Comparution devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne (JUST) de la Chambre des communes au sujet du Projet de la C-26, Loi sur les peines plus sévères pour les prédateurs d’enfants
Le 16 février 2015
Ottawa (Ontario)
Déclaration prononcée par Daniel Therrien
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
(Le texte prononcé fait foi)
Introduction
Bonjour et merci de nous avoir invités à présenter notre point de vue sur le projet de loi C-26, Loi sur les peines plus sévères pour les prédateurs d’enfants.
Je suis ici aujourd’hui avec Carman Baggaley, analyste principal des politiques.
Mes remarques aujourd’hui porteront principalement sur les modifications proposées à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels (LERDS)et la création de la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé.
Bien que les tribunaux canadiens aient reconnu que le droit à la vie privée est un droit quasi constitutionnel, il ne s’agit pas d’un droit absolu. Dans certains cas, il peut être restreint pour atteindre d’autres objectifs de société, comme le renforcement de la sécurité publique et la protection des membres les plus vulnérables de notre société. Cependant, lorsqu’il est question de porter atteinte à la vie privée, nous devons tout d’abord vérifier si ces atteintes sont nécessaires et susceptibles d’être efficaces; si elles sont proportionnelles aux avantages qu’on prévoit en retirer; et s’il n’existe pas d’autres mesures moins intrusives qui pourraient être utilisées pour atteindre le même objectif.
LERDS
La LERDS a reçu la sanction royale en 2004, et impose d’importantes obligations aux délinquants sexuels reconnus coupables, y compris l’obligation de s’enregistrer au poste de police, et de fournir de l’information à jour quant à leur lieu de résidence et autres renseignements personnels. Ces obligations ne sont pas imposées aux autres délinquants qui ont purgé leur peine.
Lors des comparutions antérieures devant les comités parlementaires concernant la LERDS, le Commissariat à la protection de la vie privée a soulevé des questions relatives à l’efficacité de ce système d’enregistrement. En 2009, nous avons recommandé qu’une évaluation officielle de l’efficacité de la législation et du Registre soit effectuée par un tiers. À notre connaissance, aucune évaluation financée par l’État n’a été réalisée. Par contre, les évaluations qui ont été menées en se fondant sur l’expérience des États-Unis révèlent qu’il n’existe que très peu, voire pas du tout, de faits qui prouvent que les lois sur l’enregistrement et la notification sont efficaces pour ce qui est de réduire le taux de récidive sexuelle ou le nombre d’infractions sexuelles signaléesNote de bas de page 1.La Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé
La Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé prévoit la création d’une banque de données accessible au public contenant de l’information sur les personnes coupables d’infractions à caractère sexuel sur des enfants et qui posent un risque élevé de commettre des crimes de nature sexuelle. Bien que cette information se limite à l’information qu’un service de police ou une autre autorité publique a rendue publique, en la rendant disponible dans une base de données nationale, on augmenterait grandement le nombre de personnes qui y ont accès.
Au Commissariat, nous sommes préoccupés par le fait que, selon les recherches que nous avons lues, la proposition de créer une base de données sur les délinquants sexuels à risque élevé ne constituerait pas une réponse proportionnée ni efficace au problème bien réel qu’elle tente de résoudre.
Cela tient en partie au fait que les organismes d’application de la loi ont déjà accès à l’information concernant les délinquants sexuels inscrits par l’entremise du Registre national des délinquants sexuels et d’autres bases de données comme le CIPC. Comment, alors, cette base de données publique augmenterait-elle la probabilité d’arrestations ou réduirait-elle le risque de récidive? Nous n’avons vu aucune preuve de tels résultats.
Il existe par contre des études qui appuient l’idée que les lois qui réduisent la protection de la vie privée des délinquants sexuels rendent leur réadaptation et leur réinsertion sociale plus difficiles. En fin de compte, cela pourrait faire augmenter le taux de récidive. Une base de données accessible au public risque aussi d’encourager les gens à se faire justice eux‑mêmes, comme on le reconnaît sur les sites Web provinciaux sur les délinquants dangereux, par exemple celui de l’Alberta, et de pousser les délinquants à rechercher la clandestinité de peur de se faire attaquer ou harceler.
Des faits indiquent qu’aux États-Unis, des bases de données semblables ont conduit au meurtre de délinquants sexuels qui avaient été mis en liberté dans la collectivité.
Soyons clairs : nous éprouvons de l’empathie pour les victimes des délinquants sexuels et nous sommes conscients de la gravité du problème qu’on tente de résoudre par l’adoption de ce projet de loi.
Cependant, nous exhortons le Comité à évaluer avec beaucoup d’attention l’efficacité probable de cette proposition. Nous avons exprimé nos préoccupations à cet égard, mais, comme nous ne sommes pas experts en criminologie, nous attendons avec intérêt de connaître le point de vue de l’Association canadienne de justice pénale, à qui vous avez demandé de comparaître aujourd’hui.
Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à toute autre question liée à la protection de la vie privée que vous pourriez avoir.
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