Opinion – Le faux-semblant et le projet de loi C-27
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Quand nous avons comparu au sujet du vol d'identité devant le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique en mai 2007, nous avons exhorté le gouvernement d'adopter une stratégie de portée générale qui incluerait des mesures de sensibilisation du public, une réglementation plus poussée des pratiques de traitement des données, des recours civils et ultimement, des sanctions pénales pour les offenses les plus sérieuses. À notre avis, la loi gouvernementale au sujet du vol d'identité est un pas dans la bonne direction. Toutefois, cette loi devrait faire partie d'une stratégie plus globale sur le vol d'identité et la fraude d'identité. Lors de la présentation du projet de loi C-27, le Commissariat a demandé à ce sujet l'opinion du professeur David M. Paccioco, un auteur de renom et spécialiste en matière de droit pénal. Nous avons fait part de son opinion au gouvernement fédéral. Nous avons également fait part au gouvernement qu'à notre avis, bien que des sanctions soient nécessaires pour les cas de vol d'identité ou de fraude d'identité les plus graves, des mesures réglementaires et une loi sur la protection des renseignements personnels modernisée seraient mieux aptes à régler plusieurs des problèmes liés à ces phénomènes. Dans le contexte de la présentation récente du project de loi S-4 sur le vol d'identité, nous croyons qu'il est important de faire connaître l'opinion du professeur Paccioco à plus grande échelle.
David M. Paciocco
SOMMAIRE
On m’a demandé mon opinion sur deux questions ayant trait au « faux semblant », à savoir le fait d’obtenir des renseignements personnels de manière frauduleuse. La première question était la suivante :
- Est-ce que le projet de loi C 27 vise les activités connues sous le nom de faux semblants?
Je répondrai à cette question à la fois par oui et par non. La raison de cette ambivalence est simple. L’objet même du projet de loi C 27 ne concerne pas les faux semblants ni même la protection des renseignements personnels. Sa raison d’être est de trouver un moyen de dissuader les gens de commettre un « vol d’identité », qui est un comportement déjà considéré comme criminel et frauduleux. En d’autres mots, l’odieux que l’on tente de supprimer n’est pas l’entrave faite à la protection de la vie privée en soi, mais plutôt la fraude contre la propriété et la fraude en matière d’immigration ou d’administration de la justice. Le projet de loi C 27 touche la protection des renseignements personnels parce que ses auteurs tentent de s’attaquer à l’ampleur croissante avec laquelle les renseignements personnels sont utilisés pour aider à perpétrer de tels crimes à notre époque cybernétique. Ceux qui souhaitent la mise en place de contrôles juridiques efficaces à l’égard de l’acte même du faux semblant seront donc déçus du projet de loi C 27.
Cela dit, les deux dispositions pertinentes du projet de loi C 27, à savoir les articles 402.2 et 403, toucheront certains cas de faux semblant. De façon plus précise, l’article 402.2, s’il est adopté, visera les cas les plus flagrants. On songe par exemple aux faux semblants commis dans des circonstances qui permettent de conclure raisonnablement que les renseignements recueillis serviront à perpétrer un acte criminel fondé sur une fraude. Dans l’intervalle, on peut recourir à l’article 403, qui traite de l’infraction liée à la « supposition de personne », pour condamner les cas de faux semblant où l’accusé a usurpé l’identité d’une autre personne afin d’accéder à des renseignements personnels sur cette dernière.
Le fait que le projet de loi C 27 ne fasse pas échec au faux semblant en soi donne lieu à la deuxième question qui m’a été posée :
- Si non [le projet de loi C 27 ne fait pas échec aux activités connues sous le nom de faux semblant], faudrait il amender le projet de loi pour y inclure les infractions reliées au faux semblant? Vaudrait-il mieux aborder cette question par le biais de recours civils ou d’un règlement?
Cette question implique les trois options juridiques en place pour s’attaquer au problème du faux semblant, à savoir l’option pénale, l’option réglementaire et l’option civile. Selon moi, il faut pencher vers l’option réglementaire, à condition que les limites imposées au gouvernement fédéral en matière de compétences n’atténuent pas l’efficacité d’une loi de réglementation.
Rien n’empêche le Parlement d’utiliser son pouvoir en droit pénal là où il y a compétence fédérale, sauf que le droit pénal ne devrait être qu’une solution de dernier recours, limitée aux problèmes sociaux suffisamment graves pour justifier les stigmates sociaux, les exclusions et les sanctions liés à une condamnation au criminel et à un casier judiciaire. Bien que le faux semblant soit préjudiciable à la fois parce qu’il suppose un comportement fondamentalement malhonnête et qu’il viole des attentes raisonnables de confidentialité en matière de renseignements biographiques, certains cas sont plus graves que d’autres. Il y a bien des raisons et des manières de perpétrer le faux semblant. Nul doute que le faux semblant utilisé pour acquérir des renseignements personnels qui serviront à duper les autres tout en commettant une infraction criminelle est un lourd préjudice, qui mérite une sanction criminelle. C’est l’objet du projet de loi C 27, qui a l’avantage de viser de telles situations sans en englober d’autres moins odieuses ou même socialement avantageuses, comme les faux semblants utilisés pour faire appliquer la loi, appuyer des initiatives de prévention de la fraude au sein des établissements, aider les journalistes dans leurs enquêtes, ou même retracer les pères irresponsables. Entre ces deux extrêmes – les faux semblants qui ont pour but le vol d’identité et ceux qui présentent un intérêt social – se trouvent d’autres situations qui sont incontestablement plus controversées, comme les faux semblants dans le but de vérifier le crédit, dresser des listes de clients ou, dans le cas des activistes sociaux, exposer l’irresponsabilité des entreprises. Peu importe où l’on fixe la limite, la chose à retenir est que le faux semblant n’est pas le type d’activité qu’il faudrait nécessairement interdire a priori. Le droit pénal n’est pas le mécanisme voulu pour s’attaquer au faux semblant à part entière.
