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Distinguer le seigle du blé : réorientation de l'actuel débat sur la fonction d'ombudsman telle que définie dans la LPRPDE

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Jennifer StoddartNote de bas de page 1
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

Octobre 2005


Résumé

En 2000, le Parlement du Canada a adopté une nouvelle loi fondée sur le modèle du secteur public pour régir la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.

Devenue la première loi fédérale applicable à la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) a été minutieusement étudiée. L'une des caractéristiques les plus commentées de la LPRPDE est le choix du modèle d'ombudsman pour définir les fonctions de la commissaire à la protection de la vie privée.

Dans ce document, je me pencherai d'abord sur les caractéristiques et la nature d'ordre conceptuel du modèle d'ombudsman et commenterai les décalages apparents entre les composantes de ce modèle et les différents types de contrôles réglementaires gouvernementaux qui, selon certains, devraient être rigoureusement appliqués par les gouvernements pour mettre un frein à toute activité nuisible du secteur privé. Pour faciliter la compréhension des choses, j'aborderai quatre thèmes centraux qui semblent être la source d'une grande confusion dans les débats concernant le modèle administratif de la LPRPDE : la souplesse, l'équité des procédures, la transparence et l'efficacité.

Introduction

Le concept d'ombudsman, ou du moins l'idée que nous en avons aujourd'hui, trouve ses origines dans le bureau du justiteombudsman (ombudsman pour la justice) créé en 1809 en SuèdeNote de bas de page 2. On peut décrire le concept ainsi :

... mécanisme utilisé pour surveiller les activités de l'administration publique afin d'en assurer la légalité et l'équité. Les fonctions d'ombudsman sont généralement exercées par une seule personne, mais, à l'occasion, par un groupe de personnes. L'ombudsman, généralement nommé par le pouvoir législatif d'un gouvernement, est chargé de scruter les activités administratives du pouvoir exécutif [traduction]Note de bas de page 3.

Après son apparition en 1809, le modèle d'ombudsman a évolué de diverses façons bien qu'au demeurant, il « vise d'abord et avant tout la défense de certaines valeurs, comme l'équité et la reddition des comptes» [traduction]Note de bas de page 4. Le modèle est demeuré un mécanisme fondamental permettant aux gouvernements de s'autoréglementer et d'assumer leur responsabilité à l'égard de leurs actions. Au Canada, plusieurs provinces ont mis sur pied des bureaux d'ombudsman pour veiller à ce que l'administration générale de leurs organismes publics et la prestation de services aux personnes soient guidées par des principes d'équité et de reddition des comptesNote de bas de page 5. À l'échelon fédéral, on a adopté le modèle afin de surveiller des secteurs d'activités très circonscrits du gouvernement. Ainsi, le Commissariat aux langues officielles, le Commissariat à l'information ainsi que le Commissariat à la protection de la vie privée sont des bureaux d'ombudsman chargés de veiller, respectivement, à ce que le gouvernement fédéral agisse conformément à la Loi sur les langues officiellesNote de bas de page 6, à la Loi sur l'accès à l'informationNote de bas de page 7 ainsi qu'à la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 8.

Au cours des dernières années, le secteur privé a lui aussi adopté le modèle d'ombudsman pour assurer la qualité et l'équité de ses services à la clientèle. Dans le secteur des services financiers, par exemple, chaque entreprise emploie un ombudsman chargé de recevoir les plaintes; puis, si une personne n'est pas satisfaite de la façon dont sa plainte a été traitée par son fournisseur de services financiers, elle peut alors s'adresser à l'ombudsman des services bancaires et d'investissement, qui agit à titre d'ombudsman pour l'ensemble du secteur financier. Dans un document de discussion produit en 1999, l'Association des ombudsmans du Canada s'interrogeait à savoir si la mise en place de ces nouveaux bureaux, en particulier dans le secteur privé, répondait aux exigences d'indépendance et d'impartialité assurément liées au rôle d'ombudsmanNote de bas de page 9. Ce que nous considérons toutefois comme des caractéristiques communes à l'ensemble des ombudsmans, toutes applications confondues, a été décrit par Carolyn Stieber :

Des fils communs forment la trame du tissu organisationnel de toute charge d'ombudsman : ils visent tous à humaniser l'administration, à soutenir la justice, la responsabilisation et l'équité. On peut faire confiance à tous les ombudsmans. Aucun d'entre eux ne dispose de pouvoirs pour faire appliquer les décisions ou les pouvoirs disciplinaires. Ils se fondent tous sur la force de persuasion et sur la crédibilité de la fonction, ce qui crée une atmosphère propice à la confiance. Bien que le processus pour atteindre les objectifs de justice puisse varier, le produit demeure le même : une possibilité pour les gens ordinaires, ceux dénués de pouvoir ou de prestige, de se faire entendre et d'être traités de façon équitableNote de bas de page 10.

Lors de l'adoption de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniquesNote de bas de page 11 (LPRPDE) en 2000, il a été décidé de mettre en place le même modèle d'ombudsman que celui prévu dans la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 12. La commissaire à la protection de la vie privée se trouve par conséquent investie des pouvoirs et des responsabilités d'un ombudsman en ce qui a trait à la surveillance des pratiques de gestion de l'information des organisations du secteur privé visées par la Loi.

