Les répercussions des mesures de sûreté aérienne sur la protection de la vie privée
Mémoire du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada en réponse à la Commission d’enquête sur les mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India
Novembre 2007
Onglet A : Solliciteur général du Canada, Projet de loi C-17 (Loi sur la sécurité publique) : Accès de la GRC et du SCRS à l’information sur les passagers des compagnies aériennes – le 6 novembre 2002
1. Introduction
Le 1er mai 2006, la Commission d'enquête sur les mesures d'investigation prises à la suite de l'attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India a été constituée par un décret en conseil. Une partie de son mandat consiste à tirer des conclusions et à formuler des recommandations sur diverses questions, entre autres, si des changements devraient être apportés à nos pratiques ou à nos lois afin d’éviter que ne se reproduisent des infractions à la sûreté aérienne associées à l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, notamment au chapitre du contrôle des passagers et de leurs bagages.
La Commission d’enquête a demandé au Commissariat à la protection de la vie privée (CPVP) du Canada de faire part des commentaires sur les conséquences des divers programmes gouvernementaux mis en œuvre pour améliorer la sûreté aérienne sur la protection de la vie privée.
De nombreuses mesures ont été prises, au Canada et ailleurs, dans la foulée de l’explosion du vol d’Air India, d’autres incidents comme l’attentat à la bombe contre le vol 103 de Pan Am, et plus récemment, des attaques terroristes du 11 septembre 2001. Bien que le Programme de protection des passagers (PPP) récemment mis en œuvre ait beaucoup retenu l’attention, il n’est qu’un des divers programmes visant à accroître la sûreté aérienne et la sécurité nationale. Ceux-ci comportent des mesures de collecte, d’utilisation et de communication de renseignements personnels et soulèvent des inquiétudes concernant la protection de la vie privée.
La plupart de nos commentaires portent sur le PPP, mais avant de traiter de ce programme, nous présentons de brèves observations sur plusieurs autres mesures de sûreté aérienne qui nous préoccupent du point de vue de la protection de la vie privée. Ces observations serviront à mieux situer nos commentaires sur le PPP.
2. Information préalable sur les voyageurs et dossier passager
Ce programme suppose la collecte de l’information préalable sur les voyageurs (IPV) et le dossier passager (DP) dans toutes les compagnies aériennes dont les vols arrivent au Canada.
Le programme IPV/DP vise à identifier, avant leur arrivée au Canada, les personnes (passagers et membres d’équipage) qui peuvent présenter un risque pour la sécurité du Canada. Même si ce programme sert principalement à surveiller les frontières, il est aussi lié à la sûreté aérienne.
L’IPV comprend les renseignements — nom, date de naissance, sexe, citoyenneté, et numéro de passeport, de visa ou de résident — contenus dans un passeport ou un titre de voyage équivalent. Le DP consiste en un grand nombre de données contenues dans les systèmes de réservation des lignes aériennes, notamment l’information concernant l’agent de voyages, le mode de paiement du billet, le nombre de valises contrôlées et les numéros d’étiquettes des bagages, les préférences alimentaires ou d’autres demandes spéciales, la classe du service, le fait que le billet ait été payé par une autre personne que son détenteur, l’itinéraire, ainsi que les dates d’émission du billet et de départ, etc. Les compagnies aériennes doivent fournir ces renseignements électroniquement avant l’arrivée du vol au Canada. L’information est conservée par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pendant 3 ans et demi.
Le programme IPV/DP du Canada est autorisé en vertu de la Loi sur les douanes (projet de loi S-23), qui a reçu la sanction royale le 25 octobre 2001, et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). L’IPV est recueillie par l’ASFC depuis le 7 octobre 2002. Le programme DP a été mis en œuvre le 8 juillet 2003.
Le CPVP a exprimé plusieurs préoccupations au moment de la proposition initiale du programme IPV/DPNote de bas de page 1. Le commissaire Radwanski s’est dit particulièrement troublé par la création d’une vaste base de données sur les voyages à l’étranger de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens respectueux des lois car, en vertu des dispositions sur le partage d’information de la Loi sur les douanes, cette base de données pourrait servir à une gamme pratiquement illimitée d’objectifs gouvernementaux et d’activités liées à l’application de la loi. Certaines de ses inquiétudes ont donné lieu à la mise en œuvre de mesures, comme la diminution de la période de conservation des données et la limitation des fins pour lesquelles l’information peut être utilisée.
L’IPV et les DP sont partagés avec les États-Unis conformément au point 8 de la Déclaration sur la frontière intelligente Canada-États-Unis. Plus précisément, les deux pays ont convenu de partager l’IPV et les DP sur les voyageurs à risque élevé dont la destination est l’un ou l’autre des deux pays, en utilisant un mécanisme d’évaluation du risque élaboré conjointement. Avant le lancement du programme IPV/DP, les É.-U. avaient un programme semblable obligeant les transporteurs aériens à fournir électroniquement l’IPV et les DP avant l’arrivée du vol. Au Canada, le projet de loi C-44 a été adopté à la fin de 2001 pour permettre aux transporteurs aériens canadiens de communiquer l’information sur les passagers aux responsables des douanes et de l’immigration d’un État étranger.
Le 6 février 2004, une procédure automatisée de partage, entre les deux pays, d’information sur des voyageurs soupçonnés de représenter un risque élevé a été mise en œuvre. Le Centre national d’évaluation des risques du Canada et le National Targeting Center des États-Unis gèrent cette procédure 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Le Commissariat croit que cette information est communiquée de façon sélective en fonction du « besoin de savoir ».
3. CANPASS Air et NEXUS
Le programme CANPASS Air permet aux voyageurs aériens préapprouvés et « à faible risque » de franchir les douanes au Canada en se présentant à un comptoir avec leur carte CANPASS et en faisant vérifier leur identité par un appareil de reconnaissance de l’iris. Ce programme sert la sûreté aérienne et la sécurité nationale, car il permet aux agents de l’ASFC de concentrer leurs efforts sur les voyageurs et les marchandises inconnus ou à risque élevé.
Le pouvoir législatif du programme CANPASS est défini à l’article 11.1 de la Loi sur les douanes. Cet article permet au ministre du Revenu national, sous réserve du Règlement, d’accorder des autorisations permettant aux intéressés de se présenter selon un mode substitutif.
Le formulaire de demande de CANPASS (utilisé pour CANPASS Air, CANPASS Aéronefs d’entreprise ou privés, ou CANPASS Bateaux privés) requiert le nom, l’adresse, le sexe, la date de naissance, les coordonnées, la preuve de citoyenneté et les antécédents professionnels des cinq dernières années, ainsi qu’une déclaration concernant les infractions aux douanes ou à l’immigration, ou des crimes pour lesquels aucun pardon n’a été accordé. À la réception d’une demande CANPASS, l’ASFC procède à une évaluation des risques qui comprend un contrôle rigoureux des antécédents et de la cote de sécurité des requérants. Pendant l’évaluation des risques, une vérification effectuée dans un certain nombre de bases de données détenues par des organismes d’application de la loi, les douanes et l’immigration, permet de s’assurer que les requérants sont admissibles au programme. L’admissibilité de chaque personne est réévaluée chaque année.
NEXUS est un programme un peu similaire qui s’adresse aux « voyageurs dignes de confiance ». Comme CANPASS, il a un volet aérien et un volet maritime, et il utilise la technologie de reconnaissance de l’iris pour confirmer l’identité.
Une différence importante est que NEXUS est un programme conjoint Canada-États-Unis ouvert aux résidents et à certains non-résidents des deux pays. De plus, il accélère l’entrée aux États-Unis comme au Canada, tandis que CANPASS ne peut être utilisé qu’au Canada. Le programme NEXUS, qui découle de l’Accord du Canada et des États-Unis sur leur frontière commune, est une initiative du plan d’action en 32 points de la Déclaration sur la frontière intelligente.
En plus de l’information personnelle fournie par les requérants et des renseignements obtenus dans le cadre des vérifications des antécédents au chapitre de la sécurité, le programme comprend la prise des empreintes biométriques des deux index et une photographie numérique du visage.
La participation volontaire atténue un peu les préoccupations pour la protection de la vie privée que soulevaient les programmes.
