Délinquant récidiviste : le SCC refuse illégalement l'accès du plaignant à ses renseignements personnels une deuxième fois
Plainte présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels
Le 12 juin 2018
- Le plaignant est un détenu sous responsabilité fédérale qui, au moment où sa plainte a été reçue par le Commissariat, était incarcéré dans un établissement pénitentiaire fédéral (l’Établissement). Il affirme que le Service correctionnel du Canada (SCC) a enfreint la Loi sur la protection des renseignements personnels (la Loi) à de nombreuses reprises en lui refusant l’accès à ses renseignements personnels demandés en vertu de la Loi.
- Le plaignant a d’abord déposé auprès du Commissariat, en 2011, une série de plaintes comportant des allégations semblables contre SCC. À l’époque, il avait demandé à accéder aux enregistrements vidéo montrant prétendument « des agents du SCC coupables de voies de fait, de crimes haineux et de harcèlement sexuel à [son] égard [...] » [traduction]. Le plaignant a allégué que le SCC lui a refusé l’accès aux renseignements demandés dans « une tentative flagrante de masquer la corruption, les actes de harcèlement et la conduite criminelle de bon nombre d’agents » [traduction].
- Le 14 septembre 2012, l’ancienne commissaire adjointe à la protection de la vie privée a publié son rapport de conclusions quant aux allégations du plaignant. Le rapport faisait état de défaillances graves quant au traitement des demandes du plaignant par le SCC. Dans plusieurs cas, le SCC a mal appliqué les exceptions à la communication. La situation est d’autant plus inquiétante que dans six cas, nous avons découvert que le SCC n’avait pas fait le nécessaire pour protéger les enregistrements de la destruction. Nous avons déterminé que le SCC avait une période de conservation des enregistrements vidéo de 4,5 jours (soit 108 heures) et que rien n’a été fait pour conserver les enregistrements vidéo demandés par le plaignant avant qu’ils ne soient effacés. Il s’agit d’une infraction grave aux articles 6 et 16 de la Loi et au paragraphe 4(1) du Règlement sur la protection des renseignements personnels, ayant entraîné un refus d’accès.
- Au vu de ces conclusions, nous avons recommandé que le SCC mette en place les processus appropriés visant à acheminer sans tarder aux fonctionnaires compétents les demandes d’accès aux enregistrements vidéo ayant une courte période de conservation afin que les bandes soient récupérées avant la perte des données.
- Dans le cas d’espèce, le plaignant affirme que le SCC l’empêche toujours d’accéder aux enregistrements audio et vidéo. Plus précisément, le plaignant a écrit ce qui suit dans sa lettre de plainte au Commissariat le 25 janvier 2016 :
Mon problème, c’est que malgré votre rapport officiel avec les conclusions officielles des rapports précédents (…) dans une lettre du 14 septembre 2011, les agents du renseignement de sécurité continuent de supprimer toutes les preuves d’abus, de corruption ou de conduite criminelle des agents, en particulier lorsque cela prouve mon innocence et leur culpabilité, et avec le consentement total et explicite des directeurs des établissements.
Depuis mon arrivée [dans l’Établissement], je soumets des griefs internes au SCC quant à la discrimination, au harcèlement et aux abus commis par le SCC, chaque fois avec des demandes officielles pour obtenir les enregistrements audio et vidéo […]. Pendant tout ce temps, je n’ai PAS reçu un seul enregistrement audio ou vidéo […]. [traduction]
- La plainte mentionnait, à l’appui de ses allégations, les nombreuses demandes qu’il avait faites auprès du SCC en 2015. Le présent rapport porte sur le traitement par le SCC de six de ces demandes liées aux allégations du plaignant selon lesquelles le SCC aurait enfreint les dispositions de la Loi relatives à l’accès et à la conservation, en ce qui concerne l’accès aux enregistrements vidéo.
Dispositions pertinentes de la Loi
- Le paragraphe 6(1) dispose que les renseignements personnels utilisés par une institution fédérale à des fins administratives doivent être conservés après usage par l’institution pendant une période, déterminée par règlement, suffisamment longue pour permettre à l’individu qu’ils concernent d’exercer son droit d’accès à ces renseignements.
- Le paragraphe 12(1) garantit à tout citoyen canadien ou à tout résident permanent le droit de se faire communiquer (a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels; (b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d’une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.