Ainsi, en vertu de l'article 11 de la LPRPDE, la commissaire a le mandat d'entreprendre une enquête lorsqu'une plainte est déposée. Elle bénéficie également du pouvoir de déposer ses propres plaintes lorsque des motifs raisonnables le justifient. Puis, en vertu de l'article 12, la commissaire a un vaste pouvoir pour procéder à l'examen de plaintes et possède l'autorité pour tenter de résoudre les plaintes au moyen de mécanismes de règlement de différends. Elle est aussi chargée, en vertu de l'article 13, de dresser un rapport présentant ses conclusions, ses recommandations, tout règlement intervenu entre les parties et enfin les autres recours possibles, s'il y a lieu. Finalement, en vertu de l'article 25, la commissaire doit déposer devant le Parlement son rapport sur les activités du Commissariat.

Ce sont ces pouvoirs et ces fonctions qui caractérisent le rôle de l'ombudsman, comme l'explique Reif :

L'ombudsman a le pouvoir de demander la tenue d'une enquête en cas de plainte ou de déposer une plainte de son propre chef, de réaliser une enquête impartiale pour examiner l'activité administrative mise en doute, de formuler des recommandations en vue de corriger les aspects illégaux ou inéquitables s'il y a lieu ainsi que de présenter un rapport au Parlement concernant les activités de son organisme [traduction]Note de bas de page 13.

Même s'ils présentent des caractéristiques très proches de celles d'un ombudsman, les pouvoirs et les responsabilités conférés à la commissaire à la protection de la vie privée en vertu de la LPRPDE ont une application relativement unique. Car jusqu'ici, ce sont d'abord les gouvernements qui ont eu recours au modèle d'ombudsman pour réglementer l'administration publique. La nouveauté est que grâce à la LPRPDE, le gouvernement du Canada applique désormais le modèle à la réglementation des activités du secteur privé. Et il l'applique à l'ensemble des activités commerciales de ce secteur, couvrant un large éventail d'industries et de secteurs, contrairement aux entreprises privées qui ont recours au modèle pour s'autoréglementer, au sein même de l'entreprise ou à l'échelle d'une industrie donnée.

Puisqu'il s'agit d'une approche récente, il n'est peut-être pas surprenant que la mise en place du modèle d'ombudsman pour assurer le respect de la LPRPDE soit mal comprise. La source de la confusion semble être attribuable au décalage fondamental entre la nature et les caractéristiques d'ordre conceptuel des fonctions d'ombudsman et le contrôle de nature réglementaire auquel on s'attend de la part des gouvernements afin de juguler toute activité nuisible du secteur privé.

Comme l'a remarqué Howard Gadlin, « malgré que l'étude et la pratique de la négociation et de la résolution de conflits aient fait des pas de géant au cours des trente dernières années, il est permis de croire que le rôle de l'ombudsman est de loin la notion la plus mal comprise en ce domaine » [traduction]Note de bas de page 14. Dans les lignes qui suivent, nous explorerons quatre thèmes centraux qui semblent être au coeur de la confusion dans les débats actuels concernant le choix du modèle de l'ombudsman pour l'application de la LPRPDE. Ces quatre thèmes sont les suivants : la souplesse, l'équité des procédures, la transparence et l'efficacité.

I. LA SOUPLESSE

a. Structure de la Loi

Au départ, les détracteurs de la LPRPDE ont surtout critiqué la structure de la Loi ainsi que ses visées qu'ils considéraient trop générales. Teresa Scassa, par exemple, a soulevé deux questions d'application générale qui, selon elle, constituaient des problèmes inhérents à la LPRPDE : « Tout d'abord, il ne s'agit pas d'un modèle établissant des paramètres légaux officiels applicables de façon précise ou à un secteur donné, que ce soit grâce à la prise de règlements ou à la mise en place de mécanismes d'approbation officielle de codes pour chaque secteur. Par ailleurs, le fait d'avoir intégré l'intégralité du code de l'Association canadienne de normalisation a donné à la Loi une dimension encore plus générale » [traduction]Note de bas de page 15.

Plus récemment, John Lawford a exprimé des préoccupations semblables en indiquant que des « normes peuvent constituer la partie réglementaire d'une loi, mais puisqu'elles sont de nature non impératives, elles sont peu efficaces pour l'application des exigences légales » [traduction]Note de bas de page 16.

Un appel à une formulation plus précise ainsi que le renforcement des exigences semblent toutefois tout à fait contraire à l'approche de résolution des conflits selon le modèle de l'ombudsman. Car la souplesse est la clé de sa réussite. Il s'agit d'ailleurs de l'une des caractéristiques essentielles du rôle de la commissaire à la protection de la vie privée ainsi qu'une notion inhérente à la LPRPDE elle-même.

L'objet même de la LPRPDE est de fixer, en prenant en compte les technologies modernes de l'information, des :

règles régissant la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels d'une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l'égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d'utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu'une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstancesNote de bas de page 17.

On a fait référence à cette disposition en la nommant familièrement la disposition du « compromis », même si le mot n'est pas tout à fait juste. Dans un régime où le pouvoir décisionnel a un caractère définitif final, c'est le juge qui définit le compromis par suite d'une plaidoirie fondée sur l'application de normes impératives visant à déterminer qui a tort et qui a raison. Il en va autrement pour le modèle de l'ombudsman préconisé dans la LPRPDE : la commissaire à la protection de la vie privée prête assistance aux personnes et aux organisations afin de parvenir à ce compromis de façon à répondre aux besoins de tous de façon consensuelle.

Comme le remarque Stephen Owen, l'un des avantages de résoudre un conflit de façon consensuelle est « qu'étant donné que des groupes préoccupés par différents intérêts ont leur propre perception des enjeux publics, il est possible d'arriver à des solutions adaptées répondant aux principales préoccupations des différentes parties, qui auront laissé tomber certaines attentes auxquelles elles tiennent moins » [traduction]Note de bas de page 18.

