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Pertinence actuarielle des renseignements génétiques dans le contexte de l’assurance des personnes

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Angus Macdonald
Department of Actuarial Mathematics and Statistics et Maxwell Institute for Mathematical Sciences
Université Heriot-Watt, Édimbourg, A. S.

Juillet 2011

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans ce rapport sont celles de l’auteur. Elles ne reflètent pas nécessairement celles du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.


1. Résumé

L’assurance est basée sur la mutualisation de risques indépendants les uns des autres. Les risques ne sont pas tous égaux. Ainsi, l’assurance-vie est versée au décès de l’assuré. Sur une période donnée, le risque de mortalité est nettement plus élevé chez une personne âgée, toutes choses étant égales par ailleurs. Comme le marché de l’assurance privée se sert du prix pour répartir équitablement le risque, une personne âgée versera une prime plus élevée qu’une personne jeune. Les primes peuvent être réparties également entre tous les assurés, sous un régime d’assurance obligatoire, par exemple, mais la prime payée par certains semblera alors élevée par rapport au risque qu’ils représentent.

La sélection des risques consiste à évaluer les risques d’un individu, en fonction des probabilités que survienne un incident malheureux, afin d’établir la prime d’assurance. Il ne s’agit pas, comme on le pense parfois, de tenter de prédire ce que l’avenir réserve à une personne en particulier, mais plutôt de prévoir ce qui risque de se produire au sein d’un groupe important. On peut ainsi prévoir avec une assez grande précision le nombre des décès qui se produiront dans une vaste population au cours de l’année qui vient sans toutefois savoir exactement qui mourra.

La sélection des risques peut tenir compte de nombreux facteurs qui contribuent au risque de maladie ou de décès du fait qu’elle s’appuie sur des statistiques. Il peut s’agir de l’âge, du sexe, des antécédents médicaux, de l’usage du tabac, de la pression artérielle et du taux de cholestérol. Récemment, on s’est intéressé au génotype comme facteur de risque possible aux fins de l’établissement des primes.

Le recours au génotype comme facteur de risque suscite des inquiétudes qui proviennent de deux fronts. Pour les consommateurs, la puissance du génotype comme facteur prédictif de la maladie et de la mortalité est telle qu’elle édulcore considérablement le caractère aléatoire de la sélection des risques. Les personnes « mal nanties » génétiquement pourraient ne plus être assurables ou encore devoir payer une forte surprime si les assureurs peuvent prévoir avec exactitude l’évolution de leur état de santé en se fiant à leur génotype. Les assureurs pourraient, quant à eux, s’exposer au risque d’antisélection si on les empêche de découvrir un facteur de risque génétique connu du client (à la suite d’un test génétique prédictif par exemple) et qui inciterait ce dernier à souscrire une assurance en deçà de son coût réel.

Le présent rapport examine les faits dans les deux perspectives exposées ci-dessus. Mais il faut d’abord établir une distinction essentielle entre les deux types de risque pour la vie et la santé qui découlent du patrimoine génétique :

  • Un petit nombre de mutations monogéniques accroissent le risque de maladie grave et de décès prématuré chez les adultes (en âge de souscrire à une assurance). C’est le cas de la maladie de Huntington et de certains cancers héréditaires. Le prix d’une assurance-vie ou maladie établi en fonction des risques associés à la présence avérée d’une de ces mutations, ou encore d’une transmission possible par un parent porteur, peut souvent s’avérer prohibitif. La crainte que les consommateurs porteurs de ces mutations génétiques soient fortement désavantagés et que les assureurs s’exposent, de leur côté, aux effets de l’antisélection faute de connaître l’existence de ce risque apparaît alors fondée. Ces mutations restent cependant rares, à tel point que le coût que représente pour les assureurs le risque possible d’antisélection est très faible dans les marchés assez vastes et bien établis. Les assureurs de nombreux pays ont d’ailleurs accepté d’assumer ce coût.
  • Par ailleurs, la contribution de la génétique à la plupart des troubles complexes communs, pour lesquels la recherche est encore relativement très peu avancée, est généralement susceptible de faire intervenir une multitude de réseaux de variantes multigéniques, dont l’effet individuel reste peu marqué, outre l’environnement et le mode de vie. On peut penser que les risques génétiques identifiés s’ajouteront aux indicateurs de santé communément admis comme l’hypertension artérielle, le taux de cholestérol et l’alimentation. À ce titre, ils n’affecteront pas davantage le marché de l’assurance, consommateurs ou assureurs, que les données cliniques de la médecine actuelle.

On utilise souvent les graves maladies monogéniques susmentionnées comme modèles types pour comprendre la composante génétique de la maladie. Si celles-ci étaient monnaie courante, l’assurance-vie et santé deviendrait un véritable terrain miné, tant pour les consommateurs que pour les assureurs. Mais leur incidence est si faible qu’elles ne perturbent pas les marchés d’assurance bien établis, quelle que soit l’approche adoptée par les décideurs. Par ailleurs, comme la contribution des gènes à la maladie et à la mortalité n’a rien à voir, pour l’essentiel, avec les troubles monogéniques, il est tout aussi improbable qu’elle perturbe de manière particulière ou ingérable les marchés d’assurance bien établis.