4. Inspection des passagers
L’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA) supervise l’inspection des passagers. L’objectif du programme est de s’assurer que les passagers ne transportent pas d’objets interdits ou de produits dangereux (p. ex., des armes, des substances explosives) et que les bagages de cabine n’en contiennent pas. Même si, habituellement, le programme ne comprend pas la collecte de renseignements personnels, il suscite des inquiétudes relatives à la protection de la vie privée, car le voyageur et ses bagages peuvent faire l’objet de fouilles indiscrètes.
Le CPVP sait qu’il existe des technologies, comme la rétrodiffusion radar et les ondes millimétriques, qui permettent de « voir au travers » des vêtements pour détecter des armes ou des objets dangereux. Il n’a pas examiné ces technologies en détail. Les points de vue sur les conséquences de ces technologies sur le respect de la vie privée varient. Certaines personnes pensent qu’elles sont moins indiscrètes qu’une « fouille manuelle » parce qu’elles ne comportent pas de contact physique; d’autres les considèrent plus envahissantes parce qu’elles produisent une image du corps humain pratiquement nu. Si ces technologies étaient introduites au Canada, le Commissariat recommanderait de les utiliser aussi sélectivement que possible et de donner aux voyageurs l’option de la fouille manuelle.
Jusqu’à maintenant, l’inspection des passagers par l’ACSTA comprend le contrôle des bagages de cabine, pour s’assurer qu’ils ne contiennent pas d’objets dangereux ou interdits, et des passagers, pour veiller à ce qu’ils n’en transportent pas. Les agents de l’ACSTA vérifient aussi la carte d’embarquement du passager.
Néanmoins, il semble y avoir des pressions pour que soient prises des mesures davantage axées sur le contrôle de l’identité et la collecte de renseignements sur les voyageurs. Le Programme de protection des passagers en est un exemple évident et, comme il est mentionné ci-dessus, le Commissariat croit que l’ACSTA est en train d’explorer des méthodes d’inspection qui comportent la collecte de renseignements personnels.
L’ACSTA a récemment mis à l’essai avec un transporteur aérien de nouvelles cartes d’embarquement « bidimensionnelles » qui contiennent un code à barres pouvant être balayé électroniquementNote de bas de page 2. L’un des objectifs du balayage électronique est de déceler les cartes d’embarquement contrefaites ou fausses. Cependant, le balayage permettra aussi de capter plusieurs renseignements personnels, y compris le nom du passager et le numéro de son vol, et cette information sera conservée jusqu’au décollage de l’aéronef. En ce moment, l’ACSTA ne recueille aucun renseignement personnel sur les passagers qu’elle inspecte. En fait, elle ne sait pas qui est dans l’aéroport. Cela changera si ce projet est mis en œuvre, bien que l’ACSTA ait garanti au CPVP que l’information servant à l’identification ne serait utilisée qu’en cas d’incident.
Le CPVP ne sait pas si les cartes d’embarquement contrefaites ou fausses posent un risque; dans la mesure où elles constituent un risque pour la sécurité, ce programme peut aider à y faire face. L’objectif ou la raison d’être de la collecte de renseignements personnels contenus dans les cartes d’embarquement est beaucoup moins clair.
Cette orientation vers le contrôle de l’identité est troublante sur le plan du respect de la vie privée, parce qu’elle permet d’accroître le contrôle et la surveillance. Plus les organismes recueilleront de renseignements personnels sur les habitudes de voyage, plus il sera facile de surveiller les déplacements des voyageurs canadiens. Aussi, le contrôle de l’identité met un accent accru sur l’intégrité des documents d’authentification, ce qui peut nécessiter des procédures d’authentification plus nombreuses et plus indiscrètes, ou une formule universelle d’identification comme une carte d’identité nationale. Autrement dit, le contrôle de l’identité peut mener à d’autres mesures envahissantes sur le plan de la vie privée.
5. Carte d’identité de zones réglementées
L’objectif de ce programme est d’accroître la sécurité dans les aéroports en s’assurant que les personnes qui entrent dans les zones réglementées sont autorisées à le faire.
Il s’agit d’un programme d’identification qui requiert l’émission d’une carte biométrique, appelée carte d’identité de zones réglementées (CIZR), pour chaque travailleur de l’aéroport autorisé à pénétrer dans ces zones. La CIZR utilise deux types de données biométriques — les empreintes digitales et les caractéristiques de l’iris — pour authentifier l’identité d’une personne. Des numériseurs à balayage servent à vérifier une des deux caractéristiques physiques du titulaire de la carte en la comparant au modèle sauvegardé dans la puce informatique de la carte. La validité de la carte est aussi vérifiée à l’aide d’une base de données nationale.
En plus des deux mesures biométriques, le programme comprend Ia collecte des renseignements personnels dont Transports Canada a besoin pour allouer une cote de sécurité.
6. Programme de protection des passagers
6.1 Raison d’être du Programme
En août 2005, le CPVP a soumis 24 questions à Transports Canada concernant le Programme de protection des passagersNote de bas de page 3. La première traitait de la raison d’être ou de la justification du Programme :
Quelles études, le cas échéant, le Ministère a-t-il effectuées en vue de prouver que les informations préalables sur les voyageurs (IPV) seront utiles à l’identification des voyageurs à risque élevé?
La réponse suivante de Transports Canada n’a pas vraiment répondu à la question :
Le Programme de protection des passagers propose l’utilisation d’une liste de surveillance afin d’empêcher certaines personnes de monter à bord de tout aéronef. Celui-ci est axé sur l’expérience pratique à l’échelle mondiale et sur une évaluation des risques plutôt que sur des études particulières. Des listes de surveillance sont utilisées partout dans le monde en vue de protéger le public contre les actes de certaines personnes. Les organismes de services frontaliers, par exemple, ont fait obstacle au passage de nombreuses personnes dangereuses à la frontière. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a déjà recours aux renseignements préalables sur les voyageurs, à son grand avantage, pour intercepter des personnes dangereuses après l’atterrissage d’un aéronef au Canada. Le Programme de protection des passagers aura recours à un nombre limité de renseignements préalables sur les voyageurs qui font partie de la liste de surveillance, afin d’empêcher de monter à bord ceux qui présentent un risque pour le vol.
Le CPVP a suggéré au gouvernement de se poser les quatre questions suivantes lorsqu’il envisage de prendre des mesures qui portent atteinte à la vie privée :
- La mesure est-elle manifestement nécessaire pour répondre à un besoin particulier?
- Est-elle susceptible de donner les résultats escomptés?
- L’ingérence dans la vie privée est-elle proportionnelle à l’avantage qui en découle pour la sécurité?
- L’ingérence dans la vie privée qui en résulte est-elle manifestement moindre que pour d’autres mesures ayant le même objectif?
Le CPVP ne remet pas en question le besoin d’accroître la sûreté aérienne, mais la nécessité et l’efficacité du PPP ne lui paraissent pas évidentes, pas plus que ses avantages sur le plan de la sécurité, compte tenu du prix à payer. Il est difficile de répondre à ces questions, parce que la raison d’être du programme n’est pas claire. Il est particulièrement difficile de comprendre en quoi des personnes qui n’ont commis aucune action justifiant une arrestation constituent une menace immédiate pour la sûreté aérienne. Comme l’a expliqué le professeur Lyon, lorsqu’il a comparu devant la Commission d’enquête, la Liste de personnes désignées est en soi une source de tension, car « elle contient les noms de personnes trop dangereuses pour monter à bord d’un avion, mais trop innocentes pour être arrêtées »Note de bas de page 4. En outre, elle inclut les noms de personnes considérées trop dangereuses pour monter à bord d’un avion, mais autorisées à utiliser d’autres moyens de transport et à assister à des rencontres qui rassemblent probablement de grands nombres de personnes.
Le CPVP n’est pas le seul à remettre en question la raison d’être et l’efficacité du Programme. Deux des experts de la sûreté aérienne qui ont comparu devant la Commission d’enquête ont émis des réserves semblables.
