Commentaires du Commissariat sur les aéronefs sans pilote à l’intention de Transports Canada
Mémoire du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada à l'intention du Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne (CCRAC)
Le 27 août 2015
Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne (CCRAC)
a/s du Centre de communications de l’Aviation civile de Transports Canada
330, rue Sparks
Ottawa (Ontario) K1A 0N8
Mesdames, Messieurs,
Je vous écris pour vous faire part de nos commentaires sur l’avis de proposition de modifications (APM) au Règlement de l’aviation canadien (RAC) publié par Transports Canada dans l’Avis de rapport sur les activités du CCRAC no 2015-012 (le 28 mai 2015). Comme le précise clairement la section « Contexte » de l’avis (page 4), Transports Canada travaille activement avec le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (le Commissariat) concernant les répercussions possibles de ces technologies et des nouveaux développements survenus depuis 2012 sur la protection de la vie privée. Il est clair qu’il s’agit d’un premier regard sur l’industrie et d’un point de vue d’intérêt public sur le travail de réglementation prévu, de sorte qu’il y aura d’autres occasions de formuler des commentaires lors des discussions à venir. Selon nous, la question de la protection de la vie privée est centrale à ces discussions.
Nous sommes également reconnaissants des séances d’information et des consultations qu’ont tenues les représentants de Transports Canada avec le Commissariat dans ce dossier au cours des dernières années. Ces réunions ont été très utiles en permettant de préciser la terminologie technique utilisée, de cerner les préoccupations suscitées par l’utilisation accrue des véhicules aériens non habités (UAV) en ce qui a trait à la protection de la vie privée et de comprendre les défis que doit relever Transports Canada dans ce contexte en tant qu’organisme de réglementation. Nous avons constaté que les sections de l’avis susmentionné concernant le contexte (page 2) et le cadre réglementaire proposé (page 36) prenaient en compte le contenu de certaines de ces discussions. Nous serons heureux de continuer de travailler avec Transports Canada à mesure que des éléments du programme sur l’utilisation des UAV se concrétiseront.
Précisons d’entrée de jeu que lorsque des organismes gouvernementaux envisageront de concevoir un programme détaillé dont certains volets prévoient le recours à des UAV, le Commissariat aura pour règle de formuler à leur intention des recommandations précises par l’intermédiaire du processus d’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP). Par conséquent, les commentaires formulés dans la présente constituent des commentaires généraux sur l’orientation et la stratégie réglementaires et non des commentaires sur des applications en particulier, et nous vous prions de les considérer comme tels.
Protection de la vie privée et gouvernance relative aux UAV
Le Commissariat a commencé à s’intéresser à la technologie des UAV en 2010, en raison du nombre croissant d’articles publiés dans les médias et de demandes de renseignements adressées à notre groupe de recherche et à notre Centre d’information sur l’utilisation de ces appareils dans les opérations de sécurité à la frontière et le travail des services de police. Cet intérêt a conduit à des travaux de recherche à l’interne (2010), à des consultations d’experts (2011-2012), à des discussions avec une variété d’exploitants (2012-2013) et à la publication d’un document de recherche (2013). Comme nous l’avons mentionné, les spécialistes de Transports Canada nous ont aimablement informés des nouveaux développements survenus au cours de cette période.
Au fil des discussions et des commentaires formulés par le Commissariat concernant la technologie, nous nous sommes efforcés de souligner le fait que les risques d’atteinte à la vie privée découlent de la combinaison singulière des capacités intégrées dans les applications d’UAV en évolution – notamment le fait que les appareils allient du matériel d’imagerie puissant (haute résolution, infrarouge, vision de nuit), une capacité de télécommande (ce qui ajoute une possibilité de dissimulation) et la possibilité de faire du surplace pendant un certain temps. Comme le CCRAC l’a lui-même mentionné à plusieurs reprises dans sa documentation, les UAV ne sont pas seulement des structures volantes; leur matériel de communication embarqué – relais et capteurs – constitue manifestement un aspect essentiel de leur capacité d’exploitation.
Lorsque les UAV sont en vol, c’est la proximité de l’appareil et du sujet et la puissance optique de l’imagerie qui suscitent indéniablement des inquiétudes pour la protection de la vie privée plutôt que les UAV en tant qu’appareils autonomes comme telsNote de bas de page 1.
