Comparution devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications concernant le projet de loi C-49
Le 31 janvier 2018
Ottawa (Ontario)
Déclaration de Daniel Therrien,
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
(Le texte prononcé fait foi)
Introduction
Monsieur le président et Mesdames et Messieurs les membres du Comité, je vous remercie de m’avoir invité à vous exprimer aujourd’hui mon point de vue concernant le projet de loi C-49. Je parlerai expressément des questions de protection de la vie privée se rapportant aux dispositions qui rendront obligatoire l’installation d’appareils d’enregistrement audio-vidéo de locomotive à bord des trains.
Objet et utilisation
En plus d’exiger l’installation de ces appareils, le projet de loi prévoit les fins auxquelles les entreprises pourront utiliser les données recueillies. Il est important de le souligner. Les amendements proposés permettront une gestion proactive de la sécurité et faciliteront les enquêtes sur les accidents ou les incidents. Ils visent aussi à protéger le droit à la vie privée des employés et à encadrer la surveillance en milieu de travail.
Il est raisonnable de recueillir et d’utiliser les données des appareils d’enregistrement à des fins de sécurité – particulièrement quand ces données visent à faire enquête et à déterminer la cause d’un accident ferroviaire ou d’un incident de sécurité. La collecte et l’utilisation sont raisonnables aussi lorsqu’il s’agit de cerner de façon proactive les problèmes de sécurité pourvu que des mécanismes de contrôle appropriés empêchent toute utilisation à des fins incompatibles. Nous suivrons de près l’élaboration des règlements établissant les exigences quant à la façon dont se fera l’analyse aléatoire des enregistrements.
Certaines dispositions du projet de loi visent à assurer un juste équilibre entre la sécurité et la protection de la vie privée. Par exemple, l’alinéa 17.91(1)a) indique assez clairement les fins de sécurité auxquelles l’information pourra être analysée de façon proactive. Le projet de loi confirme aussi que les enregistrements de bord demeureront protégés. Ils ne pourront donc pas servir dans le cadre de procédures disciplinaires.
Cela dit, je souhaite vous faire part de deux préoccupations.
Exception à la LPRPDE
Le premier point est presque sans précédent et certainement exceptionnel. Le projet de loi C-49 créerait une exception à plusieurs obligations énoncées dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé au Canada. Je parle ici du paragraphe 17.91(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire. Si ce paragraphe était adopté, les entreprises seraient libérées des obligations que leur impose l’article 7 de la LPRPDE et de celles qui régissent la collecte, l’utilisation, la communication et la conservation de renseignements personnels.
Il semble que les rédacteurs de la Loi sur la sécurité ferroviaire souhaitaient créer un code énonçant toutes les obligations en question. Ce ne sont pas tant les obligations imposées par la Loi qui me préoccupent. C’est davantage la difficulté d’interpréter l’interaction de la Loi sur la sécurité ferroviaire et de la LPRPDE et, en particulier, le manque de clarté en ce qui touche le rôle que le Commissariat continuerait de jouer en faisant enquête sur les infractions alléguées ou l’application du droit d’accès aux renseignements personnels en vertu des deux lois fédérales sur la protection de la vie privée.
C’est pourquoi je recommande les amendements suivants au projet de loi :
- Premièrement, l’exception à la LPRPDE ne devrait pas englober le principe de conservation. Ce principe, selon lequel on ne doit pas conserver les renseignements plus longtemps que nécessaire, est pertinent dans le contexte. L’alinéa 17.95(1)d) de la Loi sur la sécurité ferroviaire, qui prévoit le pouvoir de prendre des règlements, pourrait permettre d’ajouter des détails, mais il ne s’agit pas d’un substitut valable.
- Deuxièmement, le projet de loi devrait confirmer que le Commissariat a compétence pour examiner les plaintes portant sur les infractions alléguées aux principes de la LPRPDE, notamment pour déterminer si les exceptions prévues par la Loi sur la sécurité ferroviaire ont été appliquées comme il se doit.
- Troisièmement, en ce qui concerne les enregistrements de bord protégés, le projet de loi devrait également modifier l’article 28 de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports de façon à confirmer d’une part, à ce qu’un individu ait accès à ses renseignements personnels et d’autre part, à ce que le Commissariat puisse y avoir accès et les utiliser si ce dernier venait à nous soumettre une plainte en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la LPRPDE.
- Quatrièmement, je recommande que les exceptions aux principes de la LPRPDE soient dorénavant définies, ou à tout le moins mentionnées, dans cette loi elle-même. Autrement, si la méthode de rédaction du projet de loi C-49 devenait la norme, la transparence en souffrirait. Nous devrions nous reporter à d’autres lois pour déterminer si la LPRPDE s’applique et, si c’est le cas, dans quelle mesure.
Pouvoir de prendre des règlements
Une autre observation concerne le libellé de l’alinéa 17.95(1)d), qui permet de prendre des règlements portant, entre autres, sur la collecte, la conservation, l’utilisation et la communication des renseignements enregistrés au moyen des appareils d’enregistrement.
D’après le gouvernement, cette disposition vise à ajouter des mesures de protection des données, par exemple le chiffrement. Mais, à mon avis, son libellé n’est pas assez limité et il pourrait accroître le nombre de fins prévues par la loi pour la collecte, l’utilisation ou la communication des données des appareils d’enregistrement. Même si ce n’est pas l’intention, le libellé de cet alinéa semble ouvrir cette possibilité.
Je recommande donc que l’alinéa 17.95(1)d) soit modifié pour refléter davantage l’intention visée et que son libellé précise clairement que les règlements sur la collecte, l’utilisation et la communication des renseignements prévoient des mesures de protection supplémentaires. Il ne devrait pas ajouter à la liste des fins admissibles pour ces activités.
Conclusion
Les représentants du gouvernement se disent déterminés à respecter le droit à la vie privée des employés tout en poursuivant les importants objectifs de sécurité des appareils d’enregistrement. Le projet de loi cadre en grande partie avec cette intention, mais il semble permettre des écarts sur deux aspects. Les amendements que je propose garantiraient davantage le respect des principes de protection de la vie privée.
Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
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