Mme Sweet, professeure agrégée à l’Université du Connecticut et lieutenante-colonelle à la retraite de l’Armée de l’Air américaine, a affirmé qu’elle n’était pas partisane des listes de personnes interdites de vol. « Je ne pense pas qu’elles fonctionnent ». Elle a poursuivi en faisant remarquer qu’« il est trop difficile de distinguer les personnes portant le même nom [?] vous avez de bonnes chances d’attraper des personnes qui essaient d’échapper à un mandat d’arrestation, mais vous n’intercepterez pas nécessairement beaucoup de terroristes »Note de bas de page 5.
En réponse à la question sur ses opinions concernant le PPP en particulier et les listes de personnes interdites de vol en général, M. Rodney Wallis, expert du Royaume-Uni dans le domaine de l’aviation, a déclaré :
« Je ne suis pas en faveur de ce genre de mesures. Je pense que les effets de ce programme sont très marginaux sur le plan de la sécurité. Les témoignages d’hier m’ont laissé perplexe. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas eu assez d’études sur le programme ou qu’on n’y avait pas suffisamment réfléchi »Note de bas de page 6.
Le CPVP n’est pas un expert dans les solutions de rechange moins envahissantes en matière de sûreté aérienne. Cependant, sa compréhension générale de la question et les témoignages présentés à la Commission indiquent qu’il y aurait plusieurs moyens d’accroître la sûreté aérienne sans recueillir de grandes quantités de renseignements personnels, par exemple :
- en vérifiant les bagages des passagers perçus comme menaçants;
- en procédant à une inspection plus complète du chargement;
- en faisant davantage appel aux policiers des airs — il semble que les policiers des airs sont habituellement assignés à des vols particuliers, p. ex., ceux de l’aéroport Reagan, à Washington, et sur d’autres avions en fonction d’une évaluation des risques;
- en améliorant la sensibilisation à la sécurité pour tout le personnel des aéroports;
- en effectuant un rapprochement plus rigoureux des bagages;
- en contrôlant de façon plus stricte l’accès aux zones vulnérables.
Le CPVP ne laisse pas entendre que ces mesures, prises individuellement, suffisent. Il comprend que la sécurité se situe à plusieurs niveaux, mais il recommande que d’autres mesures ayant moins d’incidence sur la vie privée soient pleinement explorées avant qu’on opte pour des mesures envahissantes.
6.2 Pouvoir législatif du PPP et considérations parlementaires
Dans la « Résolution des commissaires canadiens à la protection de la vie privée et des responsables de l’application des lois en matière de protection des renseignements personnels, du Programme de protection des passagers – liste de personnes interdites de vol de l’aviation canadienne » délivrée le 28 juin 2007, il est dit que :
« La Loi sur l’aéronautique ne prévoit pas de cadre législatif adéquat ou clairement défini à l’appui du Programme de protection des passagers tel que ce dernier a été décrit par Transports Canada dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation accompagnant le Règlement sur le contrôle de l’identité »Note de bas de page 7.
Par cette résolution, les auteurs n’ont pas voulu indiquer que Transports Canada n’avait pas l’autorité législative requise pour lancer le PPP, mais ils ont plutôt souligné le manque de clarté et de détails dans la Loi et le Règlement afférent.
Selon Transports Canada, le fondement législatif du PPP se trouve dans un ensemble de dispositions de la Loi sur l’aéronautique (articles 4.72, 4.76, 4.77, 4.81, 4.82 et 4.85, paragraphes (1) et (3)). Ces dispositions ont été ajoutées à la Loi sur l’aéronautique par la Loi sur la sécurité publique. Cette dernière a vu le jour sous l’appellation de projet de loi C-42, dont la première lecture a eu lieu en novembre 2001, peu après les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Le projet de loi C-42 a fait l'objet de vives critiques et a été retiré. Après révision sommaire, il est réapparu sous l'appellation de projet de loi C-55, puis il est mort au feuilleton au moment de la prorogation du Parlement en septembre 2002. Son successeur, le projet de loi C-17, est également mort au feuilleton. Le projet de loi C-7, présenté le 11 février 2004, a reçu la sanction royale le 6 mai 2004.
Durant les deux ans et demi qui se sont écoulés entre la présentation de la Loi sur la sécurité publique et la sanction royale, cette loi a fait l’objet d’un examen approfondi de la part du public et du Parlement. Cependant, pendant ce temps, la possibilité que les modifications apportées à la Loi sur l’aéronautique, énumérées ci-dessus, soient utilisées pour autoriser la mise en œuvre du PPP ne semble pas avoir fait l’objet d’un débat public.
Le CPVP s’est arrêté à l’historique de la Loi et a examiné les témoignages des intervenants suivants :
- Elinor Caplan, ministre du Revenu national, et des membres de son personnel, devant le Comité législatif de la Chambre des communes, le 10 décembre 2002;
- Wayne Easter, Solliciteur général du Canada, le commissaire Zacardelli de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Ward Elcock, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), et des membres de leur personnel, devant le Comité législatif de la Chambre des communes, le 5 décembre 2002;
- John McCallum, ministre de la Défense nationale, et des membres de son personnel, devant le Comité législatif de la Chambre des communes, le 10 décembre 2002;
- John Read, directeur général de Transports Canada, et des représentants de divers autres ministères, devant le Comité permanent du Sénat sur les transports et les communications, le 26 mars 2004.
Ces témoins n’ont pas parlé de la possibilité que le gouvernement crée un programme d’interdiction de vol.
En fait, le 6 novembre 2002, le site Web du solliciteur général (voir l’onglet A) affichait précisément l’information suivante :
« Ce projet de loi [C-17] n’oblige pas les passagers à s’identifier eux-mêmes à la police ou à donner des renseignements personnels aux entreprises de transport aérien. Ces renseignements personnels seraient fournis volontairement, comme c’est le cas maintenant. Ensuite, ceux-ci seraient comparés à ceux de la GRC et du SCRS pour que des agents désignés les utilisent en vue d’évaluer les risques pour le transport et la sécurité nationale ».
Il est vrai que la Loi sur la sécurité publique ne contraint pas directement les passagers à s’identifier eux-mêmes, mais le Règlement découlant de la modification apportée à la Loi sur l’aéronautique qui a vu le jour dans la Loi sur la sécurité publique oblige les voyageurs à fournir des renseignements personnels aux compagnies aériennes.
Le CPVP n’a pas non plus soulevé la possibilité qu’un programme d’interdiction de vol soit créé ni dans ses commentaires publics sur les diverses versions de la Loi sur la sécurité publique, ni à la comparution du commissaire Radwanski devant le Comité législatif de la Chambre des communes sur le projet de loi C-17, le 6 février 2003, ni devant le Sous-comité sur la sécurité nationale du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, le 10 février 2003, ni lorsque la commissaire Stoddart a comparu devant le Comité permanent du Sénat sur les transports et les communications pour faire des commentaires sur le projet de loi C-7, le 18 mars 2004.
Les commentaires du CPVP et ceux des nombreuses autres parties intéressées ont surtout porté sur l’article 4.82, qui permet au commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et au directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) d’exiger que les transporteurs aériens et les exploitants des systèmes de réservation fournissent certains renseignements sur les passagers pouvant être utilisés et communiqués à diverses fins, dont certaines ne sont pas liées à la sécurité nationale ou à la sûreté aérienne. Par exemple, il pourrait s’agir de l’exécution de mandats d’arrestation pour des crimes punissables de cinq ans ou plus de prison et précisés dans le Règlement, et de mandats d’arrestation émis en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de la Loi sur l’extradition. Le CPVP aurait certainement soulevé la question s’il avait su que la législation servirait à créer un programme d’interdiction de vol.
Le CPVP a été informé pour la première fois du programme proposé en septembre 2004, peu après que le Globe and Mail ait publié un article sur l’intention de Transports Canada de créer une liste de personnes interdites de vol.
Il importe de noter que Transports Canada a annoncé son intention de créer le Programme de protection des passagers après l’adoption par le Parlement des changements législatifs sous-jacents. Par conséquent, ni le public ni le Parlement n’ont vraiment eu la possibilité de s’interroger sur les dispositions législatives autorisant le Programme ou de les remettre en question.