Par ailleurs, l’option de la poursuite en responsabilité présente peu d’intérêt. Les actions au civil ont pour objet de permettre aux personnes lésées de récupérer des pertes. Elles ne sont pas efficaces pour revendiquer des intérêts plus généraux, comme dissuader les gens de commettre des intrusions dans la vie privée, même avec l’avènement des recours collectifs. Les actions au civil constituent une stratégie inefficace pour revendiquer des droits individuels dans les cas où les pertes ne sont pas considérables, et elles demeurent la chasse gardée des riches et des patients. Elles ont un rôle à jouer, mais pas en tant qu’instruments pour l’application de saines politiques publiques.
Cela nous amène à l’infraction réglementaire. L’intérêt que présentent les mécanismes réglementaires est multiple. Les infractions sont moins étroitement surveillées en vertu de la Charte, de sorte qu’il est possible de les cibler plus vigoureusement par règlement. Il est également plus pratique d’appliquer ces mécanismes étant donné qu’ils ne croulent pas sous des garanties procédurales. Ils peuvent fonctionner d’une manière qui permette d’adapter la sanction à la gravité de l’activité sans imposer au contrevenant le stigmate et les conséquences non mérités d’une condamnation criminelle. Les mécanismes réglementaires permettraient à un agent d’intervenir de manière proactive dans la recherche de cas plus problématiques de faux semblants et dans les poursuites subséquentes en justice.
Donc, j’estime qu’une approche réglementaire est l’approche la plus souhaitable s’il s’établit un consensus politique selon lequel un faux semblant est suffisamment répréhensible pour nécessiter une intervention juridique. Je crois que c’est le cas. Avant d’adopter une approche réglementaire, il faut toutefois examiner attentivement les limites des compétences du gouvernement fédéral.
A. L’affectation
Le Commissariat à la protection de la vie privée a demandé mon point de vue sur deux questions ayant trait au projet de loi fédéral C 27 et à la pratique du faux semblant. Voici les questions :
- Est-ce que le projet de loi C 27 vise les activités connues sous le nom de faux semblants?
- Sinon, faudrait il amender le projet de loi pour y inclure les infractions reliées au faux semblant? Vaudrait-il mieux aborder cette question par le biais de recours civils ou d’un règlement?
Je commencerai par décrire ce qu’implique, à mon sens, le faux semblant.
B. Le problème défini : Qu’est-ce que le faux semblant?
La Federal Trade Commission des États-Unis a défini le faux semblant comme une situation où une personne obtient vos renseignements personnels par une manœuvre frauduleuse1. En d’autres mots, le faux semblant est l’obtention frauduleuse de données personnelles.
Le faux semblant peut prendre diverses formes, entre autres le recours à des déclarations fausses, fictives ou frauduleuses pour inciter les autres, habituellement des établissements, à communiquer des renseignements personnels. Le faux semblant peut impliquer l’utilisation de documents faux, contrefaits, perdus ou volés afin d’obtenir de l’information. On y parvient en allant « à la pêche aux données personnelles » dans des courriels provenant d’organismes selon toutes apparences dignes de foi pour amener les gens à fournir des renseignements personnels, ou en « détournant des domaines », c’est à dire en créant de faux sites Web pour entraîner les gens à transmettre leurs renseignements personnels. Un faux semblant fondé sur une idée d’assez grande ampleur peut même comporter des actes subreptices d’écrémage, qui implique l’enregistrement mécanique secret de renseignements personnels depuis des bandes magnétiques sur des cartes de crédit et de débit2.
Non seulement les méthodes de faux semblant varient-elles énormément, mais elles peuvent également être utilisées à diverses fins.
- On associe communément le faux semblant à l’utilisation des renseignements personnels d’un autre dans le but de commettre un vol avec sa carte de crédit (dans les cas où la personne obtient une marge de crédit et l’utilise au nom d’une autre personne) ou de commettre une fraude bancaire (dans les cas où l’argent est emprunté sous le nom d’une autre personne ou retiré de comptes bancaires sous forme de chèques falsifiés).
- Le faux semblant peut être utilisé pour obtenir des avantages commerciaux et ainsi produire des listes de clients ou des rapports sur le crédit à la consommation3.