Mais avant même que la commissaire à la protection de la vie prenne part à la résolution d'un différend, les personnes et les organisations du secteur privé peuvent, grâce à la flexibilité caractéristique du code de l'Association canadienne de normalisation intégré à la LPRPDE, résoudre eux-mêmes tout conflit potentiel en appliquant les principes généraux d'équité dans le traitement des renseignements personnels à une situation factuelle particulière. Ces outils prévus par la LPRPDE permettent aux groupes et aux personnes concernées d'orienter l'examen de la situation et de prendre des mesures correctives au besoin. Les organisations du secteur privé sont appelées à se doter de structures, de politiques et de pratiques de responsabilisation pour traiter les plaintes formulées par des personnes relativement à la protection de leurs renseignements personnels. Pour leur part, les personnes ont la possibilité de vérifier que les organisations suivent certaines règles ainsi que de demander, au besoin, la prise de mesures correctives, conformément à l'esprit et à l'intention des principes de l'Association canadienne de normalisation. Comme l'affirme Colin Bennett :

L'intégration à la Loi de normes valides, qui constitue une nouveauté, visait expressément à mettre en place un mécanisme systématique d'autoréglementation. Les normes sont plus impératives qu'un code de conduite car elles prévoient une méthode commune d'évaluation de la conformité sur laquelle on peut se fonder pour vérifier la conformité de façon indépendante et périodiqueNote de bas de page 19.

La structure même de la LPRPDE, en particulier l'intégration du code de l'Association canadienne de normalisation dans le texte de la Loi et la validation de sa méthodologie des principes fondées sur la souplesse, semble parfaitement appropriée et conséquente avec le modèle d'ombudsman.

b. Conclusions de la commissaire

Comme nous l'avons vu, une partie des fonctions d'ombudsman de la commissaire à la protection de la vie privée consiste à mener des enquêtes en cas de litige puis à communiquer ses conclusions et ses recommandations afin d'aider les parties à trouver une solution consensuelle. D'aucuns ont argumenté que la démarche de la commissaire, qui consiste à publier au terme de ses enquêtes des conclusions d'enquête anonymes et abrégés, nuit à l'élaboration d'un ensemble de normes cohérentes pour l'interprétation et l'application de la LPRPDE. Ainsi, selon Berzins :

Les résumés de plainte empêchent les parties de comprendre de façon approfondie l'approche adoptée par la commissaire pour chaque cas particulier, et ce problème est aggravé par le fait qu'on refuse de faire des liens entre les conclusions d'enquêtes et les situations présentant des enjeux similaires, y compris les enquêtes impliquant exactement les mêmes parties [traduction]Note de bas de page 20.

Encore une fois, ces critiques doivent être examinées à la lumière de la nature et des objectifs du modèle d'ombudsman, car il ne s'agit pas d'une fonction dotée du pouvoir de rendre justice, comme la situation qui prévaut habituellement dans le secteur privé. Nous avons coutume de mettre en place une sorte de jurisprudence fondée sur l'analyse de règles. Il nous faut toutefois comprendre que les activités de l'ombudsman ne visent pas l'établissement de précédents normatifs qui vont nécessairement lier les parties qui se retrouvent dans des situations semblables. La doctrine stare decisis minerait certaines des assises fondamentales du modèle d'ombudsman. Pour que ce modèle fonctionne, les parties doivent être assurées que leur affaire sera traitée de façon individuelle et qu'elles peuvent contribuer à la négociation et à la résolution du litige. Comme le souligne Owen :

Il est essentiel que toutes les parties importantes intéressées participent volontairement au processus par l'entremise d'un représentant légitime. Chaque partie doit croire que ses intérêts particuliers seront mieux servis par la négociation que par l'imposition d'une solution. Si l'une ou l'autre des parties croit qu'elle peut gagner une bataille juridique ou politique de façon définitive, le processus ne peut pas fonctionner; il s'agit plutôt d'un processus amenant les parties à définir leurs objectifs dans un esprit constructif. En définissant ce qu'elles souhaitent atteindre, les parties deviennent ainsi mieux disposées à mettre de l'eau dans leur vin et à explorer des solutions créatives en vue de répondre à leurs intérêts mutuels [traduction]Note de bas de page 21.

Plus qu'un moyen de trouver des solutions rémédiatrices, les fonctions de l'ombudsman constituent un moteur de changement et d'amélioration. L'objectif consiste bien sûr à résoudre les plaintes mais aussi à établir, grâce à la volonté et à la participation des parties concernées, une culture durable de conscientisation à la protection de la vie privée. Pour atteindre ce but, il faut donc que le processus soit souple, qu'il favorise la participation et qu'il soit adapté à chacun. Il serait contraire à l'approche d'ombudsman ­ et contreviendrait à ses objectifs ­ de régler des plaintes en se fondant sur des négociations jugées appropriées par des parties lors de cas antérieurs, même s'ils sont similaires. Owen a fort bien décrit cette idée dans l'extrait de l'article qui suit, où il traite des principales caractéristiques du modèle d'ombudsman :

À la base, la recherche du consensus est un processus de réflexion plutôt que de coercition, et son influence est incommensurable. La réflexion favorise le changement volontaire des mentalités de façon durable et profitable à toutes les parties. La compréhension et le respect mutuel sont une source d'énergie constructive [traduction]Note de bas de page 22.

II. ÉQUITÉ DES PROCÉDURES Note de bas de page 23

Étant donné que la commissaire à la protection de la vie privée n'a pas de pouvoir décisionnel à caractère définitif final, elle n'est pas régie par les règles de justice naturelle. Certains en ont conclu qu'il était par conséquent impossible de garantir l'équité des procédures. Ainsi, selon Lawford :

Avec le modèle d'ombudsman, et en raison de l'absence de structures administratives traditionnelles de tribunal administratif et du pouvoir de faire appliquer la loi, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a mis en place des procédures plutôt irrégulières pour régler les plaintesNote de bas de page 24.