2. Les principes de l’assurance

2.1 Assurance des personnes

Nous nous intéressons ici aux diverses formes d’assurance des personnes offertes en fonction des éventualités de la vie comme le décès, la retraite, la maladie ou l’incapacité, dans le contexte particulier du risque associé au patrimoine génétique ou génotype. Dans ce domaine, les principaux types d’assurance sont les suivants :

  • L’assurance-vie, par laquelle une somme forfaitaire appelée « montant garanti » est versée au décès de l’assuré et dont la prime est habituellement payée mensuellement;
  • La rente ou pension, qui procure un revenu régulier à l’assuré pendant toute sa vie, le plus souvent à partir du moment de la retraite;
  • L’assurance en cas de maladie grave ou redoutée, par laquelle la somme assurée est versée à l’apparition ou au diagnostic d’une maladie grave d’une liste préétablie, comme un cancer, une crise cardiaque ou un AVC;
  • L’assurance invalidité, par laquelle est versé un pourcentage du revenu perdu pendant les périodes de maladie et d’inaptitude au travail.

Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive. Les contrats de ce type seront désignés sous le générique d’assurance de personnes.

2.2 Mutualisation du risque

L’assurance est fondée sur un principe simple et bien compris de tous les souscripteurs : des individus, chacun d’eux exposé à un risque rare mais ruineux, s’associent pour mettre leurs risques en commun. Ils paient un droit raisonnable, une « prime », pour adhérer au groupe, l’ensemble des primes constituant un fonds commun. Le fonds commun dédommage les quelques rares individus malchanceux pour qui le risque se réalise et leur évite ainsi la ruineNote de bas de page 1.

Tout régime d’assurance peut être considéré comme viable financièrement si, au cours de la durée prévue de sa validité, les primes sont au moins égales aux indemnités versées en contrepartie aux rares personnes malchanceuses du groupe. Mais il faudrait pour cela mettre de côté une longue liste de facteurs qui sont importants dans la pratique, mais qui ne remettent pas fondamentalement en cause le principe fondamental de la mise en commun des risques, à savoir :

  1. Les frais de fonctionnement de tout type de régime d’assurance;
  2. La capacité de l’assureur à faire fructifier les primes reçues;
  3. La nécessité d’accumuler des réserves suffisantes pour pouvoir accueillir les réclamations futures de manière quasi certaine;
  4. La nécessité d’amasser et de répartir un capital économique et d’en tirer un rendement raisonnable;
  5. La nécessité occasionnelle de livrer concurrence dans le marché de l’assurance commerciale.

Il est donc impératif pour tout gestionnaire de régime d’assurance d’établir des primes qui assurent la pérennité du régime.

2.3 Primes d’assurance

Le calcul de la prime est à la base de tout régime d’assurance. Bien qu’il pose certaines complexités mathématiques, le processus est entièrement intuitif, comme l’illustre l’exemple suivant.

Un propriétaire-occupant possède une habitation évaluée à 500 000 $ et désire l’assurer contre une perte totale au cours de l’année qui vient. D’expérience, un assureur sait que le risque moyen qu’une propriété soit totalement détruite durant une année civile est de 1 pour 1 000. Si l’on ne tient pas compte des autres facteurs, tels les dépenses et profits mentionnés à la section 2.2, voici comment la prime d’assurance peut se calculer :

Valeur du sinistre × Probabilité de sinistre = 500 000/1 000 = 500 $.

Si l’assureur ne devait conclure que ce contrat, il aurait simplement assumé, à peu de chose près, le risque de sinistre réel encouru par le propriétaire. Si la probabilité était forte (999 sur 1 000, soit 99,9 %), l’assureur aurait empoché la prime, évité la perte et encaissé 500 $ de profit, mais si la probabilité était faible (0,1 %), l’assureur aurait dû verser 500 000 $, sur la prime perçue, et subi une perte nette de 499 500 $. Mais s’il conclut un très grand nombre de contrats et impose la même prime de 500 $ à chaque assuré en regroupant les risques de chacun, les primes combinées pourront, selon les lois de la statistique et avec quasi certitude, couvrir les sinistres des quelques rares malchanceux.

Cet exemple simple ne tient pas compte des nombreux aspects pratiques de la mise en œuvre d’un régime d’assurance (outre ceux mentionnés en 2.2 ) : a) la valeur exacte des dommages n’a pas à être établie d’avance; b) tout évolue et le passé n’est pas nécessairement garant de l’avenir et c) les modèles statistiques qui permettent de quantifier l’expérience passée sont imparfaits. Si la probabilité moyenne qu’une propriété soit totalement détruite est de 1 pour 1 000, une prime de 500 $ constitue en quelque sorte un montant « juste » pour assurer une propriété évaluée à 500 000 $. Un régime d’assurance établi selon ces principes devrait donc être parfaitement viable.

Revenons à la notion de « probabilité moyenne » que nous avons mentionnée. En réalité, les propriétés de 500 000 $ ne sont pas toutes pareilles, tout comme leur probabilité respective d’être totalement détruite. De fait, cette probabilité est déterminée par bon nombre de facteurs comme les matériaux de construction utilisés (pierre ou bois), la régularité des phénomènes météorologiques violents dans la région (ouragan, tornade ou inondation) et les qualités du propriétaire (responsable ou négligent) pour n’en nommer que quelques-uns. C’est ce qu’on appelle les « facteurs de risque » en assurance.

Pour pousser l’exemple plus loin, supposons que l’assureur dispose de renseignements qui l’éclairent sur la façon dont les deux premiers facteurs de risque influent sur la probabilité de sinistre total.

Catégorie Construction Exposition à des
phénomènes météo
violents?
Probabilité de
sinistre total
Prime
1 Pierre Non 1 pour 10 000 50$
2 Bois Non 1 pour 5 000 100 $
3 Pierre Oui 1 pour 500 1 000 $
4 Bois Oui 1 pour 200 2 500 $

On constate alors que la probabilité moyenne de sinistre total indiquée au début de cette section, soit 1 pour 1 000, se situe au milieu de la fourchette, comme il fallait s’y attendre.

