Élimination hâtive de dossiers considérés « éphémères »
Plainte déposée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels (la Loi)
Le plaignant, un ancien membre des Forces canadiennes en formation, allègue que le ministère de la Défense nationale (MDN) a contrevenu aux dispositions de la Loi relatives à la conservation et à l'élimination. Plus particulièrement, il soutient que le MDN a prématurément détruit l'enregistrement audio de l'audience du comité d'évaluation des progrès (CEP) et n'a, par conséquent, pas pris les mesures nécessaires pour le conserver pendant une période de temps raisonnable afin de lui permettre d'y avoir accès.
Contexte
Le plaignant était inscrit à un programme de formation des Forces canadiennes. En raison de préoccupations quant à son rendement dans le cadre du programme, le commandant a ordonné que son cas soit soumis à un comité d'évaluation des progrès (CEP).
Selon la politique du MDN, une audience est tenue devant un CEP pour qu'il formule une recommandation visant à déterminer si un étudiant devrait être autorisé à poursuivre un programme de formation ou s'il devrait en être libéré. Si l'on recommande l'annulation de la participation d'un étudiant à un programme de formation, cela peut également se traduire par la cessation de l'emploi de cette personne au MDN.
Le CEP est tenu, entre autres, d'examiner les progrès de l'étudiant, d'interroger l'étudiant et d'autres membres du personnel, de donner la possibilité à l'étudiant d'être entendu, de tirer des conclusions et de formuler des recommandations. Les entrevues avec les autres membres du personnel ne doivent pas être menées en présence de l'étudiant, mais leurs déclarations doivent être communiquées à l'étudiant. Ce dernier doit avoir la possibilité de corriger, de remettre en cause et de contester toutes les conclusions du comité ou de fournir des arguments. Ces commentaires sont censés être intégrés au rapport du CEP, qui est par la suite transmis au commandant pour décision finale.
Le CEP du plaignant a entendu le point de vue de plusieurs témoins bien au fait du rendement du plaignant dans le cadre du programme, ainsi que celui du plaignant. Après l'audience, le CEP a recommandé que le plaignant cesse la formation. Après examen de la preuve recueillie par le CEP, le commandant a accepté la recommandation et le plaignant a été retiré du programme de formation, ce qui a ainsi mis fin à son emploi au MDN.
Le plaignant a fait savoir au MDN, par écrit, qu'il souhaitait interjeter appel de la décision.
Résumé de l'enquête
Le MDN a reçu la demande d'accès à des renseignements personnels du plaignant, présentée en vertu de la Loi, visant à obtenir une copie de l'enregistrement audio de l'audience du CEP. Le MDN lui a fait savoir que l'enregistrement n'existait plus car il avait été détruit après la rédaction du procès verbal.
Durant l'enquête, le Commissariat a passé en revue les documents tirés de l'enregistrement, ainsi que toutes les déclarations fournies par le plaignant et le MDN. Nous avons également mené des entrevues avec les principaux témoins et examiné les politiques et les lignes directrices pertinentes du MDN, de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) et du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) portant sur la conservation des documents et les documents éphémères. De plus, le Commissariat a passé en revue la politique et les procédures disponibles du MDN sur la tenue des audiences du CEP.
Selon le MDN, l'enregistrement audio constituait un document « éphémère », utilisé par le secrétaire du CEP pour rédiger le compte rendu de l'audience. Le procès verbal devenait ainsi le document officiel de l'instance. Après la rédaction du procès verbal, l'enregistrement a été effacé - dans ce cas ci, environ dix jours après la tenue de l'audience - mais également environ une journée après que le plaignant ait indiqué au MDN qu'il avait l'intention d'interjeter appel de la décision.
