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L’Agence des services frontaliers du Canada communique une quantité démesurée de renseignements personnels à la Commissaire à l’information relativement à une demande d’accès en vertu de la Loi sur l’accès à l’information

Plainte déposée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels

Le 2 décembre 2022


Description

Une personne s’est plainte que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait présenté trop de renseignements à la Commissaire à l’information (CI) pour répondre à sa demande d’accès à l’information qui a finalement été rejetée et qui visait à permettre à l’ASFC de refuser de répondre aux demandes d’accès à l’information de la personne plaignante en vertu des dispositions ajoutées à la Loi sur l’accès à l’information (LAI) en 2019. Plus précisément, l’ASFC a communiqué non seulement des renseignements sur les demandes d’accès en question et les demandes d’accès antérieures de la personne plaignante, mais aussi des documents de nature délicate sur les relations de travail au sujet de la personne plaignante qui avaient été initialement recueillis ou générés par l’ASFC à des fins entièrement différentes.

Points à retenir

  • Pour que les renseignements personnels soient communiqués à titre d’« usage compatible » sur le fondement de l’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (Loi), la communication doit être destinée à un usage compatible avec l’objectif initial pour lequel ils ont été recueillis par l’institution fédérale.
  • Les renseignements personnels recueillis par l’unité de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) pour répondre à une demande d’accès à l’information ou de renseignements personnels ont généralement été recueillis ou créés par l’institution à des fins qui ne sont pas liées à l’accès à l’information. Par conséquent, ils ne devraient pas être communiqués au titre de l’alinéa 8(2)a) à l’appui d’une demande à la CI pour ne pas donner suite à une demande d’accès (même si, de l’avis de l’institution, cela pourrait être pertinent).
  • La question est tout autre lorsque les renseignements personnels sont initialement recueillis par l’institution dans le but de répondre aux demandes d’accès d’une personne, comme la nature et la fréquence de leurs demandes et leurs interactions avec l’unité de l’AIPRP. Ce type de renseignements personnels peut généralement être communiqué à la CI au titre de l’alinéa 8(2)a) afin de déterminer s’il faut donner suite à ces demandes, et comment y donner suite, car cela constituerait généralement un usage compatible avec l’objectif initial de la collecte par l’institution.

Rapport de conclusions

Aperçu

  1. La personne plaignante, anciennement employée par l’ASFC, a affirmé que l’ASFC a contrevenu aux dispositions de la Loi qui portent sur la communication en incluant ses renseignements personnels dans une demande que l’ASFC a présentée à la CI pour obtenir l’autorisation de ne pas donner suite à 2 demandes d’accès à l’information. Concrètement, l’ASFC a annexé 7 éléments à l’appui de sa lettre de 5 pages, y compris des renseignements concernant (i) les 2 demandes en cause, (ii) d’autres demandes d’AIPRP soumises par la personne plaignante et (iii) le rapport d’un examen des événements en milieu de travail (rapport d’examen) mettant en cause la personne plaignante.
  2. L’ASFC a soutenu que la communication était autorisée conformément à l’alinéa 8(2)a) de la Loi, car une grande partie des renseignements personnels avaient été initialement recueillis par l’ASFC dans le contexte d’un conflit de travail. Elle a ajouté que la communication « s’est faite dans le contexte où l’ASFC demandait l’autorisation de la CI pour exercer un pouvoir en vertu de la LAI, à la suite de demandes d’AIPRP présentées par [la personne plaignante] pour obtenir ses renseignements personnels relativement au conflit.
  3. Compte tenu des faits susmentionnés, nous pensons qu’il existe un lien direct entre l’objet de la collecte et l’utilisation des renseignements personnels dans le contexte de l’article 6.1 de la LAI, de sorte que [la personne plaignante] aurait dû raisonnablement s’attendre à ce que ses renseignements personnels puissent être utilisés de la manière proposée. » [Traduction]
  4. La question est donc de savoir si l’ASFC s’est conformée à l’article 8 de la Loi, en l’occurrence l’alinéa 8(2)a), qui permet la communication de renseignements sans le consentement de la personne « aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l’institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins ». Selon la jurisprudence et les lignes directrices du Secrétariat du Conseil du Trésor, les « usages compatibles » doivent avoir un lien suffisamment direct avec l’objectif initial pour lequel les renseignements ont été recueillis, de sorte qu’une personne puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient utilisés de cette manièreNote de bas de page 1.
  5. Après examen des faits, nous avons conclu que la communication à la CI des renseignements recueillis par l’ASFC dans le cadre de l’administration de la LAI était un usage compatible. Cependant, nous avons conclu que la communication du rapport d’examen n’était pas un usage compatible et contrevenait donc à la Loi. Nous avons donc recommandé que l’ASFC élabore des lignes directrices pour évaluer le bien-fondé d’un « usage ou d’une communication compatible » à d’autres institutions gouvernementales.
  6. Après avoir examiné un rapport préliminaire sur la question, l’ASFC nous a fait part de son désaccord avec notre conclusion et n’a pas voulu s’engager à mettre en œuvre notre recommandation. Par conséquent, nous considérons que la plainte est fondée et non résolue. À la lumière de cette position, nous craignons que des communications semblables en violation de la Loi puissent se produire à l’avenir et nous invitons l’ASFC à réexaminer sa position et à mettre en œuvre la recommandation.

