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Une surveillance de moins en moins visible : de l’importance de voir ce qui nous surveille

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Préparé pour le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada par David Murakami Wood

AVERTISSEMENT : Les opinions exprimées dans ce rapport sont celles de l’auteur et non celles du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.


Au 21e siècle, on voit de plus en plus nos sociétés être l’objet d’une surveillance omniprésente ou envahissante. L’expression « surveillance omniprésente » est dérivée du terme « informatique omniprésente », parfois « informatique diffuse » ou « intelligence ambiante » (AmI). Cette dérivation ne constitue pas simplement un jeu de mots; la surveillance omniprésente repose dans une large mesure sur l’informatique omniprésente. L’infiltration progressive de l’informatique et des dispositifs de communication dans des objets et des structures de plus en plus banales et, dorénavant, souvent dans des êtres vivants, est l’un des principaux outils technologiques de la surveillance omniprésente. Ce phénomène permet également bon nombre d’autres processus et activités. Sans toutefois conclure que ces technologies serviront uniquement ou inévitablement à des fins de surveillance, il faut réaliser qu’il s’agit d’une utilisation importante. Je ne voudrais pas non plus avancer que tous les usages possibles de la surveillance omniprésente sont simplement, par leur existence ou en soi, mauvais ou douteux sur le plan moral : la surveillance soutient de nombreuses activités qui permettent aux sociétés de fonctionner pour le meilleur ou pour le pire.

Nous pourrions prendre pour exemple de nombreuses innovations technologiques : des systèmes « géodémographiques » et de localisation géographique aux environnements complexes de réalité amplifiée créés par les artistes. Cependant, l’ubiquité de la surveillance n’est pas simplement liée à la quantité de dispositifs en place; elle découle aussi de l’aspect de plus en plus évanescent de la surveillance, et ce en dépit de son augmentation. En effet, la surveillance est de moins en moins visible. Cela pose des défis particuliers pour les organismes de réglementation de même que pour le grand public. Nous avons l’habitude d’une surveillance secrète exercée par des organisations précises, comme les services de renseignement (p. ex. le SCRS), les services de police et les enquêteurs privés, et nous présumons que cette surveillance secrète est strictement réglementée. En fait, cette dernière soulève déjà de nombreux problèmes, mais c’est la disparition de ce que nous sommes habitués de concevoir comme une surveillance plus ouverte et publique qui fait l’objet du présent article.

Lorsque nous pensons, par exemple, à la surveillance des lieux publics, nous sommes enclins à évoquer des images de caméras de vidéosurveillance (télévision en circuit fermé). Nous pouvons apercevoir ces caméras sur leur poteau ou fixées à des murs et aux plafonds : elles sont évidentes et visibles. Au Canada, de même que dans de nombreux autres pays, elles sont visibles encore davantage, car nous exigeons encore la présence d’une signalisation qui indique aux usagers des lieux l’identité des responsables de la surveillance. Autrement dit, sans égard à nos opinions particulières au sujet de la surveillance, nous avons tendance à établir un lien entre la visibilité des technologies de surveillance et notre capacité de savoir que nous sommes observés; à tenir pour responsables les opérateurs de ces systèmes devant les organismes de réglementation et autres autorités compétentes. Finalement, nous pensons être en mesure de prendre des décisions éclairées concernant les mesures politiques et sociales à adopter relativement à la surveillance et à la protection de la vie privée.

Cependant, l’époque des technologies de surveillance visibles pourrait très bien prendre fin et, avec elle, potentiellement, notre capacité de savoir, de demander des comptes, de réglementer, de prendre des décisions politiques éclairées en ce qui concerne la surveillance ainsi que la fin de la vie privée, qui est annoncée en grande pompe, mais qui n’est pas encore survenue. Étant donné le côté de plus en plus insaisissable des systèmes de surveillance en général, nous sommes confrontés aux mêmes types de problèmes que ceux relatifs à la surveillance secrète; la surveillance exercée par un nombre accru d’établissements et de personnes s’ajoute ainsi à celle exercée par des organismes déjà problématiques, comme les services de renseignement et les services policiers.

