Comparution devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense (SECD) au sujet du projet de loi C-22, intitulé Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement
Le 5 juin 2017
Ottawa (Ontario)
Déclaration prononcée par Daniel Therrien
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
(Le texte prononcé fait foi)
Merci de m’avoir invité à discuter de cet important projet de loi avec vous tous.
Tout d’abord, je vous dirais que je suis favorable à l’instauration d’une surveillance parlementaire des activités de renseignement et de sécurité. Pour maintenir la confiance du public, le Canada a besoin d’une surveillance d’experts — ce que nous avons en partie, mais de façon imparfaite — et une surveillance parlementaire qui seule peut apporter une légitimité démocratique non partisane.
Au cours de ma brève intervention aujourd’hui, j’expliquerai ce que devraient être selon moi les caractéristiques souhaitables d’un système de surveillance parlementaire efficace. Je préciserai en quoi le projet de loi à l’étude tombe court de cet idéal et j’expliquerai les raisons pour lesquelles je vous recommande tout de même de l’adopter.
Pour effectuer un examen efficace, le comité proposé devrait avoir un mandat aussi vaste que possible et avoir un accès aussi illimité que possible aux renseignements. Idéalement, il ne devrait donc pas être assujetti à des limites concernant l’information qui porterait atteinte à la sécurité nationale, un peu comme les tribunaux appelés à déterminer si les activités des organismes de sécurité nationale sont licites peuvent examiner les renseignements les plus sensibles sur le plan de la sécurité, sous réserve d’attestations ministérielles prévues en vertu de la Loi sur la preuve. Lorsque les tribunaux se prononcent sur la légalité de certaines activités, les jugements peuvent être caviardés, mais il revient aux juges et non au gouvernement de décider quels renseignements caviarder. Je prônerais l’adoption de normes similaires dans le cas du comité.
En ce qui concerne les exceptions aux droits d’accès mentionnées aux articles 14 et 16, je reconnais que le comité n’a sans doute pas besoin de connaître, par exemple, le nom de témoins ou de sources confidentielles. À mon avis, les exceptions devraient être aussi limitées que possible. Je suis particulièrement préoccupé par l’exception prévue à l’alinéa 16(1)a) concernant « tout renseignement opérationnel spécial », au sens de la définition énoncée dans la Loi sur la protection de l’information. Cette catégorie comprend les renseignements strictement opérationnels dont le comité n’aurait pas besoin pour s’acquitter de son mandat, mais elle comprend aussi les renseignements de nature plus générale qui pourraient soulever des questions de politique, ce qui risquerait de laisser le comité dans l’ignorance concernant les activités mêmes qu’il a été chargé de surveiller. Pensons, par exemple — c’est l’un des alinéas de l’article 16 —, aux renseignements sur « les moyens que le gouvernement fédéral a mis en œuvre pour la collecte ou l’obtention secrète ou pour l’analyse, le traitement, la communication ou toute autre utilisation d’information ».
De façon plus générale, le projet de loi ne me semble pas idéal en ce sens que le gouvernement pourrait invoquer les motifs de sécurité nationale pour restreindre le mandat du comité — article 8 —, son accès à l’information — article 16 — et sa capacité de présenter ses conclusions aux Canadiens — article 21.
Toutefois, je reconnais que le projet de loi a été amélioré à la Chambre des communes, si bien que le gouvernement devra expliquer formellement les raisons pour lesquelles il invoque des motifs de sécurité nationale pour limiter les activités du comité. Cela devrait servir de mesure de protection importante contre une trop grande dépendance du gouvernement au recours à l’exception relative à la sécurité nationale.
Enfin, je sais que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada ne figure pas parmi les organismes de surveillance auxquels le comité pourrait communiquer des renseignements. Comme les organismes de sécurité nationale dépendent de l’analyse de renseignements, notamment personnels, ce qui entraîne l’application du droit à la vie privée, mon commissariat a un rôle important à jouer pour garantir un juste équilibre entre la sécurité et la protection des droits de la personne. Par conséquent, je crois qu’il serait souhaitable que le commissariat soit ajouté à la liste des organismes de surveillance. S’il est impossible de l’ajouter dans le projet de loi actuel, j’espère qu’on le fera dans la loi que le gouvernement a promis d’adopter pour modifier la Loi antiterroriste de 2015.
Par ailleurs, j’aimerais souligner un point : en dépit des lacunes relevées, le projet de loi constitue un progrès important et comblera un fossé de longue date. Pour cette raison, je recommanderais d’adopter le projet de loi dès maintenant, d’évaluer l’efficacité de la loi après son adoption et de la modifier au besoin quelques années après sa mise en œuvre.
Il existe un risque que les limites du mandat et de l’accès à l’information privent le comité des outils nécessaires à un examen efficace, mais ces risques ont été réduits grâce aux modifications apportées par la Chambre des communes.
Je crois qu’il est important de souligner que la trop grande dépendance aux exceptions entraînerait probablement un prix politique pour le gouvernement en place. En fin de compte, même si le projet de loi n’est pas parfait, il représente un progrès important, et, à mon humble avis, vous devriez l’adopter.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
- Date de modification :