Mais comme n'importe quel autre organisme administratif, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada est tenu d'assurer l'équité de ses procédures. À ce sujet, l'Association des ombudsmans du Canada a souligné que tout ombudsman doit impérativement être indépendant et impartial pour pouvoir travailler efficacement et jouir du « véritable statut » d'ombudsmanNote de bas de page 25. Car l'équité, loin d'être exclue des procédures de l'ombudsman, est en fait essentielle à son efficacité.

Par ailleurs, on oublie parfois que cette obligation, telle que décrite par la Cour suprême du Canada, est nécessairement « souple et variable et qu'elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés »Note de bas de page 26. Dans ce cas, l'obligation d'équité procédurale de la commissaire à la protection de la vie privée pour la réalisation d'enquêtes doit être évaluée en fonction des restrictions énoncées dans la LPRPDE relativement au processus d'enquête. Ainsi, la volonté de mener un processus d'enquête transparent et ouvert au public est nécessairement restreint par l'obligation prévue par la loi selon laquelle la commissaire et ses employés « sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance par suite de l'exercice des attributions que la loi confère au commissaire »Note de bas de page 27.

Les limites des obligations de la commissaire doivent également être déterminées à la lumière des objectifs et de l'intention du modèle d'ombudsman, qui ne consistent pas à rendre des décisions à caractère obligatoire sur les droits et les obligations des parties, mais plutôt à tenter d'amener celles-ci à trouver une solution mutuellement acceptable. On peut affirmer que les enquêteurs de la commissaire ont l'obligation de mener des enquêtes adéquates et rigoureuses, de communiquer l'information aux deux parties, de faire preuve d'impartialité au cours de leurs enquêtes ainsi que d'éviter les délais anormaux pouvant causer préjudice aux deux parties, mais il faut nuancer la portée de ces obligations. Ces exigences peuvent être plus astreignantes dans un système accusatoire où l'on établit les faits relatifs à un litige pour rendre des décisions déterminantes sur les droits et les obligations des parties. Mais le modèle d'ombudsman est différent, et les exigences auxquelles on s'attend dans un système accusatoire doivent, dans ce cas, être tempérées puisqu'il s'agit d'un processus où priment la souplesse, la recherche du consensus et la formulation de recommandations à caractère non obligatoire.

III. TRANSPARENCE

Les détracteurs de la commissaire critiquent vivement le fait que les organisations contre qui des plaintes sont déposées ne soient pas identifiées et soutiennent qu'il s'agit d'une lacune. Certains disent que la commissaire a le pouvoir d'identifier toutes les organisations et tous les plaignants, tandis que d'autres croient qu'elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire plus souvent afin de déterminer s'il convient d'identifier les parties, tout en reconnaissant le caractère exceptionnel de la chose.

À ce sujet, l'article 20 de la LPRPDE est très clair et oblige la commissaire et ses employés à assurer la confidentialité de toute l'information recueillie dans le cadre de l'exercice de leurs responsabilités et de leurs pouvoirs, en particulier dans le cadre d'une enquête sur une plainte. Et cet article ne s'est certes pas glissé par erreur dans le texte de loi. La confidentialité est essentielle au modèle d'ombudsman et encourage les parties à participer à un processus conciliateur devant aboutir à une solution. Afin que des personnes acceptent de communiquer leur plainte de façon ouverte et de se rendre ainsi vulnérables, et afin que les organisations visées puissent être critiques face à elles-mêmes et acceptent de changer leurs façons de faire, l'une et l'autre partie doive parvenir à se faire mutuellement confiance. Comme nous le rappelle Owen :

Pour que les conflits d'intérêt public soient résolus de façon consensuelle, il faut que les principaux groupes d'intérêt publics et privés aient bon espoir qu'ils ont de meilleures chances d'atteindre leurs objectifs en tentant de travailler au bénéfice de tous plutôt que de lutter contre des intérêts en apparence conflictuels. Il s'agit davantage d'un processus constructif que destructeur, et d'une négociation plutôt que d'un affrontement. L'aide d'un conciliateur neutre et de confiance est souvent nécessaire pour favoriser la tenue de discussions libres et ouvertes et pour que la participation des parties soit équilibrée [traduction]Note de bas de page 28.

Les cours ont jugé que l'obligation légale de confidentialité de la commissaire à l'égard des parties constitue une composante essentielle du modèle d'ombudsman. La Cour fédérale du Canada, dans l'affaire Rubin c. Canada (greffier du Conseil privé)Note de bas de page 29, a traité précisément de ce point relativement au commissaire à l'information dont les devoirs, fonctions et pouvoirs d'enquête sont similaires à ceux de la commissaire à la protection de la vie privée :

Bien qu'il n'ait pas le pouvoir d'ordonner la communication, un commissaire crédible et efficace devrait avoir un pouvoir de persuasion suffisamment important pour encourager le règlement volontaire des demandes de renseignements qui se trouvent entre les mains de l'administration fédérale. Un aspect important du développement de cette crédibilité et de cette efficacité est, à mon avis, le respect de la stricte confidentialité des renseignements qui sont communiqués au commissaire. D'ailleurs, les dispositions de la Loi qui exigent que le commissaire à l'information assure de façon permanente la stricte confidentialité des renseignements qui lui sont communiqués appuient cette conclusion. Les intéressés doivent être assurés que le commissaire à l'information ne divulguera pas les renseignements qui lui sont communiqués.