- C’est une méthode d’enquête couramment utilisée par les agents du gouvernement, les détectives privés et les établissements aux fins suivantes :
- On peut l’utiliser pour éprouver des procédures de sécurité6.
- Les journalistes d’enquête peuvent en faire usage7.
- Les protecteurs du consommateur ou les écologistes peuvent en faire usage pour obtenir de l’information qui permettra de mettre au jour des pratiques controversées de la part d’entreprises ou d’autres établissements.
Bien que le faux semblant soit une pratique qui existe depuis longtemps, il a pris un caractère urgent en raison d’Internet et de l’accessibilité croissante des renseignements identificateurs dans le cybermarché8.
C. Le champ d’application et les répercussions du projet de loi C 27 : Vise t il le faux semblant?
On m’a aiguillé vers la disposition 10 du projet de loi C 27 en me demandant si les dispositions qu’il contient visent le faux semblant. La disposition 10 créerait de nouvelles infractions criminelles dans les articles 402.2 et 402.3 ayant trait au « vol d’identité ». Pour mieux comprendre ces deux infractions, on peut évoquer la distinction entre le « vol d’identité » et la « fraude d’identité » telle que l’a établie le ministère fédéral de la Justice du Canada. Dans sa fiche d’information sur le projet de loi C 27, le Ministère s’exprime ainsi :
« Il n’y a pas de définition universelle du terme « vol d’identité », qui peut toutefois désigner les étapes préliminaires que constituent la collecte, la possession et le trafic de renseignements relatifs à l’identité en vue de leur utilisation dans le cadre de crimes comme la supposition de personne, la fraude ou l’usage abusif des données de cartes de débit ou de crédit. En ce sens, on peut opposer le vol d’identité à « fraude d’identité », c.-à-d. l’usage trompeur subséquent des renseignements relatifs à l’identité d’une autre personne dans le cadre de divers crimes. Le vol d’identité se produit donc avant et en préparation de la fraude d’identité9. »
L’article 402.2, qui porte sur le « vol d’identité », s’applique à l’étape où les renseignements sont acquis. Il concerne donc le « faux semblant ». Par contre, l’article 402.3 a trait à la « fraude d’identité » ou aux actions qui surviennent une fois les renseignements liés à l’identité acquis. Par conséquent, c’est l’article 402.2 qu’il faut examiner pour l’infraction en cause.
Il vaut également la peine d’examiner l’article 403, qui traite de l’infraction liée à la supposition de personne, laquelle constitue déjà un crime. Les auteurs du projet de loi C 27 proposent de le modifier. Même sans les modifications proposées, l’infraction de supposition de personne, d’après son libellé, aborde le « faux semblant ». À ma connaissance, on n’a jamais évoqué cet article pour traiter une pure affaire de faux semblant, bien que la chose puisse se faire. Par conséquent, il serait utile d’examiner cette infraction ainsi que l’article 402.2.
Je commencerai avec la nouvelle infraction visée par l’article 402.2 puisque, dans le contexte du faux semblant, elle s’avère la plus importante des deux dispositions.
1. La disposition proposée en matière de « vol d’identité » – article 402.2
Dans l’article 402.2, on lit que :
402.2(1) Commet une infraction quiconque, sciemment, obtient ou a en sa possession des renseignements identificateurs sur une autre personne dans des circonstances qui permettent raisonnablement de conclure qu’ils seront utilisés dans l’intention de commettre un acte criminel dont l’un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge10.
Cet article ne concerne pas le faux semblant en lui même. Il vise le vol d’identité. Par conséquent, il a trait à la collecte non autorisée de renseignements, mais seulement lorsque cela constitue la première étape dans l’utilisation criminelle ultime des renseignements identificateurs. En d’autres mots, l’article 402.2 touche l’acte consistant à recueillir des renseignements personnels en vue de commettre des crimes plus familiers et traditionnels où l’information a pour objet de tromper les autres11.
L’article 402.2 a un champ d’application plus vaste que ne l’aurait une disposition se rapportant purement au faux semblant. De façon plus précise, il vise davantage que le faux semblant puisqu’il inclut des actes consistant à acquérir des renseignements identificateurs sans qu’il soit question de manœuvres frauduleuses. Cette disposition pourrait toucher, par exemple, l’utilisation d’un logiciel espion pour acquérir subrepticement et de façon non appropriée des renseignements12, ou le vol direct de courrier ou de renseignements sur le crédit, ou même l’obtention de renseignements identificateurs en fouillant dans les poubelles ou en cherchant dans les rebuts13. Pour tout dire, on peut évoquer l’article 402.2 dans le cas des renseignements accessibles au public. La mesure de protection utilisée pour rétrécir l’application de l’article 402.2 de manière à ce qu’il ne vise pas tous ceux qui possèdent des renseignements identificateurs sur d’autres consiste à poursuivre l’acquisition ou la possession de renseignements identificateurs seulement si leur acquisition ou possession semble raisonnablement liée à un but criminel.
Même si l’article 402.2 n’est pas limité au faux semblant, il ne touche pas tous les actes de faux semblant. L’article comporte deux limites pour l’empêcher de devenir une disposition exhaustive contre les faux semblants.