De quelle manière la surveillance vient-elle à s’éclipser? Je présenterai, par souci de clarté, trois tendances, chacune accompagnée d’un ou deux exemples. Dans un premier temps, les outils de surveillance deviennent simplement plus petits, et leur puissance et l’éventail de leurs fonctions augmentent. Dans un deuxième temps, les outils de surveillance sont plus mobiles, tout en demeurant connectés entre eux et en ressemblant de moins en moins à des outils de surveillance, et ce sans toutefois paraître artificiels. Enfin, les difficultés d’accès et le coût des systèmes perfectionnés de surveillance sont en constante diminution, ce qui entraîne ce que l’on pourrait appeler une « démocratisation » de la surveillance, qui a pour effet de mettre aux mains d’une gamme plus vaste d’utilisateurs de puissants outils.

Ce qui lie ces trois tendances, c’est la possibilité de stocker et de trier des quantités de données de plus en plus grandes dans des bases de données, que ce soit dans les parcs de serveurs des entreprises privées comme Google, Apple, Microsoft et Facebook, qui deviennent progressivement le choix par défaut en matière de stockage de données personnelles au moyen de l’infonuagique, ou les entrepôts de données d’organisations étatiques comme l’Investigative Data Warehouse (IDW) du FBI américain, qui vise à regrouper les données sur les crimes, les criminels, de même que sur les menaces criminelles et les criminels potentiels du monde entier, y compris à partir de séquences de télévision en circuit fermé. Les processus d’analyse des données pour trier, écumer et intégrer de telles données, découlant des tendances d’utilisation d’Internet en passant par les réseaux sociaux et les visages dans une foule, sont le plupart du temps invisibles et se situent souvent au-delà des frontières des pays qui pourraient être préoccupés par leurs répercussions.

1. Des étiquettes d’IRD aux poussières intelligentes

Nous sommes déjà familiers avec l’utilisation de l’identification par radiofréquence (IRD). Il y a deux types de puces ou d’étiquettes d’IRD. Les étiquettes passives réagissent uniquement à un instrument actif ou à un lecteur quelconque. Les étiquettes d’IRD actives émettent un signal radio continu ou périodique dont la portée est limitée et qui peut être reçu par des récepteurs. Jusqu’à récemment, l’utilisation de l’IRD a été limitée aux grands conteneurs maritimes (les ports étant un des principaux lieux propices à la contrebande, à l’immigration illégale et aux attaques terroristes, mais où il est très difficile en réalité d’appliquer les méthodes policières normales), de même qu’aux biens de consommation. L’utilisation de puces électroniques est également devenue de plus en plus courante au Royaume-Uni et aux États-Unis pour les personnes faisant l’objet de restrictions judiciaires qui les confinent dans un secteur précis (parfois aussi restreint qu’une maison) pendant quelques heures par jour, voire toute la journée. Ces puces communiquent constamment ou à intervalles réguliers avec un récepteur et sont de plus en plus associées à des systèmes mondiaux de localisation (GPS), plutôt qu’à de simples systèmes de surveillance radio.

Cependant, récemment, un changement notable s’est produit : l’implantation de puces d’IRD dans des êtres vivants. Les chevaux de course et les animaux domestiques ont été les premiers groupes visés à cet égard. Concernant les animaux domestiques, les puces d’IRD contenant des renseignements au sujet des dossiers de vaccination et des propriétaires ont progressivement remplacé l’obligation de quarantaine dans l’Union européenne et ailleurs. Pour ce qui est des humains, la première utilisation des implants d’IRD a eu lieu aux États-Unis auprès de personnes âgées atteintes d’une maladie dégénérative afin de permettre au personnel soignant de repérer facilement leur emplacement, d’empêcher qu’elles s’égarent et qu’elles se mettent en danger. Depuis plusieurs années maintenant, des chercheurs et des passionnés de technologie se sont également fait implanter des puces pour pouvoir accomplir automatiquement de petites tâches ménagères, et au moins une chaîne espagnole de boîtes de nuit a offert brièvement à ses clients la possibilité de conserver de l’argent et des privilèges d’accès dans des puces implantéesFootnote 1.

