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Lettre au Comité permanent de la sécurité publique et nationale concernant l’examen du projet de loi C-23, Loi relative au précontrôle de personnes et de biens au Canada et aux États-Unis

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien, a envoyé la lettre suivante aux membres du Comité permanent de la sécurité publique et nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi C-23, Loi relative au précontrôle de personnes et de biens au Canada et aux États-Unis. Le 8 juin, le commissaire a transmis une lettre de suivi au Comité dans laquelle il fournit d’autres commentaires sur le projet de loi C-23.

Le 24 mai 2017

Monsieur Robert Oliphant, député
Président, Comité permanent de la sécurité publique et nationale
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)  K1A 0A6

Monsieur le Président,

J’aimerais vous remercier, vous-même et les autres membres du Comité, pour le travail que vous avez accompli à ce jour dans le cadre de l’examen du projet de loi C-23, Loi relative au précontrôle de personnes et de biens au Canada et aux États-Unis. J’espère que le point de vue que j’exprime ci-dessous vous sera utile, tout comme le sera sans doute votre examen antérieur du cadre de sécurité nationale du Canada. Les mesures de précontrôle adoptées à plusieurs reprises au fil des ans ont suscité des préoccupations concernant le statut des lois et de la souveraineté du Canada. Les législateurs soulèvent eux aussi les questions de la protection de la vie privée, du partage d’information et des limites raisonnables en matière de fouilles. C’est pourquoi j’estime qu’il est important de les aborder directement.

Ce qui me préoccupe dans l’immédiat, c’est que l’administration américaine a récemment annoncé son intention de fouiller les appareils électroniques de tout étranger qui veut entrer aux États‑Unis, à sa discrétion et sans aucun autre motif juridique que la volonté d’assurer la sécurité nationale. Ainsi, les contrôleurs américains pourraient exiger que les personnes souhaitant être admises aux États-Unis fournissent le mot de passe de leur téléphone cellulaire ou de leurs comptes dans les médias sociaux. Il semble que cette politique s’appliquerait également aux zones de précontrôle au Canada. La politique canadienne, en revanche, prévoit des fouilles à la frontière de personnes souhaitant entrer au pays uniquement s’il y a des motifs ou des indications selon lesquels les appareils ou les supports numériques pourraient contenir la preuve d’infractions.

La fouille d’un appareil électronique est une procédure extrêmement envahissante sur le plan de la vie privée. La Cour suprême du Canada l’a reconnu à maintes occasions.Note de bas de page 1 Je suis conscient que les agents de l’État possèdent des pouvoirs de fouille plus vastes à la frontière, mais les tribunaux canadiens ne considéreraient probablement pas que les fouilles sans motif d’appareils électroniques ou du contenu de comptes de médias sociaux sont constitutionnelles. C’est peut-être pour cette raison que la politique du Canada est plus nuancée.

En vertu des nouvelles règles proposées tout comme c’est le cas en vertu du présent Accord de précontrôle, les contrôleurs seraient tenus de respecter les lois du pays d’accueil lorsqu’ils s’y trouvent. Cette exigence s’appliquerait autant aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) travaillant aux États-Unis qu’aux contrôleurs du US Custom and Border Protection (CBP) travaillant au Canada. En vertu de l’Accord, toute activité de précontrôle menée par les autorités américaines au Canada devrait être exercée conformément au droit canadien, notamment à la Charte canadienne des droits et libertés, à la Déclaration canadienne des droits et à la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’article 11 du projet de loi C-23 le précise d’ailleurs.

En principe, l’article 11 du projet de loi C-23 devrait protéger les droits fondamentaux des Canadiens. Toutefois, selon l’article 39, les procédures au civil intentées contre les États-Unis demeurent assujetties à la Loi sur l’immunité des États de 1985. Cette disposition limite considérablement les recours civils contre les États-Unis pour des actes posés par des contrôleurs du CBP dans le cadre de leurs fonctions de précontrôle.

Je serai clair : le principe d’immunité de l’État adopté dans la Loi sur l’immunité des États de 1985 semble rendre largement inopérantes les mesures de protection prévues à l’article 11 du projet de loi C-23, puisqu’aucun tribunal ne pourrait les faire appliquer, sauf dans des situations qui généralement dépassent le contexte de la présente analyse.

C’est une question difficile à laquelle il n’y a pas de solution évidente. En vertu du paragraphe 20(2) du projet de loi C-23, le contrôleur ne peut recueillir les renseignements biométriques « à moins qu’un avis de la possibilité pour les voyageurs de se soustraire au précontrôle ne soit donné – par affichage ou un autre moyen de communication – dans la zone de précontrôle ». Selon le contexte, les appareils électroniques peuvent contenir des renseignements personnels aussi sensibles que les données biométriques. On pourrait peut-être élargir la portée du paragraphe 20(2) du projet de loi C-23 pour englober les fouilles d’appareils électroniques sans motif.

Dans bien des cas, toutefois, il semble que les Canadiens qui souhaitent se rendre aux États-Unis devront faire un choix difficile aux zones de précontrôle du Canada et aux postes frontaliers des États‑Unis : accepteront-ils que leurs appareils soient fouillés sans motif ou renonceront-ils à entrer aux États-Unis?

J’espère que les points soulevés ici aideront les membres du Comité au cours de leur examen. Si vous avez des questions sur certains aspects évoqués plus haut ou que voulez obtenir copie d’autres recherches menées par le Commissariat, n’hésitez pas à nous en faire part et nous vous appuierons du mieux que nous le pourrons pour les besoins de votre examen.

Vous pouvez communiquer directement avec Pierre-Luc Simard, agent des affaires parlementaires, au 819-994-6015. Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Le commissaire,

 

(La version originale a été signée par)

Daniel Therrien

c. c. Jean-Marie David, greffier

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