Premièrement, il ne s’étend pas à tous les renseignements personnels. Étant donné qu’il est axé sur le vol d’identité, il est limité à la protection des renseignements identificateurs. Les termes « renseignements identificateurs » sont définis de façon globale, mais n’incluraient pas les données à caractère non nominatif sur le style de vie comme l’orientation sexuelle, le revenu familial, le casier judiciaire ou les habitudes de consommation14.
La seconde raison clé pour laquelle l’article 402.2 ne s’applique pas à tous les cas de faux semblant a déjà été révélée. En vertu de cet article, l’acquisition de renseignements identificateurs constitue une infraction seulement « dans des circonstances qui permettent raisonnablement de conclure qu’ils seront utilisés dans l’intention de commettre un acte criminel dont l’un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge ». Par conséquent, bien que l’article 402.2 vise le faux-semblant commis pour obtenir des renseignements « en vue de leur utilisation dans le cadre de crimes comme la supposition de personne, la fraude ou l'usage abusif des données de cartes de débit ou de crédit »15, il ne concerne PAS le faux semblant commis en vue d’obtenir un simple avantage commercial, par exemple pour dresser des listes de clients ou pour réaliser des vérifications de la solvabilité ou trouver les biens d’un débiteur. On ne pourrait non plus évoquer l’article dans des cas où le faux semblant est utilisé comme technique d’enquête générale. Le faux semblant d’enquête est exclus de la disposition, que l’exercice soit entrepris à des fins louables comme l’application de la loi, la détection de la fraude ou la recherche de pères irresponsables ou pour des activités privées moins bienveillantes ou plus « louches ».
On peut donc constater que l’article ne concerne pas vraiment la protection de la vie privée. Il s’agit plutôt d’une disposition qui est orientée vers la collecte de renseignements identificateurs comme moyen de prévenir des actes considérés depuis longtemps comme étant criminels au Canada, y compris les crimes contre la propriété16, les infractions en matière d’immigration17, les fraudes au niveau de l’administration de la justice18, et le crime de « supposition de personne »19. Bien que l’article ait été inspiré par l’utilisation croissante de renseignements personnels comme moyen de commettre des crimes fondés sur la fraude, il n’aborde pas le préjudice même causé par la collecte frauduleuse de renseignements personnels. Il vise plutôt ceux qui agissent ainsi dans l’objectif de perpétrer un comportement déjà criminalisé.
Il a toujours été illégal de tenter de commettre des infractions criminelles. On peut pardonner aux profanes qui présument qu’il y a tentative de crime chez les personnes ayant recours au faux semblant pour obtenir des renseignements personnels afin de perpétrer des infractions fondées sur une fraude, et que cette tentative aurait pu leur valoir une poursuite sans même l’article 402.2. Il se trouve des cas où une telle chose serait vraie, mais les règles de droit relatives à la tentative d’infraction établissent une distinction peu pratique et imprécise entre l’acte de « préparation » et l’acte de « perpétration ». Le crime relatif à une tentative d’infraction survient seulement lorsque la préparation est faite et que la perpétration s’amorce. Est ce que le recours au faux semblant pour obtenir les renseignements nécessaires à la perpétration de l’infraction constitue une tentative de crime ou un simple acte de préparation? C’est là une affaire sur laquelle des gens raisonnables peuvent ne pas s’entendre. Lorsque l’on regarde les choses sous cet angle, le rôle principal de l’article 402.2 apparaît évident : permettre l’arrestation et la poursuite des contrevenants avant que ne se matérialisent tout à fait des crimes fondés sur la fraude, mais seulement dans les cas où des renseignements identificateurs ont été obtenus à cette fin20. En d’autres mots, il s’agit d’une disposition qui accélère le moment où l’on peut poursuivre des actions visant en bout de ligne la perpétration de crimes liés à la fraude. Puisque l’article 402.2 est une disposition relativement étroite répondant à un but limité, il décevra ceux qui souhaitent que l’on fasse du faux semblant une infraction criminelle.
En définissant clairement la fonction relativement étroite de la disposition, je ne souhaite pas donner la fausse impression que l’article 402.2 est faible. Au contraire, il établit énergiquement l’existence d’une infraction.
Premièrement, bien qu’il soit limité aux « renseignements identificateurs », sa définition de tels renseignements est absolue. On y indique que « renseignement identificateur s’entend de tout renseignement [?] d’un type qui est ordinairement utilisé, seul ou avec d’autres renseignements, pour identifier ou pour viser à identifier une personne physique »21. Cette phrase contient de l’information qui, prise isolément, est inoffensive, mais est utile lorsque combinée avec d’autres données. La définition touche également des données aussi courantes que les dates de naissance et les signatures tout en englobant des renseignements aussi délicats que les numéros de compte bancaire et les numéros d’assurance sociale (NAS)22.