Il y a quelques rares cas d’implantation de puces en milieu de travail. En février 2006, une entreprise spécialisée dans la sécurité en Ohio aux États‑Unis aurait fait implanter des puces d’IRD dans deux de ses travailleurs pour leur permettre d’avoir accès aux locaux de l’entrepriseFootnote 2. Bien que cette procédure invasive ait été effectuée avec le consentement des intéressés, cela soulève d’importantes questions au sujet de l’intégrité du corps et du respect de la vie privée par les employeurs.

Jusqu’à récemment, ces puces d’IRD étaient petites, mais relativement visibles. Cependant, des capteurs exploitables ayant une taille de plus en plus réduite sont en train d’être mis au point. Une entreprise dérivée de l’Université Berkeley, en Californie, Dust Networks, produit des puces d’une taille de 0,2 mm2 depuis le début des années 2000. Ces dispositifs sont conçus comme plateformes de capteurs distribuées, sans fil et multifonctionnelles pour une gamme d’applications. Les « grains » fabriqués par Dust Networks commencent déjà à sembler gros comparativement aux puces d’IRD minuscules qui sont présentement créées par Hitachi, au Japon. Cette entreprise a déjà démontré que ses échantillons fonctionnels de 0,025 mm2 étaient les plus petits capteurs exploitables connus à ce jour. Et il ne semble pas improbable que ces puces continuent de rétrécir.

2. La surveillance en marche

La taille de plus en plus petite des outils de surveillance permet une surveillance de plus en plus mobile et secrète. Les mises en réseaux sans fil jouent également un rôle. Cependant, la visibilité toujours moindre de la surveillance est également favorisée par de nouveaux types de plateformes de surveillance qui peuvent utiliser la mobilité verticale pour être plus éloignées et capables de « s’en aller ». Les forces militaires des États-Unis, d’Israël, du Royaume-Uni et de l’Inde, notamment, recourent désormais grandement aux véhicules aériens sans pilote (UAV) pour des missions de reconnaissance (de même que des opérations de combat). Cependant, le recours aux UAV n’est pas réservée qu’aux champs de bataille : les États-Unis patrouillent désormais les frontières mexicaine et canadienne avec les drones « Predator » qu’ils utilisent aussi au Pakistan, et les services policiers au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Italie ont tous fait l’achat de micro-UAV (MAV) munis de caméras pour des opérations de surveillance urbaine.

Grâce à leur mobilité, ces MAV peuvent outrepasser les lois en matière de signalisation de la vidéosurveillance (bien que des problèmes aient été soulevés au chapitre de la réglementation de l’aviation civile, du moins au Royaume-Uni). Ils sont néanmoins toujours visibles. Toutefois, les dernières innovations technologiques pourraient changer cette situation. Le principal domaine de recherche et développement concernant les dispositifs de surveillance mobile est celui des technologies « biomimétiques ». La biomimétique est la création de machines qui imitent des animaux ou des plantes qu’on retrouve dans la nature. Les dispositifs biomimétiques les plus courants sont généralement des oiseaux, des serpents et des insectes. Aux États-Unis, AeroVironment a récemment fait la présentation d’un « nanocolibri »Footnote 3 robotisé, fonctionnel, partiellement radiocommandé et partiellement autonome. L’institut israélien des technologies, Technion, a créé un « robot-serpent », qui consiste en une caméra se déplaçant à la manière d’un serpent et qui peut, dit-on, être utilisé aux fins de sauvetage dans les édifices effondrésFootnote 4, et ainsi de suite. En conséquence, ces appareils ne sont pas nécessairement des appareils de surveillance en soi, mais des « plateformes » qui peuvent être utilisées pour la surveillance et le déploiement d’armes. Cela constitue indiscutablement un objectif, ce qui est démontré par le financement de la recherche : par exemple AeroVironment est financé en grande partie par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) américaine.

