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Pourquoi est-il important de protéger la vie privée?

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Christena Nippert-Eng, Ph.D.
Illinois Institute of Technology

Ce document a été commandé par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada dans le cadre de la série de conférences Le point sur la vie privée

Juin 2011

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans ce document sont celles de l'auteur. Elles ne reflètent pas nécessairement celles du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Vidéo connexe : Le point sur la vie privée - Christena Nippert-Eng et Alessandro Acquisti


Lorsque je réfléchis à l’avenir de la protection de la vie privée, il me vient cette idée largement répandue selon laquelle les technologies et pratiques en matière de protection des renseignements personnels, peu sécuritaires mais encore abondamment utilisées, devraient être modernisées. Je vois aussi, comme d’autres, le besoin d’élaborer et d’adopter des politiques en mesure de mieux protéger les consommateurs et les citoyens — en partie, en insistant sur des solutions technologiques plus sécuritaires. Dans l’ensemble, les personnes devraient être beaucoup mieux protégées — principalement vis-à-vis leur propre comportement lorsque celui-ci est le fruit d’une certaine désinformation, et contre celui des criminels et des entreprises, compte tenu de l’appétit vorace de ces dernières pour les données sur les consommateurs et les profits qui peuvent en être tirés.

Cependant, je vois également le besoin et la possibilité d’une astucieuse campagne concertée de sensibilisation à l’égard d’un aspect spécifique de la protection de la vie privée, qui n’est pratiquement pas mis en évidence ni pris en compte de nos jours, soit la question de savoir pourquoi, exactement, la protection de la vie privée est importante.

Un certain nombre de messages relatifs à la protection de la vie privée ont été accueillis favorablement par le grand public au cours des dernières années : « les experts en matière de protection de la vie privée s’inquiètent du respect de votre vie privée »; « vous devriez vous soucier de la protection de votre vie privée »; « vous devriez protéger votre vie privée ». Pourtant, nous omettons ce qui devrait constituer le fondement de ces messages. Nous passons à côté d’une conversation portant sur l’importance de la protection de la vie privée — d’un point de vue strictement humaniste.

Un dialogue public sur le rôle crucial de la protection des renseignements personnels dans la vie des personnes et la vie des groupes sociaux tombe à point nommé. Le décalage culturel actuel entre notre capacité technologique de contourner et d’éroder la protection de la vie privée, d’une part, et l’assentiment général à l’égard de la nécessité d’une forme de protection de la vie privée, d’autre part, ont entraîné une crise. Les nouvelles technologies des communications et de l’information sont excellentes pour véhiculer l’information, créer de nouveaux forums et établir de nouveaux liens entre les personnes. Par contre, elles sont inaptes lorsque vient le temps de protéger la vie privée, car ce n’est pas pour ce motif qu’elles ont été mises au point.

Par conséquent, grâce à cette période de décalage culturel, nous avons la possibilité unique d’examiner — en public, au moyen des ressources publiques — la valeur précise de la protection de la vie privée pour les membres de n’importe quelle société. C’est le moment parfait pour nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous devrions être préoccupés par les pratiques électroniques ouvertes ou cachées qui mettent en jeu la protection de notre vie privée. J’ai le sentiment qu’une campagne publique, dont ce serait la mission centrale, pourrait jouer un rôle important dans la réalisation du mandat du Commissariat à la protection de la vie privée.

Un curieux silence règne dans les médias, ainsi que dans les cercles politiques et juridiques, sur les raisons fondamentales pour lesquelles des personnes devraient respecter la vie privée des autres et pourquoi nous devrions nous attendre au même respect. C’est comme si la réponse à cette question était tellement évidente que nous n’avons simplement pas besoin de l’aborder. Cependant, un examen explicite de cet aspect vital de la condition humaine pourrait constituer un fondement cognitif et émotionnel ferme pour l’élaboration et l’utilisation proactive de politiques et de technologies favorisant la protection de la vie privée qui sont possibles, mais qui ne semblent pas susciter une forte adhésion. Une telle conversation pourrait aider les personnes à mieux comprendre, en se référant à des pratiques et à des concepts très anciens, les principes essentiels qui devraient nous guider dans les questions actuelles relatives à la protection de la vie privée. Vu le rythme des changements technologiques et l’imprévisibilité de la nature des nouvelles technologies, cela pourrait très bien nous aider aussi à prendre les décisions qui s’imposeront dans l’avenir.