L’autre élément qui rend cette disposition « énergique » s’explique par l’effort des législateurs pour lier son application aux cas de fraude. Ce faisant, cet article ne s’inscrit pas dans le mode habituel des dispositions similaires en droit pénal, où la Couronne doit prouver que l’acquisition ou la possession de renseignements est vraiment destinée à une « intention frauduleuse »23 ou que l’acte d’acquisition ou de possession a été entrepris « dans l’intention de frauder »24. Tel qu’indiqué, la Couronne peut réussir sa démarche en vertu de l’article 402.2 s’il s’agit simplement de « circonstances qui permettent raisonnablement de conclure qu’ils seront utilisés dans l’intention de commettre un acte criminel dont l’un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge ». Pour bien saisir l’ampleur de la différence entre l’approche habituelle et cette approche, il faut prendre en compte le fardeau relatif de la preuve en question.
Selon l’approche habituelle axée sur l’acquisition ou la possession « dans un but frauduleux » ou « dans l’intention de frauder », la Couronne doit en fait prouver la raison pour laquelle l’accusé a agi ainsi. Cela donne lieu à de lourdes difficultés d’ordre pratique. Seul l’accusé sait vraiment pourquoi il a agi ainsi. Les tribunaux appelés à définir l’intention ou le but final réel de l’accusé se retrouvent donc en position de tenter de glaner des éléments d’explication à partir du contexte dans lequel les actes en cause ont eu lieu. Et si l’accusé n’a pas encore mené à terme l’action visée, le contexte à partir duquel travailler sera mince. Dans une certaine mesure, les tribunaux qui sont appelés à prévoir ce que l’accusé aurait fait s’il n’avait pas été arrêté ou si l’acte n’avait pas été interrompu ne peuvent que tirer des déductions, sinon avancer des hypothèses. Lorsqu’on retient le fait que la Couronne est dans l’obligation de prouver tous les éléments d’un crime « hors de tout doute raisonnable », il est facile de constater les défis qui se posent quand une intention criminelle ultérieure telle qu’un « but frauduleux » ou une « intention frauduleuse » est intégrée à une infraction; sans circonstances incriminantes claires et évidentes, la condamnation est impossible.
Le gouvernement du Canada tente, au moyen de l’article 402.2, de contourner cette difficulté en évitant aux procureurs d’avoir à prouver en quoi consistait le but ou l’intention même de l’accusé. Il suffira de pouvoir évoquer « des circonstances qui permettent raisonnablement de conclure [que les renseignements] seront utilisés dans l’intention de commettre un acte criminel dont l’un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge ». Normalement, on considère qu’une conclusion est raisonnable lorsqu’elle indique ce qu’une personne raisonnable pourrait faire. Nous sommes bien loin du lourd fardeau imposé au procureur dont on attend qu’il prouve hors de tout doute raisonnable le but réel ou final poursuivi par l’accusé.
Cette approche dynamique sera attrayante aux yeux de certains. Elle offre une protection beaucoup plus soutenue que ne tendent à le faire les dispositions conventionnelles du droit pénal. Par contre, j’ai de sérieux doutes quant à savoir si l’article 402.2 peut donner à répondre à une contestation fondée sur la Charte. Plus simplement, il viole la présomption d’innocence garantie par l’alinéa 11d) de la Charte étant donné que se poseront des cas où cette disposition exigera la condamnation d’une personne malgré un doute raisonnable quant à savoir si elle avait vraiment l’intention d’utiliser les renseignements obtenus pour perpétrer un acte criminel fondé sur une fraude25. Je crois que, dans le désir de s’attaquer efficacement au vol d’identité, les auteurs du projet de loi C 27 sont allés trop loin. S’il est adopté, l’article 402.2 pourrait bien se révéler une victoire à court terme pour ceux qui tentent de combattre le vol d’identité.
En somme, même s’il est constitutionnellement valide, ce dont on peut douter, l’article 402.2 ne vise pas le faux semblant en lui même. Si le projet de loi est adopté et résiste à l’inévitable contestation fondée sur la Charte, il visera certaines formes de faux semblant, mais pas toutes, parce que l’infraction ne concerne pas vraiment l’acquisition frauduleuse de renseignements identificateurs, mais plutôt l’acquisition de renseignements identificateurs dans le but de perpétrer des crimes fondés sur la fraude qui existent déjà.
2. L’infraction de supposition de personne – article 403
Le projet de loi C 27 modifiera l’infraction de « supposition de personne » dans l’article 403 du Code criminel du Canada. Il prévoira ce qui suit :
- Commet une infraction quiconque, frauduleusement, se fait passer pour une personne, vivante ou morte :
- soit avec l’intention d’obtenir un avantage pour lui-même ou pour une autre personne;
- soit avec l’intention d’obtenir un bien ou un intérêt dans un bien;
- soit avec l’intention de causer un désavantage à la personne pour laquelle il se fait passer, ou à une autre personne;
- soit avec l’intention d’éviter une arrestation ou une poursuite, ou d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice.
- Pour l’application du paragraphe (1), se fait passer pour une personne quiconque prétend être celle-ci ou utilise comme s’il se rapportait à lui tout renseignement identificateur ayant trait à elle, que ce renseignement soit utilisé seul ou en conjonction avec d’autres renseignements identificateurs relatifs à toute personne26.
