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Les audiences de la FTC sur la concurrence et la protection des consommateurs au XXIe siècle

Mémoire à l'intention de la Federal Trade Commission

Le 13 août 2018

Competition and Consumer Protection in the 21st Century Hearings, numéro de projet P181201
Federal Trade Commission, Office of the Secretary
600 Pennsylvania Avenue, NW
Suite CC-5610 (Annex C)
Washington, DC
20580

Objet : Présentation sur les audiences de la FTC sur la concurrence et la protection des consommateurs au 21e siècle

Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (ci-après « le Commissariat ») se réjouit de pouvoir soumettre ses observations à la Federal Trade Commission (« FTC ») en ce qui a trait aux audiences sur la concurrence et la protection des consommateurs au XX1e siècle (Hearings on Competition and Consumer Protection in the 21st Century) et particulièrement sur les liens entre la protection de la vie privée, les mégadonnées et la concurrence.

L’annonce de la FTC met en lumière un certain nombre d’enjeux et de questions qui intéressent directement notre Commissariat, et nous nous réjouissons de l’occasion de faire part de notre point de vue sur ces sujets.

La relation entre la protection de la vie privée, les mégadonnées et la concurrence

L’ampleur et le rythme des progrès technologiques et leur application aux produits et services destinés aux consommateurs mettent à rude épreuve la capacité des personnes à protéger leur vie privée. L’innovation dans les secteurs de l’analyse de données, de l’intelligence artificielle, des mégadonnées et de l’Internet des objets crée de nouveaux risques très complexes pour la vie privée qui se matérialisent par l’utilisation étendue de données et la création de nouveaux modèles opérationnels.

Nous reconnaissons que ces technologies sont nécessaires pour assurer la croissance économique et améliorer les services offerts aux consommateurs. Elles doivent néanmoins être utilisées dans le respect de la vie privée des individus. Les gens veulent à la fois une valeur ajoutée pour le consommateur et la protection de la vie privée.

Bien que l’analyse de la protection de la vie privée et l’analyse des lois en matière de concurrence soient différentes sur le plan de la réglementation, elles font face à un défi commun, notamment la façon dont les technologies comme les mégadonnées influencent leurs applications respectives. Ceci a déjà entraîné une plus grande collaboration entre les organismes de réglementation et une sensibilisation accrue de ces derniers. À titre d’exemple, les modèles d’affaires « Freemium » et les entreprises qui utilisent des renseignements personnels remettent en question la façon dont les entreprises s’acquittent de leurs obligations en matière de protection de la vie privée et de protection des consommateurs. Ce nouvel environnement a des répercussions pour un certain nombre d’organismes de réglementation dans diverses disciplines.

Efforts à l’échelle mondiale pour comprendre la relation entre la protection de la vie privée, la protection des consommateurs et la concurrence

Notre bureau a noté un intérêt mondial croissant pour la discussion sur les relations entre la protection de la vie privée, la protection des consommateurs et la concurrence. Cet intérêt mondial est démontré par les efforts collaboratifs au sein des forums internationaux de réglementation qui ont naturellement vu le jour pour permettre une compréhension accrue et une schématisation de ces relations.

Nous sommes d’avis que ces initiatives sont louables. Les renseignements personnels sont devenus des données souvent nécessaires aux modèles opérationnels de l’économie numérique et, pour cette raison, les consommateurs accordent de plus en plus d’importance à la protection de la vie privée et à la protection des données dans leurs décisions d’achats. Il y a une attention grandissante pour les enjeux se situant au croisement de la protection des consommateurs et de la protection de la vie privée dans les démarches de soutien à l’innovation, la protection des consommateurs, les droits à la vie privée et la confiance en l’économie numérique.

Par exemple, la Conférence internationale des commissaires à la protection des données et de la vie privée (ICDPPC ») a adopté, en 2017, une résolution concernant la collaboration entre les autorités de protection des données et celles de protection des consommateurs pour une meilleure protection des citoyens et des consommateurs dans l’économie numériqueNote de bas de page 1. Dans le cadre de cette résolution, un groupe de travail international formé de divers organismes de réglementation (notamment la FTC et le Commissariat) a été mis sur pied pour explorer la collaboration internationale entre les autorités de protection des données et celles de protection des consommateurs afin de parvenir à de meilleurs résultats en matière de protection des données pour les citoyens et les consommateurs en cernant des occasions propices à une collaboration efficace.