Il y a peu de temps, la Cour fédérale a eu l'occasion de réitérer l'importance de l'obligation légale de confidentialité dans une affaire visant directement la commissaire à la protection de la vie privée. Dans l'affaire Blood Tribe Deparment of Health c. Canada (commissaire à la protection de la vie privée)Note de bas de page 30, partie intimée remettait en question le droit de la commissaire à exiger la production de documents qui, selon l'organisation, devaient demeurer protégés par le secret professionnel. La Cour a stipulé que la commissaire devait examiner les documents afin d'assurer son devoir d'enquête. En se fondant sur le paragraphe 20(1) de la Loi selon lequel la commissaire est tenue d'assurer la confidentialité des documentsNote de bas de page 31, le juge Mosley a jugé qu'une « garantie de confidentialité a été offerte au tout début de l'enquête pour l'ensemble des renseignements que le demandeur était prié de communiquer. Cette garantie est à mon avis appuyée par l'économie de la Loi »Note de bas de page 32.

Par-delà l'obligation de confidentialité, de l'information générale relative aux plaintes peut être communiquée. Par exemple, grâce à l'anonymat des résumés de conclusions d'enquête, la commissaire peut communiquer de l'information d'intérêt public tout en assurant la confidentialité des plaignants et des organisations intimées. Cette démarche a pour immense avantage de permettre à la commissaire de remplir son mandat de sensibilisation du grand publicNote de bas de page 33.

Une solution alternative serait de simplement dresser une liste des organisations ayant fait l'objet d'une plainte, sans toutefois révéler de façon systématique quelles sont leurs pratiques de gestion de l'information ayant fait l'objet d'une enquête, ni révéler les résultats de l'enquête, respectant ainsi la confidentialité à laquelle la commissaire est tenue. Certains se demanderont alors quelle peut être l'utilité d'une simple liste de noms sans plus d'information, liste qui pourrait en outre donner au public une mauvaise image des organisations. De plus, les grandes organisations nationales sont plus susceptibles de faire l'objet de plaintes que les organisations locales ou de petite envergure, mais cela ne signifie pas nécessairement que les grandes organisations sont moins respectueuses des lois.

Cela dit, la législation reconnaît que dans certaines situations exceptionnelles, les pratiques de gestion des renseignements personnels d'organisations sont considérées d'intérêt public, et cet intérêt prévaut sur l'obligation d'assurer la confidentialité de ces pratiquesNote de bas de page 34. En examinant la formulation de la Loi ainsi que les pratiques et la jurisprudence d'autres juridictions, il semblerait qu'un certain nombre de critères s'appliqueraient à cette situationNote de bas de page 35.

Il faudrait premièrement établir et conserver un dossier clair. Tel que souligné dans l'affaire Coughlan c. WMC International Ltd.Note de bas de page 36, ces dossiers permettraient d'établir le processus décisionnel auquel aurait recours la commissaire pour déterminer en quoi la communication de certains renseignements est d'intérêt public.

Dans le processus d'élaboration et de conservation de ce dossier, il faudra entre autres démontrer que la décision de communiquer des renseignements a été prise pour répondre aux besoins particuliers d'une situation. L'article 20 établit clairement que ce type de décision est exceptionnel, qu'il ne s'agit donc pas d'une politique déterminante de communication généralisée; il faut considérer et justifier la décision de communiquer des renseignements en fonction des spécificités de la situation.

Par ailleurs, pour appuyer sa décision d'exercer son pouvoir discrétionnaire, la commissaire à la protection de la vie privée doit pouvoir justifier en quoi la communication de certains renseignements dans « l'intérêt public » contribue à répondre aux objectifs de la LPRPDE. Comme l'a décidé la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dagg c . Canada (ministre des Finances)Note de bas de page 37, le pouvoir discrétionnaire doit être exercé « pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé »Note de bas de page 38.

Afin de déterminer si des motifs prépondérants justifient la communication d'information, la commissaire doit viser l'équilibre entre son devoir de confidentialité établi aux termes de l'article 20 et la communication exceptionnelle de renseignements dans l'intérêt public permise aux termes du paragraphe 20(2).

Pour terminer, dans les cas où la commissaire exerce son pouvoir discrétionnaire de façon exceptionnelle pour communiquer de l'information dans l'intérêt du public, elle ne doit communiquer que les renseignements strictement nécessaires aux objectifs poursuivis.

IV. EFFICACITÉ

a. Modèle fondé sur la plainte

Certains commentateurs ont critiqué la structure de plainte individuelle de la LPRPDE. John Lawford, par exemple, préoccupé par la qualité des plaintes et l'inéquité des pouvoirs des différentes parties, a indiqué que « dans un tribunal administratif privé de l'approche accusatoire, les entreprises se défendent généralement en termes plus rigoureux et légalistes, au contraire des plaignants, qui n'ont pas les mêmes moyens et qui présentent une argumentation moins sophistiquée [traduction] »Note de bas de page 39.

Il nous faut pourtant examiner ces commentaires en tenant compte de la nature et de l'intention de l'approche d'ombudsman. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada n'est pas un tribunal administratif et ne devrait pas y être comparé. La commissaire n'est pas un spectateur passif chargé d'entendre les plaidoiries bien ficelées, bien présentées et parfaitement mémorisées de deux parties qui s'affrontent, et de rendre une décision au bout du processus. Elle agit plutôt comme tierce partie neutre dont le mandat est de communiquer ouvertement avec les deux parties et de travailler activement à trouver une solution à leur différend, de parvenir à des résultats équitables et de promouvoir une nouvelle culture de la protection de la vie privée. En raison des fonctions qui lui incombent, il est généralement attendu que la commissaire à la protection de la vie privée ait l'expérience et l'expertise pour prêter assistance et comprendre le « plus commun » des plaignants. Elle doit veiller à ce que chaque plainte fasse l'objet d'une enquête approfondie et qu'elle soit prise en considération adéquatement par les deux parties, d'une manière équitable et impartiale, en vue d'une solution satisfaisante pour les deux parties par voie de médiation.

