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Comparution devant le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles au sujet du Projet de loi C 10 — Loi sur la sécurité des rues et des communautés

Le 9 février 2012
Ottawa (Ontario)

Déclaration prononcée par Jennifer Stoddart
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Introduction

Bonjour Monsieur le Président. Je vous remercie, vous et les membres du Comité, de m’avoir invitée à donner le point de vue du Commissariat au sujet du projet de loi C‑10.

Je reconnais que les objectifs des modifications proposées sont valides, en particulier l’importance primordiale accordée à la protection de la société. Si vous m’avez invitée à comparaitre devant vous, c’est parce ce que vous avez certainement des préoccupations quant aux implications en matière de protection de la vie privée découlant de ce projet de loi. J’aimerais attirer votre attention sur quelques points précis qui pourraient avoir des répercussions sur la vie privée de nombreux Canadiens et Canadiennes.

Je voudrais plus précisément parler des modifications proposées au Code criminel, à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Modifications au Code criminel

D’abord, nous appuyons les mesures proposées par les articles 28 et 29 du projet de loi C-10 qui étendent l’exception faite au principe d’audience publique à de nouvelles infractions d’ordre sexuel à l’égard des jeunes. Ainsi, l’article 29 prévoit que le juge peut ordonner une interdiction de publication dans ces cas. Également, c’est avec plaisir que je constate que, selon l’article 28, le juge est tenu d’exposer les motifs de sa décision dans les cas où il décide de ne pas tenir le procès à huis clos.

Dans notre société, nous avons besoin de gens qui signalent les crimes et qui n’hésitent pas à témoigner pour protéger la primauté du droit et faire en sorte que les crimes soient punis comme ils le méritent. Or, la crainte de l’exposition médiatique peut faire en sorte que les victimes ne signalent pas les crimes et que les témoins préfèrent se taire.

Par conséquent, l’idée de permettre une interdiction de publication ou de justifier un refus de huis-clos dans des cas parfois très difficiles est une évolution positive allant vers une protection accrue de la vie privée des victimes, de leurs familles et des témoins.

Tel qu’elle nous l’a rappelé, la très Honorable Juge en Chef du Canada Beverley McLachlin, lors d’un discours récent à l’Université Carleton, « (p)ublication bans play an essential role in trials of young offenders, sexual offences and some family matters ».

Modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Les prochaines observations portent sur les modifications prévues à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. L’article 57 du projet de loi permettrait de communiquer de nouveaux types de renseignements aux victimes d’acte criminel.

Selon le projet de loi, les victimes auraient accès à des renseignements personnels de nature potentiellement délicate qui ne sont pas directement liés à la victime, à l’infraction commise ou aux possibilités de réhabilitation et de réintégration dans la société du délinquant. Ces nouvelles communications de renseignements incluraient des informations concernant les motifs personnels des mises en liberté provisoire prévues et la participation à certains programmes.

Je note donc avec une certaine satisfaction que ces renseignements seraient seulement communiqués si les intérêts de la victime l’emportent clairement sur toute atteinte à la vie privée du délinquant.

L’article 64 propose d’autres modifications qui permettraient aux agents du Service correctionnel du Canada d’obliger un délinquant à porter un dispositif de surveillance électronique. Le Service correctionnel pourrait ainsi surveiller le respect des conditions liées à une permission de sortir, à un placement extérieur, à une libération conditionnelle ou d’office ou à une ordonnance de surveillance de longue durée qui interdisent l’accès à certaines personnes ou à certains endroits.

Cela peut être vu comme une innovation technologique qui permet de détecter rapidement toute violation de certaines conditions de probation et de contraindre les délinquants à se conformer aux conditions de leur remise en liberté.

Toutefois, mon bureau a reçu en 2009 une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée du programme pilote de surveillance électronique qui opérait sur une base de consentement volontaire. L’évaluation a révélé que la surveillance électronique représente un degré de surveillance d’une omniprésence accrue et peut dévoiler des renseignements personnels éminemment sensibles qui ne sont pas nécessairement associés à l’application des conditions de remise en liberté.