Par conséquent, lorsque ces composantes soulèvent des questions sur le plan de la protection de la vie privée, que ce soit en raison de la collecte ou de la transmission de données, les règlements ou les normes en matière de délivrance de licence doivent être axés sur les limites juridiques ou les politiques pertinentes si les règles en matière de protection de la vie privée ne sont pas immédiatement claires dans la réglementation ou les règles de vol. Nous estimons que les mesures de sécurité techniques et les procédures d’exploitation rigoureuses doivent faire clairement état des risques en matière de protection de la vie privée. À cet égard, il est encourageant de constater que le « respect de la vie privée et d’autres lois » fera partie des exigences visant les pilotes pour tous les types d’UAV touchés par le règlement qui sera adopté en 2016 (page 36).
Nous comprenons parfaitement que Transports Canada veuille avant tout assurer l’utilisation sûre et responsable de l’espace aérien canadien, mais nous estimons que les organismes de réglementation et les agents chargés de la délivrance des licences devraient continuer de mettre l’accent sur les interdictions pertinentes énoncées dans les lois sur la protection des renseignements personnels et le Code criminel en lien avec la collecte de données personnelles, les données d’identité, la surveillance vidéo secrète, les interdictions relatives au voyeurisme et l’interception des communications privées.
Marquage, identification, enregistrement et responsabilité
La capacité d’identifier rapidement un exploitant en cas de problème est un des principaux défis dont font état tous les organismes de réglementation chargés des questions relatives aux UAV à ce jour. Il s’agit en fait d’une question fondamentale pour tout régime réglementaire, qu’il s’applique à la sûreté, à la protection de la vie privée ou à la sécurité. Il est important de pouvoir identifier toute technologie susceptible d’être déployée dans un espace commun, public ou privé où l’on peut cibler des individus de façon inappropriée ou utiliser la technologie à mauvais escient, donnant ainsi lieu à des plaintes.
La question pratique de savoir comment un individu ou un organisme de réglementation peut obtenir des renseignements exacts sur un exploitant dans le simple but de traiter une plainte n’est pas purement abstraite. Tout comme les véhicules automobiles et les bateaux circulant sur les voies publiques et les voies navigables sont marqués de façon facilement identifiable, si les UAV circulent dans l’espace aérien public, Transports Canada doit envisager un système quelconque pour que l’on puisse les identifier – qu’il s’agisse d’une plaque matérielle (comme c’est le cas pour les véhicules automobiles), d’un numéro peint ou d’une vignette apposée (comme c’est le cas pour les avions) ou de l’émission d’un signal signature unique (par exemple, à partir d’un appareil d’identification par radiofréquence). Le Commissariat ne recommande ici aucun mode d’identification en particulier, mais nous croyons que du point de vue de la responsabilité et de la réglementation, il faut se doter de moyens uniformes et les mettre en place pour préciser quels organismes commerciaux ou gouvernementaux pourront exploiter des UAV.
Zones sensibles et protégées
Du point de vue de la sécurité, l’exploitation des UAV dans des zones densément peuplées et autour des aérodromes, des aéroports et des héliports fait déjà l’objet de restrictions au Canada et dans nombre d’autres pays. D’autres autorités compétentes, dont plusieurs aux États-Unis, ont déjà interdit formellement l’utilisation des UAV dans certaines zones sensibles où les gens sont susceptibles de se rassembler et où d’autres aéronefs pourraient circuler – à tout le moins jusqu’à ce que les systèmes de détection et d’évitement soient plus perfectionnés et déployés à plus grande échelle.
Nous incitons les membres du CCRAC à envisager d’explorer des pistes de réflexion similaires en ce qui a trait aux préoccupations liées à la protection de la vie privée. Les secteurs résidentiels, les cours d’école et les abris, les hôpitaux et les prisons, les lieux de culte et les lieux commémoratifs sont des lieux publics, mais les gens qui les fréquentent s’attendent dans une certaine mesure à ce que leur vie privée y soit protégée.
