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Inspection approfondie des paquets et transparence des citoyens

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Bert Jaap-Koops

Mars 2009

Avis de non-responsabilité :Les opinions exprimées dans ce document sont celles de l'auteur. Elles ne reflètent pas nécessairement celles du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Nota : Cet essai a été communiqué par l'auteur au Commissariat à la protection de la vie privée pour le Project d'inspection approfondie des paquets.


Chaque jour, des milliards de messages divisés en petits paquets circulent sur Internet. Seuls l’expéditeur et le destinataire réassemblent ces paquets pour recevoir le message. Malheureusement, de nos jours, de nombreux messages sont malveillants et contiennent des vers, des virus ou des logiciels espions qu’exploite le crime organisé pour commettre des délits informatiques à grande échelle. Dans ces cas, l’inspection approfondie des paquets (IAP) pourrait être la solution, puisqu’elle permet la surveillance et le filtrage des paquets où qu’ils se trouvent. L’IAP peut aussi remplir un rôle en matière de sécurité, de prestation de services ou d’assurance de la conformité. Mais désirons-nous vraiment une technologie qui permet une surveillance instantanée et omniprésente de tout ce qui transite sur Internet?

L’IAP est la dernière application de surveillance à faire discrètement son entrée dans la société et elle ne demande soudainement qu’à être utilisée. Elle succède à la télévision en circuit fermé, à la photographie aérienne, aux caméras miniatures, aux microphones directionnels, à la biométrie, aux capteurs olfactifs, à la reconnaissance automatique de visages et de plaques d’immatriculation, au forage de données et au profilage en tant qu’autre moyen de surveillance. Ces dernières années, nous avons constaté une croissance énorme de la production, du traitement et du stockage de données : nous sommes non seulement une société réseautée, mais aussi une société de bases de données. L’IAP élargit la boîte à outils de surveillance principalement en permettant à beaucoup plus d’acteurs de recueillir des données et de les utiliser à leurs propres fins.

Laissons de côté les questions de surveillance des acteurs privés et penchons-nous sur la façon dont l’État risque d’utiliser l’IAP. Une fois qu’un fournisseur d’accès Internet (FAI), ou toute autre société en fait, adopte l’IAP, il peut surveiller et sélectionner les données d’une façon beaucoup plus perfectionnée que s’il se contentait de balayer les en têtes de messages. Cette fonction peut se révéler avantageuse pour les organismes d’application de la loi et les services de renseignements, qui peuvent invoquer les pouvoirs d’enquête existants pour obtenir la collaboration des FAI, d’autant plus que l’IAP permet une surveillance en temps réel qui facilite l’approche préventive, par opposition à l’approche rétroactive habituelle des organismes d’application de la loi.

L’IAP s’ajoute à la tendance qui veut que des groupes de citoyens de plus en plus vastes, sur lesquels aucun soupçon ne pèse, soient sous surveillance. Plutôt que d’enquêter sur quelques personnes sur la présomption raisonnable qu’ils ont commis un crime, on surveille maintenant un grand nombre de personnes, y compris des groupes, à la recherche d’indices d’une possible implication dans des crimes (potentiels). Ainsi, la portée du droit pénal et des renseignements criminels s’étend peu à peu à davantage de sphères de la société. Cette tendance à la prévention dans l’application de la loi correspond au mouvement vers une société du risque (risk society – Beck) et une culture de contrôle (culture of control – Garland). L’explosion indéniable de la production, de l’inspection et du stockage de données permet à l’État de recueillir et d’utiliser beaucoup plus de données sur les citoyens qu’auparavant. Cette croissance est non seulement quantitative, mais qualitative. La vie personnelle des citoyens se reflète à travers leur comportement sur Internet et si ce comportement est surveillé en continu, de façon omniprésente, il devient de plus en plus transparent pour l’État.

Que l’État dispose d’un pouvoir de savoir accru sur les citoyens n’est pas nécessairement condamnable, car des changements sociaux pourraient éventuellement justifier un tel virage. Cependant, il faudra prouver qu’une plus grande surveillance est vraiment nécessaire, et il faudra des données empiriques pour étayer la chose. Toutefois, les développements en matière de surveillance sont souvent plutôt concrets; le processus est morcelé et évolue par étapes qui, vues dans l’ensemble, représentent un pas immense. Les débats d’orientation et de société ciblent souvent ces étapes isolées plutôt que l’évolution dans son ensemble, et il n’est pas certain que la démarche cumulative vers la surveillance et le contrôle préventif du risque soit bien réfléchie et fondée sur des preuves factuelles. Les législateurs devraient accorder davantage d’attention au soutien indirect des mesures de surveillance et à leur effet cumulatif, aux études des commissions d’évaluation, et ils devraient insérer dans les lois des dispositions de temporarisation dans l’éventualité où une mesure ne donnerait pas le résultat escompté.

Davantage de freins et de contrepoids sont également nécessaires. Le pouvoir accru de l’État doit être rééquilibré par des freins appropriés, notamment des exigences de transparence supplémentaires (les citoyens doivent savoir quelles données sont recueillies et traitées, et à quelles fins). La vérification et la supervision doivent aussi être améliorées. Des organismes indépendants devraient vérifier régulièrement si l’État utilise ses pouvoirs correctement et légitimement. Le tribunal criminel n’est plus le premier instrument de vérification de l’exécution du pouvoir d’enquête, car de nombreuses causes ne se rendent jamais devant les tribunaux. D’autres mécanismes de supervision devraient être examinés.

La protection des données est un élément central des débats sur la surveillance. À mon avis, le cadre législatif de protection des données est désuet. L’hypothèse selon laquelle on empêche le plus possible le traitement des données n’est plus valable dans une société où les bases de données sont réseautées. Aujourd’hui, la collecte et la corrélation de données à grande échelle sont inévitables, et l’émergence de l’IAP ne fait que le souligner. Ainsi, au lieu de chercher à protéger les données à l’étape de la collecte, il vaudrait mieux se concentrer sur le traitement approprié des données à l’étape de leur utilisation. En d’autres mots, l’objectif de la protection des données n’est pas d’améliorer la protection de la vie privée, mais plutôt d’assurer la transparence de l’État et la non-catégorisation.

La protection des données personnelles peut servir à réglementer l’utilisation des données, mais il reste à décider si l’État devrait être autorisé à utiliser l’IAP, car en ce domaine, d’autres éléments de protection de la vie privée entrent en jeu, qui risquent d’être compromis par l’IAP, comme la protection du domicile, les relations familiales et la correspondance. La protection de la vie privée étant une valeur constitutionnelle fondamentale pour préserver la liberté et l’autonomie des citoyens dans un État de droit démocratique, l’IAP devrait être évaluée en profondeur. L’IAP pourrait être acceptée comme nouvel outil d’application de la loi si l’on arrive à la conclusion qu’un tel ajout aux dispositifs d’enquête actuels est nécessaire. Mais le pouvoir cumulatif d’un tel outil de rendre la population complètement transparente pour l’État nous oblige à repenser le cadre législatif en la matière. La société a besoin d’importants nouveaux freins et contrepoids pour rééquilibrer l’augmentation du pouvoir de l’État sur les citoyens.

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