Contexte

  1. La personne plaignante a été mise en cause dans des enquêtes et examens internes et externes de l’ASFC liés au harcèlement et à la violence au travail. L’ASFC a par la suite effectué un examen.
  2. Deux ans plus tard, la personne plaignante, qui était toujours employée par l’ASFC à l’époque, a présenté 2 demandes d’accès à l’information à l’ASFC. La personne responsable de la coordination de l’AIPRP à l’ASFC a envoyé une demande à la CI pour obtenir l’autorisation de ne pas donner suite à ces 2 demandes au titre du paragraphe 6.1(1) de la LAI. L’ASFC a annexé 7 éléments à l’appui de sa lettre de 5 pages, y compris : (i) les détails des 2 demandes en cause, (ii) les autres demandes d’AIPRP présentées par la personne plaignante et (iii) le rapport d’examen. Dans sa lettre à la CI, l’ASFC a déclaré qu’elle devait « protéger les employés de l’ASFC contre ce qu’elle croit être des demandes vexatoires continues » [Traduction] et qu’elle « croit qu’il existe d’autres motifs que l’accès à l’information qui motivent les demandes » [Traduction].
  3. Le paragraphe 6.1(1) de la LAI prévoit ce qui suit : « Avant de communiquer ou de refuser de communiquer le document, le responsable de l’institution fédérale peut, avec l’autorisation écrite du Commissaire à l’information, ne pas donner suite à la demande si, à son avis, la demande est vexatoire ou entachée de mauvaise foi, ou constitue autrement un abus du droit de faire une demande de communication. »
  4. Le site Web du Commissariat à l’information du Canada (CIC) décrit le processus à suivre pour demander l’autorisation de la CI pour ne pas donner suite à une demande d’accèsNote de bas de page 2 et la position du CIC quant à l’interprétation de l’article 6.1 de la LAINote de bas de page 3.
  5. Dans sa décision, la CI a expliqué que « la demande est refusée et [que] l’ASFC est tenue de donner suite à la demande d’accès » [Traduction].