Avant cette conférence, au cours de sa première réunion en mai 2017, le réseau Digital Clearing House a rassemblé les sphères de réglementation, notamment les organismes œuvrant dans les domaines de la concurrence, de la protection des consommateurs et de la protection des données en vue de partager des informations et de déterminer la meilleure façon d’appliquer la réglementation dans l’intérêt des individusNote de bas de page 2.

Enfin, dans le domaine strict de la protection des consommateurs et de la protection de la vie privée, une interrelation a été établie entre le Réseau international de contrôle et de protection des consommateurs (RICPC)Note de bas de page 3 et le Global Privacy Enforcement Network (GPEN)Note de bas de page 4. À cette fin, le GPEN s’est vu accorder le statut d’observateur auprès du RICPC, et les deux réseaux ont établi un lien interréseau officiel. Cette initiative a donné lieu à des activités de collaboration, notamment une présentation réalisée par un représentant du GPEN à la réunion du RICPC à Munich en 2016 sur « les modalités pratiques d’une collaboration, en tant qu’autorités responsables de l’application des lois et en tant que réseaux, sur des questions se rapportant à la protection de la vie privée et à la protection des consommateurs ». Cette présentation comprenait une étude de cas sur l’enquête sur le piratage du site Ashley Madison, qui a révélé des violations en matière de protection de la vie privée et de protection des consommateurs (l’enquête a été réalisée conjointement par le Commissariat, le bureau du commissaire à l’information de l’Australie (OAIC) et la FTC).

Les répercussions de l’utilisation d’outils algorithmiques de décision, de l’intelligence artificielle et de l’analyse prédictive

Le choix des consommateurs dicté par une innovation de grande envergure peut avoir un effet positif, notamment stimuler la concurrence grâce à l’émergence de nouveaux marchés concurrentiels.

Le secteur de la technologie financière constitue un excellent exemple d’un marché émergent qui attire l’attention des organismes de réglementation dans un tel contexte.

La portée, l’importante et la complexité de ce domaine ne peuvent être sous-estimées. En raison de leur nature même, les technologies émergentes sont complexes et dynamiques : certes, le produit final mis à la disposition de l’utilisateur peut sembler simple du point de vue de son application et de sa facilité d’utilisation, mais il est peu probable que la majorité des consommateurs comprennent les algorithmes sous-jacents et la prolifération de données connexes agissant en arrière-plan de nombreuses applications Web populaires.

Par rapport à la protection de la vie privée, ces questions sont pertinentes puisqu’elles sont au cœur de l’examen du consentement valide et du niveau de connaissance des individus par rapport à ce que l’on fait avec leurs renseignements personnels. L’Internet des objets, par exemple, fait déjà intervenir la communication d’information en apparence invisible entre les dispositifs interconnectés. Les avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle et de l’analyse prédictive placent les pratiques commerciales comme la transparence algorithmique à l’arrière-plan; ce qui amène à se demander dans quelle mesure les individus sont informés et conscients de ces pratiques et s’ils disposent de l’information et des compétences pour véritablement faire des choix et exercer le contrôle souhaité.

C’est le caractère opaque de l’utilisation des données dans des innovations telles que celles qui sont susmentionnées qui a incité le Commissariat à rééquilibrer son action vers des efforts de conformité et de promotion plus proactifs. Dans cette optique, le Commissariat a notamment créé la Direction des services-conseils à l’entreprise, dont les activités comprennent la collaboration avec les organisations afin de discuter de l’impact de nouvelles initiatives et des nouveaux programmes sur la protection de la vie privée avant leur lancement.