La tendance dans le domaine rejoint ce que les paranoïaques ont longtemps cru, c’est-à-dire que les dispositifs de surveillance peuvent prendre n’importe quelle forme. Il est évident que de nombreux obstacles techniques devront être surmontés, comme pour le « nanocolibri », qui comporte ce que ceux qui souhaiteraient un appareil totalement indétectable considérerait comme un désavantage : son bourdonnement n’a d’égal que l’oiseau qu’il imite.

3. Tout le monde est un espion

À l’avant-garde de la technologie, le marché de la surveillance produit des dispositifs de surveillance de plus en plus petits et de plus en plus puissants, rendant ainsi de plus en plus accessible et de moins en moins coûteuse ce qui était auparavant considéré comme de la technologie de pointe. Cette situation a favorisé l’utilisation courante de dispositifs de surveillance d’autoprotection « au cas où », par exemple les caméras fixées à des casques portés par des cyclistes urbains au Royaume-Uni qui, souvent, ne sont pas différentes des caméras utilisées par les policiers pour filmer les interactions avec le public. Cette utilisation des technologies de surveillance personnelles n’est pas, selon le commissaire à l’information du Royaume-Uni, prévue par les lois du paysFootnote 5, mais soulève des questions importantes au chapitre de la protection de la vie privée, d’autant plus que de nombreux cyclistes publient les vidéos qu’ils enregistrent de ce qu’ils perçoivent comme étant des comportements dangereux (voire illégaux) de conducteurs, sur des sites accessibles de partage de vidéos comme YouTube et Vimeo.

Cependant ces technologies sembleront elles aussi plutôt obsolètes dans quelques années. Les appareils d’imagerie sont désormais plus perfectionnés. Des caméras ont été mises au point pour pouvoir être fixées sur la tête d’une épingle, bien qu’elles aient une faible résolutionFootnote 6. Aux postes frontaliers, nous observons de plus en plus le recours aux scanneurs corporels (ou fouilles à nue virtuelles), à la suite de nombreuses tentatives d’attaque terroriste à l’aide d’explosifs dissimulés. Jusqu’à maintenant, ce genre d’équipement est encombrant et vise, en fait, à créer, en partie du moins, une ambiance théâtrale dans laquelle le passager devient conscient des procédures de sécurité et de surveillance. Cependant, la recherche semble montrer que la visibilité des scanneurs corporels pourrait ne pas être nécessaire. Quant à la technologie utilisant les ondes térahertz, qui est présentement la moins populaire des trois principales technologies d’imagerie utilisées pour la détection par scanneur corporel, il a maintenant été démontré qu’elle peut bien fonctionner, théoriquement du moins, avec des appareils beaucoup plus petitsFootnote 7. Les données de sortie sont de qualité vidéo et pourraient être incorporées dans les circuits intégrés habituels composés de semi-conducteurs en silicone. Autrement dit, un dispositif utilisant les ondes térahertz pourrait être intégré dans de petits équipements peu coûteux et portables. On pourrait même voir dans un avenir prochain l’utilisation de caméras ordinaires comme scanneurs corporels.

Que peut-on faire?

L’omniprésence et la disparition simultanées de la surveillance soulèvent de nombreuses questions. Certaines d’entre elles sont d’ordre social ou sociotechnologique. Par exemple, quelles sont les répercussions potentielles de ces changements sur la façon dont nous voyons nos relations, ainsi que nous-mêmes? La confiance en la société est la première victime des sociétés sous surveillance, mais la surveillance omniprésente et invisible pourrait menacer d’anéantir complètement cette confiance. De plus, la surveillance perfectionnée et secrète d’amis et de voisins semble déjà constituer une tendance grandissante en Amérique du NordFootnote 8. Par ailleurs, on doit se demander si de tels changements peuvent être positifs, voire même des facteurs pouvant accroître nos capacités.