Le tableau précédent indique également la prime qui s’applique à chaque catégorie de propriété selon les facteurs de risque pris en compte par l’assureur. La collecte de l’information sur les facteurs de risque et l’utilisation de ces données dans le calcul des primes est un processus appelé « souscription ». La fourchette de primes est large (de 50 $ à 2 500 $) et la prime de 500 $ calculée en fonction de la probabilité « moyenne » de perte totale se situe entre ces deux valeurs.

À première vue, l’assureur peut établir son régime d’assurance d’au moins deux manières.

  1. Percevoir de tous les assurés une prime de 500 $, calculée d’après le risque moyen global de sinistre total. C’est la solution simple;
  2. Percevoir de chaque propriétaire une prime calculée d’après les facteurs de risque qu’il présente, c’est-à-dire entre 50 et 2 500 $;
  3. Faire un choix entre les facteurs de risque à prendre en considération. Par exemple, il peut négliger de tenir compte du type de construction, mais tenir compte du risque de phénomène météorologique violent. Le propriétaire d’un bien à risque paierait alors une prime fixée entre 1 000 et 2 500 $ et celui qui n’est pas à risque paierait entre 50 et 100 $.

En principe, toutes ces solutions sont valables pour déterminer les primes. Le choix revient entièrement à l’assureur : il doit déterminer jusqu’où pousser l’évaluation des risques pour calculer les primes.

2.4 Barèmes de tarification

À la lumière de l’exemple ci-dessus, examinons de plus près les différentes méthodes d’amasser les primes d’un groupe. Deux mécanismes sont souvent cités, aux antipodes l’un de l’autre : la mutualité et la solidarité (voir un exemple dans Wilkie, 1997).

  • Selon le principe de mutualité, dans sa forme la plus absolue, chacun des adhérents du groupe paie une prime calculée en fonction du risque qui lui est propre. Dans l’exemple ci-dessus, le calcul des primes en fonction de tous les facteurs de risque connus est un exemple de mutualité;
  • Selon le principe de solidarité, le total des primes nécessaires pour assurer tout le groupe ou tous les adhérents d’un sous-groupe grossièrement défini est réparti également entre les individus concernés. Dans l’exemple ci-dessus, la solidarité consisterait à imposer à tous une prime de 500 $ basée sur la probabilité moyenne de sinistre total;
  • Nombre de régimes de paiement combinent les principes de mutualité et de solidarité, étant donné que certains facteurs de risque sont pris en compte et d’autres non. Dans l’exemple ci-dessus, exclure le type de construction tient de la solidarité entre propriétaires de maison en pierre et en bois, mais tenir compte des risques de phénomènes météorologiques violents tient de la mutualité.

Le régime de soins de santé universel constitue peut-être l’exemple le plus connu d’un régime de solidarité, qu’il soit financé par les impôts, comme au Royaume-Uni, ou par une assurance obligatoire (et réglementée), formule adoptée par plusieurs autres pays européens.

Solidarité et assurance obligatoire sont souvent associées : tous doivent y participer, au risque de payer plus cher que pour une assurance privée, comme les particuliers plus fortunés qui paient plus d’impôt. La mutualité est davantage associée à l’assurance en tout ou en partie volontaire, à laquelle les individus les plus à risque ne peuvent souscrire qu’en payant une prime établie en fonction du risque individuel de sinistre qu’ils imposent au groupe.

Si l’assurance est obligatoire, alors la question de l’accès aux services d’assurance ne se pose pas. Elle se pose toutefois si l’adhésion à l’assurance est volontaire, car le prix est un des facteurs qui peuvent influer sur la décision d’acheter de l’assurance. Dans le cas d’une assurance volontaire où intervient le principe de la mutualité, l’individu doit faire un arbitrage entre le prix à payer et la volonté d’obtenir une protection. Cela relève de la microéconomie.

Le reste du rapport s’intéressera surtout à la mutualité, étant donné qu’elle soulève des questions pertinentes, mais il faut souligner que dans la réalité ce principe n’est jamais appliqué d’une façon absolue. Pour des raisons pratiques, tout régime d’assurance fondé sur la mutualité constitue un amalgame de micro-modalités, parce qu’il est impossible de subdiviser totalement les risques. La possibilité d’exclure le facteur de risque que présente le type de construction (section 2.3) en est un bon exemple, et l’assureur prendra cette décision si le prix à payer pour recueillir et utiliser l’information requise semble dépasser les avantages qu’il en retirerait.

Ainsi, l’association entre solidarité et assurance obligatoire ou mutualité et assurance volontaire est simple et intuitive. Que risque-t-il de se passer si, toutefois, nous perturbons l’état « naturel » des choses en cherchant à associer solidarité et assurance obligatoire? Qu’arriverait-il si, par exemple, les assureurs du marché de l’assurance volontaire n’étaient pas habilités à appliquer un facteur de risque donné?