C’est l’une des raisons pour lesquelles les commissaires canadiens à la protection de la vie privée et les représentants de l’application de la loi en matière de protection des renseignements personnels ont recommandé dans une résolution que le Programme soit renvoyé à un comité parlementaire pour faire l’objet d’un examen et d’un débat public. Le Parlement devrait examiner la pertinence du Programme, son fonctionnement et ses répercussions sur les libertés et les droits fondamentaux, et s’assurer que le cadre juridique actuel est adéquat.
6.3 Création de la Liste des personnes désignées
Selon l’information affichée sur le site Web de Transports Canada, une personne sera ajoutée à la Liste des personnes désignées (LPD)
« si les actions de cette personne portent à croire qu’elle pourrait représenter une menace immédiate pour la sûreté aérienne s’il lui était permis de monter à bord d’un aéronef. Cette disposition vise, entre autres :
- toute personne qui est ou a été impliquée dans les activités d’un groupe terroriste, et qui soulève des doutes raisonnables quant au danger qu’elle présente pour la sûreté d’un aéronef ou d’un aérodrome, du public, des passagers ou des membres de l’équipage;
- toute personne qui a été déclarée coupable d’un ou de plusieurs crimes graves contre la sûreté aérienne ayant mis des vies en danger;
- toute personne qui a été déclarée coupable d’une ou de plusieurs infractions graves ayant mis des vies en danger et qui pourrait porter atteinte à un transporteur aérien, à des passagers ou à des membres de l’équipage »Note de bas de page 8
Ces trois critères guideront le Groupe consultatif, présidé par Transports Canada, pour déterminer si une personne présente « une menace immédiate pour la sûreté aérienne ». Le deuxième critère est le plus clair, puisqu’il s’agit d’une question de fait. Les premier et troisième critères sont moins évidents, parce qu’ils font appel au jugement. Ils semblent aussi comprendre une évaluation en deux parties, mais ils sont difficiles à interpréter. Par exemple, « toute personne qui est ou a été impliquée dans les activités d’un groupe terroriste » devrait-elle être automatiquement considérée comme une menace pour un aéronef? Faut-il interpréter ces lignes directrices de manière différente et n’ajouter une personne à la liste que si elle a été trouvée coupable d’une infraction grave, notamment contre la sûreté aérienne, ou impliquée dans un groupe terroriste? En ce qui a trait au premier critère, que signifie être ou avoir été « impliqué dans un groupe terroriste »? Cet élément semble relever du jugement plutôt que de l’observation d’un fait.
Il n’est pas non plus évident que ces trois critères seront les seuls utilisés. L’emploi du terme « entre autres » semble indiquer que le Ministère pourrait en utiliser d’autres pour ajouter une personne à la LPD. Dans son témoignage devant cette commission d’enquête, M. Brandt, Directeur de la politique de sécurité à Transports Canada, a laissé entendre que le ministre pourrait prendre en considération d’autres facteurs qui ne se limitent pas aux lignes directrices.
« Le pouvoir conféré par la loi au ministre d’interdire à une personne de monter à bord d’un aéronef est très étendu. Ainsi, la justification légale se trouve dans la conception même du Programme. Les lignes directrices indiquent les facteurs qui pourraient être pris en considération, sans toutefois entraver le pouvoir discrétionnaire du ministre »Note de bas de page 9.
Le CPVP peut comprendre qu’il serait difficile d’élaborer des règlements stricts et rapidement applicables et de les intégrer dans la LPD, mais les critères énumérés laissent une grande marge de manœuvre. Le fait que ces critères soient des lignes directrices et non des règlements augmente leur nature discrétionnaire.
La clarté des critères importe pour deux raisons :
- ce sont les seuls renseignements qu’une personne peut utiliser pour tenter de savoir si elle est sur la LPD;
- il sera plus difficile pour une personne de contester son inclusion dans la LPD en se basant sur des critères aussi vastes.
Des critères mieux définis et plus précis établis sous forme de règlements constitueraient une amélioration.
6.4 Rôle de la GRC et du SCRS
Le ministre des Transports prend la décision d’ajouter une personne sur la LPD en se basant sur les conseils d’un groupe consultatif. Ce groupe, lui-même conseillé par le ministère de la Justice, comprend un cadre supérieur du SCRS, un cadre de la GRC, ainsi que des fonctionnaires de Transports Canada et des représentants de tout ministère ou organisme gouvernemental canadien concerné, s’il y a lieu.
La GRC et le SCRS jouent un double rôle dans la création de la LPD : ils recueillent et transmettent l’information sur des candidats potentiels à la LPD, et, en tant que membres du Groupe consultatif, ils donnent leur avis sur la pertinence d’ajouter des personnes à la liste, en se basant principalement sur les renseignements qu’ils ont fournis. Compte tenu de l’importance de la LPD et des répercussions potentielles que pourrait avoir sur une personne l’utilisation de renseignements incomplets ou inexacts, dont certains proviendront de sources étrangères, la décision d’ajouter une personne à la liste devrait être fondée sur une évaluation rigoureuse de l’information transmise par la GRC et le SCRS. Cependant, comme des représentants de ces deux organismes font partie du Groupe consultatif, il faut se demander si cela se produira.
Le CPVP est aussi préoccupé par le fait que la GRC et le SCRS pourront, à leur tour, se servir de l’information obtenue dans le cadre du PPP à des fins non liées à la sûreté aérienne. L’article 4.82 de la Loi sur l’aéronautique donne à Transports Canada le pouvoir de communiquer l’information reçue par des transporteurs aériens à la GRC et au SCRS après un rapprochement effectué pour la LPD.
Le CPVP suppose que, lorsqu’une directive urgente sera transmise, Transports Canada communiquera avec le Centre national des opérations de la GRC et peut-être le SCRS. Le Ministère pourra aussi donner à la GRC et au SCRS des renseignements supplémentaires obtenus des transporteurs aériens, beaucoup plus élaborés que ce qu’il faut pour confirmer l’identité d’une personne; par exemple, il pourra les informer qu’une personne a essayé de monter à bord d’un avion pour se rendre vers une certaine destination ou qu’elle voyage avec une autre personne. Transports Canada peut obtenir cette information des systèmes de réservation des lignes aériennes, en vertu des pouvoirs conférés par la Loi sur l’aéronautique.
Il semble que rien ne pourrait empêcher la GRC ou le SCRS d’utiliser ces renseignements pour des fins non liées à la sûreté aérienne, à condition bien entendu que ces fins fassent partie de leur mandat. Par conséquent, l’information reçue par l’intermédiaire du PPP permettrait à des responsables de l’application de la loi de cibler des personnes, leur famille et leurs connaissances afin de les faire surveiller pour des raisons autres que la sûreté aérienne. Par exemple, après qu’une personne se soit vu interdire l’accès à un aéronef, la GRC et, peut-être, le SCRS sauront que cette personne, perçue comme une menace pour la sûreté aérienne et, peut-être, pour la sécurité nationale, était dans un certain aéroport à un moment donné.
De plus, le CPVP s’inquiète des graves conséquences que pourrait avoir pour les personnes concernées la divulgation de l’information du PPP à des organismes d’application de la loi d’autres pays (voir ci-dessous).
6.5 Utilisation d’autres listes de personnes interdites de vol
Au Canada et ailleurs, les entreprises de transport aérien peuvent accéder aux listes de personnes interdites de vol d’autres pays. Nous croyons savoir, par exemple, qu’un transporteur aérien canadien qui se dirige vers une destination américaine est censé, s’il n’y est pas tout simplement obligé, vérifier les passagers à partir d’une liste de personnes interdites de vol américaine.
Cependant, il ne semble pas exister de mesure pour empêcher un transporteur canadien d’utiliser une liste de personnes interdites de vol américaine pour des vols vers d’autres destinations. Transports Canada a informé le CPVP que la loi ne lui donnait pas le pouvoir d’interdire à un transporteur canadien de se servir d’une telle liste.
L’utilisation d’autres listes est préoccupante pour les raisons suivantes :
- Le PPP établit des procédures que les personnes peuvent suivre si leur nom est sur la LPD. Comme il a été expliqué précédemment, ces procédures ne sont pas idéales. Cependant, si les transporteurs utilisaient d’autres listes, il n’y aurait probablement aucune procédure d’« appel » à leur disposition.