À première vue, l’article 403 s’applique seulement après que l’accusé dispose de suffisamment de renseignements personnels pour se faire passer pour une autre personne. C’est parce que le noyau de l’acte prohibé est la « supposition de personne » ou le fait de se faire passer pour quelqu’un d’autre qui est vivant ou décédé27. Par conséquent, l’infraction ne survient pas au moment de l’acquisition des renseignements identificateurs d’une autre personne, mais uniquement lorsque l’accusé utilise les renseignements identificateurs qu’il a acquis pour se faire passer pour une autre personne28. Bien que les violations de l’article 403 puissent s’inscrire – et s’inscriront habituellement – dans le sillage d’un vol d’identité29, l’article 403 ne concerne pas le vol d’identité en soi, mais la tentative d’utiliser l’identité qui a été volée.
Pourtant, l’article 403 peut viser certains cas de faux semblant. Comme l’a indiqué la conseillère juridique principale pour le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada dans le courriel où elle sollicitait la présente opinion, le faux semblant survient [souvent] lorsqu’un individu, ayant en main certains renseignements sur une personne, est capable d’obtenir d’une organisation des renseignements additionnels sur cette même personne30. Si une personne inculpée utilise certains renseignements sur une personne afin de se faire passer pour elle et d’acquérir sous un faux prétexte d’autres renseignements, il y a eu acte de supposition de personne. Si cet acte est commis pour l’une des fins illicites énoncées dans l’article 403, l’infraction de supposition de personne sera produite durant l’exercice du faux semblant.
Pour tout dire, ces « buts illicites » seront presque toujours invariablement présents lorsqu’une personne se fait passer pour une autre en perpétrant un acte de faux semblant. Bien que la plupart des cas ayant fait l’objet d’une poursuite en vertu de l’article 403 impliquaient la supposition de personne pour obtenir un bien ou un intérêt sur des biens, il n’est pas nécessaire qu’un avantage soit d’ordre économique, monétaire ou lié à la propriété31 pour être visé par l’article 403. Les alinéas a) et c) entrent en ligne de compte si la supposition de personne a lieu dans l’intention « d’obtenir un avantage » ou « de causer un désavantage ». Ces concepts sont interprétés de manière dynamique. Tous les cas donnant lieu à une position améliorée, à une préséance, à une supériorité ou à une circonstance favorable seront visés32. D’ailleurs, même le fait de se faire passer pour une autre personne afin d’obtenir des documents d’identification a été retenu dans les éléments visés33. Par conséquent, il est difficile d’imaginer qu’il puisse se trouver bien des cas où un acte de supposition de personne survient dans le cadre d’un processus de faux semblant et où l’infraction complète de supposition de personne ne sera pas commise. Si la police et les procureurs le veulent bien, l’article 403 pourra servir à poursuivre au pénal les cas de faux semblant où l’accusé tente d’obtenir des renseignements personnels en se faisant passer pour la personne à qui appartiennent lesdits renseignements. Ce n’est pas que l’article 403 ait été créé pour criminaliser le faux semblant; c’est un corollaire accidentel de la manière dont le faux semblant fonctionne bien souvent.
3. Sommaire
L’article 402.2 ne concerne pas la protection de la vie privée, et ne vise pas non plus à criminaliser le faux semblant. Il permettrait néanmoins de viser les faux semblants perpétrés dans des circonstances qui mènent à une conclusion raisonnable que les renseignements serviront à commettre un acte criminel fondé sur une fraude. L’article n’englobe pas tous les actes de faux semblant, mais uniquement ceux liés à ce qu’on considère généralement comme un « vol d’identité ».
Le tableau est à peu près le même en ce qui concerne l’article 403. Le crime de « supposition de personne » qu’il crée ne concerne pas le vol d’identité, mais pourrait accessoirement viser les cas de faux semblant où l’accusé a usurpé l’identité d’une autre personne afin d’accéder aux renseignements personnels de cette dernière.
D. Le projet de loi C 27 et le droit pénal – Devrait il viser le faux semblant?
Le faux semblant pose problème pour deux raisons. Premièrement, c’est un geste malhonnête. Par définition, le faux semblant implique le recours à des manœuvres frauduleuses. Pour cette seule raison, nous pouvons donc, dans une certaine mesure, assimiler ce geste à une infraction. Le procédé n’a rien de mielleux. Le faux semblant implique le recours à des techniques frauduleuses pour obtenir des renseignements personnels.