Nous avons vu, par exemple, que l’accès généralisé aux petites caméras a contribué à rendre plus responsables les services policiers ainsi que d’autres autorités publiques et des organisations privées, comme dans le cas de la mort de Stephen Tomlinson dans le cadre des manifestations contre le G20 à Londres en 2008 ou des plaintes d’abus policier à Toronto en 2010. En conséquence, les technologies connaissent un essor non seulement en fonction des conceptions et des visées de leurs inventeurs et de leurs vendeurs, mais aussi en fonction de leur usage pratique par les humains; cependant, les humains ne sont pas tous égaux, et certaines utilisations des technologies de surveillance auront une plus grande incidence que d’autres.

L’économie politique d’une surveillance de moins en moins visible constitue un enjeu primordial. À l’heure actuelle, la recherche et développement semble rester fortement liée à des visées et à des objectifs militaires ou, dans le cas contraire, aux buts d’un très petit nombre d’entreprises privées dominantes. Dans l’une ou l’autre de ces situations, les questions relatives à la conception et au but de la recherche et développement en matière de surveillance ainsi qu’à la responsabilité de ses commanditaires sont importantes, de même que celles se rapportant à l’influence des exigences de certains marchés, plutôt que des exigences sociales.

Cela m’amène à aborder des questions qui intéresseront grandement la commissaire à la protection de la vie privée ainsi que le public : comment la loi actuelle et future, de même que les organismes de réglementation, peuvent-ils composer avec la situation? Comment les organismes de réglementation et le public en général peuvent-ils réagir à la disparition de la visibilité de la surveillance? Il apparaît déjà clairement que les politiciens, ainsi que la loi, accusent un certain retard sur le plan de l’innovation technologique. Il y a peu de politiciens ayant les connaissances scientifiques ou techniques pour comprendre ou pour évaluer les progrès dans ce domaine. De plus, dans le contexte du règne de la pensée économique néolibérale, l’innovation technologique est un domaine qui est souvent perçu comme quelque chose qui devrait être laissé entièrement au marché et un domaine dans lequel le gouvernement devrait intervenir le moins possible. Malheureusement, cette attitude nourrit en retour l’ignorance générale des décideurs publics à l’égard de la technologie. Qui plus est, cela rend le processus d’innovation de plus en plus hermétique aux yeux du public et se traduit par la disparition progressive de l’aspect politique de la surveillance omniprésente derrière les portes closes des groupes de production, des programmeurs et des magazines ou des livres spécialisés en ligne susceptibles d’être lus uniquement par les personnes qui sont déjà au fait des percées technologiques.

Quels sont donc nos choix? Il y en a de nombreux, mais je vais présenter cinq trajectoires fondamentales au chapitre des politiques et de la réglementation.

