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Comparution devant le Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie concernant les applications de traçage de contacts

Le 29 mai 2020
Ottawa (Ontario)

Déclaration de Daniel Therrien,
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Merci Mme la Présidente, et membres du comité, de votre invitation à discuter des applications de traçage, l’un des moyens à l’étude au Canada et ailleurs pour contribuer à un retour sécuritaire à une vie plus normale.

Il est à noter que l’expression « applications de traçage » est utilisée dans le discours public pour décrire différentes applications mobiles comme outils de santé publique. Certaines sont conçues pour faire un véritable traçage des contacts, d’autres ont comme finalité d’informer les utilisateurs et leur donner des conseils en fonction de leur niveau de risque.

Protéger à la fois la santé publique et la vie privée

En cette période de crise sanitaire liée à la COVID-19, la santé et la sécurité des Canadiens sont une préoccupation majeure. Il est normal que les gouvernements et les autorités de santé publique cherchent des moyens, y compris des moyens technologiques, afin de mieux comprendre et de circonscrire la propagation du coronavirus.

Dans ce contexte, le Commissariat a mis de l’avant une approche flexible et contextuelle dans son application des lois sur la protection des renseignements personnels. Nous croyons fermement qu’il est possible d’utiliser la technologie à la fois pour protéger la santé publique et la vie privée. La technologie en soi n’est ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de la façon dont elle est conçue, utilisée et réglementée.

Bien conçues, des applications de traçage pourraient simultanément réaliser les deux objectifs de santé publique et de protection des droits; mises en œuvre de manière inadéquate, elles pourraient entraîner une surveillance étatique ou commerciale qui outrepasse les besoins de santé publique et donc, une violation de nos droits fondamentaux.

La conception des applications est essentielle à la protection des droits

Une bonne conception des outils technologiques, tels que les applications de traçage, passe par le respect de certains principes clés en matière de protection de la vie privée. Le Commissariat a recommandé ces principes dans le Cadre d’évaluation des initiatives en réponse à la COVID-19 ayant une incidence importante sur la vie privée, puis dans une déclaration commune présentée par les commissaires à la protection de la vie privée des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux sur les applications de traçage des contacts.

Comme le temps est limité, je me concentrerai ici sur six de ces principes.

Premièrement, la finalité : les renseignements personnels recueillis au moyen des applications de traçage devraient être utilisés pour les fins prévues visant la protection de la santé publique et pour aucune autre fin.

Deuxièmement, ces applications doivent respecter les principes de nécessité et de proportionnalité, c’est-à-dire être fondées sur la science, nécessaires à une fin particulière, adaptées à cette fin et susceptibles d’être efficaces.

Troisièmement, il doit y avoir une assise juridique claire pour justifier l’utilisation de ces applications, et l’utilisation devrait être volontaire, car cela est important pour garantir la confiance des citoyens. L’utilisation de ces applications devrait donc être fondée sur le consentement, et le consentement doit être valable.

Quatrièmement, ces mesures exceptionnelles devraient être limitées dans le temps. Tout renseignement personnel recueilli pendant la période en cours devrait être détruit à la fin de la crise, et les applications devraient être mises hors service.

Cinquièmement, la transparence : les gouvernements devraient indiquer clairement le fondement et les modalités se rapportant à l’utilisation de ces applications. Ils devraient réaliser des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée ou des analyses rigoureuses de protection de la vie privée, les soumettre à l’examen des commissaires à la protection de la vie privée et en publier de façon proactive un résumé en langage clair.

Sixièmement, la responsabilité : les gouvernements et les entreprises devraient être tenus responsables de la façon dont les renseignements personnels sont recueillis, utilisés, communiqués et sécurisés. Une surveillance exercée par un tiers indépendant, par exemple par un commissaire à la vie privée, renforcerait la confiance des citoyens.

La crise actuelle accentue la nécessité d’une réforme législative

Bien que les gouvernements aient insisté sur l’importance de protéger la vie privée dans la conception d’applications de traçage, plusieurs des principes que j’ai mentionnés ne sont pas des exigences juridiques prévues dans les deux lois fédérales sur la protection des renseignements personnels. Ainsi, par exemple, rien n’empêche actuellement une entreprise de proposer une application qui n’est pas fondée sur des données probantes et d’utiliser l’information à des fins commerciales qui n’ont aucun lien avec la protection de la santé. L’entreprise n’aurait qu’à obtenir le consentement des intéressés, ce qui est fait souvent au moyen d’énoncés rédigés en des termes incompréhensibles. Un gouvernement pourrait également établir un partenariat avec cette entreprise.

La crise sanitaire actuelle a clairement montré que les technologies peuvent jouer un rôle très utile pour rendre sécuritaires des activités essentielles. La présente réunion porte sur le traçage des contacts, mais les avantages pourraient être beaucoup plus vastes : pensons par exemple à la télémédecine ou l’éducation en ligne.

Ce dont nous avons besoin, plus que jamais, ce sont des lois qui permettent aux technologies de procurer des avantages dans l’intérêt du public sans créer de risques de violation des droits fondamentaux, comme le droit à la vie privée. De plus, en raison du rôle croissant des partenariats public-privé dans la gestion de crises telles que celle de la COVID, des principes communs doivent s’inscrire dans les lois applicables au secteur public et au secteur privé.

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