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Projet de loi S-21, la Charte du droit à la vie privée

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Témoignage devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie

Le 20 septembre 2001
Ottawa, Ontario

George Radwanski
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Voici le témoignage rendu par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, George Radwanski, au sujet du projet de loi S-21, la Charte du droit à la vie privée, devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le 20 septembre 2001 :

Le Parlement ne saurait choisir meilleur moment pour se saisir d'un texte législatif qui affirme l'importance du respect de la vie privée ou y réarticule notre attention. Certes, chacun de nous dans cette salle conviendra que la vie privée est un droit fondamental de la personne, un droit qu'il est particulièrement important de se rappeler dans des temps aussi exceptionnels que ceux que nous vivons présentement.

Il ne fait aucun doute que le genre de menaces à la sécurité auxquelles nous faisons face actuellement soulève de nouvelles interrogations sur l'équilibre entre le besoin de respect de la vie privée et le besoin d'information. De fait, tel est tout l'objet et toute la ligne de force des lois sur le respect de la vie privée que nous avons au Canada - la Loi sur la protection des renseignements personnels et, maintenant, la nouvelle loi pour le secteur privé.

L'équilibre est judicieux. J'estime que la Loi sur la protection des renseignements personnels est particulièrement pertinente, bien sûr, pour les activités que mène le gouvernement en matière de préservation de la sécurité, et qu'elle est un instrument souple, un bon instrument, qui permet de maintenir cet équilibre, tout en donnant toute la marge voulue pour protéger la sécurité publique.

J'estime que le défi, naturellement, c'est de prendre toutes les mesures dont la nécessité peut se démontrer pour protéger la sécurité publique contre les nouveaux dangers, ou à tout le moins contre les dangers que nous commençons à pouvoir discerner, qui nous guettent.

Cependant, cela doit se faire dans le respect des droits à la vie privée et des principes qui les sous-tendent, c'est-à-dire que la nécessité de toute atteinte à la vie privée ou de toute autre limitation doit pouvoir se démontrer. Il doit pouvoir être démontré qu'elle est la seule bonne façon d'arriver au but visé - qu'il n'y a pas d'autre moyen aussi efficace ou d'une efficacité aussi satisfaisante d'atteindre la même fin par des mesures portant moins atteinte à la vie privée, et ainsi de suite.

Ces principes sont déjà bien ancrés dans notre loi et, certes, je peux vous dire que, en ma qualité de commissaire à la protection de la vie privée et mandataire du Parlement, je n'ai pas l'intention de faire obstacle à la protection du public. De même, je n'ai nulle intention d'entériner les yeux fermés des mesures portant atteinte à la vie privée, ni de m'en faire l'instrument, à moins que la nécessité ne puisse en être démontrée.

Dans ce contexte, l'intention du projet de loi S-21 du sénateur Finestone, telle que je la conçois, est importante. Cette intention, si je la comprends bien, est de combler la lacune qui existe parce qu'il n'y a pas de cadre pour valider les lois actuelles ou futures du Canada par rapport aux droits à la vie privée. C'est une lacune importante de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Son importance n'est pas primordiale, en ce sens que si l'atteinte à la vie privée est autorisée par une loi du Canada, alors le commissaire à la protection de la vie privée n'a pas de recours formel, vu que cette atteinte ne saurait être une violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Mais n'allez pas conclure que le commissaire à la protection de la vie privée est sans moyens en pareille circonstance. L'ouverture du courrier, dont vous avez parlé tantôt, sénateur, selon ma conclusion initiale, était techniquement tout à fait conforme à toutes les lois pertinentes. Néanmoins, j'ai pu, en temps utile, persuader le ministre du Revenu national que, bien que techniquement conformes à la Loi sur la protection des renseignements personnels, ses modalités d'exécution étaient une violation des droits à la vie privée. On a trouvé une solution qui est beaucoup plus respectueuse de ces droits. La situation n'est pas entièrement désespérée.

Cependant, j'appuierais certainement la ligne de force du projet de loi du sénateur Finestone, qui est de consacrer dans nos lois une loi dont l'objet primordial est d'affirmer que les lois actuelles ou futures doivent satisfaire au critère du respect des droits à la vie privée.

Cela serait un très grand pas. Un pas très raisonnable, étant donné que le Canada est signataire de certains instruments, dont la déclaration des Nations Unies sur les droits de l'homme, qui consacrent le droit à la vie privée comme droit fondamental de la personne.

J'ajouterai que le sénateur Finestone est un grand défenseur de la protection de la vie privée dans notre pays et a été une source de très précieux conseils pour moi, surtout au moment où j'ai pris mes fonctions, ainsi qu'un défenseur valeureux et respecté.