  1. Continuer d’essayer de faire respecter les règles et les droits actuels. Le Commissariat à la protection de la vie privée doit travailler dans le contexte dans lequel il se trouve. Le Commissariat pourrait interpréter son domaine de compétence de la façon la plus large possible afin de pouvoir aborder les changements, les innovations technologiques et les nouvelles pratiques qui n’étaient pas nécessairement prévues par les lois qui fondent son pouvoir. Bien sûr, le Commissariat sera encore vulnérable aux contestations judiciaires et aux accusations selon lesquelles il outrepasse son domaine de compétence; cependant, cela pourrait être plus judicieux que d’exiger de nouvelles lois trop précises. Par ailleurs, le Commissariat devrait en pratique inévitablement faire fi du fait que toute violation révélée serait vraisemblablement la pointe de l’iceberg et pourrait indiquer une activité sous-jacente beaucoup plus grande.
  2. Ne rien faire, voire même encourager les changements en partie ou en totalité. Il se pourrait que la démocratisation de la surveillance accroisse nos capacités et permette aux citoyens de demander eux-mêmes des comptes au gouvernement et aux entreprises. Si le CPVP devrait toujours demeurer sur ses gardes en ce qui concerne la protection de la vie privée des personnes, il devrait également encourager les citoyens à s’occuper, dans la mesure de leurs capacités, de leurs propres échanges de renseignements avec les organisations et, en conséquence, adopter la transparence et la surveillance comme outils de responsabilisation. Cela se traduirait essentiellement par une application de la réglementation dans le domaine de la protection de la vie privée dans des espaces ou à des moments de plus en plus précis et circonscrits, comme à l’intérieur des maisons, mais non pas dans la rue, par exemple. Essentiellement, cela signifierait la fin de la vie privée dans tout cadre public ou quasi public.
  3. Encourager les solutions technologiques, comme l’antisurveillance, la protection de la vie privée dès la conception et d’autres interventions à l’étape de recherche et développement. Cette dernière solution est celle qui a été défendue notamment par le Bureau du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario. Si la technologie semble dépasser la réglementation, elle a son attrait. Cependant, plusieurs problèmes font surface, notamment la nécessité d’une étroite collaboration entre les organismes de réglementation et les développeurs, dont bon nombre n’ont aucun intérêt particulier de faire en sorte d’apaiser les organismes de réglementation d’économies relativement petites. Il existe des exemples de réussite, les plus remarquables étant ceux de la Corée et du Japon, où un déclic a été exigé sur les appareils photo numériques. Cette mesure à été prise dans la foulée de scandales concernant des photos secrètes « sous les jupes » et, compte tenu de la place centrale de ces deux pays dans la fabrication des d’appareils photo numériques, est devenu en conséquence la norme pour les appareils numériques avant même que des lois semblables aient été adoptées aux États-Unis en 2009, par exemple. On peut voir comment la mesure pourrait être appliquée dans le cas des caméras dotées d’une nouvelle technique envahissante, comme le scanneur corporel, ou en exigeant, plutôt qu’en l’éliminant, le bourdonnement du « nanocolibri » dans les marchés intérieurs, mais une mesure du genre pourrait-elle être appliquée pour ce qui est d’un réseau distribué de puces submicroscopiques? Quel serait l’équivalent dans ce cas? Aussi utile qu’elle puisse être, la protection de la vie privée dès la conception semblerait ne pas aborder l’enjeu de la disparition de la visibilité de la surveillance en tant que tel.
  4. Les solutions du marché. Si les données concernant l’identité, la localisation et la connexion sont précieuses dans une société d’information, l’anonymat, l’impossibilité de localisation et la déconnexion sont sûrement aussi précieux. De fait, on pourrait demander aux marchés de générer des solutions aux problèmes posés par les technologies envahissantes. On peut déjà observer de la recherche sur des dispositifs d’antisurveillance, par exemple l’effacement vidéo en temps réelFootnote 9 et les matériaux réfractant la lumière qui créent une forme d’invisibilitéFootnote 10. Cependant, la demande sur les marchés n’est pas répartie également entre les personnes, mais est déterminée par la répartition actuelle des richesses et du pouvoir, et, si les forces du marché déterminaient en pratique l’orientation du droit à la vie privée, cela serait susceptible de nuire aux personnes déjà vulnérables et d’accroître le pouvoir de ceux qui sont déjà relativement puissants, perpétuant ainsi les divisions et les inégalités existantes.
  5. Une réglementation sévère. Dans certaines situations, il pourrait être indiqué d’interdire la production ou la vente de certaines technologies de surveillance pouvant être considérées comme tout simplement trop risquées pour le droit à la vie privée. On pourrait, par exemple, adopter cette solution pour les caméras munies d’un scanneur corporel. Or, dans le contexte de la disparition de la visibilité de la surveillance, il serait difficile de savoir de prime abord si les technologies ont été utilisées. Par conséquent, on aurait à résoudre des questions telles que la détection et l’application de la règlementation, ce qui nécessiterait un apport fortement accru en termes de technologies spécialisées, de personnel et de financement destinés aux organismes de réglementation, ce qui semble peu probable. Enfin, cela pourrait également stimuler un marché souterrain de technologies de surveillance interdites. Malgré tout, la réglementation sévère comporte une dimension symbolique attrayante.

Concrètement, il est plus probable qu’une combinaison d’approches soit adoptée. En effet, si la protection de la vie privée dès l’étape de la conception s’avère appropriée dans un domaine, la réglementation sévère ou même que l’approche positive ou le laisser-faire pourraient l’être dans d’autres. Mais ce qui est certain, c’est que le travail de protection de la vie privée est sur le point de devenir beaucoup plus ardu.

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