2.5 Antisélection

Supposons que les compagnies d’assurance vie n’ont pas le droit de questionner un client potentiel sur son état de santé. Pour toutes sortes de raisons, les gens pourraient être enclins à souscrire une assurance-vie à une étape quelconque de leur vie (par exemple pour protéger leurs enfants dépendants). Mais une personne dont la mort est proche, qui est atteinte d’une maladie en phase terminale par exemple, aurait tout intérêt à se procurer une assurance-vie. Si elle obtient une couverture de 100 000 $, qu'elle verse une première prime mensuelle de 20 $ (un montant très raisonnable à certains âges) et qu’elle meurt le mois suivant, le taux annuel de rendement que sa succession réaliserait si elle recevait immédiatement le chèque de l’assureur serait d’environ 2 440 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 % (Macdonald, 2004). Même si la succession devait attendre la fin de l’année pour recevoir la somme assurée, le taux de rendement annuel serait d’environ 500 000 %. L’exemple est un peu pousséNote de bas de page 2, mais il montre que l’assureur qui assure contre un risque peu probable, et demande en conséquence une prime modique alors que ce risque est plutôt probable, s’expose à des pertes considérables.

Cet exemple fait d’abord ressortir que l’assuré connaissait le risque imminent mais pas l’assureur. Pour les économistes, il s’agit d’un cas d’asymétrie de l’information, dans lequel les deux parties contractantes disposent d’une connaissance inégale du risque. Il montre également que cette situation ne pourrait se produire que dans un régime d’assurance fondé sur la mutualité. Si l’achat d’une assurance de 100 000 $ était obligatoire, l’assureur pourrait calculer les primes totales à exiger en se fiant à sa connaissance raisonnable de l’état de santé de l’ensemble de la population.

Reprenons l’exemple précédent sur l’assurance habitation pour illustrer ce point. On peut supposer que tous les propriétaires connaissent les facteurs de risque associés à leur propriété. Se pose alors la question suivante : qu’advient-il lorsque cette information est inconnue de l’assureur?

  1. Dans le cadre d’un régime fondé sur la mutualité, chaque propriétaire-occupant paie une prime en fonction des facteurs de risque en jeu (comme dans le tableau de la section 2.3). Face aux primes exigées, certains décident de se faire assurer alors que d’autres font le choix contraire;
  2. Puis, le régime de mutualité est remplacé par un régime de solidarité qui impose la même prime à tous les propriétaires. Cela pourrait se produire si, par exemple, le gouvernement décidait de considérer que la malchance de résider dans une zone à risque de catastrophes météorologiques violentes ne doit pas être un facteur de discrimination « injuste ». Si rien n’avait changé, la prime serait de 500 $ pour tous selon la probabilité moyenne de sinistre total;
  3. Dans ce nouveau contexte, on peut facilement penser que les motivations des agents vont changer. Les assurés dont la prime était de 50 $ ou de 100 $ pourraient hésiter à payer 500 $ et décider de ne plus se faire assurer. Par ailleurs, ceux qui avaient auparavant décidé de ne pas payer une prime de 1 000 $ ou de 2 500 $ (ou qui n’en avaient pas les moyens) pourraient se réjouir de ne payer que 500 $ et se procureraient alors une assurance;
  4. Mais cette nouvelle donne modifierait la composition de la population d’acheteurs d’assurance. Au sein de la nouvelle population assurée, la probabilité moyenne de sinistre total qui était auparavant de 1 pour 1 000 a sûrement augmenté parce que certains propriétaires à faible risque ont cessé de souscrire et certains autres à haut risque ont décidé de se procurer une assurance. Supposons que la probabilité moyenne de sinistre totale des maisons maintenant assurées passe ainsi de 1 pour 1 000 à 1 pour 500, tous devront alors dorénavant payer une prime uniforme qui, selon le principe de solidarité, ne sera plus de 500 $, mais de 1 000 $. L’assureur doit hausser la prime à ce niveau, ou encore accuser une perte élevée et risquer l’insolvabilité;
  5. Mais une prime de 1 000 $ incitera peut-être encore davantage de propriétaires à faible risque à ne plus se faire assurer, de sorte que la nouvelle population assurée comptera davantage d’individus à risque élevé. La prime de 1 000 $ ne sera donc pas suffisante et devra être augmentée tant et encore.

Le phénomène décrit aux points 4 et 5 correspond à l’antisélection et à l’antisélection en spirale. Cela se produit lorsque l’éventuel assuré détient sur le risque de l’information qu’il ne divulgue pas ou qu’il n’a pas besoin de divulguer à l’assureur. En d’autres termes, il s’agit d’un cas d’asymétrie de l’information qui favorise le proposant. L’assureur fixe la prime selon le principe de solidarité en fonction de cette information. Si l’assureur évalue mal les caractéristiques des candidats acheteurs, il se trompera sur le montant de la prime à exiger. Si, comme dans l’exemple précédent, les circonstances sont telles qu’il offre aux personnes à risque plus élevé une assurance en deçà de son coût réel, son erreur se traduira par une perte. Il le constatera lorsque celle-ci se réalisera et pourra la compenser en augmentant la prime. Toutefois, si cela dissuade encore plus de gens à moindre risque de se faire assurer, le processus peut se répéter sans jamais se stabiliser : c’est la spirale de l’antisélection. Dans le pire des cas, la majoration des primes peut dissuader tous les assurables à moindre risque de sorte que seuls ceux qui présentent un risque plus élevé souscriront une assurance.

Comme pour le calcul mathématique de la prime et le régime d’assurance mutualiste à l’état pur, l’antisélection décrite ici est idéalisée. Plus particulièrement, le comportement imaginé des agents qui doivent fixer les primes d’assurance est fortement influencé par des notions microéconomiques de base comme l’offre, la demande, l’utilité et l’équilibre. Le concept reste cependant utile et les compagnies d’assurance doivent se soucier de l’antisélection.