Analyse

  1. Comme il a été susmentionné, l’alinéa 8(2)a) de la Loi permet à une institution de communiquer des renseignements personnels, sans consentement, « aux fins auxquelles ils ont été recueillis […] ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins ». Pour que la communication constitue un « usage compatible », elle doit avoir un lien suffisamment direct entre les fins originales pour lesquelles ces renseignements ont été recueillis et l’usage proposé, de sorte qu’un individu puisse raisonnablement s’attendre à ce que les renseignements puissent être utilisés de la manière proposéeNote de bas de page 4.
  2. La personne plaignante affirme que les documents à l’appui de la demande communiqués par l’ASFC dans sa lettre à la CI étaient confidentiels.
  3. Au cours de notre enquête, les 2 parties ont fourni au Commissariat une copie de la lettre du 4 mai destinée à la CI ainsi que de ses pièces jointes.
  4. Dans la lettre à la CI, l’ASFC a notamment expliqué qu’il y avait des préoccupations au sujet des demandes présentées par la personne plaignante en vertu de la LAI et de la Loi, ce qui alourdissait le fardeau de l’ASFC pour répondre à ses demandes volumineuses et redondantes. Elle est également d’avis que les demandes d’AIPRP de la personne plaignante démontraient « une tendance claire à abuser de la LAI » [Traduction].
  5. Pour ce qui est de la communication, l’ASFC a d’abord affirmé qu’elle considérait qu’elle était destinée à un « usage compatible » avec l’objet initial de la collecte et qu’elle était donc permise au titre de l’alinéa 8(2)a de la Loi. Concrètement, elle a soutenu que les renseignements avaient été initialement recueillis dans le contexte d’un conflit en milieu de travail et que la communication ultérieure à la CI était liée aux fins initiales, car elle visait à établir la façon de traiter la demande de renseignements personnels de la personne plaignante relativement à ce conflit. Comme nous le décrivons ci-dessous, nous ne sommes pas d’avis que l’objet de la communication était conforme aux fins initiales de la collecte, car le but de prévenir la violence en milieu de travail est essentiellement différent du but de demander une autorisation de la CI pour ne pas donner suite à une demande d’accès à l’information au titre de l’article 6.1 de la LAI.
  6. L’ASFC a par la suite modifié son argument, affirmant que, bien que les renseignements personnels contenus dans le rapport sur la violence au travail communiqué à la CI aient été initialement compilés par l’ASFC dans le but de prévenir la violence au travail, le bureau de l’AIPRP de l’ASFC les a obtenus afin de répondre à la demande d’accès du plaignant. Elle a fait valoir que la communication à la CI était donc un usage compatible, puisqu’elle était aux fins de l’administration de la LAI.
  7. En ce qui a trait à cet argument, l’alinéa 8(2)a) de la Loi est clair : tout « usage compatible » doit l’être « aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l’institution […] » [caractères gras ajoutés.] C’est-à-dire que c’est la raison pour laquelle les renseignements ont été obtenus par l’institution qui importe pour établir si une communication est destinée à un « usage compatible », et non la raison pour laquelle une unité individuelle de l’institution a par la suite recueilli les renseignements. Par conséquent, nous n’avons pas examiné davantage le deuxième argument de l’ASFC.
  8. L’ASFC a affirmé que « seuls les renseignements personnels nécessaires pour soutenir les arguments du dossier présenté à la CI ont été fournis […] conformément au processus du CIC pour demander l’autorisation de la CI de ne pas donner suite à une demande d’accès, il n’y a qu’une seule occasion de présenter des observations. Par conséquent, l’ASFC devait établir un équilibre entre la communication de renseignements personnels et la prestation de renseignements suffisants pour que la CI puisse prendre une décision éclairée » [Traduction].
  9. Réduire au minimum la quantité de renseignements personnels communiqués dans une situation donnée est une bonne pratique. Toutefois, au titre de la Loi, comme indiqué ci-dessus, le critère pour établir si la communication sans consentement est autorisée selon l’alinéa 8(2)a) n’est pas de savoir si une institution croit que la communication était nécessaire à une fin donnée, mais de savoir si la communication à cette fin est suffisamment directement liée aux fins initiales de la collecte pour qu’une personne puisse raisonnablement s’y attendre.
  10. En examinant les pièces jointes comprises à l’appui de la demande pour ne pas donner suite à une demande d’accès, nous avons confirmé que les annexes A et B, ainsi que D à G représentent les renseignements recueillis par l’ASFC dans le cadre de l’administration des demandes d’accès de la personne plaignante. Plus précisément, le contenu de ces annexes comprend : (i) les demandes d’accès à l’information en question ainsi que (ii) les demandes d’AIPRP antérieures, (iii) la correspondance avec la partie demanderesse concernant le traitement de ses demandes, (iv) la correspondance d’une personne nommée dans une demande d’AIPRP liée à la récupération ou au traitement des demandes et (v) les coordonnées de la partie demanderesse. Selon nous, la communication de ces renseignements à la CI, qui ont été initialement recueillis par l’ASFC dans le but de répondre aux demandes d’accès de la personne plaignante, peut raisonnablement être considérée comme un « usage compatible » dans la présente affaire. Cela s’explique par le fait que la communication a été faite dans le but d’obtenir l’autorisation de la CI (conformément à l’article 6.1 de la LAI) quant à la façon de répondre à la demande d’accès de la personne plaignante.
  11. Toutefois, la communication à la CI comprenait également, à l’annexe C, un rapport d’examen, qui avait été complété à l’externe dans le cadre d’enquêtes et d’examens antérieurs portant sur le harcèlement et la violence en milieu de travail et les « mesures de gestion et de ressources humaines connexes » [Traduction].
  12. Nous ne sommes pas d’accord pour dire que la communication à la CI des renseignements personnels contenus dans le rapport ci-dessus est un usage compatible avec le but pour lequel l’institution a obtenu ou fourni les renseignements. Les fins initiales de la collecte des renseignements par l’ASFC–résoudre un conflit en milieu de travail – sont différentes de l’objectif de répondre aux demandes d’accès en vertu de la LAI.
  13. Nous concluons ainsi que l’ASFC a enfreint l’article 8 de la Loi lorsqu’elle a communiqué le rapport d’examen à la CI.
  14. Par conséquent, nous avons recommandé que l’ASFC, dans les 9 mois suivant la publication du présent rapport, élabore des lignes directrices qui comprennent un processus clair par lequel les agents de l’ASFC évalueront le bien-fondé d’un usage ou d’une communication compatible des renseignements personnels communiqués à d’autres institutions gouvernementales.
  15. L’ASFC n’a pas accepté les conclusions de ce rapport ni de mettre en œuvre notre recommandation. Nous sommes préoccupés par le refus de l’ASFC, à ce jour, de prendre des mesures correctives pour remédier à l’infraction relevée dans le cadre de notre enquête. Nous demandons à l’ASFC de réexaminer sa position et de démontrer sa mise en œuvre en fournissant une copie des directives susmentionnées dans un délai de 9 mois.
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