Cela étant dit, je suis terriblement peiné d'avoir à vous dire que, en ma qualité de commissaire à la protection de la vie privée et de mandataire du Parlement, je dois m'opposer avec toute l'énergie dont je suis capable au projet de loi que nous avons actuellement devant nous. La difficulté que j'ai, c'est que le projet de loi ne s'arrête pas à la création d'un critère quasi-constitutionnel pour vérifier que les lois respectent les droits à la vie privée. Ce texte fait plutôt comme s'il n'y avait pas déjà de loi sur la vie privée, comme si nous n'avions pas de Loi sur la protection des renseignements personnels - qui est une bonne loi - et comme si nous n'avions pas la nouvelle loi C-6, la loi sur le secteur privé, qui est aussi une bonne loi.

J'en veux surtout aux articles 4, 5 et 6, dont l'effet global est de dire que l'individu qui estime que son droit à la vie privée est violé, que ce soit par le gouvernement ou par une entité du secteur privé sous compétence fédérale, peut faire valoir son droit devant les tribunaux. Le problème, c'est que nous avons déjà un processus de règlement des plaintes au sujet des violations individuelles des droits à la vie privée, et ce processus, c'est une plainte au commissaire à la protection de la vie privée.

J'ai deux lois qui me donnent des pouvoirs considérables et efficaces. J'ai un excellent personnel d'enquêteurs. Je compte dans mon équipe de politique et de recherche les meilleurs experts au pays en matière de protection de la vie privée et j'ai, sans aucun doute, parmi mes conseillers juridiques, les meilleurs avocats spécialisés en la matière. Se plaindre à moi, à mon bureau, ne coûte pas un sou, et chaque plainte fait l'objet d'une étude poussée et minutieuse.

La loi proposée créerait une voie parallèle. Un individu ou une entreprise ou une entité qui emprunterait cette voie pourrait s'adresser aux tribunaux plutôt que de porter plainte au commissaire à la protection de la vie privée. Voilà qui n'est pas de nature à multiplier les occasions de faire respecter les droits à la vie privée. Il en naît un grand fouillis, parce que, alors que la Loi sur la protection des renseignements personnels et la loi C-6 sont détaillés et précis, et sont le fruit d'une analyse, d'une consultation, d'un débat et ainsi de suite rigoureux, la charte ou le projet de loi du sénateur Finestone, par définition, par sa nature même, est très vaste, et renferme des déclarations générales, sans menaces. Cependant, on peut imaginer une situation où, dans la mesure où les individus ou les organismes choisissent de s'adresser aux tribunaux pour cela, on trouverait soudain, parallèlement à un corpus clair et explicite de lois sur la protection de la vie privée, dûment adoptées et débattues par le Parlement, un ensemble parallèle d'arrêts, de décisions de juges de différents tribunaux, sur différentes plaintes. La nature de la décision, dans chaque cas, pourrait dépendre dans une large mesure des préférences, des jugements ou des attitudes d'un juge donné, pour ne rien dire de la qualité des avocats présentant le dossier ou défendant l'un ou l'autre camp.

Vous vous retrouveriez avec une situation parallèle qui pourrait être un dangereux méli-mélo. En premier lieu, cela exposerait les entités gouvernementales et du secteur privé à un tout nouveau train de coûts et de complications, parce que, outre les plaintes faites à mon bureau, il serait possible de s'adresser directement aux tribunaux. Cela ferait peut-être l'affaire des avocats, mais cela ne ferait pas grand-chose pour alléger les fardeaux auxquels sont soumis les organismes gouvernementaux et du secteur privé.

En second lieu, vous risqueriez de vous retrouver avec des conclusions non convergentes. Je fais enquête sur une affaire en fonction des lois que je suis chargé de surveiller. J'arrive à une certaine conclusion. Qu'arrivera-t-il si un tribunal, saisi d'une cause semblable, arrive à la conclusion contraire – Laquelle primera – Où irons-nous ?

En plus de la confusion que cette situation provoquerait - et c'est un point important à faire ressortir - le fait qu'un projet de loi est en train de franchir le processus législatif à ce stade-ci, sous cette forme, causerait des problèmes horribles pour la crédibilité de la LPRPDE ou la loi C-6. J'entends déjà de vives préoccupations de la part d'entités du secteur privé qui tombent sous le coup de la loi C-6. Elles disent qu'elles s'efforcent de se conformer à la nouvelle loi qui vient d'entrer en vigueur. Cette loi été expliquée et ainsi de suite. Or voici que ces entités risquent de se trouver simultanément soumises à un régime entièrement différent, et peut-être même d'être traînées en justice. Comment sont-elles censées réagir à tout cela – Bien honnêtement, si nous laissons ce problème s'installer, je crains pour l'efficacité de ce que nous avons déjà en place.

Je sais que le sénateur Finestone a dit que ce projet de loi peut toujours être modifié à l'étape de l'étude en comité. La difficulté est que l'approbation de ce genre de système à double voie, pour provisoire qu'elle soit, compromettrait gravement la crédibilité de notre régime de protection de la vie privée.

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