La séquence décrite ci-dessus révèle également qu’un assureur peut difficilement exclure un facteur de risque donné dans sa tarification si un seul autre assureur en tient compte. Voici l’exemple d’un cas survenu au Royaume-Uni au début des années 1980: jusqu’à cette époque, aucun assureur important n’utilisait l’usage du tabac comme facteur de risque, sauf pour établir la prime des candidats dont le mauvais état de santé pouvait être attribuable au tabagisme. Les taux de prime perçus par chaque assureur vie se situaient (présumément) entre ceux des non-fumeurs et ceux des fumeurs. Puis, un assureur s’est mis à offrir des primes plus basses aux non-fumeurs de cigarettes et à exiger des primes nettement plus élevées aux fumeurs de cigarettes. Chaque non-fumeur en quête d’une assurance-vie aurait normalement dû opter pour cette société novatrice alors que tous les fumeurs auraient dû se tourner vers les concurrents qui demandaient encore une prime « dans la moyenne ». Ces derniers, n’attirant plus la combinaison fumeurs–non-fumeurs à laquelle ils s’attendaient (ne serait-ce qu’implicitement), se seraient vus forcés de réclamer des primes globales insuffisantes et auraient accusé des pertes. Dans la pratique, pendant les années qui ont suivi, presque tous les assureurs-vie du Royaume-Uni ont offert des tarifs différents aux fumeurs et aux non-fumeursNote de bas de page 3. Un changement analogue semble se produire aujourd’hui dans le marché des rentes, un assureur ayant décidé d’employer le code postal comme facteur de risque et les autres l’ont suivi.

Règle générale, tout facteur de risque qui établit une distinction entre groupes plus à risque et groupes moins à risque de subir le sinistre assuré conduit à une imposition de primes différentes. Si l’assureur peut appliquer le principe de mutualité et imposer des primes en conséquence du risque, il parviendra à percevoir des primes adéquates sans égard au type d’acheteurs. S’il ne tient pas compte du facteur de risque et n’impose pas de primes différentes, le coût de l’assurance dépendra de la composition des risques des adhérents du groupe. Ne connaissant pas cette composition, l’assureur risque de mal calculer les primes à exiger.

2.6 Probabilité de l’antisélection

L’antisélection résulte du comportement humain : la décision d’acheter ou non de l’assurance, entre autres pour une raison de prix. Dans un modèle purement économique fondé sur les acteurs rationnels d’un marché, tout changement de situation, aussi léger soit-il, modifiera le comportement. Comme il peut en être autrement dans la réalité, il faut se demander si un risque important d’antisélection existe bel et bien.

Le sexe constitue l’un des facteurs de risque le plus longtemps utilisés en assurance-vie car sa valeur prédictive est puissante sur le plan statistique. Un tribunal de l’Union européenne a récemment maintenu l’interprétation d’une directive interdisant la discrimination fondée sur le sexe à laquelle les compagnies d’assurance ne pourront déroger. En conséquence, dès la fin de 2012, les assureurs de l’UE ne pourront plus imposer des primes différentes en fonction du sexe.

On ignore encore comment les assureurs ajusteront leurs primes dans ce nouveau marché qui ne fait pas de distinctions entre les sexes. Prenons, à titre d’exemple, l’assurance temporaireNote de bas de page 4 qui constitue la forme d’assurance-vie la moins coûteuse. Pour le moment, les femmes paient des primes plus faibles que les hommes, chez qui l’espérance de vie est nettement moindre. Dans un contexte indifférencié, les assureurs pourraient simplement imposer à tous les mêmes primes élevées qui s’appliquent aux hommes, même s’il est vraisemblable que la concurrence favorisera une baisse des primes correspondant à une combinaison représentative d’hommes et de femmes.

À première vue, il s’agit là d’un cas typique de risque d’antisélection. Si les hommes se voient offrir une assurance temporaire en deçà de son coût réel, ils seront portés à en acheter davantage. De leur côté, si les femmes doivent payer un prix supérieur au coût réel de cette assurance, elles achèteront moins. Si les modèles économiques disent vrai, ce phénomène pourrait se produire de façon marginale. Toutefois, personne, ni même les représentants de l’industrie de l’assurance, n’est parvenu à démontrer clairement que ce changement entraînera une antisélection qui perturbera le marché. Comme une multitude de facteurs entrent en jeu dans la décision d’acheter une assurance temporaire, il est probable que la possibilité pour les hommes de payer un peu moins cher et l’obligation pour les femmes de payer un plus cher aura un impact mineur, voire nul. Le lien entre opportunité et incitation semble trop mince.

De même, si l’imposition actuelle d’une surprime aux fumeurs devait devenir une pratique interditeNote de bas de page 5 (ce qui est peu probable), on peut difficilement imaginer que cela se traduirait par une antisélection marquée, même si cela reste possible selon les modèles économiques. Le marché fonctionnait bien avant que le critère de l’usage du tabac ne soit appliqué au calcul des primes et rien n’indique qu’il ne s’ajustera pas.

Il existe d’autres situations où la force du lien entre opportunité et incitation pourrait créer un risque réel d’antisélection. Prenons un exemple tiré également de l’UE, dont les directives interdisent la discrimination fondée sur le sexe, l’âge, l’incapacité ou d’autres caractéristiques. Si la Cour européenne de justice devait déclarer que l’âge constitue un critère discriminatoire comme elle l’a fait pour le sexe, les assureurs européens ne pourraient plus tenir compte de l’âge comme facteur de risque. Les taux de mortalité et d’incidence de la maladie (qui sont des critères pertinents pour l’assurance maladie grave) augmentent brusquement avec l’âge et la plupart des assureurs refusent de délivrer de nouvelles polices d’assurance-vie ou maladie grave aux personnes très âgées. Comme le vieillissement implique l’approche de mort, même chez ceux qui sont encore en bonne santé, l’incitation s’ajoute à l’opportunité. La perspective de devoir offrir les mêmes conditions à une personne de 80 ans qu’à une personne de 20 ans pourrait impliquer une combinaison de l’incitation et de l’opportunité que l’industrie de l’assurance n’est pas en mesure d’assumer.

