tout, une loi moderne protégerait mieux les Canadiens. Mais elle offrirait également aux entreprises la sécurité juridique dont elles ont besoin dans un environnement de plus en plus complexe. C’est une certitude qu’elles n’ont pas lorsqu’elles s’appuient sur une notion de consentement si élastique qu’elle devient vulnérable aux contestations.
Nous avons besoin d’un cadre législatif qui exige un consentement véritable et éclairé comme règle générale, tout en reconnaissant que le consentement ne sera pas toujours possible dans le monde des mégadonnées et de l'intelligence artificielle, où les renseignements personnels sont utilisés à des fins qui ne sont pas toujours connues lors de leur cueillette initiale. Dans ces situations, les organisations ont un rôle important à jouer dans la gestion responsable des renseignements personnels.
Dans cette optique, la loi devrait permettre au Commissariat à titre de tiers indépendant, de se rendre dans une organisation et de vérifier si cette dernière respecte les principes de protection de la vie privée, et ce, sans devoir au préalable soupçonner qu’il y a eu violation de la loi. De telles inspections ont lieu dans d’autres domaines réglementés. Pourquoi nos renseignements personnels ne méritent-ils pas la même protection?
Le moment est aussi venu de conférer au Commissariat le pouvoir d’émettre des ordonnances et d’imposer des amendes contre ceux qui refusent de se conformer à la loi.
J’ai constaté avec plaisir qu’un comité parlementaire a récemment publié un rapport réclamant des changements en profondeur à la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. J’appelle le gouvernement à donner suite à ce rapport.
Une très grande majorité des Canadiens sont préoccupés du fait que la révolution numérique porte atteinte à leur vie privée. Les récents évènements ne feront rien pour les rassurer. Les Canadiens méritent mieux que cela. Ils méritent des lois sur la vie privée adaptées au monde numérique du 21e siècle.
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