De là découle la seconde préoccupation : ce sont des renseignements personnels que l’on tente d’obtenir. La société contemporaine attache beaucoup d’importance aux renseignements personnels. La Charte canadienne des droits et libertés a éliminé tout doute à ce propos. Bien que cet instrument juridique ait fait davantage pour témoigner des valeurs contemporaines que pour les modifier, il a le mérite d’exiger des tribunaux et des commentateurs juridiques de poser les questions de base sur les valeurs fondamentales. Fait qui n’a rien d’étonnant, lors de la décennie même où on a créé les lois sur la protection des renseignements personnels et l’accès à l’information, la jurisprudence entourant la Charte indiquait que l’information peut avoir une valeur qui va bien au delà de la valeur du type d’échanges commerciaux ayant incité à élaborer la loi sur la propriété intellectuelle. Les renseignements personnels sont suffisamment importants pour justifier une protection constitutionnelle du seul fait qu’il s’agit de droits fondamentaux de la personne. Dans l’affaire R. c. Dyment, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :
« Enfin il y a le droit à la vie privée en matière d'information. Cet aspect [?] est fondé sur la notion de dignité et d'intégrité de la personne [?] “Cette conception de la vie privée découle du postulat selon lequel l'information de caractère personnel est propre à l'intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l'entend.” Dans la société contemporaine tout spécialement, la conservation de renseignements à notre sujet revêt une importance accrue. Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire, mais les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l'individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu'ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués34. »
Cet « ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire [?] pourrait notamment [inclure] des renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l'individu »35. Sont également inclus les renseignements identificateurs. En fait, dans R. c. Harris, la Cour d’appel de l’Ontario a récemment tranché qu’une simple demande d’un agent de police voulant qu’un suspect détenu s’identifie constituait une « fouille » parce qu’il s’agissait d’un empiétement sur les attentes raisonnables d’une personne quant à la protection qu’on accordera à sa propre identité36.
Il va de soi que le faux semblant, soit l’acte consistant à obtenir malhonnêtement les renseignements personnels des autres, est suffisamment condamnable pour appeler au contrôle juridique. Généralement parlant et pour simplifier les choses, la loi permet de répondre de trois façons à un problème social perçu comme le faux semblant. On peut recourir au droit pénal, qui est un ensemble de règles utilisées dans l’intention de stigmatiser et de punir le comportement parce qu’il est mauvais en soi selon les valeurs fondamentales canadiennes37. Sinon, on peut utiliser la loi par le biais des infractions non criminelles tendant à créer moins de stigmates et de sanctions que le droit pénal afin de réglementer le comportement. Enfin, la loi peut permettre de céder les affaires aux tribunaux civils où peuvent être déclenchées des poursuites non pour punir, mais pour déterminer la valeur de la perte causée par le comportement ou pour empêcher les acteurs de causer des pertes avant qu’elles ne surviennent par mesure injonctive. Pour déterminer laquelle de ces options est préférable, il est important de prendre en considération l’accessibilité de chacun de ces choix et leurs répercussions.
La nature d’une option de droit pénal
Techniquement parlant, rien n’empêche le Parlement de faire du faux semblant une infraction criminelle. En effet, le pouvoir que détient le gouvernement fédéral en matière de droit pénal est si vaste qu’il est fonctionnellement sans contrainte. Tout ce qu’il faut pour exercer de manière valide le pouvoir en matière de droit pénal est de faire en sorte qu’une loi comporte « un objet valide de droit criminel assorti d’une interdiction et d’une sanction »38. Les deux dernières de ces trois exigences – une interdiction et une sanction – sont des questions de forme ayant trait à la façon dont sont structurées les infractions criminelles. En d’autres mots, ces deux exigences ne limitent en rien l’ampleur de ce qui peut être décrété criminel. La seule limite du pouvoir de décréter des crimes est que cela doit être fait pour « un objet valide de droit criminel ». Il est possible de respecter cette limite floue si la loi vise à défendre « la paix publique, l’ordre, la sécurité, la santé et la moralité » ou à protéger les personnes vulnérables. On donne de la paix publique une lecture très large. Les infractions existant aux termes du Code criminel du Canada indiquent clairement que les actes malhonnêtes et les intrusions dans la vie privée figurent parmi les objets valides de droit criminel. Le faux semblant y répondrait sur le plan technique. Et il se trouve un précédent en ce qui concerne le recours au droit pénal pour s’y attaquer. La Gramm-Leach-Bliley Act américaine39 fait du faux semblant un crime lorsqu’il concerne des renseignements sur un client détenus par le secteur financier, sans qu’on ait besoin de preuve que les renseignements serviront en bout de ligne à une utilisation frauduleuse.
Le fait qu’on puisse se servir du droit pénal pour s’attaquer au faux semblant ne répond pas à la question de savoir s’il devrait servir dans les cas de faux semblant. Le point de départ de la réponse à cette question est de tenir compte du fait que le droit pénal est le dernier moyen de défense d’une société contre les comportements nuisibles ou préjudiciables, et non pas le premier. Comme l’a indiqué la Commission de réforme du droit dans son rapport, Notre droit pénal, « Le droit pénal doit donc être un outil de dernier ressort ».
L’incrimination devrait reposer en plus sur trois autres conditions. D’abord, l’action doit causer un tort, soit à d’autres personnes, soit à la société en général ou, dans des cas spéciaux, à ceux qui ont besoin qu’on les protège contre eux mêmes. Ensuite, le tort qu’elle cause doit être grave. Enfin, le tort doit être d’un type pour lequel le remède le plus efficace est le droit pénal40.