2.7 Résumé

Le contexte de l’assurance et du calcul des primes a été esquissé dans la présente section sans mention de la génétique pour souligner qu’elle concerne tous les types d’assurance des personnes. La génétique peut poser des difficultés d’ordre juridique ou éthique mais, pour ce qui est de la mécanique de l’assurance, elle constitue un facteur de risque quantifiable potentiel comme un autre.

Suit un résumé des éléments qui ressortent de l’analyse ci-dessus et de leur incidence sur toute prétendue nécessité pour une compagnie d’assurance d’appliquer des primes différentes:

  1. L’assurance repose sur le principe de la mise en commun d’un nombre important de risques individuels. Elle s’appuie sur des lois statistiques où la probabilité mathématique de sinistre joue un rôle majeur dans l’établissement de la prime à exiger :
    Montant de la prime = Valeur du sinistre × Probabilité de sinistre.
    Il s’ensuit que la gestion financière d’un régime d’assurance, qui repose sur l’établissement de primes adéquates, n’est pas un processus arbitraire;
  2. De nombreux facteurs peuvent jouer sur la probabilité de sinistre; certains sont plus importants que d’autres et ils peuvent varier d’une personne à l’autre;
  3. Dans un régime fondé sur la mutualité, l’assureur impose à chaque assuré une prime en fonction de son risque individuel. Il n’a donc pas à se préoccuper de la composition relative du groupe de risques.
  4. Dans un régime fondé sur la solidarité, l’assureur ne fixe pas les primes en fonction des risques individuels et réclame la même prime de tous les proposants indépendamment de la valeur d’un facteur de risque pertinent, comme dans un régime mutualiste. La solidarité fait appel à l’interfinancement des participants à faible risque et de ceux à risque élevé;
  5. Si une certaine solidarité est imposée à un marché d’assurance facultative en interdisant l’utilisation d’un facteur de risque donné, les candidats pourraient être incités à souscrire une assurance d’une valeur inférieure à son coût réel (groupe plus risqué) ou encore à éviter d’assumer l’interfinancement inhérent au régime de solidarité (groupe moins risqué). Il y a alors risque d’antisélection;
  6. Il est impossible de déterminer dans quelle mesure l’antisélection créée par l’impossibilité d’appliquer un facteur de risque entraînera de graves perturbations du marché. Il existe des exemples réalistes dans lesquels cela semble peu probable (facteurs de risque : sexe et tabac) et d’autres où la probabilité est très forte (facteur de risque : âge). La mesure dans laquelle l’élimination d’un facteur de risque force la réunion de risques d’ampleurs très différentes pourrait constituer un facteur pertinent à cet égard.

Certaines conclusions se dégagent de ce qui précède sur la nécessité pour les assureurs de percevoir des primes distinctes en fonction des divers risques. Tout dépend du caractère essentiel ou souhaitable de l’existence du marché de l’assurance privée en l’absence d’un régime d’assurance obligatoire. S’il importe d’assurer la viabilité de l’assurance privée, il faut alors protéger ce marché contre un risque d’antisélection si grand qu’il en menacerait la survie. Il faut permettre la prise en compte du critère de l’âge. Par exemple, même si la discrimination en raison de l’âge est condamnable, la nécessité pour les assureurs d’utiliser ce critère est un argument qui se tient. Si l’existence même du marché n’est pas menacée, cet argument est plus difficile à soutenir. Tout dépend de l’objectif recherché. Si l’on est convaincu que chacun devrait pouvoir s’assurer au meilleur prix possible en fonction de sa situation, il faut alors permettre aux assureurs d’utiliser les facteurs de risque qu’ils souhaitent. Si tel est l’objectif, la nécessité d’imposer des primes différentes se justifie. Si les objectifs sont autres (éviter toute discrimination, par exemple) que la maximisation de l’efficience économique au niveau de l’individu, la nécessité d’un tel mécanisme est certainement discutable.

Il y a donc lieu d’examiner maintenant ces considérations d’ordre général dans le cas précis des facteurs de risque relatifs à la génétiqueNote de bas de page 6.

3. La génétique dans les marchés de l’assurance

3.1 Le risque génétique dans les polices d’assurance

Il est courant de penser qu’un trouble génétique est lié à un gène défectueux qui cause nécessairement la maladie à laquelle il est associé. Ce type d’anomalies existe bel et bien, par exemple chez les porteurs d’une mutation délétère du gène de la huntingtine qui développent presque tous la maladie de Huntington. La plupart du temps, la génétique ne joue cependant pas un rôle aussi marqué ou déterminant dans l’apparition des maladies.

Les conditions très restrictives suivantes doivent être remplies pour qu’un trouble génétique nuise aux assurances de personnes :

  1. La maladie ne doit pas exister lorsque l’individu présente sa demande d’assurance car, autrement, il s’agirait simplement d’un état préexistant. Comme les gens ont tendance à souscrire une assurance de personnes lorsqu’ils sont économiquement actifs, il faut que la maladie se manifeste après cette période de la vie;
  2. La maladie doit se déclarer ou présenter un risque important d’apparaître pendant la durée du contrat d’assurance, ce qui signifie le plus souvent aussi à un âge où l’assuré est économiquement actif.

