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Comparution devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles à propos d'une étude du projet de loi S-2, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois, aussi appelé Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels

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Le 15 avril 2010
Ottawa (Ontario)

Déclaration prononcée par Jennifer Stoddart
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Introduction

J’aimerais remercier les membres du Comité de nous avoir invités à comparaître devant eux aujourd’hui pour discuter du projet de loi S-2, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois, qui est aussi connu sous le nom de Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels. Je suis accompagnée de Lisa Campbell, qui est avocate générale par intérim au Commissariat.

Lorsque des droits en apparence conflictuels se recoupent, nous devons examiner attentivement le bien‑fondé de chacun d’entre eux en vue de parvenir à un juste équilibre qui cadre avec le système de gouvernance démocratique prévu par la Constitution. Nous devons fréquemment nous livrer à ce genre d’exercice, par exemple, lorsque nous veillons à ce que les droits juridiques prévus par la Constitution soient respectés à l’intérieur du cadre de notre système de justice pénale. La Cour suprême du Canada a maintenu de façon répétée que la protection de la vie privée constitue un droit quasi constitutionnel auquel toutes les Canadiennes et tous les Canadiens ont droit.

Le projet de loi S‑2 représente un effort déployé dans l’intérêt du public afin de protéger les gens des délinquants sexuels. Les mesures mises en œuvre dans le contexte de cet effort entraîneraient cependant une atteinte à la vie privée, non seulement pour les délinquants sexuels, mais aussi pour des innocents. Nous comprenons qu’il est extrêmement important de protéger le public, et les membres les plus vulnérables de celui‑ci, comme les enfants, des délinquants sexuels. Dans certaines situations, cela peut malheureusement justifier une atteinte à la vie privée aux fins de la protection de la sécurité publique. Il est toutefois primordial d’évaluer d’abord si les mesures proposées sont vraiment nécessaires lorsqu’elles posent un risque d’atteinte à la vie privée d’une personne.

Une question d’importance cruciale, question que nous avons posée à plusieurs reprises en ce qui a au cadre actuel d’enregistrement des délinquants sexuels, concerne l’efficacité des mesures de protection des membres du public contre les délinquants sexuels proposées dans le projet de loi S‑2. Nous avons également cherché à savoir si les atteintes à la vie privée étaient proportionnelles aux avantages conférés par les mesures proposées du point de vue de l’application de la loi et de la sécurité publique. Enfin, il importe de se demander s’il existe d’autres mesures moins susceptibles d’entraîner des atteintes à la vie privée qui permettraient d’obtenir les mêmes résultats.

Le projet de loi S-2 aurait pour effet d’élargir les modalités d’utilisation du système actuel d’enregistrement des délinquants sexuels d’un certain nombre de façons, dont les suivantes :

  • Le pouvoir judiciaire discrétionnaire serait éliminé et les données relatives à tous les délinquants sexuels seraient automatiquement entrées dans le registre, sans égard aux circonstances de fait.
  • De la même manière, le pouvoir judiciaire discrétionnaire serait éliminé en ce qui a trait à certaines infractions sexuelles, pour lesquelles il serait obligatoire de fournir un échantillon aux fins d’inclusion dans la banque d’ADN.
  • La quantité de données à fournir serait plus importante, et ces dernières comprendraient des renseignements sur les employeurs ainsi que sur les véhicules régulièrement utilisés.
  • Les services de police auraient la possibilité d’utiliser le registre à des fins de prévention et de recherche d’information, ainsi que lors de la réalisation d’une enquête à la suite d’un crime.
  • Les personnes condamnées à purger une peine pour des infractions sexuelles dans d’autres pays pourraient voir leurs données entrées dans le registre à leur retour au Canada.

L’exigence concernant la communication de données supplémentaires pourrait avoir des répercussions, non seulement sur la vie privée des délinquants sexuels, mais aussi sur celle des membres de leur famille, de leurs amis, de leurs collègues, de leurs voisins et d’autres personnes. L’exigence concernant la communication de renseignements au sujet d’un véhicule fréquemment utilisé pourrait signifier qu’une autre personne que le délinquant sexuel enregistré pourrait être surveillée, appréhendée et même interrogée simplement pour avoir conduit le véhicule en question.

Le Commissariat a comparu devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes pour présenter ses observations dans le cadre de l’examen de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels en avril 2009. Nous avions, à ce moment‑là, soulevé des préoccupations en ce qui a trait à la transparence et à l’ouverture accrues du programme. Il y a eu, depuis ce temps, une certaine amélioration quant aux renseignements généraux disponibles au sujet du Registre national des délinquants sexuels.