Ici encore, nous n’avons pas de liste exhaustive de secteurs à l’esprit et nous ne recommanderons pas l’imposition d’une interdiction formelle d’utilisation des UAV dans ces secteurs. Nous demandons toutefois au CCRAC d’envisager l’élaboration d’une approche fondée sur les pratiques exemplaires pour signaler certains espaces – par exemple, les lieux susmentionnés – où il faut respecter la vie privée (en ces lieux, le sentiment d’intrusion des gens risque d’être généralement exacerbé). De même que l’on s’attend à ce que les organismes préoccupés par leur propre sécurité s’inquiètent d’une augmentation soudaine de l’utilisation des UAV à proximité de leur propriété, on s’attend à ce que les citoyens s’inquiètent eux aussi si les UAV empiètent sur certains espacesNote de bas de page 2.
Pour obtenir un exemple précis et récent de règlement adopté dans ce contexte, veuillez consulter le document d’orientation publié cet été par l’autorité chargée de la protection des données en ArgentineNote de bas de page 3. Par ailleurs, si l’on envisage d’utiliser des UAV à des fins d’enquête, vous jugerez peut-être utile de consulter le document publié par le Commissariat intitulé Lignes directrices concernant le recours, par les forces policières et les autorités chargées de l’application de la loi, à la surveillance vidéo dans les lieux publicsNote de bas de page 4.
Indication de l’objet
Outre la question de l’identification de l’exploitant que nous avons déjà abordée, l’usage approprié des UAV pour recueillir et transmettre des renseignements personnels est une autre préoccupation fondamentale des organismes de réglementation chargés de la protection de la vie privée et des groupes de la société civile du monde entier. L’usage approprié est un principe de base des lois fédérales sur la protection des données au Canada, tant pour les organismes gouvernementaux que pour les organismes commerciaux (c’est-à-dire que la collecte de renseignements personnels devrait être faite uniquement pour répondre à un besoin opérationnel ou aux fins d’un programme).
Nous espérons que le nouveau règlement sur la délivrance de licences pour les UAV fera référence d’une manière quelconque à cette condition essentielle, de façon que les exploitants en tiennent compte alors que la technologie est adoptée à plus grande échelle à diverses fins commerciales et gouvernementales. À notre avis, qui est aussi selon nous celui des spécialistes du gouvernement et de l’industrie, les UAV sont un outil qui recèle un énorme potentiel et ils pourraient s’avérer fort utiles dans de nombreux secteurs : par exemple, ils peuvent faciliter l’inspection des propriétés, des installations et des infrastructures, surveiller le bétail et l’état des récoltes, faire avancer la recherche scientifique, promouvoir les initiatives de conservation, accroître les capacités d’arpentage et de cartographie et plus encore. Dans un pays de la superficie du Canada, le relief, la logistique et la distance continuent de présenter des défis dans le cadre des activités susmentionnées et l’utilisation des UAV pourrait offrir des avantages concrets et mesurables.
Nous recommandons que le CCRAC, dans sa réflexion sur le règlement de Transports Canada, envisage d’établir une distinction dans la délivrance de licences entre les utilisations qui sont clairement « dans l’intérêt public » (comme nous l’avons mentionné) et les applications purement commerciales, où les risques d’atteinte à la vie privée sont supérieurs aux avantages pour la société. Cela s’avérerait particulièrement pertinent lorsque le « besoin opérationnel » n’est pas clairement défini, que la collecte potentielle de renseignements personnels semble excessive ou que le secteur d’exploitation des UAV pourrait être considéré comme sensible sur le plan de la protection de la vie privée.
Selon notre expérience, les nouvelles applications commerciales pour la collecte des données ne semblent pas toujours d’entrée de jeu présenter de risques d’atteinte à la vie privée; un langage clair concernant l’utilisation et la collecte appropriées pourrait donner un signal important à tous les exploitants avant le déploiementNote de bas de page 5.
Conclusion
Nous tenons encore une fois à souligner le travail sérieux effectué par les représentants de Transports Canada au cours des dernières années pour informer le public, superviser l’utilisation des UAV et élaborer de nouvelles règles et procédures claires sur l’utilisation de la technologie. Nous avons tiré parti des consultations entre Transports Canada et le Commissariat et apprécions d’avoir la possibilité de fournir d’autres commentaires sur le sujet. Si vous avez des questions ou souhaitez obtenir de plus amples renseignements sur les points abordés dans la présente, n’hésitez pas à communiquer avec moi au 819-994-5965 ou avec Chris Prince au 819-994-5914.
Je vous prie d’agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
La directrice des Politiques et de la recherche,
Original signé par
Barbara Bucknell
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