La revitalisation de l'accès à l'information
Soumission à l'intention du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada
Le 30 juin 2016
Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada
Division des politiques de l'information
et de la protection des renseignements personnels
Immeuble Flaherty, 4e étage
90, rue Elgin
Ottawa (Ontario) K1A 0R5
Objet : Mémoire sur la revitalisation de l'accès à l'information
Nous aimerions profiter de l'occasion que nous donne la consultation menée par le gouvernement sur le système fédéral d'accès à l'information et l'état du droit pour vous faire part de quelques réflexions sur le juste équilibre entre la facilitation de l'accès à l'information et le droit fondamental à la vie privée. Nous sommes tout à fait favorables à l'objectif du gouvernement consistant à accroître l'ouverture et la transparence et nous participerons activement aux discussions sur la meilleure façon d'atteindre cet objectif important dans l'intérêt des Canadiens que nous servons. Nous tenons par ailleurs à souligner le rôle actif que joue le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes, qui a publié plus tôt en juin ses conclusions et recommandations sur l'amélioration du système d'accès à l'information au CanadaNote de bas de page 1.
À titre d'information, mon mandat est de surveiller le respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels (LPRP), laquelle porte sur les pratiques de traitement des renseignements personnels utilisées par les ministères et organismes fédéraux, et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé au Canada. Le Commissariat a pour mission de protéger et de promouvoir le droit des personnes à la vie privée.
Comme je l'ai dit à de nombreuses reprises au Parlement, la Loi sur l'accès à l'information (LAI) et la LPRP sont conçues pour être interprétées conjointement comme un code homogèneNote de bas de page 2. La position de la Cour suprême du Canada est particulièrement intéressante à cet égard : « Bien qu'il constitue un principe important de notre système démocratique, le droit d'accès aux renseignements de l'administration fédérale ne saurait être interprété séparément du droit individuel à la vie privéeNote de bas de page 3. » Par conséquent, à mon avis, toute modification apportée à l'une des deux lois doit nécessairement tenir compte de l'autre loi. Autrement dit, l'examen des deux lois doit se faire concurremment.
Je suis entièrement d'accord avec la commissaire à l'information pour dire que les lois auraient dû être modernisées depuis longtemps. En fait, l'examen des deux lois est devenu assez urgent. Cependant, le gouvernement a indiqué son intention de procéder en deux étapes : la mise en œuvre d'une première série de modifications portant sur des aspects sélectionnés de la LAI, suivie d'un examen plus systématique de cette loi en 2018. Bien que nous préférions une autre approche, nous prenons note de l'intention du gouvernement et avons bon espoir que l'étude à plus long terme inclura la LPRP.
Si le gouvernement conserve cette approche, nous suggérons de mettre de côté les modifications particulières à la LAI qui auraient une incidence sur la portée de l'exception relative aux renseignements personnels ou qui auraient d'une autre façon une incidence sur le droit des personnes à la vie privée, jusqu'à ce que les deux lois puissent être examinées de façon plus attentive conjointement, et non isolément. À cet égard, je préconise non pas de retarder le processus, mais plutôt de tenir compte de l'importance de réformer les deux lois concurremment en ce qui a trait aux questions qui se recoupent.
On trouvera ci-après des recommandations concernant certaines questions soumises à la consultation et pour lesquelles toute modification apportée à la LAI aurait une incidence directe ou indirecte sur la LPRP. Nous entendons par « incidence indirecte » les cas où, par exemple, des modifications à la LAI se répercuteraient probablement sur la LPRP.
Gouvernement ouvert
Il existe des raisons incontestables de passer à un modèle de gouvernement « ouvert par défaut » en ce qui concerne les documents gouvernementaux. Ce modèle faciliterait l'accès à l'information pour les contribuables à qui les gouvernements doivent rendre compte, permettrait la prise de décisions éclairée par des citoyens engagés, favoriserait une transparence et une ouverture accrues - deux éléments essentiels à une saine démocratie -, et contribuerait à réduire la pression exercée sur le système administratif de traitement des demandes liées à la LAI, qui est surchargé.
De même, l'accès des citoyens à leurs renseignements personnels est esssentiel pour favoriser la transparence et la reddition de comptes. L'objectif de la LPRP est de permettre aux individus de savoir comment leurs renseignements personnels sont utilisés et communiqués à d'autres personnes ou organisations. La loi constitue également un moyen d'obliger les gouvernements à rendre des comptes en ce qui concerne les décisions administratives prises à l'égard des personnes. La LAI et la LPRP contribuent à un gouvernement plus ouvert et plus transparent.