- Le paragraphe 16(3) dispose que le défaut de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) dans les délais prévus par la présente loi vaut décision de refus de communication.
- L’alinéa 22(1)(c) dispose que le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) lorsque la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la sécurité des établissements pénitentiaires.
- L’article 26 dispose que le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur un autre individu que celui qui fait la demande.
- Le paragraphe 4(1) du Règlement sur la protection des renseignements personnels dispose que les renseignements personnels utilisés par une institution fédérale à des fins administratives doivent être conservés par cette institution (a) pendant au moins deux ans après la dernière fois où ces renseignements ont été utilisés à des fins administratives, à moins que l’individu qu’ils concernent ne consente à leur retrait du fichier; et (b) dans les cas où une demande d’accès à ces renseignements a été reçue, jusqu’à ce que son auteur ait eu la possibilité d’exercer tous ses droits en vertu de la Loi.
Résumé de l’enquête
- En plus des allégations susmentionnées, le plaignant déclare également ce qui suit dans sa correspondance du 25 janvier 2016 :
J’ai plusieurs nouveaux dossiers dans lesquels j’accuse le SCC de corruption flagrante puisque le service des agents du renseignement de sécurité de [l’Établissement], le service des griefs et le chef des services administratifs […] ont délibérément détruit les enregistrements vidéo et audio que j’ai demandés bien avant le délai de 104,5 heures établi par le SCC dans ses politiques de conservation, ainsi que les enregistrements audio d’accusations d’infraction disciplinaire et les rapports d’isolement qui doivent être conservés pendant deux ans. [traduction]
- À l’appui de ses allégations, le plaignant a fourni une liste qui répertorie 17 numéros de dossier du SCC. Lors de notre enquête, nous avons examiné chacun de ces dossiers et avons reçu les observations du SCC quant à leur traitement. Nous notons que dans neuf cas, les demandes ne faisaient aucune mention d’enregistrements audio ou vidéo.
- Dans deux cas, le plaignant a précisément demandé accès à deux enregistrements vidéo du mois d’octobre 2015. Au départ, le SCC a informé le plaignant, le 11 décembre 2015, que les enregistrements demandés étaient introuvables. Le SCC a déterminé par la suite que les enregistrements vidéo demandés étaient en fait conservés par l’Établissement, puis a informé le plaignant, le 22 février 2017, que les deux enregistrements vidéo ont été soustraits de la communication en vertu de l’alinéa 22(1)c) et de l’article 26 de la Loi. Un enquêteur principal à la protection de la vie privée employé par le Commissariat est allé à la direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) du SCC et a examiné les enregistrements vidéo soustraits de la communication au plaignant, confirmant que les exceptions invoquées en vertu de ces dispositions ont été bien appliquées.
- Dans quatre cas, le plaignant a demandé des enregistrements en lien avec des dossiers de grief ou des audiences du tribunal, en précisant qu’il voulait accéder aux enregistrements audio et vidéo. Bien qu’elles datent de 2015 (il y a plus de deux ans et demi), le SCC n’a pas encore répondu au plaignant quant à ces quatre demandes. Ainsi, conformément au paragraphe 16(3) de la Loi, le SCC est réputé avoir refusé de donner l’accès.
- Les deux dossiers restants sont des demandes dans lesquelles le plaignant précisait qu’il voulait accéder aux enregistrements vidéo de deux incidents distincts survenus en novembre 2015. Dans les deux cas, le SCC a répondu au plaignant le 18 décembre 2015 pour l’informer qu’aucun enregistrement correspondant n’avait été trouvé.
- Pendant notre enquête, nous avons déterminé que dans les deux cas, bien que le plaignant ait formulé ses demandes à la même date que celle où se sont produits les incidents pour lesquels il demandait des enregistrements vidéo, le SCC n’a pas traité ses demandes avant l’expiration du délai de 108 h applicable à la conservation des vidéos. Il s’est écoulé beaucoup de temps avant la transmission des demandes du plaignant à la direction de l’AIPRP du SCC, et avant que cette dernière les reçoive et charge l’Établissement de récupérer les enregistrements.
