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Comparution devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense (SECD) concernant le Projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes

Le 21 novembre 2018
Ottawa (Ontario)

Déclaration de Daniel Therrien,
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Bonjour Madame la Présidente et membres du Comité,

Je suis accompagné aujourd’hui de Mme Lara Ives, directrice de la Direction des services-conseils au gouvernement du Commissariat.

Je tiens à remercier le Comité de m’avoir invité à parler du projet de loi C-21, la Loi modifiant la Loi sur les douanes. Permettez-moi tout d’abord de dire que je suis généralement satisfait que cette initiative reliée à la gestion de la frontière, repose sur d’importants objectifs d’intérêt public et que les renseignements personnels en jeu ne sont pas particulièrement sensibles.

Cela dit, la protection de la vie privée exige que les renseignements personnels qui seront recueillis en vertu du programme des entrées et sorties soient gérés avec prudence, conformément à des ententes et des procédures adéquates. Cela est vrai entre autres de la conservation de l’information et, compte tenu du temps qui m’est alloué, mes propos porteront principalement sur cette question.

Je comprends pourquoi la Chambre a adopté un amendement visant à imposer des limites raisonnables pour la période de conservation de l’information sur les sorties recueillie par l’Agence des services frontaliers du Canada, ou l’ASFC.

Lors de ma comparution devant le comité de la Chambre chargé d’étudier ce projet de loi, j’avais parlé de l’obligation, pour les institutions, de justifier clairement les périodes de conservation de l’information. Les renseignements personnels ne devraient être conservés que le temps nécessaire aux fins prévues par la loi, que ce soit la loi de l’ASFC ou celles des institutions à qui l’ASFC partage l’information sur les sorties.

Il semble que l’objectif de l’amendement adopté par la Chambre, soit l’ajout d’un nouvel article 93.1 à la Loi sur les douanes, était de limiter à 15 ans la période de conservation de l’information sur les sorties. Toutefois, le texte adopté ne traduit pas clairement cet objectif et pourrait donner lieu à une interprétation qui nuirait à la protection de la vie privée.

Le nouvel article 93.1 proposé stipule que l’information sur les sorties recueillie en vertu de la nouvelle loi doit être conservée pendant 15 ans, sous réserve de l’article 6 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Cette formulation me préoccupe pour deux raisons.

Premièrement, l’article 93.1 proposé fixe, en réalité, une limite minimale et non une limite maximale. Les termes « sont conservés pendant quinze ans » indiquent clairement que les renseignements ne peuvent pas être détruits avant la fin de la période de 15 ans, mais rien dans le texte ne prescrit ce qui doit arriver à la fin de la période. Les renseignements peuvent donc être conservés plus longtemps.

Deuxièmement, il n’est pas clair si l’article 93.1 s’applique uniquement à l’ASFC. Puisque l’amendement vise des renseignements qui ont été « recueillis au titre des articles 92 et 93 » (le programme des sorties), une interprétation possible serait que la période de conservation de 15 ans continue de s’appliquer à l’information sur les sorties recueillie de cette façon même après qu’elle soit communiquée à une autre institution gouvernementale. Cette interprétation pourrait avoir comme effet d’allonger les périodes de conservation dans certains ministères, notamment dans ceux qui ont comme politique de supprimer toute l’information non pertinente immédiatement après sa collecte.

Des responsables de l’ASFC nous ont informés que ce n’était pas l’interprétation qu’ils adoptaient. D’après leur interprétation, l’article 93.1 ne s’applique qu’à l’ASFC. Selon eux, si l’information sur les sorties est partagée à une autre institution par l’ASFC, cette institution les recueillera en vertu de ses propres pouvoirs et la période de conservation sera celle s’appliquant à leur collecte.

Si l’interprétation des responsables de l’ASFC est retenue, alors la période de conservation minimale de 15 ans s’applique uniquement à l’Agence. Les périodes de conservation prévues dans les autres institutions ne seraient pas touchées par le projet de loi C-21 : certaines périodes pourraient être plus courtes que 15 ans et d’autres plus longues.

Cependant, si, comme nous le craignons, la période de conservation minimale de 15 ans continue de s’appliquer aux renseignements même après leur partage à d’autres institutions, l’article 93.1 aura comme effet d’allonger la période pendant laquelle ces institutions devront conserver les renseignements.

Par exemple, l’information sur les sorties sera partagée à Emploi et Développement social Canada pour qu’il vérifie l’admissibilité à l’assurance-emploi. À notre connaissance, avant l’amendement, cette information aurait été supprimée immédiatement si elle ne menait pas à l’inadmissibilité à l’assurance-emploi. D’après l’interprétation possible de l’article 93.1 qui nous préoccupe, ce ministère serait tenu de conserver les renseignements pendant 15 ans, puisqu’au départ, ils auraient été « recueillis au titre des articles 92 et 93 ».

Des périodes de conservation inférieures à 15 ans pourraient encore être possibles, même selon cette interprétation, si des règlements adoptés en vertu de l’article 6 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoyaient une période de conservation plus courte. Cependant, à notre connaissance, il n’existe aucun plan visant à adopter de tels règlements.

En conclusion, bien que l’intention de la Chambre semblait être d’imposer une période de conservation maximale en partie dans le but de protéger la vie privée des voyageurs tout en laissant suffisamment de temps aux institutions gouvernementales pour qu’elles réalisent leurs enquêtes, l’amendement pourrait, en fait, affaiblir la protection de la vie privée.

À mon avis, pour favoriser une plus grande certitude juridique, il serait souhaitable de modifier l’article 93.1 afin de clarifier qu’il ne s’applique qu’à l’ASFC et qu’il sert à fixer une période maximale.

Quant aux périodes de conservation s’appliquant aux institutions qui reçoivent les renseignements recueillis par l’ASFC en vertu du programme des sorties, elles devraient respecter le principe énoncé au début : les renseignements personnels devraient être conservés uniquement le temps nécessaire aux fins particulières prévues par la loi. Si la loi permettait la conservation en fonction d’une échelle variable selon les lois applicables aux institutions récipiendaires, je n’aurais aucune objection.

Merci, Madame la Présidente. Je répondrai volontiers à vos questions.

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