Il est entendu que le procès verbal ne constitue pas une transcription complète de l'audience du CEP, mais seulement un résumé. Toutefois, le MDN maintient qu'une copie du procès verbal a été transmise au plaignant, qu'il a signée, donnant par le fait même son accord quant au contenu. Le procès verbal contenait également un « résumé d'entrevue » pour chacun des témoins, qui ont tous été signés par les témoins, à l'exception d'un résumé qui, semble t il, a été signé par la présidence du CEP. Le plaignant, pour sa part, soutient que le procès verbal est inexact ou incomplet et qu'il ne reflète pas ce qui a été dit durant l'audience. Il affirme également que sa signature ne fait que confirmer qu'il a reçu le procès verbal, et non pas qu'il était en accord avec son contenu. À son avis, le MDN aurait dû être tenu de conserver l'enregistrement audio, et son omission de le faire a eu des répercussions négatives sur sa capacité de mettre en doute la recommandation du CEP.
Le MDN dispose de procédures touchant divers aspects de la collecte, de l'utilisation, de la communication, de la conservation et de l'élimination des renseignements personnels d'un étudiant conservés dans son dossier de stagiaire officier et d'autres banques de données contenant des renseignements personnelsNote de bas de page 1. Toutefois, au moment de cette enquête, le MDN n'avait pas de politique ou de directives écrites concernant la conservation et l'élimination de l'enregistrement du CEP. De plus, le MDN a indiqué qu'il avait conservé les enregistrements de certaines audiences du CEP, mais que plusieurs autres avaient été oblitérés - les bandes ayant été utilisées pour la prochaine audience. Le MDN n'a pu expliquer pourquoi certains enregistrements ont été conservés, tandis que d'autres ont été oblitérés.
Articles applicables de la Loi
Pour établir nos conclusions, nous avons pris en considération les articles 3 et 6 de la Loi ainsi que l'article 4 du Règlement sur la protection des renseignements personnels.
L'article 3 de la Loi définit les renseignements personnels comme les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment : les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille, à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé, à tout numéro qui lui est propre, à ses empreintes digitales ou à son groupe sanguin, à ses opinions personnelles, etc.
Le paragraphe 6(1) de la Loi prévoit que les renseignements personnels utilisés par une institution fédérale à des fins administratives doivent être conservés après usage par l'institution pendant une période, déterminée par règlement, suffisamment longue pour permettre à l'individu qu'ils concernent d'exercer son droit d'accès à ces renseignements.
Le paragraphe 6(2) indique qu'une institution fédérale est tenue de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements personnels qu'elle utilise à des fins administratives soient à jour, exacts et complets.
L'article 4 du Règlement sur la protection des renseignements personnels prévoit que les renseignements personnels utilisés par une institution fédérale à des fins administratives doivent être conservés par cette institution pendant au moins deux ans après la dernière fois où ces renseignements ont été utilisés à des fins administratives, à moins que l'individu qu'ils concernent ne consente à leur retrait du fichier.
Analyse
La principale question que soulève la présente plainte est de savoir si l'enregistrement audio de l'audience du CEP était assujetti à cette exigence de conservation, de sorte que le MDN n'aurait pas dû détruire l'enregistrement peu après l'audience. Une question secondaire consiste à déterminer si le compte rendu de l'enregistrement audio du CEP était exact.
Le terme « éphémère » n'est pas utilisé dans le paragraphe 6(1) (ou ailleurs dans la Loi). Par conséquent, la question pertinente n'est pas celle de savoir si un document est « éphémère », mais plutôt de déterminer s'il contient des renseignements personnels qui ont été utilisés à des fins administratives. Si c'est le cas, l'obligation de conservation prévue au paragraphe 6(1) entre en jeu et, par conséquent, une institution gouvernementale ne peut éliminer les renseignements avant l'expiration de la période de conservation de deux ans. Il importe de noter que, même si la politique sur la conservation des documents du MDN indique que les documents éphémères doivent être éliminés lorsqu'ils ne sont plus requis, elle souligne également que les employés et les membres des Forces canadiennes doivent tenir compte de la protection des renseignements personnels dans le cadre de leurs pratiques de tenue de documents, comme l'exige, entre autres, la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Pour ce qui est de l'application du paragraphe 6(1) dans la présente affaire, nous avons examiné trois questions :
L'enregistrement audio contenait il des « renseignements personnels » du plaignant, au sens de la Loi?;
Le cas échéant, quels renseignements contenus dans l'enregistrement ont été utilisés par le MDN à des « fins administratives »?;
Le plaignant a t il consenti à l'élimination des renseignements?
