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Comparution devant le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique concernant la protection des renseignements personnels des Canadiens aux frontières, aéroports et aux États-Unis

Le 18 septembre 2017
Ottawa (Ontario)

Déclaration de Daniel Therrien,
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Introduction

Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui dans le cadre de votre étude.

Il faut examiner en contexte la question du droit à la vie privée à la frontière compte tenu de l’importance du commerce pour le Canada.

Cela signifie que des mesures de contrôle bien pensées s’imposent pour les individus, les biens et les données qui traversent la frontière.

Biens et mesures de contrôle mises en place par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) aux postes frontaliers : interrogatoires et fouilles

L’un des sujets signalés pour les besoins de votre étude a trait aux vérifications et aux fouilles effectuées par les agents des services frontaliers canadiens.

Comme vous le savez, les agents des postes frontaliers possèdent de vastes pouvoirs – ils peuvent interroger les voyageurs, recueillir des renseignements biométriques à des fins d’identification et examiner, fouiller ou retenir des biens, quels qu’ils soient.

En ce qui concerne la fouille de personnes, les agents peuvent procéder à une fouille par palpation ou sommaire, prendre une radiographie ou faire un balayage corporel. Ils peuvent même exiger une fouille à nu ou un examen des cavités corporelles.

Toute fouille de personnes nécessite des motifs raisonnables de soupçonner une infraction quelconque, notamment la dissimulation de biens ou de tout autre chose qui pourraient représenter une menace à la vie ou à la sécurité de quiconque.

De leur côté, les appareils électroniques sont traditionnellement considérés comme des biens par l’ASFC.

En vertu des alinéas 99(1)a) et c) de la Loi sur les douanes, l’agent peut examiner et en ouvrir toutes marchandises, ainsi qu’en prélever des échantillons sans motif juridique; ces dispositions s’appliquant à la fois aux marchandises qui entrent au Canada et qui en sortent.

De plus, selon la jurisprudence sur la Charte canadienne des droits et libertés, les autorités fédérales bénéficient d’une plus grande marge de manœuvre à la frontière pour assurer la souveraineté et l’intégrité territoriale et contrôler l’immigration.

Parallèlement, la Cour suprême du Canada a aussi conclu dans de nombreux autres contextes que la fouille d’un appareil électronique est une procédure extrêmement envahissante.

Ainsi, même si le droit n’est pas bien établi, il m’apparaît clair que les tribunaux canadiens considéreraient que les fouilles sans motif valable sont inconstitutionnelles, mêmes si elles sont faites à la frontière.

L’idée que les appareils électroniques devraient être considérés comme de simples biens faisant l’objet de fouilles sans aucun motif juridique à la frontière est clairement dépassé et ne reflète pas les réalités de la technologie d’aujourd’hui.

C’est peut-être pour cette raison que la politique du Canada est plus nuancée que la Loi sur les douanes. Selon la politique de l’ASFC, il doit exister des motifs précis pour effectuer ces fouilles, à savoir « que les appareils ou les supports numériques pourraient contenir des preuves de contraventions ».

Je pense qu’il s’agit d’une politique avisée qui devrait être élevée au niveau de la règle de droit dans un avenir rapproché.

Fouilles effectuées par les autorités américaines

Une autre question importante reliée à la frontière concerne le projet de loi C-23, Loi sur le précontrôle, qui est présentement au Sénat.

Le projet de loi C-23 mettrait en œuvre l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique relatif au précontrôle dans les domaines du transport terrestre, ferroviaire, maritime et aérien conclu en 2015.

Ce projet de loi prévoit que les agents des services frontaliers canadiens et américains exerceraient des activités de précontrôle à différents points d’entrée des deux côtés de la frontière.

J’ai exprimé des préoccupations lorsque l’administration américaine a annoncé son intention de fouiller les appareils électroniques de tout étranger qui veut entrer aux États-Unis.

Ces fouilles seront exécutées à sa discrétion et sans aucun autre motif que la volonté d’assurer la sécurité nationale.

Selon le projet de loi C-23, les contrôleurs américains au Canada sont assujettis au droit canadien dans l’exercice de leurs attributions ou pouvoirs.

Le Gouvernement nous rappelle qu’ils seraient notamment assujettis à la Charte canadienne des droits et libertés, à la Déclaration canadienne des droits et à la Loi canadienne sur les droits de la personne.  