En se servant de cette conversation comme point de départ, une autre possibilité serait d’établir sciemment un lien entre celle-ci et un ensemble de pratiques exemplaires suggérées. Cet ensemble, qui s’appuierait sur les excellents conseils que le Commissariat fournit déjà, mettrait en évidence plusieurs autres principes importants. Premièrement, la protection de la vie privée est tributaire de la société : nous ne jouissons du droit à la protection de la vie privée que si les autres nous le permettent. Les autres ne jouissent du droit à la protection de la vie privée que si nous le permettons. Deuxièmement, la communication de renseignements personnels est un exercice d’équilibre complexe. À divers moments, de différentes façons, il peut y avoir un besoin réel de surveiller les autres et d’être surveillé par eux. Le juste équilibre dans ce domaine est difficile à trouver. Troisièmement, la protection de la vie privée — tant la nôtre que celle des autres — est une chose qui doit être gérée, constamment et par une diversité de moyens. Finalement, nous comprenons, expérimentons et assurons ou refusons le droit à la protection de la vie privée au moyen de pratiques traditionnelles localement acceptées, lesquelles vont des interactions face-à-face avec des types précis de personnes aux pratiques centrées sur des objets désignés et l’environnement bâti.

Un nouvel ensemble de pratiques exemplaires en matière de protection de la vie privée pourrait comprendre des recommandations du genre de celles que nous voyons actuellement, par exemple, pour la protection et la sauvegarde des données médicales et financières, la prévention et la détection du vol d’identité et le contrôle de l’accès à des renseignements affichés dans les médias sociaux. Cet ensemble pourrait compter, également, de nouvelles pratiques sociales plus explicites, fondées sur les observations antérieures sous forme de suggestions sur la façon de veiller sur les autres ainsi que sur soi, des rappels visant à veiller sur les clients et les employés, de même que sur les propriétaires de l’entreprise.

Ensemble, ces pratiques continueraient d’aider les personnes et les organisations à protéger leurs renseignements personnels — comme bon nombre de ces pratiques le font actuellement — mais elles aideraient également les personnes et les organisations à accorder le droit à la vie privée à d’autres. En tant qu’ensemble plus global de pratiques en matière de protection de la vie privée, celles-ci renforceraient l’idée que la protection des renseignements personnels repose sur des pratiques de protection de la vie privée à l’échelle de la société et non seulement des particuliers. En fondant ces pratiques suggérées sur une meilleure compréhension de l’importance de la protection de la vie privée, l’objectif serait que la valeur de ces pratiques s’impose davantage comme une évidence — et que, peut-être, celles-ci soient adoptées de façon plus systématique et volontaire.

Comme sous-ensemble des activités de sensibilisation de la commissaire à la protection de la vie privée, une campagne efficace axée sur la valeur de la protection de la vie privée remplirait les objectifs suivants :

  1. sensibiliser la population à l’importance de la protection de la vie privée et à découvrir pourquoi cela compte autant;
  2. réduire l’occurrence des mauvaises pratiques en matière de protection de la vie privée qui abondent;
  3. entraîner la possible stigmatisation sociale ou politique et économique des personnes, des groupes, des entreprises et des États-nations qui choisissent consciemment de ne pas adopter de pratiques exemplaires respectueuses. Cette campagne pourrait s’inspirer de plusieurs campagnes publiques concertées très ciblées qui sont financées par le secteur public pour aborder des problèmes sociaux bien précis.

