Projet de loi C-36, la Loi antiterroriste
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Témoignage devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes
Le mardi 23 octobre 2001
Ottawa, Ontario
George Radwanski
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
(Le texte prononcé fait foi)
Voici le témoignage rendu par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, George Radwanski, au sujet du projet de loi C-36, la Loi antiterroriste, devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, le 23 octobre 2001 :
Depuis mon entrée en fonction il y a un peu plus d'un an, j'ai affirmé ma conviction que la protection du droit à la vie privée serait la question déterminante de la décennie, et ce pour toute une foule de raisons. Il se pourrait bien que, dans la foulée des événements du 11 septembre, cela soit encore plus vrai, parce que le droit à la vie privée est un droit fondamental de la personne, un droit reconnu comme tel par les Nations Unies, et, bien sûr, par notre législation. C'est une valeur essentielle de la société canadienne.
La façon dont nous réagirons pour combattre le terrorisme tout en protégeant nos valeurs essentielles sera véritablement un déterminant clé du succès ou de l'échec du terrorisme dans les buts qu'il poursuit, qui sont de saper la nature même de notre société.
Soyons clairs dès le départ. En ma qualité de commissaire à la protection de la vie privée et de mandataire du Parlement, je n'ai absolument nulle intention de m'opposer ni même de tenter de faire obstacle aux mesures appropriées et nécessaires pour accroître la sécurité des Canadiens et Canadiennes dans la conjoncture actuelle.
En revanche, j'ai également le devoir, à titre de mandataire du Parlement et de commissaire à la protection de la vie privée, de dénoncer haut et fort toute violation inutile du droit à la vie privée des Canadiens et Canadiennes faite au nom de la répression du terrorisme.
Je vous ferai valoir que toute mesure particulière qui serait prise en l'occurrence et qui aurait pour effet de restreindre ou de limiter les besoins de vie privée doit être soumise à plusieurs critères, avec minutie et calme, et au cas par cas.
En premier lieu, elle doit être manifestement nécessaire pour régler un problème précis. Ensuite, il doit être possible de démontrer qu'elle est probablement une solution efficace au problème. Autrement dit, elle ne doit pas nous procurer un simple sentiment de sécurité, mais la sécurité elle-même. En troisième lieu, le degré d'intrusion ou de limitation d'un droit fondamental comme le droit à la vie privée doit être en rapport avec l'avantage recherché sur le plan de la sécurité. Enfin, il doit pouvoir être démontré qu'aucune mesure moins intrusive ne pourrait donner le même résultat.
Cela dit, j'estime que ce projet de loi traduit dans l'ensemble un effort bien équilibré et bien pensé pour accroître la sécurité afin de donner aux services d'application de la loi les moyens dont ils ont besoin pour combattre efficacement le terrorisme, tout en respectant le plus possible les droits à la protection de la vie privée.
Je dis « dans l'ensemble » parce qu'il y a une disposition, ou plutôt un groupe de dispositions, qui me préoccupent énormément. J'ai demandé à la ministre de la Justice et obtenu un breffage la semaine dernière - avant le dépôt du projet de loi - où j'ai été sensibilisé aux orientations générales qui auraient des conséquences sur la vie privée. Parce que j'ai fait valoir que, s'il y avait des problèmes, il vaudrait mieux tâcher les régler avant le fait, dans le respect de la vie privée.
Au cours de ce breffage, j'ai appris qu'une disposition permettrait à la ministre de la Justice, en sa qualité de procureur général, de délivrer un certificat qui interdirait la divulgation de renseignements, de renseignements personnels selon la Loi sur la protection des renseignements personnels, pour des considérations de sécurité, de relations internationales ou de défense.
On m'a expliqué que cela était nécessaire pour des considérations de sécurité, de relations internationales ou de défense. On m'a expliqué qu'il fallait procéder ainsi pour avoir la certitude que les autres pays n'hésiteraient pas à fournir au Canada des renseignements antiterroristes extrêmement névralgiques.
J'ai alors fait remarquer que, simple ombudsman que je suis, je n'ai pas le pouvoir d'ordonner la divulgation de renseignements et que, de fait, la Loi sur la protection des renseignements personnels, tout comme d'ailleurs la législation pour le secteur privé, prévoit des exemptions absolues pour des choses comme la sécurité nationale. Dans tous les cas, mes pouvoirs se limitent à donner des avis et, lorsque cette exemption est invoquée, il y a un critère subjectif qui ne se discute même pas, mais qui m'interdit de toute façon de faire divulguer quoi que ce soit.