Il semble évident que l'enregistrement audio contenait des « renseignements personnels » du plaignant. L'audience du CEP visait à évaluer le rendement du plaignant et son aptitude à suivre le programme de formation. Devant le CEP, les témoins se sont prononcés sur le rendement du plaignant dans le cadre du programme de formation et son aptitude à le suivre. Ces renseignements auraient été enregistrés sur l'enregistrement audio de l'audience et constitueraient les renseignements personnels du plaignant, au sens de l'article 3.
La question suivante consiste à déterminer si les renseignements personnels contenus dans l'enregistrement audio ont été utilisés à des « fins administratives ». Pour répondre à la définition de « fins administratives », il faut qu'il y ait eu usage de renseignements « concernant un individu dans le cadre d'une décision le touchant directement ».
Selon nous, cette exigence est également satisfaite. Les renseignements personnels contenus dans l'enregistrement (p. ex. les preuves présentées au CEP durant l'audience) ont clairement été utilisés par le CEP pour tirer des conclusions et pour déterminer la recommandation à formuler. Le processus a directement touché le plaignant, car le commandant a accordé une certaine importance aux conclusions et à la recommandation du CEP pour arriver à sa décision finale de retirer le plaignant du programme de formation.
De plus, l'objectif de l'article 6 est de veiller à ce que les personnes aient une « occasion raisonnable » d'avoir accès aux renseignements personnels utilisés par une institution gouvernementale pour prendre des décisions à leur sujet. Il leur permet également de veiller à ce que les renseignements soient exacts et qu'ils puissent être corrigés le cas échéant.
Toutefois, l'article 4 du Règlement sur la protection des renseignements personnels prévoit que les renseignements personnels utilisés à des fins administratives peuvent être éliminés avant l'expiration de la période de conservation de deux ans si la personne en donne son consentement.
Le MDN soutient que le plaignant a indiqué qu'il était en accord, pour l'essentiel, avec le procès verbal en le signant, ainsi que le résumé de sa propre déclaration de témoin. Toutefois, cela ne constitue pas, selon nous, un consentement. La signature du plaignant sur le procès verbal figure sous la rubrique « Observations ». Le texte qui figure immédiatement au dessus de sa signature dit seulement « Déclaration de l'étudiant », à côté duquel le plaignant semble avoir écrit « Je souhaite présenter des observations ». Rien dans le procès verbal n'indique que le plaignant a accepté son contenu et certainement rien ne laisse entendre qu'il avait consenti à la destruction de l'enregistrement audio.
Bien entendu, il faut noter que le MDN n'a pas l'obligation — du moins en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels — de faire un enregistrement audio des procédures du CEP. Toutefois, une fois qu'il décide de le faire, ces renseignements deviennent assujettis à la Loi, et particulièrement aux exigences indiquées à l'article 6 de la Loi.
Conclusion
Compte tenu de ce qui précède, nous sommes d'avis que la plainte est fondée.
On invite le MDN à élaborer et à mettre en œuvre une politique ou des procédures relatives à la collecte, à la conservation et à l'élimination des renseignements recueillis dans le cadre d'une audience du CEP, notamment une politique ou des procédures qui traitent de l'application de l'article 6 de la Loi aux enregistrements audio, si le MDN continue d'enregistrer ses audiences.
Entre temps, durant la période d'élaboration de la politique recommandée susmentionnée, l'on recommande que le MDN conserve l'enregistrement du CEP ou un compte rendu textuel pendant une période d'au moins deux ans, sauf si la personne touchée consent à ce que le document soit détruit avant la fin de cette période.
Autres
Durant l'enquête, il a été noté que le MDN, en réponse à la demande d'accès à l'enregistrement présentée par le plaignant, n'avait pas offert de façon proactive de fournir au plaignant une copie du document officiel créé durant l'audience du CEP.
De même, dans la foulée de notre demande initiale pour ce document, le MDN a, au départ, refusé de remettre au Commissariat et au plaignant une copie de ce document. Par la suite, le Commissariat en a reçu une copie, et nous avons été avisés que le MDN en avait aussi remis une copie au plaignant.