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Comparution devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale au sujet du projet de loi S-210

Le 27 mai 2024

Ottawa (Ontario)

Déclaration de Philippe Dufresne
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi.)


Monsieur le Président et mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître dans le cadre de votre étude sur le projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

En tant que Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, j’ai comme mandat de protéger et de promouvoir le droit fondamental à la protection de la vie privée. À ce titre, je dois notamment fournir des conseils, des orientations et des recommandations sur la protection des renseignements personnels et veiller au respect des deux lois fédérales canadiennes sur le sujet, à savoir la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui s’applique aux institutions du gouvernement fédéral, et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ou la LRPRDE, qui est la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé au Canada.

En janvier, j’ai lancé mon plan stratégique qui cible trois grandes priorités : optimiser l’incidence des efforts du Commissariat pour protéger et promouvoir le droit fondamental à la vie privée; faire valoir la protection de la vie privée à l’heure où se succèdent les changements technologiques et agir en ce sens; et défendre le droit à la vie privée des enfants.

Je soutiens l’objet du projet de loi S-210, qui consiste notamment à protéger la santé mentale des jeunes contre les répercussions néfastes de l’exposition à du matériel sexuellement explicite. 

Le projet de loi a par contre certaines répercussions sur la protection de la vie privée, et je souhaite proposer quelques modifications pour remédier à la situation.

Le projet de loi tel qu’il est rédigé prévoit que toute organisation qui rend accessible à un jeune du matériel sexuellement explicite en ligne à des fins commerciales est coupable d’une infraction et passible d’une amende dont la somme peut augmenter selon qu’il s’agit d’une première infraction et d’un cas de récidive.

Le fait pour une organisation de croire que le jeune était âgé d’au moins 18 ans peut constituer un moyen de défense si celle-ci avait mis en place un mécanisme de vérification de l’âge prévu par règlement afin de limiter l’accès au matériel sexuellement explicite.

La vérification de l’âge peut avoir des répercussions en matière de protection de la vie privée, étant donné qu’elle nécessite généralement la collecte de renseignements personnels, qui peuvent comprendre des données biométriques ou des pièces d’identité.

Tel qu’il est rédigé, le projet de loi s’appliquerait à des services comme les médias sociaux et les moteurs de recherche qui peuvent rendre accessible du contenu sexuellement explicite, mais qui sont principalement axés sur d’autres types de contenu. Des obligations relatives à la vérification de l’âge pourraient ainsi être imposées même dans des cas où une grande partie du contenu n’est pas sexuellement explicite. 

Pour régler cette situation, le Comité pourrait envisager de limiter l’obligation de vérification de l’âge aux sites Web qui fournissent principalement du matériel sexuellement explicite à des fins commerciales.

Avant de prescrire un mécanisme de vérification de l’âge, le gouverneur en conseil devra tenir compte de certains critères. Il devra notamment examiner si le mécanisme assure le respect de la vie privée des utilisateurs et protège leurs renseignements personnels. Je recommanderais l’ajout de critères à la liste pour faire en sorte que les mécanismes prescrits protègent suffisamment la vie privée. Plus précisément, il pourrait s’agir d’évaluer si les mécanismes prescrits sont proportionnés et limitent la collecte de renseignements personnels à ce qui est strictement nécessaire à la vérification. Les mécanismes de vérification de l’âge devraient également empêcher le suivi ou le profilage des personnes lorsqu’elles visitent des sites Web ou ont recours à des services. Ces critères sont positifs et importants.

À l’échelle internationale, divers pays ont pris des mesures pour empêcher les enfants d’accéder à du contenu pornographique, mais certaines lois sur le sujet ont un champ d’application plus limité que celui du projet de loi S‑210. Par exemple, le Texas et l’Utah imposent des mécanismes de vérification de l’âge uniquement sur les sites qui atteignent un certain seuil de contenu pornographique. Certains organismes de réglementation ont également déployé des efforts afin d’atténuer les risques pour la vie privée que présente l’utilisation de technologies de vérification de l’âge. Par exemple, en Espagne et en France, les organismes de réglementation ont travaillé avec des chercheurs pour concevoir et évaluer des mécanismes potentiels de vérification de l’âge.

Le Commissariat poursuit ses recherches dans ce domaine. Il est aussi membre d’un groupe de travail international, composé d’autres organismes de réglementation de la vie privée, afin d’échanger de l’information sur les mécanismes de vérification de l’âge et de tirer parti de l’expérience de chacun. En particulier, les membres de ce groupe de travail prévoient de publier une déclaration commune sur les principes de vérification de l’âge plus tard cette année. De plus, le Commissariat est en train de préparer un document d’orientation sur la confirmation de l’âge et la protection de la vie privée à l’intention des organisations et lancera une consultation exploratoire sur le sujet le mois prochain.

Enfin, si le projet de loi S-210 est adopté, je serai heureux de donner des conseils sur les règlements en matière de protection de la vie privée et des renseignements personnels au moment opportun.

Je serai heureux de répondre à vos questions.

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