Autrement dit, au niveau conceptuel, un gouvernement plus ouvert et plus transparent est un objectif politique important. En même temps, il faut continuer de protéger les renseignements personnels (ceux qui permettent d'identifier une personne ou qui portent sur une personne identifiable), particulièrement dans le contexte d'un gouvernement ouvert. L'accès aux renseignements personnels et le droit à la vie privée doivent être considérés comme des objectifs parallèles et non comme des visées distinctes. Bien que cela soit parfois difficile, nous sommes confiants qu'il est possible de concilier ces droits.
Recommandation : Nous appuyons les objectifs politiques d'un gouvernement ouvert, de même que la nécessité de protéger la vie privée.
Exception relative aux renseignements personnels
Ainsi, l'exception relative aux renseignements personnels prévue par la LAI doit faire l'objet d'une réflexion attentive, étant donné que le droit actuel reconnaît que « le droit à la vie privée l'emporte sur le droit d'accès à l'informationNote de bas de page 4 ». Je ne veux pas dire que la protection de la vie privée a, ou devrait avoir, une primauté absolue sur l'accès, mais il faut prendre en compte au moment de la prise de décisions le poids des impératifs en jeu. Selon moi, la primauté actuelle prévue en vertu de l'alinéa 8(2)m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui autorise la communication de renseignements personnels pour des raisons d'intérêt public, fonctionne généralement bien, dans la mesure où l'on tient compte de tous les facteurs pertinents et où le Commissariat exerce une supervision appropriée. De plus, en autorisant l'accès si les données d'identification personnelle peuvent être retirées des documents, l'exception actuelle permet d'atteindre un juste équilibre entre les deux objectifs consistant à assurer l'accès à l'information et à protéger la vie privée.
Le Commissariat à l'information (CI) a suggéré d'adopter un modèle similaire à celui en place dans plusieurs provinces, qui s'efforcent d'assurer un équilibre entre la protection de la vie privée et l'accès à l'information au moyen d'une autre approche qui, pourrait-on dire, renverse le fardeau et change le seuil pour la communication dans l'intérêt public. Nous notons que, dans l'examen de la LAI mené à bien récemment par le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique, les répercussions sur la protection de la vie privée n'ont pas été examinées en détailNote de bas de page 5. Bien que le point de vue présenté par le CI mérite d'être pris en considération, cela ne devrait pas être fait isolément. Cette démarche devrait plutôt faire partie d'un examen plus vaste et plus complet portant sur les deux lois et sur les objectifs politiques sous-jacents.
Toutefois, si le gouvernement souhaite adopter le modèle provincial de la primauté de l'intérêt public plutôt que l'actuelle loi fédérale, nous suggérons que les intérêts des personnes touchées soient protégés en permettant à ces personnes d'intervenir avant que leurs renseignements personnels soient communiqués. Ce droit d'intervention serait similaire au droit accordé à des tiers en ce qui concerne les renseignements confidentiels en vertu du paragraphe 20(1) de l'actuelle LAI.
Recommandation : Nous recommandons de conserver l'actuelle exception relative aux renseignements personnels prévue par la LAI et les dispositions de la LPRP portant sur la primauté de l'intérêt public jusqu'à ce qu'un examen en profondeur de ces deux lois détermine s'il y a lieu de maintenir ou de modifier l'équilibre établi par le Parlement lorsqu'il a adopté les deux lois comme un « code homogène ».
Pouvoir de rendre des ordonnances
À l'instar du CI, nous sommes d'avis que l'actuel modèle axé sur le recours à l'ombudsman est inefficace et doit être remis en question. À cet égard, nous ne sommes pas pour le statu quo. La prise d'ordonnances est certainement une solution qui mérite d'être prise en considération, mais elle n'est pas la seule possibilité. Dans les mémoires que nous avons soumis au Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique, nous avons mentionné que le modèle axé sur la prise d'ordonnances pouvait comporter certains risques juridiques, que le modèle de Terre-Neuve-et-Labrador méritait aussi d'être examiné et que nous ferions des recommandations définitives à la suite d'une étude attentive des options possibles. Nous avons l'intention de faire ces recommandations au début de l'automne.