La campagne de propreté très réussie et largement télévisée qui avait été menée à l’époque de mon enfance, par exemple, avait défini un problème et l’avait porté à l’attention de tous. Elle expliquait en outre comment le public pouvait aider à résoudre le problème et avait donné lieu à l’attribution du nom « salisseurs » et à l’ostracisme des salisseurs pour une génération entière — et pour des générations à venir. Combinée aux avancées technologiques dans la gestion des déchets et aux politiques publiques qui prescrivaient de nouvelles pratiques d’élimination des déchets — avec des amendes pour non-conformité — la campagne avait réduit considérablement ce problème socio-environnemental.

Mes recherches ont fourni quelques réponses à la question : pourquoi la protection de la vie privée est-elle importante? Par exemple :

  • Protection de la vie privée = la possibilité de rêver, d’explorer, de créer et de comprendre sans que quiconque formule de commentaires à cet égard
  • Protection de la vie privée = la possibilité d’en apprendre davantage à notre sujet — et de rester soi-même
  • Protection de la vie privée = des relations saines avec la famille et les amis
  • Protection de la vie privée = la sécurité physique et émotionnelle
  • Protection de la vie privée = la possibilité de réserver d’heureuses surprises à d’autres et vice versa
  • Protection de la vie privée = le choix de partager ou de ne pas le faire comme bon vous semble
  • Protection de la vie privée = la capacité de dire et de faire des choses stupides, irréfléchies, méchantes, embarrassantes ou honteuses et de s’en remettre
  • Protection de la vie privée = la capacité de passer à autre chose après s’être fait dire ou fait faire des choses stupides, irréfléchies, méchantes, embarrassantes ou honteuses
  • Protection de la vie privée = la capacité d’être autonomes et créatifs tout en étant membres de groupes sociaux
  • Protection de la vie privée = des interactions harmonieuses en public (Nous nous accordons du temps et un espace privés et nous nous donnons la possibilité d’entretenir des réflexions, des croyances et des comportements personnels afin que les interactions publiques soient ciblées et productives sans être offensantes)
  • Protection de la vie privée = le pouvoir politique — l’anonymat, la planification, l’action collective, l’Amérique coloniale, l’Égypte!
  • Le respect de la protection de la vie privée = un signe de confiance
  • Le respect de la protection de la vie privée = un signe de considération
  • Le respect de la protection de la vie privée = un signe d’amitié et de compassion

Ces principes semblent également s’appliquer lorsque les parties sociales en cause sont des particuliers, des petits groupes, des entreprises ou même des États-nations.

Une campagne axée explicitement sur la valeur et l’usage du droit à la vie privée pourrait inclure plusieurs éléments, allant de la publicité et de la publication dans les médias de masse à du matériel de cours adapté à l’âge visant à inciter davantage les personnes à réfléchir à l’importance de la protection de la vie privée. Le Commissariat, qui a déjà démontré une grande sensibilité à l’égard de ces aspects de la sensibilisation et sa compétence en la matière, pourrait tirer profit de son expérience pour aborder un autre aspect dans le cadre de son mandat.

On pourrait concevoir des messages et des modules distincts à l’intention de différents groupes de personnes qui peuvent partager des préoccupations ou des positions en matière de protection de la vie privée. Des conseils pourraient être dispensés aux utilisateurs des médias sociaux, notamment :

  • Utilisez votre système complet de technologies des communications pour une meilleure protection de la vie privée.
  • N’affichez jamais quoi que ce soit lorsque vous êtes dans un état physique altéré ou dans un état émotif perturbé. (Écrivez-le, mais gardez-le. Regardez-le après une bonne nuit de sommeil. Si c’est vraiment brillant et important à partager, ça le sera encore une journée plus tard.)
  • Envisagez d’utiliser une adresse de courriel obscure.
  • Avant d’afficher quelque chose, demandez-vous ce qu’en penserait votre grand-mère, ou encore, votre patron ou un conseiller à l’admission collégiale.
  • De temps à autre, Googlez-vous. Faites une recherche sur vous-même. Regardez ce que les autres écrivent sur vous.