- L’utilisation d’autres listes peut créer de la confusion parmi les voyageurs et nuire davantage à la compréhension de leurs droits.
- Plus fondamentalement, le fait qu’un transporteur canadien se base sur des renseignements fournis par un gouvernement étranger pour interdire à une personne de voyager par avion à l’intérieur du Canada est troublant en soi.
La manière la plus simple de résoudre ce problème serait que Transports Canada utilise son autorité en matière de permis, ou tout autre moyen à sa disposition, afin de défendre aux transporteurs canadiens d’utiliser d’autres listes de personnes interdites de vol, avec la possibilité d’une exception pour les vols à destination d’un pays qui fournit sa propre liste. Une autre approche serait de définir clairement les motifs pour lesquels une personne peut se voir refuser le droit de monter à bord d’un aéronef. En plus de la directive d’urgence délivrée dans le cadre du PPP, les transporteurs peuvent apparemment interdire à une personne en état d’ébriété ou sous l’effet de la drogue, ou qui a des antécédents de comportements violents de monter à bordNote de bas de page 10.
6.6 Partage de la Liste des personnes désignées et d’autres renseignements personnels avec les gouvernements étrangers
L’article 9 du Règlement sur le contrôle de l’identité traite de la question de la confidentialité de la LPD :
« Il est interdit de communiquer tout renseignement fourni au transporteur aérien par le ministre, pour l’application du présent règlement, sur une personne qu’il a désignée [?], notamment ses nom, date de naissance et sexe, et le fait que celle-ci était désignée.
Le transporteur aérien veille à ce que l'accès aux renseignements sur la personne désignée soit réservé à ses employés, agents ou entrepreneurs qui en ont besoin pour s’acquitter de leurs fonctions »Note de bas de page 11.
Cela semble indiquer que les transporteurs aériens doivent préserver la confidentialité de l’information de la LPD. Cependant, la façon dont Transports Canada surveillera ou empêchera la divulgation possible de la LPD n’est pas claire.
D’abord, il n’est pas évident que, le cas échéant, Transports Canada saurait nécessairement que la LPD a été transmise à un gouvernement étranger. Deuxièmement, dans le cas des transporteurs étrangers, il semble y avoir une possibilité réelle que, face à une ordonnance d’un tribunal ou à un autre instrument juridique provenant d’un tribunal étranger, ceux-ci soient obligés de fournir la LPD, en dépit de la disposition sur la confidentialité.
La Commission d’enquête a traité de cette question précisément le 5 juin 2007. En réponse à une question de Raj Anand sur la divulgation de la LPD par un transporteur étranger à son gouvernement national, M. Brandt, de Transports Canada, a déclaré :
« Si leur gouvernement national exigeait que les transporteurs leur transmettent cette information, ce serait à eux de décider ce qu’ils veulent faire. Nous reconnaissons que la possibilité existe »Note de bas de page 12.
Les témoins de Transports Canada ont aussi indiqué que le Ministère n’avait pas inclus la disposition sur la confidentialité dans les conditions d’obtention d’un permis, en interdisant à un transporteur qui communiquerait cette information à son gouvernement national d’exploiter son entreprise au Canada. Autrement dit, Transports Canada ne semble pas avoir de méthode efficace pour veiller à l’application de la disposition sur la confidentialité.
La disposition sur la confidentialité ne traite pas du partage de la LPD avec un gouvernement étranger par Transports Canada. Transports Canada n’a pas écarté l’éventualité de partager la LPD avec d’autres gouvernements, comme l’indiquent les commentaires suivants de M. Brandt :
« Comme je l’ai mentionné, aucun gouvernement étranger ne nous a demandé de lui transmettre la Liste des personnes désignées, mais cela pourrait se produire.
Il ne s’agit que de spéculations pour le moment, mais, le cas échéant, il faudrait y réfléchir sérieusement et examiner la raison de la demande. Toute personne qui voudrait recevoir cette information devrait expliquer pourquoi elle a en besoin.
[?]Nous n’avons pas l’intention de partager la liste avec d’autres gouvernements. Si un gouvernement étranger nous la demandait, nous devrions examiner la situation »Note de bas de page 13.
Le partage de la LPD avec des gouvernements étrangers est préoccupant pour plusieurs raisons. D’abord, la LPD est fondée sur des soupçons. Les personnes dont les noms figurent sur la LPD n’ont pas nécessairement commis de crime. Il existe un risque important qu’un gouvernement étranger interprète mal la signification de la présence des noms sur la liste et prenne des mesures contre ces personnes. Ensuite, la LPD n’est pas statique; elle sera mise à jour ou révisée tous les 30 jours. Des noms pourront être retirés de la liste en fonction de nouveaux renseignements ou à la suite d’une révision. Cela est un des aspects positifs du Programme, mais fait en sorte qu’un gouvernement étranger pourrait utiliser une liste obsolète et prendre des mesures en fonction de renseignements inexacts. Enfin, il existe au Canada des procédures pour permettre à une personne de contester l’inclusion de son nom dans la liste, mais ces procédures n’existeront pas dans les autres États.
Comme nous l’expliquons en détail ci-après, les gouvernements étrangers sauront que le nom d’une personne figure sur la LPD si cette personne se voit refuser le droit de monter à bord d’un aéronef et est obligée de demander de l’aide de son gouvernement.
6.7 Conséquences pour les personnes interdites de vol à l’aéroport
Lorsque les responsables de Transports Canada se sont assurés que la personne qui tente de voyager à bord d’un aéronef se trouve bien sur la Liste des personnes désignées (LPD), le ministre des Transports peut émettre une directive d’urgence en vertu des articles 4.76 et 4.77 de la Loi sur l’aéronautique, interdisant à cette personne de monter à bord. Comme pour la décision d’ajouter un nom à la LPD, c’est au ministre ou à son représentant qu’il revient de décider d’émettre une directive d’urgence, sans qu’aucun examen ne soit fait par un tiers indépendant.
En vertu de l’article 4.771, la directive d’urgence cesse d’être exécutoire après 72 heures. On peut évidemment se demander ce qu’il adviendrait si la même personne essayait de prendre un autre vol une fois le délai de 72 heures expiré. Le ministre émettrait-il une autre directive d’urgence ou la personne serait-elle autorisée à monter à bord? Si la première éventualité prévalait, la directive d’urgence de 72 heures deviendrait, tout compte fait, une interdiction permanente, à moins que la personne arrive à convaincre le Ministère que son nom doit être rayé de la liste. Si cette personne était autorisée à monter à bord, on pourrait se demander pourquoi cela lui avait été interdit 72 heures auparavant. Transports Canada ne traite pas de cette question dans les informations fournies sur son site WebNote de bas de page 14.
Nous avons fait part de nos inquiétudes à Transports Canada sur la façon dont les agents des douanes et des lignes aériennes doivent procéder avec les personnes à qui on a refusé de monter à bord d’un aéronef. Si un passager ne reçoit pas immédiatement sa carte d’embarquement et est amené à l’écart pour être questionné ou pour qu’on vérifie si son nom figure sur la LPD, les autres passagers peuvent le remarquer. D’autres passagers peuvent aussi faire des suppositions à son égard, pouvant être aggravées si cette personne fait partie d’une minorité visible.
Transports Canada n’a pas traité de façon adéquate les conséquences d’une interdiction de monter à bord. Il semble que les personnes à qui on a refusé de monter à bord d’un aéronef ou qui manquent un vol doivent faire une demande de compensation à la compagnie aérienne.
Les conséquences d’une interdiction de monter à bord d’un aéronef sont bien plus importantes dans le cas des vols internationaux, par exemple, lorsque cette interdiction touche une personne qui part du Canada pour se rendre dans un pays étranger ou, à l’inverse, qui part d’un pays étranger pour venir au Canada.