Outils pour dissuader les comportements injustes et trompeurs en matière de protection de la vie privée et de sécurité des données

Le Commissariat a récemment collaboré avec la FTC et le commissaire à l’information de l’Australie sur une enquête conjointe concernant Ashley MadisonNote de bas de page 5. Bien qu’au départ, il s’agisse d’une atteinte aux mesures de sécurité (soit un problème lié à la protection de la vie privée), notre enquête a également permis de constater que l’entreprise employait des pratiques commerciales trompeuses en matière de protection de la vie privée et de sécurité. Les certifications fictives, semblables à celle utilisée sur le site Web d’Ashley Madison (sous la forme de médailles bidon mentionnant que le site était « sécurisé »), ne sont pas rares dans les cas de publicités en ligne trompeuses, et de nombreuses autorités de protection des consommateurs et de concurrence reconnaissent ce problème. La situation s’est étendue au domaine de la protection de la vie privée et démontre à quel point les organisations sont de plus en plus conscientes de l’importance que les consommateurs accordent désormais aux considérations relatives à la « protection de la vie privée » et à la « sécurité » dans leurs décisions d’achat; ce qui permet à ces organisations d’adapter leurs pratiques de commercialisation en conséquence. Bref, la protection de la vie privée compte plus que jamais pour les consommateurs, et les entreprises en prennent note.

Le concept de « subterfuge », un élément important de la protection des consommateurs, apparaît de plus en plus dans les conclusions des enquêtes du Commissariat. C’est pourquoi la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) fait explicitement référence à la notion de « subterfuge » sous les principes de « consentement » et de « limitation de la collecte » et précise que le consentement ne doit pas être obtenu par un subterfuge. Pour les autorités de protection de la vie privée, grâce à l’inclusion de dispositions relatives au subterfuge, un organisme de réglementation pourrait, dans certaines circonstances, s’attaquer à un problème classique de protection des consommateurs qui comporte également un aspect relatif à la protection de la vie privée. Les enquêtes concernant Ashley Madison (2016) et Aaron’s Spyware (2013), toutes les deux effectuées avec l’aide de la FTC, ont mis au jour des infractions à la LPRPDE fondées sur le subterfuge.

Les cas susmentionnés mettent également un relief un deuxième outil important : la collaboration. Comme l’a affirmé le commissaire Therrien : « À l’ère numérique, les questions relatives à la protection de la vie privée peuvent avoir une incidence sur la vie de millions de gens partout dans le monde. Il est impératif que les organismes de réglementation maintiennent une collaboration transfrontalière, afin de s’assurer que les droits à la vie privée des individus soient protégés peu importe où ils habitent. »

Lorsque les autorités de protection de la vie privée sont en mesure de collaborer et de partager des informations avec les organismes de réglementation chargés de la protection des consommateurs, cela facilite la possibilité de s’attaquer aux enjeux touchant à la fois la protection des consommateurs et la protection de la vie privée. Notre enquête conjointe avec la FTC sur Ashley Madison a été rendue possible grâce à l’Entente mondiale de coopération transfrontalière dans l’application des lois de l’APEC. Cela dit, le Commissariat ne dispose d’aucune autre entente de communication de renseignements semblable avec d’autres autorités exclusivement chargées de la protection des consommateurs, pas même avec le Bureau de la concurrence Canada (au-delà du partage d’informations en vertu de la Loi canadienne antipourriel).

Des instruments permettant la mise en commun de renseignements entre les autorités de protection de la vie privée et celles de protection des consommateurs représenteraient un outil clé pour s’attaquer aux enjeux chevauchant les domaines de la protection de la vie privée et de la protection des consommateurs. À titre d’exemple, en Norvège, l’autorité de protection des données et l’autorité de protection des consommateurs travaillent de pair pour s’attaquer aux problèmes liés aux « montres intelligentesNote de bas de page 6 ». En outre, en 2016, aux Pays-Bas, l’autorité de protection des données et l’autorité de protection des consommateurs et de la concurrence ont conclu une entente de collaboration pour traiter des problèmes dans leurs compétences respectives qui pourraient s’entrecroiserNote de bas de page 7.

Bref, le fait de pouvoir concevoir et repérer d’autres outils de collaboration entre les autorités de protection des données et celles de protection des consommateurs constitue une première étape importante vers la dissuasion. Cette mesure cadre également avec les engagements énoncés dans la résolution de l’ICDPPC portant sur la collaboration entre les autorités de protection des données et les autorités de protection des consommateurs pour une meilleure protection des citoyens et des consommateurs dans l’économique numérique.