Christopher Berzins, un autre commentateur, identifie ce qui, d'après lui, constitue une source de problèmes dans un modèle s'appuyant excessivement sur la plainte; ces problèmes sont : la difficulté, pour les personnes, de se rendre compte qu'elles ont été lésées et, par conséquent, la faible probabilité de recevoir des plaintes; la difficulté de déterminer quelles organisations devraient être visées par la plainte; le découragement devant la somme de temps et d'efforts personnels nécessaires pour déposer une plainte; la quantité de plaintes non sérieuses ou futiles; la crainte que le manque de plaintes de « qualité » empêche la commissaire à la protection de la vie privée de résoudre des problèmes systémiques liés aux pratiques de gestion des renseignements personnelsNote de bas de page 40.

Ici encore, les visées du modèle d'ombudsman établissent clairement l'objectif du processus de plaintes. Il est impossible d'imposer un changement culturel, aussi faut-il que ce changement résulte d'une sensibilisation et d'une conscientisation des groupes touchés. Comme l'affirme Owens, « l'interdépendance des intérêts permet aux intervenants de tout acabit d'être considérés comme des partenaires estimés dans la recherche d'une solution, plutôt que comme des opposants nuisibles à défaire [traduction] »Note de bas de page 41. Le système fondé sur la plainte permet aux personnes d'exercer un contrôle sur leurs propres renseignements personnels et aux organisations de prendre conscience de leurs pratiques de gestion de ces renseignements. En outre, chaque plainte peut amener la commissaire à se pencher sur des questions d'intérêt général qui n'auraient peut-être pas attiré son attention autrement. Selon Nathalie des Rosiers, « le rôle préventif des interventions de l'ombudsman est bien connu : la plainte individuelle sert de catalyseur pour une analyse de difficultés systémiques »Note de bas de page 42.

Malgré sa grande importance, le processus de plainte est loin d'être le seul outil proposé par la LPRPDE pour traiter des enjeux relatifs à la protection de la vie privée. Conformément au paragraphe 11(2) de la LPRPDE, la commissaire à la protection de la vie privée peut prendre l'initiative de déposer d'une plainte si elle a des motifs raisonnables de le faire. Les « motifs raisonnables » sont les motifs sur lesquels la commissaire se fonde, de bonne foi et selon des preuves crédibles, pour établir qu'il y a de fortes chances que son enquête révèle la présence d'une infraction ou d'une intention d'infraction à la LoiNote de bas de page 43. En plus d'effectuer des enquêtes pour répondre aux plaintes qu'elle reçoit, la commissaire a aussi la liberté d'entreprendre une enquête de son propre chef si elle juge disposer des critères nécessaires pour le faire.

Qui plus est, comme Berzins le fait remarquer, la LPRPDE prévoit, au-delà de la simple plainte, toute une gamme d'outils novateurs favorisant la protection des renseignements personnels. Contrairement à son pendant du secteur public, la Loi sur la protection des renseignements personnelsNote de bas de page 44, fondé uniquement sur le dépôt et l'analyse de plaintes, la LPRPDE propose une série d'outils qui constituent des nouveautés dans l'histoire de la protection de la vie privée au Canada et qui favorisent l'adoption d'une approche aux multiples facettes beaucoup plus proactive de la gestion des renseignements personnels des Canadiennes et des Canadiens. La sensibilisation du grand public, la recherche et la vérification constituent des mécanismes complémentaires prévus par la LPRPDE en réponse aux préoccupations relatives à la trop grande importance du système de plaintes. Même le commissaire à l'information du Canada a demandé récemment à obtenir des pouvoirs similaires lorsqu'il a proposé ses modifications à la Loi sur l'accès à l'information, reconnaissant ainsi l'importance vitale de ces fonctionsNote de bas de page 45. Ajoutons — même s'il s'agit d'un lieu commun, ce n'est pas sans importance — qu'en vue de réussir dans l'exercice de ces fonctions de façon cohérente et utile tout en continuant de répondre en temps opportun aux plaintes, il faut avoir à sa disposition les ressources adéquates.

b. Absence du pouvoir de rendre des ordonnances

La critique la plus souvent formulée à l'endroit de la LPRPDE est sans doute celle selon laquelle la commissaire serait « inefficace » puisqu'elle n'a pas le pouvoir de rendre des ordonnances et d'ainsi forcer les organisations visées à respecter ses recommandations.

Mais cette critique ne prend pas en compte plusieurs facteurs.

Les pouvoirs extraordinaires d'enquête conférés à la commissaire (y compris le pouvoir de recevoir les éléments de preuve qu'elle estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunauxNote de bas de page 46) compensent, du moins en partie, l'absence du pouvoir de rendre des ordonnances. Ce modus operandi correspond parfaitement au modèle d'ombudsman. En effet, la commissaire à la protection de la vie privée a pour rôle de rechercher la vérité, de travailler à élucider les faits et d'examiner différentes considérations dans le cadre d'enquêtes visant l'atteinte de solutions durables. Ces solutions permettent de résoudre des plaintes immédiates et, surtout, de mettre en place les changements systémiques formant l'assise d'une culture de la protection de la vie privée à long terme. Comme le soutient Owens :

Puisque les solutions sont adoptées sur une base volontaire, elles contribuent à une autoréglementation durable. Et puisque ces solutions résultent d'un processus ouvert et respectueux, il se crée une relation positive entre les parties, engendrant la souplesse nécessaire à l'adaptation des modalités en vue de répondre à différentes circonstances [traduction]Note de bas de page 47.