À l'échelon fédéral, la commissaire à l'information a comme mandat principal de promouvoir l'accès. En lui permettant d'ordonner la communication de renseignements personnels, on irait à l'encontre de deux principes de la loi actuelle, à savoir : la protection de la vie privée l'emporte sur le droit d'accès à l'information, et la protection des renseignements personnels relève exclusivement du Commissariat à la protection de la vie privéeNote de bas de page 6. Bien que les recommandations du CI méritent qu'on y prête toute l'attention requise, elles ne peuvent pas être évaluées correctement ou adoptées en vase clos, en l'absence d'un examen simultané de la LPRP et de la LAI. Les dispositions de fond et le rôle des commissaires devraient être considérés ensemble.
Recommandation : Une disposition permettant au commissaire à l'information d'ordonner la communication de renseignements personnels ne devrait pas être adoptée en l'absence d'un examen simultané de la LPRP et de la LAI.
Véto ministériel quant aux ordonnances
Si on en arrive à adopter un modèle axé sur la prise d'ordonnances, nous recommandons que ce modèle comporte un processus de contrôle judiciaire plutôt qu'un veto ministériel. Une telle solution, en plus de permettre au gouvernement de soulever des objections à la communication de renseignements, laisserait place à d'autres arguments des parties en cause avant qu'un tribunal indépendant et impartial ne rende une décision finale. Nous reconnaissons que le gouvernement voudra peut-être donner une protection accrue aux renseignements dont la nature a une incidence sur la sécurité nationale, et la Loi sur la preuve au Canada peut offrir des solutions à cet égard.
Recommandation : Si on en arrive à adopter un modèle axé sur la prise d'ordonnances, nous recommandons que ce modèle comporte un processus de contrôle judiciaire plutôt qu'un veto ministériel.
Fournir aux demandeurs une explication lorsque des renseignements ne peuvent pas être communiqués
En principe, nous convenons qu'il faut justifier le refus d'accès à des renseignements. Une justification de ces décisions est généralement requise en vertu du droit administratif et cette clarification renforcerait le droit d'accès. En même temps, la présentation actuelle des exceptions en vertu de la LPRP est souvent explicite et les personnes reçoivent une liste des exceptions appliquées à leur demande ainsi que des renseignements supplémentaires sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire. En pratique, puisque les raisons sont généralement évidentes et compte tenu des coûts opérationnels liés à l'obligation de fournir une justification dans tous les cas, nous estimons qu'il pourrait être prudent d'exiger la communication des raisons uniquement lorsque les personnes visées en font la demande.
Recommandation : Nous recommandons de modifier les deux lois afin de consacrer le droit d'obtenir une justification sur demande.
Plaintes frivoles ou vexatoires
Le Commissariat a reçu un certain nombre de plaintes frivoles ou vexatoires déposées en vertu de la LPRP et de la LPRPDE. Ces plaintes influent sur notre capacité à mieux gérer notre charge de travail et à nous concentrer sur des questions ayant une portée plus vaste. Nous sommes conscients qu'un pouvoir discrétionnaire peut être perçu par certains comme une limitation de l'accès. Cependant, il pourrait y avoir lieu d'exercer avec prudence un pouvoir discrétionnaire afin de gérer efficacement nos ressources limitées de façon à maximiser la promotion véritable des droits.
Nous ne prenons pas position en ce qui concerne l'octroi de ce pouvoir discrétionnaire au CI. Pour notre part, nous aimerions certainement que la réforme nous permette de mieux gérer notre propre charge de travail. Toutefois, nous estimons que cette question prise dans le contexte de la Loi sur la protection des renseignements personnels mérite une analyse attentive, en tenant particulièrement compte de l'ensemble des pouvoirs discrétionnaires prévus par la LPRPDE. Nous croyons que l'examen exhaustif sera le meilleur moment pour examiner ces questions aux fins de l'application de la LPRP.
Champ d'application de la LAI
Comme nous l'avons déjà mentionné, étant donné que la LAI et la LPRP sont conçues pour être interprétées conjointement comme un « code homogène », toute modification apportée à la première devrait tenir compte de la seconde. À cette fin, nous serions d'accord pour étendre le champ d'application de la LAI et de la LPRP afin d'inclure les cabinets des ministres, y compris le Cabinet du Premier ministre. Cette modification favoriserait le droit d'accès des personnes à l'information, y compris à leurs renseignements personnels, peu importe dans quelle institution fédérale l'information est conservée.