De plus, le programme pilote n’a pas été en mesure de démontrer que la surveillance électronique serait plus efficace que des mesures traditionnelle de probation. J’aimerais donc suggérer qu’il serait préférable que le programme de surveillance électronique continue d’opérer sur une base de consentement volontaire, jusqu’à ce que son efficacité soit clairement démontrée.

En advenant que cette disposition soit adoptée dans la Loi tel quelle et que le programme soit étendu à l’échelle nationale, je m’attendrais à ce que SCC nous fournisse, tel que promis, une nouvelle évaluation des facteurs relatifs à la vie privée.

Modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents

Je voudrais maintenant parler de certaines modifications proposées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Je commencerais par l’article 185 du projet de loi. Selon cet article, le nom des jeunes contrevenants pourrait être publié dans un plus grand éventail de circonstances, à un plus jeune âge et plus fréquemment.

Remarquons qu’à l’ère d’Internet et des médias sociaux, la réputation d’une personne qui est tout simplement accusée, ou pire encore condamnée, sera entachée partout où elle ira, peut‑être pendant toute sa vie.

Du point de vue de la protection de la vie privée, cela signifie que, si l’article 185 est adopté sous sa forme actuelle, le public pourrait identifier, voir stigmatiser, des Canadiennes et Canadiens qui n’ont que douze ans, et ce, pendant leur vie entière.

Dans le même ordre d’idée, l’article 190 obligerait les services de police à tenir des dossiers sur toutes les mesures extrajudiciaires comme le travail communautaire, les excuses adressées à la victime et d’autres formes de réparation.

Pour le moment, les policiers sont invités à exercer leur pouvoir discrétionnaire pour décider s’ils doivent conserver des dossiers sur des mesures extrajudiciaires. L’éventuelle obligation de conserver de tels dossiers pourrait accroître considérablement la quantité de renseignements personnels recueillis, conservés et communiqués par les policiers au sujet de jeunes qui ne sont pas officiellement accusés.

Dans le cadre de notre dernier rapport annuel au Parlement, nous avons terminé un important examen de deux bases de données de la GRC : le CIPC et le SIRP. Les résultats des vérifications d’un casier judiciaire ont parfois été informellement partagés avec des personnes de l’extérieur, ce qui va directement à l’encontre de la politique de la GRC. Nous avons aussi constaté que des données ont été conservées plus longtemps que nécessaire.

Il est clair qu’il existe de potentielles conséquences pour les personnes dont le nom se trouve dans les bases de données des services de police. De telles bases de données peuvent avoir un impact significatif pour les personnes qui planifient de voyager, d’entreprendre des études ou de changer d’employeur.

Je pense donc qu’une réflexion attentive s’impose au sujet des répercussions à long terme de ces dispositions sur la capacité des jeunes à surmonter leurs difficultés passées pour réussir dans le futur. En vue d’atteindre l’objectif, noble en soi, d’assurer la sécurité des communautés, est il vraiment nécessaire, efficace et proportionnel de publier leur nom et de conserver seulement dans la mesure des dossiers détaillés sur les formes de réparation extrajudiciaires?

Conclusion

J’encourage vivement les parlementaires à examiner attentivement le projet de loi C‑10 à la lumière des éventuelles répercussions sur la vie privée que j’ai mentionnées.

Enfin, si les parlementaires décident d’adopter une loi menant à la création de nouveaux dossiers ou mécanismes de surveillance afin de mieux protéger la société, il serait essentiel d’établir des contrôles et des limites solides pour que les renseignements personnels soient seulement recueillis, utilisés, communiqués et conservés dans les circonstances où c’est absolument nécessaire et approprié.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à cet enjeu crucial et je serai heureuse de répondre à vos questions.

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