Nous avons aussi recommandé qu’une évaluation en règle de l’efficacité de la loi et du Registre soit effectuée par une tierce partie indépendante. Cette évaluation n’a pas eu lieu, le gouvernement s’étant plutôt contenté de proposer un élargissement du régime existant.

L’officier de la GRC responsable du Registre national des délinquants sexuels a indiqué au Comité permanent de la Chambre des communes, au printemps dernier, qu’il n’avait résolu aucun crime pour lequel le délinquant était inconnu. Lorsqu’on lui a posé des questions sur les données statistiques relatives à l’utilisation du Registre en vue de résoudre des crimes, il a indiqué qu’il y a eu quelques cas où le délinquant/suspect était déjà connu de l’instance chargée de l’enquête et où le registre avait été utilisé pour fournir des renseignements à jour, comme une photographie ou une adresse, ce qui a permis de faire avancer l’enquête. Le Registre n’a été utile dans aucune affaire pour laquelle le crime était non résolu et où le délinquant n’était pas connu.Note de bas de page 1

Cela laisse entendre qu’il existe peu ou pas de preuve de l’efficacité du Registre. Le registre des délinquants sexuels de la province de l’Ontario est en place depuis presque dix ans. En 2007, le vérificateur général de l’Ontario a fait l’observation suivante : « Il existe peu de preuves démontrant que les registres contribuent à réduire le nombre de crimes sexuels ou aident les enquêteurs à trouver les coupables, et le Ministère n’a pas encore établi de mesures du rendement pour son RegistreNote de bas de page 2 ».

Une étude des lois en matière d’enregistrement et de signalement des délinquants sexuels de l’État de New York effectuée en 2009 a conclu que le registre établi n’avait aucune incidence significative sur le nombre total d’arrestations, d’arrestations pour infraction sexuelle subséquente ou d’arrestations pour une première infraction sexuelleNote de bas de page 3.

En outre, une étude commanditée par l’État du New Jersey en 2009 au sujet de ses lois en matière d’enregistrement et de signalement des délinquants sexuels a conclu que le système en place n’avait pas permis de décourager les crimes sexuels ou de réduire le nombre de victimesNote de bas de page 4. Cela semble pouvoir s’expliquer par un certain nombre de raisons, y compris par le fait que la majorité des victimes connaissent le délinquant sexuel qui les a attaquées, qu’un grand nombre de délinquants en sont à leur première infraction et qu’une grande proportion des infractions sexuelles perpétrées à l’endroit de jeunes le sont par d’autres jeunes.

Il ne s’agit‑là que de quelques‑unes des nombreuses étudesNote de bas de page 5 qui soulèvent des questions sérieuses quant à l’efficacité des registres de renseignements sur les délinquants sexuels d’un point de vue économique et de sécurité publique. Les conclusions de ces études appuient aussi fortement la recommandation que nous avons formulée au printemps dernier voulant que le registre canadien fasse l’objet d’une évaluation axée sur l’efficacité pour les mêmes raisons, ainsi que pour déterminer si les nombreuses atteintes à la vie privée que son utilisation entraîne peuvent être justifiées.

En mai 2009, cinq ans après la mise en œuvre de la loi, le Commissariat a reçu de la part de la GRC une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée concernant le Registre national des délinquants sexuels. Bien que l’évaluation ait été soumise tard, elle portait sur quelques‑unes des préoccupations que nous avions exprimées au sujet de la manipulation à l’interne et de la vérification des renseignements personnels, ainsi que de la transparence accrue au sujet du fonctionnement du programme. Elle ne se penchait toutefois pas sur la question plus vaste de l’efficacité générale du système. Il n’y a pas d’information disponible au sujet des coûts totaux ou courants du programme, de la mesure dans laquelle il est utilisé, et de son efficacité en ce qui a trait à la prévention ou à la résolution des infractions sexuelles.

L’élargissement proposé du système de registre sur les délinquants sexuels actuel, sans une évaluation appropriée de son degré d’efficacité, est une approche douteuse en réponse au défi très important qui consiste à protéger les membres du public des délinquants sexuels tout en veillant à ce que le droit à la vie privée prévu par la Constitution des Canadiennes et des Canadiens soit respecté.

Nous vous remercions de nous avoir accordé de votre temps. Il nous fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.

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