Date indiquée
sur la demandeDate de réception par
la direction de l’AIPRP du SCCDemande de récupération envoyée
à l’ÉtablissementRéponse de l’Établissement 20 novembre 2015 26 novembre 2015 27 novembre 2015
(7 jours)14 décembre 2015 25 novembre 2015 2 décembre 2015 7 décembre 2015
(14 jours)14 décembre 2015 - Dans le cas de la demande du 20 novembre 2015, il a fallu six jours pour que la demande parvienne à la direction de l’AIPRP du SCC, et une journée de plus avant que l’Établissement soit chargé de récupérer l’enregistrement vidéo. De même, dans le cas de la demande du 25 novembre 2015, il a fallu sept jours pour que la demande parvienne à la direction de l’AIPRP du SCC, et sept jours de plus avant que l’Établissement soit chargé de récupérer l’enregistrement vidéo.
- Dans les deux cas, le SCC n’a ni récupéré ni conservé les enregistrements vidéo demandés avant qu’ils soient effacés, bien que nous ayons précédemment recommandé que SCC mette en place les processus appropriés visant à acheminer sans tarder aux fonctionnaires compétents les demandes d’accès aux enregistrements vidéo ayant une courte période de conservation afin que les bandes soient récupérées avant la perte des données. Nous considérons qu’il s’agit d’une violation grave de la Loi.
- Bien que nous n’ayons relevé aucune preuve étayant l’allégation du plaignant voulant que le SCC détruise délibérément des enregistrements audio et vidéo, nous sommes préoccupés par le fait que le SCC n’a pas permis au plaignant d’accéder rapidement aux enregistrements dans les quatre cas pour lesquels les demandes du plaignant sont demeurées sans réponse, et dans les deux cas pour lesquels le SCC n’a ni récupéré ni conservé les enregistrements vidéo demandés avant qu’ils soient effacés.
- Tandis que le plaignant affirme que le SCC n’a pas conservé les enregistrements vidéo qu’il avait demandés, nous sommes plutôt d’avis que le SCC a enfreint les dispositions relatives à l’accès énoncées au paragraphe 12(1) de la Loi, selon lesquelles tout citoyen canadien ou tout résident permanent a le droit de se faire communiquer, sur demande, les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels, ou les autres renseignements personnels le concernant et relevant d’une institution fédérale, tant qu’il est possible de les retrouver sans problèmes sérieux. Dans ces cas, le plaignant a clairement fourni des renseignements suffisants pour rendre l’information raisonnablement récupérable. Étant donné que le SCC n’a tenté de récupérer les enregistrements vidéo que bien après l’expiration de la brève période de conservation, le plaignant s’est vu refuser son droit aux termes de la Loi. Cette plainte est donc fondée elle aussi.
Recommandations
- Nous sommes consternés de constater que le SCC ne semble avoir pris aucune mesure pour donner suite à la recommandation de l’ancienne commissaire adjointe à la protection de la vie privée, qui lui conseillait de mettre en place de nouveaux processus pour faire en sorte que les enregistrements ayant une courte période de conservation soient récupérés avant leur destruction.
- Le processus que suit le SCC pour traiter les demandes comme celles du plaignant est clairement inadapté. Toutes les demandes du plaignant ont été envoyées directement à l’Établissement, mais leur transmission à la direction de l’AIPRP du SCC à Ottawa, qui devait en assurer le traitement, a pris plusieurs jours. Sur réception de ces demandes, la direction de l’AIPRP du SCC a demandé à l’Établissement de récupérer les enregistrements. Compte tenu de la courte période de conservation des enregistrements en question, nous avons recommandé au SCC d’élaborer les processus appropriés pour le traitement des demandes de renseignements personnels de manière à respecter les exigences de la Loi.
- En ce qui concerne les quatre dossiers pour lesquels le SCC est réputé avoir refusé de communiquer au plaignant ses renseignements personnels, nous avons recommandé au SCC de fournir au plaignant des réponses complètes à ses quatre demandes, et ce, dans les plus brefs délais.
- Nous notons avec satisfaction que dans une correspondance du 29 juin 2018, la commissaire intérimaire du SCC a accepté nos recommandations et s’est engagée à s’assurer que le personnel soit informé de la nécessité d’obtenir sans tarder toutes les bandes vidéo pertinentes lorsqu’une demande d’accès en vertu de la Loi est reçue et d’en assurer la protection et la conservation conformément à la Loi. En outre, le SCC s’emploie à répondre dans les plus brefs délais aux demandes du plaignant demeurées sans suite. Le SCC s’est également engagé à nous faire parvenir dans un délai de six mois, un rapport formel précisant toute autre action prise en réponse à nos recommandations.
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