Le résident d’un pays étranger à qui on interdit de prendre un vol au Canada alors qu’il essaye de retourner dans son pays se trouve devant une impasse. Il ne peut pas rester au Canada, mais ne peut pas toujours rentrer chez lui par un autre moyen. Dans ce cas, cette personne peut devoir communiquer avec le représentant de son pays au Canada. Afin d’expliquer sa situation, elle devra certainement informer celui-ci qu’elle figure sur la LPD du Canada, ce qui pourrait susciter un examen additionnel de sa situation par son pays. De la même façon, les personnes à qui on refuse de monter à bord d’un aéronef dans un pays étranger deviennent vulnérables et courent le risque d’être détenues.
Fait encore plus troublant, les services de police locaux, au Canada et à l’étranger, peuvent être informés lorsqu’une personne se voit refuser le droit de monter à bord d’un aéronef. Selon Transports Canada, la GRC est immédiatement prévenue lorsqu’une directive d’urgence est émise. La GRC prévient les services de police locaux qui peuvent « prendre les mesures nécessaires » Note de bas de page 15. En plus de prévenir les services de police locaux, la GRC fournit le nom de la personne désignée, son sexe, sa date de naissance et mentionne qu’on se trouve peut-être dans une situation d’atteinte à l’ordre public.
Dans le cas d’un vol international à destination du Canada, la GRC au Canada informe la Direction internationale de la liaison de la GRC, dans le pays de départ, qu’une interdiction de monter à bord d’un aéronef a été donnée à une personne et un agent de liaison en informe ensuite la police locale. Nous nous inquiétons du fait que la divulgation de cette information à des organismes d’application de la loi d’autres pays peut avoir des conséquences très sérieuses pour la personne concernée.
À tout le moins, cette façon de procéder permet d’informer la police locale sur le pays ou la ville où se trouve la personne concernée. Chose plus grave, cette information facilite le travail de la police locale en l’aidant à surveiller les déplacements de la personne et peut avoir des conséquences plus graves comme la détention ou la déportation.
6.8 Recours : le processus de réexamen
Les personnes dont l’accès à bord d’un aéronef a été refusé peuvent faire une demande au Bureau de réexamen (BR) pour que leur inscription sur la LPD soit réexaminée. Elles peuvent revendiquer qu’elles sont victimes d’une erreur d’identité, c’est à dire, qu’il ne s’agit pas du « Jean Dupuis » qui intéresse les services de police, ou encore peuvent faire valoir qu’elles ne présentent pas une menace immédiate pour la sûreté aérienne.
Pour faire une demande de réexamen, la personne intéressée doit soumettre une demande écrite au BR en en précisant les motifs. Celle-ci doit être accompagnée de copies authentifiées de pièces d’identité émises par un gouvernement et être validée par un représentant officiel autorisé à faire prêter serment ou à recevoir une déclaration solennelle, par exemple un avocat ou un notaire.
Le BR évalue la demande et recommande, en se fondant sur le rapport d’un conseiller indépendant, que le ministre des Transports confirme la décision originale ou réévalue le dossier. Selon les informations affichées sur le site WebNote de bas de page 16 de Transports Canada et dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagne le Règlement sur le contrôle de l’identité, les personnes qui souhaitent contester la décision de garder leur nom sur la LPD peuvent demander une révision judiciaire à la Cour fédérale.
Ce processus pose plusieurs problèmes :
- premièrement, il n’est utile qu’aux personnes qui savent que leur nom se trouve sur la LPD;
- comme nous l’avons indiqué ci-dessus, les critères utilisés pour ajouter des noms à la LPD ne sont pas clairs, ce qui rend difficile la tâche des personnes qui veulent contester leur inclusion dans la liste;
- bien que la demande soit examinée par un conseiller indépendant, c’est au ministre ou à son représentant que revient la décision finale – la même personne qui a décidé initialement d’ajouter le nom à la liste et la même personne qui a le pouvoir d’émettre une directive d’urgence pour refuser l’accès à bord d’un aéronef;
- il n’existe aucune indication que les personnes auront accès à l’information utilisée pour justifier leur inclusion dans la LPD;
- ce processus de réexamen et, surtout, le droit de demander une révision judiciaire ne sont pas inclus dans le Règlement sur le contrôle de l’identité ou la Loi sur l’aéronautique.
Le processus de réexamen pourrait mieux fonctionner si les personnes dont le nom figure sur la liste le savaient à l’avance. Cela permettrait de clarifier les erreurs d’identification avant leur vol et donnerait la chance à ces personnes de chercher un autre moyen de transport. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui accompagne le Règlement sur le contrôle de l’identité établit les trois entraves suivantes à la notification à l’avance :
- il serait difficile de trouver et d’informer les personnes qui ne vivent pas au Canada;
- dans les cas où l’information sur les antécédents est classée, ou lorsqu’il y a un mandat, il serait impossible d’avertir la personne concernée;
- la Loi sur la protection des renseignements personnels limite aussi l’information qui pourrait être communiquée, y compris celle qui a été reçue d’autres organismes.
Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation explique aussi que « la publication des lignes directrices à appliquer permettra au public de bien comprendre les raisons invoquées pour mettre une personne sur la liste ».
Ces entraves à la notification à l’avance ne sont pas convaincantes : la première suppose que Transports Canada prendrait l’initiative d’informer les personnes. Cette raison de ne pas informer serait moins justifiée si les personnes concernées pouvaient demander elles-mêmes une enquête. Les deuxième et troisième raisons semblent renvoyer davantage à l’information qui pourrait être communiquée au sujet des motifs sous-jacents à l’inclusion des personnes à la LPD, qu’au fait que leur nom figure sur la liste. De plus, comme nous l’avons mentionné précédemment, le CPVP remet en question l’argument que les lignes directrices permettraient à une personne de savoir si son nom figure sur la liste et, le cas échéant, la raison pour laquelle il y est.
La question d’informer les personnes à l’avance et certaines des raisons données par Transports Canada pour expliquer pourquoi cela n’est pas possible, soulèvent les mêmes inquiétudes que d’autres mesures de sécurité publique et de lutte contre le terrorisme, celles de donner, aux personnes soupçonnées de méfaits ou considérées comme une menace, la possibilité d’obtenir l’accès aux preuves détenues par l’État qui les incriminent. Il faudrait s’attaquer au problème entier.
Permettre aux personnes concernées de savoir à l’avance que leur nom est sur la LPD pourrait être utile dans certaines circonstances, mais cela ne suffirait pas pour assurer un processus d’arbitrage efficace, indépendant et conforme à la loi.
6.9 Surveillance et examen
Le CPVP a le pouvoir, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de vérifier n’importe quel programme gouvernemental. Le PPP est en haut de sa liste de candidats. Le Commissariat a aussi le pouvoir d’enquêter sur toute plainte qu’il pourrait recevoir au sujet du PPP. Cependant, il est d’avis qu’il faut un organisme spécialisé et indépendant pour traiter des programmes de sécurité publique et nationale. La surveillance des programmes dans ce secteur est une tâche exigeante et, à en juger par notre expérience, il faudrait faire appel à une expertise particulière.
Dans son Rapport sur l’examen des politiques, Un nouveau mécanisme d’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale, un des documents publiés par la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, le juge O’Connor a recommandé que le mandat du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) soit étendu à l’examen indépendant des activités de sécurité nationale de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), de Transports Canada, du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI). Le CSRS conserverait son rôle actuel d’examiner les activités du SCARS. Il a aussi recommandé la création d’un nouvel organisme, la Commission indépendante d’examen des plaintes contre la GRC et des activités en matière de sécurité nationale (CIEP), qui serait chargée d’examiner les activités de la GRC et de l’ASFC.
Le juge O’Connor justifie cette recommandation en faisant état du « degré d’intégration des activités relatives à la sécurité nationale de chaque organisation avec celles d’autres acteurs fédéraux assujettis à un examen indépendant, notamment la GRC ». Il affirme également qu’« à moins qu’un organisme d’examen indépendant ait la capacité de tirer des conclusions et de formuler des recommandations à l’égard des cinq organisations, il y aura sûrement des lacunes au plan de la reddition de comptes »Note de bas de page 17.