L'approche accusatoire — qui est fondée sur un litige, est moins souple, mais nécessaire au modèle prévoyant la délivrance d'ordonnances, et comportant des exigences d'équité procédurale très strictesNote de bas de page 48— peut ne pas convenir à la résolution des différends relatifs à la protection des renseignements personnels. À ce sujet, Owens explique fort bien pourquoi la procédure classique est presque toujours la voie la moins susceptible de résoudre des conflits d'intérêt public.

Les cours n'offrent pas de solutions souples, durables, avantageuses pour les deux parties, et leurs solutions ne favorisent pas l'autoréglementation. La cohésion sociale, le consensus politique et la concurrentialité économique sont des objectifs essentiels visés dans les litiges d'intérêt public. Dans le cadre d'une approche accusatoire qui impose des décisions, épuise les ressources et implique la notion de gagnants et de perdants, ces objectifs sont peu favorisés [traduction]Note de bas de page 49.

Lors de l'adoption de la LPRPDE, on croyait que le processus classique ne favoriserait pas non plus la résolution des différends en matière de protection des renseignements personnels dans le secteur privé, surtout à une époque d'apprentissage et de changements d'ordre général dans la culture relative aux pratiques de gestion des renseignements personnels. C'est donc le choix qui a été fait à une période donnée, pour un secteur donné, après examen des différentes possibilités pour la réglementation de ces activités. Colin Bennett explique :

Dans la plupart des cas, la réglementation relative à la protection de la vie privée n'est pas associée à des conflits hautement publics avec des organisations qui résistent à se conformer [...] Aucune résistance à la mise en oeuvre des tendances de protection de la vie privée ne tend à être axée sur ces enjeux d'interprétation plus subtils, qui mènent alors à des débats plutôt techniques et compliqués sur la façon d'équilibrer les risques à certaines pratiques organisationnelles et techniquesNote de bas de page 50.

On avait peut-être alors conclu que ce type de débats sur l'interprétation se dérouleraient mieux dans un contexte favorisant le dialogue franc, la sensibilisation et l'application ciblée aux différents secteurs, et ce, au moyen de politiques et de pratiques adaptées plutôt que dans le cadre d'un processus accusatoire limitatif et long. Cette décision sera fort probablement étudiée de nouveau dans le cadre de l'examen quinquennal, par le Parlement, de la LPRPDE, examen prévu au paragraphe 29(1) de cette dernière.

c. Fardeau inéquitable pour les plaignants

Conformément à l'article 14 de la LPRPDE, le plaignantNote de bas de page 51 peut, après avoir reçu le rapport de la commissaire, demander que la Cour fédérale entende sa plainte. D'aucuns ont affirmé que la demande d'audition de novo à la Cour constitue une démarche injuste, coûteuse et longue pour les plaignants. Lawford, par exemple, parle des « lourds obstacles rencontrés par le citoyen moyen qui souhaite le réexamen efficace d'un processus qui se devait d'être transparent, accessible et peu coûteux en vertu de la LPRPDE [traduction] »Note de bas de page 52.

Ces critiques n'évoquent pas les pouvoirs conférés à la commissaire aux termes de l'article 15, l'habilitant à donner suite devant la Cour fédérale. Ainsi, conformément à cet article, la commissaire peut (avec le consentement du plaignant) demander elle-même une audition à la Cour, comparaître à la Cour au nom du plaignant conformément à l'article 14 ou, avec l'autorisation de la Cour, comparaître à titre de partie à toute audition tenue conformément à l'article 14. Par conséquent, ceux qui affirment que l'audition par la Cour constitue le seul recours du plaignant passent outre cette disposition importante de la LPRPDE et les possibilités qu'elle renfermeNote de bas de page 53.

Même dans les situations où le commissaire à la protection de la vie privée choisit de ne pas participer directement, à titre de partie, à une demande adressée à la Cour, le modèle d'ombudsman a des répercussions avantageuses pour le plaignant. Selon Colin Bennett, « c omme le commissaire ne peut rendre de décisions exécutoires, il jouit d'une latitude considérable pour aider et conseiller un plaignant qui désire un examen judiciaire »Note de bas de page 54.

Ceux qui critiquent le processus de recours à la Cour fédérale doivent ne pas perdre de vue les objectifs du modèle d'ombudsman. Car si ce modèle est ce qui prime dans la LPRPDE, c'est que l'objectif visé, dans la mesure du possible, est de favoriser la recherche de solutions informelles et peu coûteuses plutôt que le recours à la Cour fédérale. Prétendre que tous (ou presque tous) les plaignants doivent porter le fardeau du processus de recours à la Cour fédérale revient à ne pas reconnaître le travail de la commissaire à la protection de la vie privée en vue de trouver des solutions efficaces et acceptables pour les deux parties justement pour éviter de demander l'intervention de la Cour. Dans son rapport annuel au Parlement dans lequel elle rend compte des activités liées à la LPRPDE pour 2004, la commissaire à la protection de la vie privée a indiqué que 47 % des plaintes déposées en vertu de la LPRPDE étaient réglées grâce à la médiation ou réglées rapidementNote de bas de page 55.