Par ailleurs, comme il est indiqué dans les documents de consultation, l'élargissement du champ d'application de manière à inclure les entités administratives assurant un soutien au Parlement et aux tribunaux pourrait soulever des questions constitutionnelles. Par conséquent, nous insistons sur la nécessité d'un examen supplémentaire de toutes les répercussions que pourrait avoir l'élargissement du champ d'application de l'une ou l'autre des lois à ces institutions.
Recommandation : Nous recommandons de modifier la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels de manière à inclure les cabinets des ministres et le Cabinet du Premier ministre. Nous recommandons également d'effectuer un examen approfondi des répercussions d'une application plus vaste des lois à d'autres pouvoirs du gouvernement avant son adoption.
Examen législatif
Nous croyons qu'un examen quinquennal de la LAI et de la LPRP est souhaitable et permettrait au Parlement d'évaluer si le cadre législatif fonctionne comme prévu, compte tenu tout particulièrement de l'évolution rapide de la technologie. Certaines lois provinciales sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée prévoient ce type d'examen - tous les cinq ans au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador et tous les six ans en Colombie-Britannique.
Recommandation : Nous recommandons de modifier la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels de façon à prévoir un examen obligatoire tous les cinq ans.
Renforcement des exigences en matière de rapports sur le rendement
Nous serions fortement en faveur d'une amélioration des rapports provenant des organisations assujetties à LAI et à la LPRP. De bons rapports de transparence sont avantageux à plusieurs égards : ils renforcent la reddition de comptes à l'interne, ils donnent l'élan nécessaire pour améliorer les opérations et les services, ils nous éclairent sur les enjeux problématiques et ils sensibilisent le grand public en ce qui concerne leurs droits (comme citoyens) et la culture de l'organisation en question.
On aurait avantage, sous le régime de la LAI et de la LPRP, à accroître les obligations de rendre compte, à les rendre plus accessibles et à leur accorder une place plus importante dans la section de la divulgation proactive des sites Web des ministères. Nous pensons que cette amélioration de l'ouverture irait dans le sens des objectifs énoncés par le gouvernement en matière de transparence et rétablirait la confiance à l'égard du système d'accès à l'information dans son ensemble.
De plus, comme il a été recommandé au Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique au moment de l'examen de cette question, nous croyons que les rapports de transparence devraient également inclure une obligation pour les institutions fédérales de produire des rapports sur le pouvoir d'accès légal. Il s'agirait d'un autre exemple montrant la façon dont les obligations en matière de rapports permettent de mieux renseigner la populationNote de bas de page 7.
Recommandation : Nous recommandons de renforcer les obligations en matière de rapports sur le rendement et la transparence relevant de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et d'en élargir la portée.
Modifications urgentes
Comme je l'ai mentionné au début du présent document, il semble clair que la LPRP et LAI doivent faire l'objet d'une mise à jour urgente. Si le gouvernement décide en bout de ligne de procéder en deux étapes, nous ne voyons pas vraiment pourquoi les modifications urgentes devraient être limitées à la LAI. Comme il a été mentionné au Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique au cours de son étude, la technologie a évolué plus rapidement que la LPRP en matière de collecte, de communication et de protection des renseignements.
Par conséquent, je profite de l'occasion pour souligner que trois modifications à la LPRP en particulier s'imposent à court terme : l'adoption d'un seuil de nécessité explicite pour la collecte de renseignements; l'ajout dans la loi d'une disposition explicite rendant obligatoire la déclaration des atteintes à la vie privée; et l'obligation de conclure des ententes écrites sur la communication des renseignements personnels dont le contenu serait prescrit. Notre mémoire au comité parlementaire pour l'examen de la Loi en cours donne plus de contexte et de détails sur ces questions en particulierNote de bas de page 8.
Recommandation : Si le gouvernement procède en deux étapes, la première étape devrait tenir compte des trois modifications que nous avons proposées.
Un gouvernement ouvert et une transparence accrue demeurent des éléments essentiels de la réforme du gouvernement.
Je vous remercie de m'avoir donné la possibilité d'exprimer mon point de vue dans le cadre de cet important processus et vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada,
Original signé par
Daniel Therrien
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