Toutefois, ces protections sont en quelque sorte futiles puisqu’elles seraient sérieusement limitées par le principe de l’immunité des États, c’est-à-dire qu’elles ne pourraient être appliquées par une cour de justice.  

Il faudrait noter qu’en vertu du projet de loi C-23, les contrôleurs américains au Canada doivent avoir des motifs raisonnables de soupçonner pour effectuer la fouille de personnes y compris la fouille par palpation qui est relativement moins intrusive.

J’estime que la fouille d’appareils électroniques peut être beaucoup plus envahissante encore que ces fouilles physiques.

Comme je le recommandais dans le cadre de l’étude du projet de loi C-23, les fouilles d’appareils électroniques à la frontière devraient s’effectuer sur des motifs raisonnables de soupçonner une infraction à la loi, un seuil qui serait similaire à celui s’appliquant aux fouilles des personnes.

Lettres aux ministres concernant le décret adopté par le président des États-Unis

Le printemps dernier, je vous ai informé de ma correspondance avec trois ministres du gouvernement au sujet de certains décrets présidentiels de la nouvelle administration américaine émis plus tôt cette année.

Des mesures comme celles-ci ont clairement une incidence matérielle sur la vie privée de plusieurs citoyens étant donné l’importance du tourisme et des voyages d’affaires vers les États-Unis.  

Un de ces décrets exclurait explicitement les personnes qui ne sont pas des citoyens américains ni des résidents permanents légitimes aux États-Unis de certaines mesures de protection de la vie privée.

La vie privée des Canadiens bénéficie d’une certaine protection aux États-Unis, mais cette protection est précaire car elle repose principalement sur des engagements ou des ententes administratives qui ne sont pas exécutoires, notamment l’accord du Groupe des cinq et l’accord Par-delà la frontière conclu avec les États-Unis. 

J’ai exhorté les représentants du gouvernement fédéral à demander à leurs homologues américains de renforcer la protection de la vie privée offerte aux Canadiens.

Cela pourrait se faire, par exemple, en ajoutant le Canada à la liste des pays désignés en vertu de la Judicial Redress Act des États-Unis. De cette façon, certaines protections prévues par la Privacy Act des États-Unis s’appliqueraient aux Canadiens, comme elles s’appliquent aux citoyens de plusieurs pays européens.

Nous avons aussi demandé au gouvernement de nous donner l’assurance que la protection offerte par les ententes administratives canado-américaines serait maintenue en dépit du décret et de nous informer de tout changement qui pourrait porter atteinte à la vie privée des Canadiens. Nous comprenons que des résultats ont maintenant été compilés et qu’une réponse sera disponible prochainement.

Échange d’information avec les États-Unis

De façon générale, au cours des dernières années, nous avons consacré beaucoup de temps aux enjeux reliés à la frontière et à l’échange d’information, en particulier aux initiatives menées conjointement avec les États-Unis dans le cadre du plan d’action Par-delà la frontière. 

À ce jour, nous avons fait des commentaires sur une cinquantaine d’évaluations des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) portant sur ces seules initiatives.

Dans ces échanges, nous avons formulé une série de recommandations à l’ASFC et à d’autres ministères fédéraux qui cherchaient à élargir l’échange d’information et d’autres procédures à la frontière. 

De façon générale, nous sommes satisfaits de l’ampleur des consultations et de la qualité accrue des analyses des facteurs relatifs à la vie privée entreprises par les organismes chargés de la sécurité à la frontière.

Cela dit, nous avons encore des préoccupations concernant les périodes de conservation applicables aux données recueillies auprès des voyageurs et le risque que les données recueillies aux fins de douanes soient ensuite utilisées à d’autres fins.

Ces deux enjeux ont été jugés problématiques du point de vue du droit européen dans une récente décision de la Cour européenne de justice sur la ratification de l’Accord Canada-UE sur l'information préalable sur les voyageurs et à l'information relative au dossier passager.

Conclusion

Étant donné que les gens, les biens et les données traversent les frontières avec une fréquence accrue, il est important que le Parlement s’assure de mettre en place les règles appropriées afin de respecter la vie privée des individus.

L’importance de ces règles a été reconnue historiquement à l’égard de la fouille des personnes. Le temps est venu d’étendre ces protections aux appareils électroniques.

Je vous remercie de m’avoir invité à vous exprimer mon point de vue. Il me fera plaisir de répondre maintenant à vos questions.

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