Comparution devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles au sujet du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023
Le 3 mai 2023
Ottawa (Ontario)
Allocution d’ouverture prononcée par Philippe Dufresne
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
(Le texte prononcé fait foi.)
Monsieur le Président, honorables Sénateurs, bonjour.
Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui au sujet du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, plus précisément au sujet de la section 39 de ce projet de loi, qui comporte les modifications proposées à la Loi électorale du Canada. Je suis accompagné de Jennifer Poirier, conseillère juridique principale du Commissariat.
À titre de Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, j’ai pour mandat de protéger et de promouvoir le droit à la vie privée des individus dans les secteurs public et privé et de m’assurer que les organisations respectent leurs obligations à cet égard. À l’heure actuelle, la Loi sur la protection des renseignements personnels régit la façon dont les renseignements personnels sont traités par le gouvernement fédéral, et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) régit la façon dont ces renseignements sont traités par le secteur privé. Pourtant, aucune de ces deux lois n’a de dispositions qui s’appliquent aux partis politiques.
En 2018, le Commissariat a comparu devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-76, qui proposait des modifications à la Loi électorale du Canada afin d’obliger les partis politiques fédéraux à rédiger des politiques en matière de protection de la vie privée et à les publier en ligne comme condition d’enregistrement officiel auprès d’Élections Canada. Même s’il s’agissait d’un premier pas vers une plus grande transparence, le Commissariat avait à l’époque souligné que les modifications proposées à la Loi ne prévoyaient pas de recours clairs et efficaces ni d’examen approfondi des politiques en question.
Depuis plus d’une décennie, des voix s’élèvent pour demander l’amélioration des pratiques des partis politiques pour le traitement des données, afin de garantir que le droit à la vie privée des électeurs canadiens est adéquatement protégé.
Dès 2007, des donateurs et des membres de partis se sont dits préoccupés par le fait que des cartes de vœux non sollicitées semblaient cibler certains aspects de leur appartenance religieuse. En 2009, des plaintes ont été déposées auprès du Commissariat et d’Élections Canada concernant l’utilisation d’appels automatiques préenregistrés pendant la période électorale, appels mieux connus sous le nom « d’appels automatisés ». En 2018, le Commissariat a mené une enquête sur l’utilisation de renseignements personnels par Cambridge Analytica et Aggregate IQ dans le cadre de campagnes politiques. De plus, en 2019, a eu lieu le Grand Comité international intraparlementaire sur les mégadonnées, la protection des renseignements personnels et la démocratie.
Ces examens et ces enquêtes ont tous démontré que la vie privée est un droit fondamental parce que les renseignements personnels sont intimement liés à notre identité, et parce que le respect du droit à la vie privée est essentiel à notre dignité et à la pleine jouissance des libertés fondamentales, notamment nos droits démocratiques. Ce constat vaut tout particulièrement pour les renseignements personnels des électeurs recueillis par les partis politiques, comme les opinions politiques et les intentions de vote, car il s’agit de renseignements sensibles.
Les modifications proposées à la Loi électorale du Canada dans le projet de loi C-47 ne visent pas à établir pour les partis politiques des exigences minimales en matière de protection de la vie privée concernant le traitement des renseignements personnels, ni à prévoir une surveillance indépendante des pratiques de ceux-ci pour protéger ces renseignements. Ces modifications permettraient plutôt à tout parti politique et à ses affiliés de recueillir, d’utiliser, de communiquer et de conserver des renseignements personnels, ainsi que de procéder à leur retrait, conformément à la politique sur la protection des renseignements personnels du parti, qu’il élabore et révise s’il le juge approprié.
En raison de l’importance de la vie privée et de la nature sensible des renseignements recueillis, les Canadiennes et les Canadiens ont besoin et sont en droit de bénéficier d’un régime de protection de la vie privée pour les partis politiques qui ne se limite pas à l’autoréglementation et qui prévoit des normes et une surveillance indépendante adéquates pour protéger et promouvoir le droit fondamental des électeurs à la vie privée.
Les partis politiques devraient être assujettis à des règles particulières de protection de la vie privée qui sont essentiellement similaires aux exigences qui sont énoncées pour les secteurs public et privé dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et la LPRPDE. Ces règles devraient aussi être adaptées au rôle unique joué par les partis politiques dans le processus démocratique. Autrement dit, il doit s’agir d’exigences en matière de protection de la vie privée qui s’appuient sur une loi et qui sont fondées sur des principes de protection de la vie privée reconnus à l’échelle internationale, dont celui de pouvoir s’adresser à un tiers indépendant disposant du pouvoir de vérifier et d’imposer la conformité, et celui d’offrir des recours en cas d’atteinte à la vie privée.
En tant qu’agent du Parlement ayant pour mandat de protéger et de promouvoir le droit à la vie privée, et compte tenu des connaissances et de l’expertise confirmées du Commissariat en la matière dans les secteurs public et privé, je suis d’avis que mon organisation a un rôle à jouer à cet égard. Faire appel au Commissariat comporterait un autre avantage : celui de donner l’assurance aux Canadiennes et aux Canadiens que leur droit à la vie privée est dûment pris en compte et protégé, ce qui permettrait de renforcer la confiance envers nos institutions démocratiques.
Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.
Merci.
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