Les maladies qui satisfont ces conditions appartiennent, dans l’ensemble, à l’une des deux catégories suivantes :

  • Certains troubles d’origine monogénique ne se manifestent que chez le sujet d’âge moyen ou mûr. Ces maladies dites d’apparition tardive sont surtout héréditaires dominantes. Comme les troubles héréditaires récessifs se manifestent généralement à la naissance ou à un jeune âge, ils ne sont pas pertinents en assuranceNote de bas de page 7. Les troubles monogéniques tardifs présentent souvent un risque particulièrement élevé de maladie ou de décès prématurés, mais ils sont relativement rares;
  • Par ailleurs, des troubles courants comme la crise cardiaque, l’accident vasculaire cérébral et le cancer qui frappent surtout les gens d’âge moyen sont tous probablement d’origine génétique mais, dans leur cas, le lien entre le gène et la maladie est plus complexe que dans le cas des troubles monogéniques.

De manière générale, les troubles monogéniques sont assez bien connus car leur mode évident de transmission a été observé dans les familles nombreuses, bien avant l’avènement des tests d’analyse de l’ADN dans les années 1990. L’épidémiologie de ces maladies (l’aspect qui importe en matière de risque d’assurance) est très avancée. En revanche, l’étude de la contribution de la génétique aux maladies communes complexes n’en est qu’à ses débuts. Examinons maintenant les répercussions probables de chaque type de troubles sur le domaine de l’assurance.

3.2 Troubles monogéniques

La présente section s’appuie sur les travaux de Macdonald et Yu (2011).

Il existe environ deux cents maladies monogéniques à transmission héréditaire dominante (Pasternak, 2000), mais la plupart sont extrêmement rares et elles ne sont pas toutes d’apparition tardive. En 1996, le professeur A. J. Raeburn, conseiller en génétique de l’Association des assureurs britanniques (ABI), a dressé la liste suivante des huit troubles qui, à l’époque, semblaient les plus pertinents en assurance :

  1. Deux troubles neuronaux incurables : la maladie de Huntington (MH) et la maladie d’Alzheimer précoce (MAP);
  2. Une maladie dégénérative du système moteur : la neuropathie sensitivomotrice héréditaire (NSMH);
  3. Trois variantes héréditaires rares de cancer : du sein ou de l’ovaire (CS/CO), du côlon, la polypose adénomateuse familiale (PAF), et du système endocrinien, la polyadénomatose endocrinienne de type 2 (PE2);
  4. Une maladie musculodégénérative : la dystrophie myotonique (DM);
  5. Un trouble rénal dégénératif : la polykystose rénale de l’adulte (PRA).

La PRA a été retirée de la liste depuis, en raison de sa méthode de diagnostic, pour être remplacée par le cancer colorectal héréditaire sans polypose (CCSP) (voir la réponse du professeur Raeburn au document de travail de la Human Genetics Commission) [HGC, 2000; Raeburn, 2000].

On disposait de données épidémiologiques suffisantes, en 2000 ou peu après, pour pouvoir concevoir des modèles actuariels et répondre aux deux questions suivantes. En premier lieu, si les assureurs peuvent recourir aux tests génétiques de dépistage présymptomatique, dans quelle mesure les primes des proposants augmenteront-elles? Et ensuite, dans le cas contraire, quelle en sera l’incidence de l’antisélection sur les coûts? Le tableau 1 ci-dessous illustre la portée de la modélisation, telle que décrite par Macdonald et Yu (2011). Les auteurs ont conclu que les modèles pris ensemble prenaient suffisamment en compte la variété et la fréquence des troubles monogéniques d’apparition tardive pour dégager des conclusions solides sur les répercussions en assurance-vie et maladie grave. Leurs conclusions sont résumées ci-après.

Tableau 1 – Modèles actuariels de six troubles monogéniques d’apparition tardive majeurs, gènes impliqués et références (source : Macdonald et Yu, 2011)
Maladies génétiques Mutations Références
PRA PRA1 et PRA2 Gutiérrez et Macdonald (2003, 2007)
MAP PS1 Gui et Macdonald (2002)
Espinosa et Macdonald (2007)
Gui (2003)
MH Gène de la huntingtine (HTT) Gutiérrez et Macdonald (2004)
DM Gène DMPK Macdonald et Yu (2011)
CCSP MLH1 et MSH2 Lu et coll. (2007)
CS et CO BRCA1 et BRCA2 Macdonald, Waters et Wekwete (2003), Gui et coll. (2006)
  1. Si les assureurs pouvaient utiliser les résultats des tests génétiques dans le calcul des primes, certains porteurs de mutations délétères connues se verraient imposer des primes extrêmement élevées, voire hors de prix. Les assureurs ont l’habitude de fixer les surprimes comme pourcentage appliqué aux primes imposées aux candidats sains qui ne présentent pas de risques exceptionnels connus (il s’agit du « taux de prime normale »). Dans de nombreux cas, la surprime représenterait plusieurs centaines de fois la prime normale et, dans certains cas, plus de mille fois. Comme les majorations sont supérieures à ce que de nombreux assureurs sont prêts à exiger, la demande du proposant porteur d’une mutation serait tout simplement rejetée dans de nombreux pays, peu importe la prime. Restreindre l’assureur au critère des antécédents familiaux de ce type de troubles en n’autorisant pas le recours aux tests génétiques permettrait de limiter l’augmentation des primes. Cependant, comme le risque de maladie est si élevé, le résultat ne serait pas différent. Il est donc juste de dire que l’accès à l’assurance-vie et maladie grave des personnes qui risquent de porter ou qui portent des mutations délétères est considérablement restreint.
  2. Si les assureurs ne pouvaient pas utiliser les résultats des tests génétiques, ni même les antécédents familiaux d’un trouble génétique (comme c’est le cas en Suède, par exemple), une situation d’antisélection pourrait s’ensuivre. La rareté des troubles monogéniques est telle que, dans un marché d’assurance de taille raisonnable, le coût de l’antisélection serait extrêmement limité dans le pire des cas. Les auteurs ont étudié plusieurs scénarios et, dans le pire cas, lorsque de nombreux facteurs jouent contre l’assureur, le coût de l’antisélection ne représentait que 3 % environ des primes totales. Il s’agit là d’une limite supérieure extrême, les coûts étant nettement moindres en réalité. Si ce type d’antisélection était plus répandu, il menacerait sans doute la viabilité du marché de l’assurance (tout comme l’interdiction d’utiliser le critère de l’âge risquerait de le faire dans l’UE). Étant donné la rareté des troubles monogéniques, le coût de l’antisélection qui leur est associé reste assez faible. C’est pourquoi les assureurs de divers pays ont pu accepter les contraintes à l’utilisation des renseignements génétiques, sans reconnaître pour autant que la restriction arbitraire des facteurs de risque qu’ils peuvent utiliser ne leur cause pas de tort.