En ce qui a trait à Transports Canada, le juge O’Connor fait remarquer que son travail dans ce secteur se fait « la plupart du temps à l’insu du public ». Il explique ensuite ce qui suit :
Les activités de Transports Canada peuvent avoir d’importantes répercussions sur les droits, la dignité et le bien-être des personnes, en particulier quand le ministère délivre des attestations de sécurité, ou quand il créera la liste de personnes interdites de vol et le programme d’examen du risque proposés. Le ministère a bien indiqué qu’il établirait des mécanismes de révision internes, mais aucune des activités décrites ne fait actuellement l’objet d’un examen indépendantNote de bas de page 18.
Comme le juge O’Connor l’indique dans son rapport, les activités de sécurité nationale de CIC, de Transports Canada, du CANAFE, du MAECI, de l’ASFC, de la GRC, du SCRS et du CST sont interreliées. Ces organismes partagent les renseignements personnels entre eux et prennent des mesures fondées sur ceux-ci, mesures qui peuvent avoir d’importantes répercussions sur les personnes concernées.
D’autres organismes ont aussi réclamé une plus grande surveillance. Dans son rapport, Justice fondamentale dans des temps exceptionnels, sur la Loi antiterroriste, un Comité spécial du Sénat a recommandé une supervision plus efficace de la GRC et la création d’un Comité permanent du Sénat, doté de ressources financières et humaines, pour surveiller et examiner de façon continue les questions relatives à la loi antiterroriste et au cadre de travail de la sécurité nationale, et en rendre compte périodiquementNote de bas de page 19.
Jusqu’à ce jour, le gouvernement n’a pas réagi officiellement à ces recommandations, même si, dans sa réponse de juillet 2007 au Sous-comité de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi antiterroriste, il a indiqué qu’il élaborerait une procédure d’examen des activités de sécurité nationale, conformément aux recommandations du juge O’Connor, et qu’il envisage d’accroître la surveillance du ParlementNote de bas de page 20.
L’adoption de la Loi antiterroriste et de la Loi sur la sécurité publique, ainsi que la mise en œuvre de programmes comme le PPP ont créé un nouveau paysage pour la sécurité nationale, caractérisé par des pouvoirs de surveillance accrus pour les organismes chargés de l’application de la loi et de la sécurité nationale, un affaiblissement des contraintes qui limitent l’utilisation de ces pouvoirs et un partage accru des renseignements personnels au Canada et avec des pays étrangers. Il nous faut des organismes de surveillance et d’examen qui ont le pouvoir et l’expertise nécessaires pour assurer la reddition de comptes et accroître la transparence. Le CPVP conseille vivement au gouvernement de suivre les recommandations qui ont été faites à ce sujet.
6.10 Loi sur la protection des renseignements personnels et Programme de protection des passagers
Dans sa résolution sur le PPP, le CPVP note que [traduction] « la Loi sur la protection des renseignements personnels a besoin d’être réformée et n’offre pas de protection adéquate ni de recours pour faire face aux risques créés par ce type d’initiatives ».
Dans son mémoire présenté au gouvernement en juin 2006, intitulé Responsabilité du gouvernement en matière de renseignements personnels : Réforme de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le CPVP a défini un certain nombre de mesures pour mettre la Loi à jour et formulé plusieurs recommandations pour la réformer Note de bas de page 21. Bon nombre de ses recommandations concernent le PPP. Cependant, les suivantes ne s’appliquent pas seulement à ce programme, mais à toutes les mesures de sécurité publique et nationale.
1. Partage des renseignements personnels avec des gouvernements étrangers
L’alinéa 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels autorise la communication de renseignements personnels en vertu d’une entente ou d’un accord entre le gouvernement du Canada et celui d’un État étranger.
Cette disposition prévoit seulement deux obligations à l’institution qui communique les renseignements : premièrement, la communication doit être conforme « à l’accord ou à l’entente »; deuxièmement, elle doit être faite « en vue de l’application des lois ou pour la tenue d’enquêtes licites ». La Loi n’exige pas de l’institution qu’elle sache précisément à quoi servira l’information, si ce n’est qu’elle devra servir à administrer la loi. Il n’y a pas non plus d’autre prescription à l’intention de l’institution pour l’obliger à s’assurer que la confidentialité des renseignements personnels sera préservée par l’État étranger.
Le Secrétariat du Conseil du Trésor a publié des lignes directricesNote de bas de page 22 qui expliquent aux institutions gouvernementales qui communiquent des renseignements personnels ce qu’elles doivent faire pour respecter leurs obligations en vertu de l’alinéa 8(2)f). Ces lignes directrices devraient avoir force de loi et donc être intégrées au texte même de la Loiou faire l’objet d’un règlement. De plus, il faudrait modifier l’alinéa 8(2)f) pour limiter la communication des renseignements personnels aux fins d’administration ou d’application d’une loi ayant un lien raisonnable et direct avec le motif pour lequel ils ont été recueillis.
2. Révision judiciaire accrue
Le CPVP peut recevoir des plaintes concernant la gamme complète de droits et de protections prévus par la Loi sur la protection des renseignements personnels, y compris des plaintes sur la collecte, l’utilisation ou la communication inappropriée de renseignements, la conservation de données obsolètes ou inexactes, la conservation ou l’élimination inappropriée de renseignements, et le refus de donner accès à l’information ou de la corriger. À la suite d’une enquête, le CPVP peut formuler des recommandations à l’intention de l’institution gouvernementale concernée et lui demander de l’informer sur les mesures qu’elle entend prendre pour corriger les lacunes révélées par l’enquête.
Néanmoins, si une institution n’accepte pas les recommandations du CPVP ou si sa réponse n’est pas satisfaisante, ce dernier ne peut s’adresser à la Cour fédérale pour exiger de l’institution en question qu’elle corrige ses lacunes. La Loine prévoit qu’une révision judiciaire du refus d’une institution gouvernementale de donner accès à des renseignements personnels. Comme cela a été confirmé récemment dans une décision de la Cour fédérale, ni la Cour ni le CPVP n’ont le pouvoir d’accorder un recoursNote de bas de page 23.
Les plaignants, ou le commissaire agissant en leur nom, devraient pouvoir demander à la Cour d’examiner d’autres questions relatives à la collecte, à l’utilisation ou à la communication inappropriée ou illicite de renseignements personnels à la suite d’une enquête. De plus, la Cour devrait avoir le droit d’évaluer les dommages causés par les institutions responsables d’une infraction.
3. Cadre complet de reddition de comptes des organismes de sécurité nationale
Avec l’adoption de la Loi antiterroriste et de la Loi sur la sécurité publique, et la mise en œuvre de mesures comme le PPP et le Programme IPV/DP, l’État et les organismes de sécurité ont reçu de nouveaux pouvoirs de recueillir, d’utiliser et de communiquer des renseignements personnels et, dans certains cas, d’en refuser l’accès.
Cependant, la reddition de comptes n’a pas été accrue à l’avenant. Comme nous l’avons expliqué ailleurs dans le présent mémoire, il faudrait des organismes de surveillance et d’examen nouveaux et il faudrait que ceux-ci soient davantage efficaces. Les ministères et les organismes devraient aussi élaborer de meilleures méthodes et procédures internes pour protéger les renseignements personnels qu’ils détiennent et préserver le processus de reddition de comptes. Cela devrait comprendre l’établissement de cadres de gestion de la protection des renseignements personnels à l’interne, par la création d’une capacité de vérification interne de la protection des renseignements personnels et l’adoption d’une définition claire de la reddition de comptes et des responsabilités de la direction de l’institution à ce chapitre. Le gouvernement du Canada et le Parlement devraient envisager de modifier la Loi sur la protection des renseignements personnels pour mieux garantir la transparence, la reddition de comptes et la surveillance des ministères et des organismes chargés de la sécurité nationale, notamment des exigences plus strictes en ce qui concerne la présentation de rapports au Parlement. Comme nous l’avons indiqué dans notre mémoire sur la réforme de la Loi sur la protection des renseignements personnels :
[?] le principe de la proportionnalité devrait s’appliquer : si le gouvernement du Canada se dote de pouvoirs accrus pour recueillir, utiliser, communiquer, traiter, échanger et rassembler des renseignements personnels sur la population canadienne, il doit respecter des normes plus strictes en matière de reddition de comptes et d’obligation de rendre compte envers le Parlement.