Nous notons également la nécessité de protéger les consommateurs contre les mauvais joueurs ainsi que contre toute conduite illégale des organisations, généralement responsables, mais qui vont parfois trop loin. Une application plus sévère des lois pourrait encourager les chefs d’entreprise à concentrer leur attention et à investir dans la protection de la vie privée. Des intervenants ont indiqué au Commissariat que les entreprises affectent leurs ressources en matière de conformité aux risques les plus importants. Les entreprises sont donc plus susceptibles d’écouter les autorités qui détiennent de forts pouvoirs d’application des lois, comme ceux d’imposer des sanctions ou des amendes. Le fait que la FTC impose régulièrement des sanctions pécuniaires s’élevant à des millions de dollars afin de dissuader un comportement injuste et trompeur ne semble pas avoir ralenti l’innovation aux États-Unis.

La situation en matière d’antitrust, les lois de protection des consommateurs et leur application

Les autorités portent également leur attention sur les liens croissants entre les enjeux de protection de la vie privée et d’antitrust.

Selon Giovanni Buttarelli, contrôleur européen de la protection des données, nous pourrions bientôt devoir faire face à ce qu’il appelle « la tempête parfaite provoquée par un pouvoir de marché excessif, une asymétrie d’information et des algorithmes inexplicables. Si une personne ne peut en réalité choisir qu’un seul fournisseur de service dans un marché numérique, elle se retrouve inévitablement en position de faiblesse pour négocier une meilleure qualité de liberté d’expression et de protection de la vie privéeNote de bas de page 8 ».

Lorsque des entreprises possédant d’importantes quantités de données personnelles fusionnent, les enjeux liés à la protection de la vie privée peuvent chevaucher ceux liés à la concurrence dans l’examen des fusions. De plus, les entreprises en ligne exercent une influence grandissante du fait de leur vaste répertoire de renseignements précieux concernant les consommateurs, de sorte que les enjeux en matière de protection de la vie privée recoupent un enjeu classique en matière de concurrence, soit l’ « abus d’une position dominante ».

Bien que les lois antitrust et les lois sur la protection de la vie privée puissent avoir des objectifs stratégiques différents, dans les deux cas, la protection de la vie privée et les renseignements personnels font l’objet d’un examen accru dans le cadre des activités d’application des lois et de surveillance. En plus des lois en matière de protection des consommateurs, la situation en matière d’application des lois dans ces trois (3) domaines est examinée afin de déterminer la façon dont il pourrait être nécessaire d’adapter ou de modifier les lois – ou les mesures d’application des lois – à la lumière des technologies changeantes influençant les modèles opérationnels.

Dans ce contexte, nous faisons à nouveau référence au Digital Clearing House, un réseau informel d’organismes de réglementation dans les domaines de la protection de la vie privée, de la protection des consommateurs et de l’antitrust. Au sein de ce forum, les autorités ont premièrement pour tâche de mieux comprendre la dynamique de ces relations, afin d’établir une approche optimale pour s’attaquer à ces enjeux dans l’intérêt des consommateurs.

L’intérêt croissant pour l’antitrust et la protection de la vie privée est une discussion intéressante et opportune, particulièrement en raison des changements qui s’opèrent dans la façon dont les technologies émergentes influencent les modèles opérationnels dans l’économie numérique. Plus les autorités responsables de l’application des lois en matière de concurrence et de protection de la vie privée collaborent et discutent sur des sujets d’intérêt commun, plus il sera possible de concevoir des cadres de protection des consommateurs solides à l’appui de l’innovation, de la protection des consommateurs et des droits à la vie privée.

Conclusion

Bien que la plupart des discussions sur la relation entre la protection de la vie privée et la surveillance de la concurrence n’en soient qu’à leur début, il s’agit d’une première étape importante pour favoriser un dialogue sur les défis fondamentaux des autorités d’application de la loi pour l’ensemble des enjeux en matière de consommation. Le défi commun consiste à créer une économie ouverte, dynamique et novatrice tout en mettant en place les éléments fondamentaux qui favoriseront la confiance et la transparence.

Nous apprécions le fait que la FTC nous ait donné l’occasion de lui soumettre ces commentaires.

Veuillez agréer mes salutations distinguées.

(Original signé par)

Brent R. Homan
Sous-commissaire du Secteur de la conformité
Commissariat à la protection de la vie privée du Canada

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