Selon les renseignements que j'ai reçus, oui, c'est bien vrai, mais, parce que mes conclusions sont ensuite sujettes au contrôle de la Cour fédérale du Canada, il y avait une possibilité, si mince fût-elle, qu'un juge de la Cour fédérale ordonne la divulgation de renseignements à caractère très névralgique. D'où cette disposition, sans laquelle d'autres pays pourraient prendre peur à la seule évocation de cette possibilité hypothétique.
Je peux m'accommoder de cela, si les choses ne vont pas plus loin, parce que, je le répète, je n'ai pas le pouvoir d'ordonner la divulgation de toute façon. La difficulté, c'est que le libellé des articles 103 et 104, qui traitent respectivement de la loi pour le secteur privé et de la Loi sur la protection des renseignements personnels va beaucoup beaucoup plus loin. Je suis particulièrement préoccupé par l'article 104, celui qui concerne la Loi sur la protection des renseignements personnels applicable au gouvernement fédéral.
La première partie, l'article 104, qui crée le paragraphe 70.(1), se lit :
Le procureur général du Canada peut, à tout moment, délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales.
Puis il ajoute : « La présente loi ne s'applique pas aux renseignements dont la divulgation est interdite par le certificat délivré au titre du paragraphe (1). »
C'est cette deuxième disposition qui m'inquiète le plus. Elle signifie, en fin de compte, que, si le ministre délivre un certificat et que la loi ne s'applique dès lors plus, non seulement les renseignements peuvent ne pas être divulgués - et ils ne le seraient pas de toute façon - mais encore que je perdrais mon droit de regard.
Le commissaire à la protection de la vie privée ne peut plus examiner les renseignements en question, comme je le peux à l'heure actuelle - et, bien sûr, j'ai la plus haute cote de sécurité, et je peux voir les dossiers du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Le commissaire à la protection de la vie privée ne pourrait même pas faire une recommandation pour expliquer au ministre, au cas par cas, que le libellé du certificat est peut-être trop vaste, ou que, peut-être, certains renseignements pourraient être divulgués à l'individu. Rappelez-vous que nous parlons seulement de divulgation aux individus de renseignements les concernant en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je n'aurais plus ce droit de regard.
Chose plus inquiétante encore, c'est la façon dont ces deux dispositions sont libellées, c'est-à-dire que la loi n'empêche absolument pas le ministre de délivrer un certificat applicable non pas à un individu, mais à tout un organisme ou un ministère, voire à l'ensemble du gouvernement.
Selon la formulation actuelle de la loi, le ministre pourrait délivrer un certificat disant que la divulgation de renseignements par le SCRS, le Centre de la sécurité des télécommunications ou un ministère, voire tous les ministères, pourrait être exclue. À ce stade-là, non seulement il n'y aurait plus possibilité de divulgation ni de droit de regard là-dessus, mais, selon cette disposition, toutes les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels cesseraient de s'appliquer. Il n'y aurait pas de limites à la façon dont les renseignements pourraient être utilisés, recoupés, partagés ou divulgués.
De fait, on pourrait même invoquer ces dispositions pour annuler la Loi sur la protection des renseignements personnels par décret du ministre. Sans aller jusqu'à se demander s'il pourrait y avoir une intention en ce sens, on ne devrait pas laisser dans la loi ce mécanisme indirect capable de neutraliser la totalité ou une partie de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans son application.
Une dernière chose que je tiens à souligner brièvement, c'est que ces modifications ont été de fait traitées en parallèle avec les modifications à la Loi sur l'accès à l'information. Selon moi, et sans commenter le bien-fondé de ces autres modifications, il faut les considérer séparément, pour trois raisons.
En premier lieu, le droit à la vie privée est un droit fondamental de la personne. L'accès à l'information est important, certes, mais c'est un droit administratif. En second lieu, il y a une distinction à faire entre l'accès à l'information au sujet du gouvernement et les activités du gouvernement qui ont trait à une situation de sécurité. En temps de guerre, il n'est pas anormal de restreindre les renseignements à divulguer par le gouvernement. La divulgation aux individus de renseignements les concernant et l'application d'un droit fondamental à la vie privée, ce n'est pas la même chose, du point de vue de la permission accordée aux individus de veiller à l'exactitude des renseignements.
Enfin, s'il y a des dispositions selon lesquelles la Loi sur l'accès à l'information ne s'applique pas après la délivrance d'un certificat, cela signifie seulement qu'aucun renseignement ne peut être révélé. Si cela s'applique à la Loi sur la protection des renseignements personnels, il s'ensuit que d'autres aspects d'un droit fondamental sont aussi abrogés. Les aspects concernant la collecte, l'utilisation, le partage, le regroupement, etc., des renseignements et les protections du droit à la vie privée sont éliminés d'emblée.
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