Prenez soin de vos amis, de vos parents, de vos enfants et de vos clients. Googlez-les. Vérifiez leurs paramètres de protection de la vie privée. Veillez sur les personnes qui vous entourent. Assurez la protection de leur vie privée même s’ils ne le font pas eux-mêmes, et montrez-leur une meilleure façon de procéder. Si vous voyez vos amis afficher quelque chose de stupide, parlez-en; n’affichez pas leurs noms ni des choses qui se rapportent à eux; et n’utilisez pas Internet comme une arme — ce qui y paraît y reste pour toujours.

Laissez savoir à ceux qui se soucient de vous et à ceux qui sont responsables de vous où vous êtes — et à personne d’autre. N’affichez pas votre emplacement à la vue de tous.

En ce qui concerne les employeurs et les employés, les conseils pourraient davantage mettre l’accent sur la façon de maintenir une distinction entre les domaines privé et le public, malgré la possibilité actuelle de brouiller ces deux mondes.

D’un point de vue pédagogique, une campagne sur l’importance de la protection de la vie privée pourrait facilement inclure une série d’études de cas accessibles au public, fabriquées ou tirées directement des documents, du voisinage, de nos écoles et de nos tribunaux. Il s’agit d’une façon efficace d’engager des conversations dans les rencontres en personne, que ce soit en classe, dans un studio de télévision ou de radio, dans une salle paroissiale ou à la table dans la salle à manger. Évidemment, il faudrait adapter le contenu à l’âge des participants.

Par exemple, une étude de cas sur Tyler Clementi pourrait constituer un sujet de discussion passionnant et important pour des jeunes et des adultes plus âgés, mais pas pour de jeunes enfants. (M. Clementi est l’étudiant de l’Université Rutgers qui s’est suicidé après que son colocataire ait affiché des images en direct de ses activités sexuelles sur Internet.) Une série de questions sur chaque cas, ayant pour but d’approfondir l’exploration et les prises de conscience sur la valeur de la protection de la vie privée ferait partie de cette initiative. Par exemple, en ce qui concerne l’affaire Clementi, on pourrait poser les questions suivantes :

  • Pourquoi pensez-vous que son colocataire a fait cela?
  • Pourquoi pensez-vous que les amis de son colocataire y ont participé?
  • Quelqu’un aurait-il pu empêcher l’affichage initial de l’information?
  • Pourquoi Tyler s’est-il suicidé?
  • Avait-il droit ou non à la protection de la vie privée?
  • Quelqu’un aurait-il pu empêcher directement Tyler de se suicider? Qui? Comment?
  • Et si vous aviez été Tyler, comment vous seriez-vous senti tout le long du scénario? Mettez-vous à sa place à partir du moment où il s’est décidé et a commencé à se préparer pour son rendez-vous jusqu’au moment où il a découvert ce qui s’était produit.
  • Quelles lois, s’il y a lieu, protégeaient Tyler?
  • Quelles lois, s’il y a lieu, devraient nous protéger dans des cas comme celui-ci?
  • La loi est-elle un moyen de dissuasion ou une solution pour de telles violations de la vie privée?
  • Quel est le résultat juridique de ce cas?

Le fait de favoriser des discussions approfondies de cette nature pourrait grandement contribuer à attirer une plus grande attention sur la valeur de la protection de la vie privée ainsi que sur celle des politiques, des pratiques et des technologies visant à mieux la protéger. J’estime qu’un effort concerté pour sensibiliser la population à l’importance fondamentale de la protection de la vie privée et aux genres de pratiques exemplaires qui découlent naturellement d’une meilleure compréhension de celle-ci pourrait être d’un grand intérêt pour les citoyens du Canada. Cela pourrait contribuer de façon significative à l’excellent travail de sensibilisation effectué par le Commissariat dans le cadre de son mandat.

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