Colin Bennett a indiqué que tant la Loi sur la protection des renseignements personnels que la LPRPDE « reposent sur l'hypothèse qu' un gramme de prévention est préférable à un processus long et coûteux d'enquête réactive et de mise en application. »Note de bas de page 56. Cette approche proactive et préventive est conforme à ce qu'il affirme être : « la connaissance tirée de l'analyse de l'expérience de plusieurs agences de protection de la vie privée et des renseignements, tant au Canada qu'à l'étranger, que les pouvoirs les plus importants sont ceux qui sont généraux et non pas spécifiques, et proactifs plutôt que réactifs »Note de bas de page 57. La décision de donner à la commissaire à la protection de la vie privée du Canada un rôle d'ombudsman a été prise de façon délibérée et visait à faire du Commissariat l'entité proactive qui s'imposait. Le travail de la commissaire, loin de constituer un fardeau additionnel pour les plaignants, vise plutôt à les soulager d'un poids considérable.

Certains détracteurs semblent ne pas saisir le rôle de la commissaire à la protection de la vie privée par rapport à la Cour fédérale. Comme l'écrit Berzins :

Il est implicite que le Commissariat à la protection de la vie privée est appelé à devenir l'institution de la protection de la vie privée. Mais lorsqu'il est question de définir les principales dispositions de la Loi, le Commissariat joue un rôle secondaire. Même si une personne doit d'abord s'adresser au Commissariat, la mise en application et l'interprétation de la Loi reviennent à la Cour fédérale. En fait, lorsqu'une demande est présentée à la Cour, un examen approfondi du bien-fondé de la demande est effectué, sans tenir compte véritablement des résultats d'enquête du commissaireNote de bas de page 58.

À ce jour, les cours n'ont pas pleinement réglé cette question. Néanmoins, dans une décision récente de la Cour fédéraleNote de bas de page 59, le juge Simon Noël reconnaît que :

Lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire de novo, la Cour fait preuve de moins de retenue envers la décision du Commissaire à la protection de la vie privée qu'elle ne le ferait autrement, mais elle doit reconnaître les facteurs dont le Commissaire a tenu compte pour mettre en balance les intérêts du demandeur en matière de vie privée et l'intérêt légitime de l'employeur dans la protection de ses employ és et de ses biensNote de bas de page 60.

En ces premiers jours d'interprétations juridiques de la LPRPDE, ces commentaires sont forts positifs puisqu'ils indiquent que le savoir-faire de la commissaire à la protection de la vie privée ne doit pas être mis de côté par la Cour fédérale, comme l'avaient craint certains détracteurs. La commissaire se voit ainsi accordé un rôle analogue à celui d'un témoin expert à la cour; même si on accorde moins de retenue judiciaire, la commissaire bénéficie tout de même d'une influence particulière en raison de son expertise reconnue.

CONCLUSION

En 1983, lors de l'adoption de la Loi sur la protection des renseignements personnels, on a opté pour le modèle d'ombudsman afin de gérer la protection des renseignements personnels dans le secteur public. En 2000, le modèle a de nouveau été adopté comme premier outil d'application de la LPRPDE, alors que les Canadiennes et les Canadiens commençait à s'informer davantage au sujet de leur droit à la vie privée, et que les organisations sont devenues de plus en plus sensibilisées à leurs responsabilités à cet égard.

Tout au long du présent document, je me suis penchée sur les critiques qui remettent en question l'efficacité du modèle actuel pour la surveillance des pratiques de gestion des renseignements personnels au sein des entreprises privées régies par la LPRPDE. J'ai voulu enrichir le débat en tentant de mieux faire comprendre le modèle, et non pas de tenir une argumentation favorable ou défavorable au modèle. À cette fin, il conviendrait sans doute mieux de tenir un vaste débat public dans le cadre de l'examen quinquennal de la LPRPDE qui doit avoir lieu conformément au paragraphe 29(1) de celle-ci, tel qu'exigé par le Parlement. Ce débat aura aussi toute sa place dans le cadre de l'examen de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui, comme je l'ai déjà affirmé, est obsolète et doit être réformée. À la lumière de ces deux importants examens, la question fondamentale à laquelle il faut répondre est celle-ci : quel est le régime de réglementation des activités publiques et privées répondant le mieux aux intérêts des Canadiennes et des Canadiens? Le modèle d'ombudsman pourrait s'avérer le plus efficace. Mais peut-être aussi qu'une autre solution s'imposera alors que la Loi prend de la maturité et qu'il nous faut relever des défis complexes liés aux technologies de l'information et aux préoccupations en matière de sécurité nationale, des défis insoupçonnés il y a cinq ans. La conjoncture actuelle est critique, en ce sens où de nombreux postulats de départ du Parlement devront être réexaminés et enrichis par un dialogue public qui permettra soit de confirmer le modèle actuel soit de l'améliorer.

Pour l'heure, j'ai tenté de distinguer le seigle du blé. En rédigeant ce document, j'avais pour objectif d'amener les détracteurs du modèle à examiner directement les avantages de l'approche au lieu de la dénaturer et d'en faire quelque chose qu'elle n'est pas. La philosophie qui sous-tend la notion d'ombudsman comporte de nombreux aspects positifs. Nous devrions donc nous demander si ce modèle, tel qu'il est aujourd'hui, continue de répondre aux besoins des Canadiennes et des Canadiens en matière de protection de la vie privée. Si ce n'est pas le cas, il nous faudra faire preuve d'ingéniosité et trouver de nouvelles approches qui pourront convenir à nos attentes plutôt que de faire une sélection parmi les caractéristiques essentielles — si attrayantes au départ — du modèle d'ombudsman, le déformer et ainsi aboutir à une façon de fonctionner contraire à la nature même de la notion d'origine. Si nous réussissons à établir notre vision de la protection de la vie privée au Canada, le modèle approprié devrait s'imposer de lui-même, conséquent et cohérent, et contribuer à concrétiser cette vision.

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