3.3 Troubles complexes

L’incidence des renseignements génétiques concernant les troubles plus complexes et communs, comme les cardiopathies, s’avère plus difficile à évaluer. Les données épidémiologiques sont rarement aussi probantes que dans le cas des maladies monogéniques. Il est cependant possible de tirer quelques conclusions plausibles, fondées sur des considérations d’ordre général plutôt que sur des preuves empiriques solides :

  1. La contribution de la génétique aux troubles courants fait, dans bien des cas, intervenir des variations de multiples gènes qui interagissent sur le plan biologique avec de nombreux autres facteurs comme l’alimentation, l’environnement et le mode de vie. Certaines combinaisons de variantes multigéniques se révéleront peut être relativement plus fréquentes que d’autres mais vu le caractère aléatoire de la transmission, le nombre de combinaisons possibles peut-être important et chacune relativement rare;
  2. Les maladies monogéniques ont souvent un effet néfaste direct. Les mutations perturbent un processus essentiel particulier et déclenchent la maladie mais le porteur du gène « normal » n’est tout simplement pas touché. Il se peut que les réseaux de gènes en cause dans les troubles complexes n’aient pas uniquement des effets manifestement néfastes, quelques combinaisons de variantes génétiques pouvant conférer certains avantages (il s’agit là du mécanisme même de l’évolution). Ainsi, l’incidence des variantes sur la santé se situerait dans une fourchette d’effets allant de « favorables » à « défavorables » et seuls quelques individus se retrouveraient à l’une ou l’autre des extrémités du spectre;
  3. Bon nombre de maladies complexes résultent elles-mêmes d’un ensemble de processus. Par exemple, diverses cardiopathies surviennent à la suite de changements cumulatifs tels que l’hypertension, l’hypercholestérolémie ou l’apparition du diabète, ou sont attribuables à des facteurs environnementaux comme le tabagisme. Les gènes qui affectent les processus sous-jacents pourraient avoir un effet moins marqué que s’ils agissaient directement sur le mécanisme final de la maladie (comme le démontre au moins une étude de modélisation, voir Macdonald et coll., 2005a, 2005b).

Voilà pourquoi il semble très peu probable que les gènes associés aux troubles courants modifient considérablement les pratiques de souscription ou nuisent sensiblement aux assureurs ou aux consommateurs. Nul doute que la médecine clinique bénéficiera de la connaissance acquise sur l’incidence des variations génétiques grâce aux avancées de l’épidémiologie en permettant au médecin de mieux cibler sa pratique en fonction de son patient. Mais on peut penser que son approche ne sera pas très différente lorsqu’il conseillera son patient hypercholestérolémique sur son alimentation, par exemple. L’avancement des connaissances donnera certainement lieu à la découverte de cas exceptionnels, mais il serait étonnant qu’il y en ait beaucoup.

4. Lectures suggérées

Outre les quelques documents techniques mentionnés dans les exemples précédents, le lecteur pourra trouver de l’information dans de nombreuses autres sources. On trouvera une analyse générale des enjeux sociaux et éthiques que soulève la génétique dans les rapports de la Australian Law Reform Commission (ALRC, 2001; 2002; 2003). Pour différents points de vue sur la génétique et l’assurance, il convient de consulter Daykin et coll. (2003), Doble (2001), Moultrie et Thomas (1997), qui ont une approche actuarielle, ou Radetzki et coll. (2003), Rothstein (2004) ou Sorell (1998), qui s’intéressent davantage au cadre juridique et éthique. Wilkie (1997) est l’un des premiers à avoir traité de mutualité et de solidarité dans ce contexte. L’antisélection, un aspect important de l’analyse sur la génétique et l’assurance, se prête mal à l’étude empirique, et Pauly et coll. (2003) et Viswanathan et coll. (2007) sont parmi les rares qui s’y sont livrés. Pour une approche théorique dans une perspective économique, le lecteur devrait consulter les travaux de Doherty et Thistle (1996), Hoy et Polborn (2000) ou Hoy et Witt (2007).


Références

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