7. Conclusion
Dans la foulée de l’attentat à la bombe contre le vol d’Air India et des attaques terroristes plus récentes du 11 septembre 2001, le Canada a créé plusieurs nouveaux programmes pour accroître la sûreté aérienne et apporté des changements aux programmes existants. Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, bon nombre de ces programmes supposent la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels, ou soulèvent des inquiétudes concernant la protection de la vie privée, par exemple en raison de la possibilité de fouilles manuelles indiscrètes.
Les programmes dont nous avons discuté dans le présent mémoire comprennent : ceux qui s’adressent aux voyageurs dignes de confiance comme CANPASS Air et NEXUS, permettant aux personnes vérifiées au préalable de franchir les douanes et l’immigration plus rapidement; le contrôle accru de certains travailleurs des aéroports et le recours aux données biométriques pour authentifier leur identité, et l’inspection préalable des passagers et de leurs bagages.
Deux autres programmes – l’information préalable sur les voyageurs et le dossier passager (IPV/DP) – suscitent des préoccupations encore plus importantes. Bien que la sûreté aérienne concerne le monde entier, nous trouvons important de signaler que, à notre connaissance, le Canada et les États-Unis sont les deux seuls pays qui ont jugé nécessaire la création de ces deux programmes.
Lorsque le programme IPV/DP a été proposé, le CPVP a exprimé plusieurs inquiétudes concernant la création d’une base de données étendues sur les voyages à l’étranger de Canadiennes et de Canadiens respectueux de la loi, qui pourraient être partagées à grande échelle et utilisées à d’innombrables fins gouvernementales et pour l’application de la loi. Certaines de ses inquiétudes ont donné lieu à la mise en œuvre de mesures, comme le raccourcissement de la période de conservation des données et la limitation des fins pour lesquelles l’information peut être utilisée. D’autres changements ont été apportés à la suite de pressions exercées par la Commission européenne. Quoi qu’il en soit, la collecte et la conservation d’une grande quantité de renseignements personnels sur tous les voyageurs des vols qui entrent au Canada est troublante en soi.
Le PPP (la « liste de personnes interdites de vol ») a été mis en œuvre en juin 2007. En vertu de ce programme, le ministre des Transports a le pouvoir d’émettre une directive d’urgence pour interdire à une personne dont le nom figure sur la LPD de monter à bord d’un aéronef parce qu’elle est considérée comme une menace immédiate pour la sûreté aérienne.
Nos préoccupations au sujet du PPP peuvent être regroupées en trois grandes catégories :
- Les fondements juridiques du PPP
Les fondements juridiques du PPP se trouvent dans un ensemble de dispositions de la Loi sur l’aéronautique qui y ont été ajoutées en raison de l’adoption de la Loi sur la sécurité publique en 2004. Cependant, pendant les deux ans et demi de discussions concernant la Loi sur la sécurité publique, la possibilité que ces dispositions soient utilisées pour adopter le programme d’interdiction de vol ne semble pas avoir fait l’objet d’un débat public. Par conséquent, ni le Parlement ni le public n’ont eu l’occasion de s’interroger sur les fondements juridiques du PPP ou de les remettre en question.
De plus, de nombreux détails du Programme, comme les critères utilisés pour ajouter une personne à la LPD et le processus de réexamen, ne sont pas prévus dans la loi habilitante ou même dans le Règlement sur le contrôle de l’identité. Cela signifie, par exemple, que ces détails peuvent être changés sans avis, sans examen du Parlement ou sans consultation publique.
- Conception et justification du Programme
La justification du Programme n’est pas claire, de sorte qu’il est difficile pour le Commissariat d’en évaluer la nécessité ou l’efficacité éventuelle. Nous comprenons tout à fait le désir du gouvernement de rehausser la sûreté aérienne, mais nous ne voyons pas comment le fait d’obliger les voyageurs à s’identifier suffira à dissuader ceux qui sont déterminés à nuire à leurs compagnons de vol.
De façon plus générale, l’insistance grandissante que l’on met sur le contrôle de l’identité ouvre la porte à une intensification des activités de surveillance, tandis que se multiplient les organismes chargés de recueillir des renseignements personnels sur les voyageurs et leurs déplacements. Un accroissement des activités de contrôle de l’identité peut aussi encourager l’essor de méthodes d’authentification plus indiscrètes ou favoriser les pressions pour une méthode d’identification universelle comme une carte d’identité nationale.
La création de la LPD, une liste des personnes interdites de vol, et les critères utilisés pour identifier les personnes qui représentent une menace immédiate à la sûreté aérienne soulèvent chez nous des questions, de même que le rôle de la GRC et du SCRS dans la création de cette liste.
Le processus de réexamen ne fait pas partie intégrante du Programme et n’en est pas non plus indépendant. La décision finale revient au ministre, celui-là même qui a décidé au départ d’ajouter le nom à la liste.
- Fonctionnement du Programme
Les conséquences pour les voyageurs à qui on interdit de monter à bord d’un aéronef peuvent être très graves, surtout dans le cas de vols en provenance ou à destination du Canada. Les personnes en cause peuvent être obligées de révéler à d’autres le fait que leur nom figure sur la liste. Ces conséquences peuvent encore s’alourdir si la GRC informe la police locale du fait qu’une personne n’a pas eu le droit de monter à bord.
Transports Canada n’a pas écarté la possibilité de partager la LPD avec d’autres États, mais, même s’il décide de ne pas le faire, les gouvernements et les organismes d’application de la loi étrangers peuvent obtenir la liste ou découvrir, par d’autres moyens, si certaines personnes y figurent. Le fait de figurer sur cette liste constitue donc un risque important pour les résidants de ces pays ou même pour les gens qui se rendent dans ces pays. Un gouvernement étranger peut très bien décider de placer ces personnes sous surveillance, de les détenir ou pire encore.
L’impossibilité dans laquelle Transports Canada se trouve ou son refus d’empêcher les compagnies aériennes d’utiliser les listes de personnes interdites de vol d’autres pays peut entraîner une confusion chez les voyageurs et limiter la compréhension de leurs droits, d’autant plus que le processus de réexamen qui accompagne la LPD peut ne pas exister dans le cas d’autres listes.
Ces préoccupations ont incité le CPVP et ses homologues provinciaux et territoriaux à formuler une résolution conjointe où ils demandent instamment au gouvernement du Canada de suspendre l’application du Programme jusqu’à ce qu’un comité parlementaire ait pu en examiner la justification et en évaluer l’efficacité éventuelle, étudier l’utilisation des listes de personnes interdites de vol par d’autres pays, vérifier l’incidence de ce programme sur les droits et libertés fondamentaux, et contrôler le cadre juridique sur lequel le Programme repose.
Comme il semble maintenant que le gouvernement ne donnera pas suite à cette recommandationNote de bas de page 24, il est encore plus important que celui-ci crée un processus d’arbitrage accessible et indépendant qui donnera clairement aux personnes concernées le droit de contester légalement la décision d’inscrire leur nom sur la liste. Le droit de ces personnes d’en appeler à un arbitre ou à un tribunal indépendant devrait être reconnu dans la loi; ces personnes devraient pouvoir contester l’information utilisée pour justifier leur inscription sur la liste et avoir un recours et même obtenir une indemnisation le cas échéant. Le gouvernement devrait en outre, et c’est tout aussi important, confier à un organisme nouveau ou existant de surveillance et d’examen l’obligation de vérifier régulièrement le fonctionnement du Programme et d’en rendre compte.
Les Canadiennes et les Canadiens attendent de leur gouvernement que celui-ci prenne des mesures pour les protéger, mais ils s’attendent tout autant à ce que ces mesures s’inscrivent dans le respect de leurs droits, y compris leur droit à la protection de la vie privée, et se conforment à la règle de droit. Lorsqu’elle évaluera la pertinence des mesures actuellement adoptées pour mieux protéger la sûreté aérienne et avant de recommander des mesures nouvelles, le CPVP prie la Commission d’enquête de prendre en considération la nécessité pour le Canada de se doter de recours judiciaires, de mécanismes de protection exécutoires et de systèmes efficaces de surveillance qui garantissent la protection des droits des Canadiennes et des Canadiens.
Supports de substitution
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