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Comparution devant le Comité permanent sur la sécurité nationale et la défense (SECD) au sujet du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi sur les douanes (précontrôle)

Le 4 décembre 2017
Ottawa (Ontario)

Déclaration d'ouverture prononcée par Daniel Therrien
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Introduction

Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui pour parler du projet de loi C-23, Loi sur le précontrôle (2016), qui met en œuvre l’Accord relatif au précontrôle dans les domaines du transport terrestre, ferroviaire, maritime et aérien de 2015 entre le Canada et les États-Unis.

Comme je l’ai souligné dans le cadre d’autres études parlementaires, le droit relatif à la vie privée doit être considéré dans le contexte dans lequel il est appliqué. Le commerce et la sécurité sont des enjeux vitaux dans les politiques de précontrôle à la frontière canado-américaine, et nous avons besoin de contrôles bien pensés à nos frontières pour les personnes, les marchandises et les données. Mais ces enjeux ne signifient pas que la vie privée doit être mise de côté lorsque nous sommes à un poste frontalier.

Seuil relatif aux fouilles de marchandises

Le projet de loi C-23 autorise les agents des États-Unis à mener des activités de précontrôle, incluant des fouilles, aux installations de précontrôle en sol canadien. Conformément à ce projet de loi, les Canadiens et les autres personnes qui tenteront d’entrer aux États-Unis en passant par les installations de précontrôle au Canada pourraient voir leurs appareils électroniques fouillés sans motif juridique valable.

Cette situation n’est pas différente de ce que prévoit la loi canadienne actuelle, qui permet aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de fouiller sans motif les marchandises des personnes qui souhaitent entrer au Canada (alinéas 99(1)a) et c)‎ de la Loi sur les douanes).

Cependant, il existe une différence importante en ce sens que la politique de l’ASFC exige des motifs précis pour effectuer la fouille d’appareils électroniques en particulier, à savoir « que les appareils ou les supports numériques pourraient contenir des preuves de contraventions ». Pour les raisons que je vais expliquer, je crois que cette politique plus nuancée devrait être élevée au niveau d’une règle de droit.

Les appareils électroniques ne sont pas de simples « biens »

L’idée selon laquelle les appareils électroniques devraient être considérés comme de simples biens et qu’ils pourraient être fouillés sans motif juridique à la frontière est clairement dépassée et ne reflète pas la réalité de la technologie moderne.

Bien que la loi accorde une plus grande latitude aux autorités étatiques de mener des fouilles à la frontière pour assurer la souveraineté, l’intégrité territoriale et réguler l’immigration, la Cour suprême est aussi d’avis que dans de nombreux autres contextes, la fouille d’appareils électroniques est extrêmement envahissante.

Par conséquent, même si le droit n’est pas encore bien établi, il m’apparaît clair que les tribunaux canadiens considéreraient que les fouilles sans motif d’appareils électroniques sont inconstitutionnelles, même si elles sont faites à la frontière. C’est peut-être pour cette raison que l’ASFC a adopté une politique nuancée.

Les membres du Cabinet, incluant le premier ministre et le ministre de la Sécurité publique, ont tenté de rassurer les Canadiens en déclarant que les lois canadiennes, notamment la Charte canadienne des droits et libertés, s’appliqueront aux agents des États-Unis qui exercent leurs fonctions et leurs attributions dans les installations de précontrôle (article 11 du projet de loi C-23).

Cependant, cette protection est largement inopérante puisqu’en vertu de la Loi sur l’immunité des États de 1985, aucun tribunal canadien ne pourrait la faire appliquer à l’encontre des États-Unis ou de ses agents, sauf dans des situations qui généralement dépassent le contexte de la présente analyse.

Recours et modification

Dans un effort pour remédier aux lacunes du projet de loi en ce qui a trait aux mesures réparatrices, il a été modifié pour ajouter un recours administratif au Groupe consultatif chargé du précontrôle, comme il est défini à l’article 26.1. Cependant, ces modifications comportent aussi d’importantes failles, notamment sur le fait qu’elles ne s’appliquent pas aux fouilles d’appareils électroniques.

Ce qui précède m’amène à recommander deux modifications au projet de loi C-23 :

  1. Modifier le projet de loi C-23 afin que les fouilles d’appareils électroniques soient assujetties au même seuil que les fouilles sur des personnes, c’est-à-dire, à des motifs raisonnables de soupçonner;
  2. Élargir la mesure administrative de l’article 26.1 à toutes les activités menées par les agents des États-Unis dans les installations de précontrôle, y compris les fouilles d’appareils électroniques.

Il me fera plaisir de répondre maintenant à vos questions.

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