Pour comprendre l’approche contraignante adoptée par la Commission de la réforme du droit, il faut prendre en compte ce qu’une condamnation au criminel représente pour la personne condamnée. Premièrement, une condamnation au criminel est la censure la plus puissante qu’un gouvernement puisse imposer à ses citoyens. Même si on fait abstraction de la sentence qui peut être imposée, c’est une déclaration indiquant que le citoyen a agi de manière si répréhensible et anti sociale qu’il mérite d’être stigmatisé au moyen d’un casier judiciaire. Une condamnation représente l’expression ultime de désapprobation, qui devrait théoriquement être réservée aux pires formes de comportement. En outre, ce casier judiciaire est important. Il empêche une personne d’occuper un poste, que ce soit à un échelon élevé dans l’administration d’une compagnie ou à un niveau plus sobre comme dans l’administration d’une fiducie familiale. Il limite l’accès à l’emploi, fait obstacle aux attestations de sécurité, restreint les déplacements et expose les personnes concernées à une punition plus forte si elles se rendent coupables d’autres infractions. On le considère même comme un signe que l’individu concerné n’est pas crédible au moment de témoigner, car leur casier judiciaire peut être utilisé pour discréditer les gens appelés à témoigner.
Comme nous pouvons le constater, la question de savoir si le droit pénal constitue un véhicule pertinent à utiliser dans un cas particulier est en bout de ligne affaire de politique et de perspective. Les responsables peuvent avoir diverses opinions quant à ce qui constitue une nuisance, et quant à savoir si cette nuisance est d’une nature et d’une ampleur suffisamment graves pour justifier un traitement des contrevenants de la manière que l’on vient de décrire41. Même la question de savoir si un problème social particulier est mieux géré par le biais d’un mécanisme du droit pénal peut soulever la controverse. La prestation d’une opinion sur le recours ou non au droit pénal est par conséquent surtout affaire de goût, et le tout témoignera en bout de ligne de philosophies politiques personnelles, y compris sur les questions concernant la nature de la liberté et le rôle de l’État.
La nature d’une option réglementaire
Les infractions ne sont pas toutes criminelles. La plupart de celles définies au Canada ne le sont pas. Il existe littéralement des dizaines de milliers d’infractions réglementaires, également connues sous le nom d’« infractions contre le bien être public » ou d’« infractions quasi criminelles »42. Selon le modèle juridique approuvé par la Cour suprême du Canada, les infractions réglementaires tendent à concerner :
- des questions qui ne sont pas mauvaises en soi selon les valeurs canadiennes de base, mais qu’il faudrait traiter comme étant illégales dans l’intérêt du bien être public puisque la conduite en cause peut porter préjudice aux intérêts publics ou sociaux;
- des comportements qui ne sont pas répréhensibles au point de nécessiter le stigmate d’une condamnation criminelle ou les formes poussées de punitions utilisées dans les affaires criminelles;
- des comportements qu’il n’est pas nécessaire de prohiber entièrement, ou qu’on ne devrait pas prohiber entièrement, mais qu’il faut réglementer ou contrôler43.
Compte tenu du fait que les infractions réglementaires tendent à entraîner moins de sanctions et de stigmates, il est possible d’atténuer le degré de protection offert aux personnes inculpées par rapport à celles qui sont poursuivies au criminel. En ce qui concerne les infractions réglementaires, la norme consiste à ne pas exiger de preuve d’intention criminelle. Bien qu’on puisse, par définition, exiger des preuves d’intention ou des buts avoués de la part des personnes inculpées en ce qui touche les infractions réglementaires, la plupart de ces infractions impliquent une responsabilité absolue. Autrement dit, si la Couronne prouve qu’il y a infraction en vertu de la loi (comme le fait d’obtenir les renseignements personnels d’une autre personne), l’accusé peut avoir le fardeau d’établir qu’il a agi de manière diligente ou par ailleurs légale44. En outre, on peut poursuivre les infractions réglementaires sans les mêmes protections procédurales requises dans des affaires de droit pénal plus graves.
Les infractions réglementaires constituent essentiellement une déclaration de principe beaucoup moins profonde que les infractions criminelles, mais elles sont plus efficaces sur le plan administratif et conviennent mieux pour le comportement dont la gravité varie.
La nature d’une option civile
Je constate que de plus en plus de gens sont d’avis que le droit est en voie de reconnaître un délit d’atteinte à la vie privée. Dans de telles circonstances, l’option consistant à laisser l’arène civile se charger des cas de faux semblant est possible. Toutefois, il faut comprendre qu’un particulier ou une personne morale peut entamer une poursuite en responsabilité par suite d’un préjudice à son endroit. Généralement, le demandeur doit prouver qu’il y a eu dommages, sinon le préjudice n’est pas recevable. Dans une poursuite en responsabilité, il n’y a pas d’agent du gouvernement pour faire appliquer la loi pertinente. La personne lésée doit amorcer la poursuite. Puisque les actions au civil sont notoirement coûteuses, seules les personnes qui en ont les moyens ont tendance à y recourir. Elles peuvent également prendre la forme de « recours collectif », généralement amorcé par des avocats pleins d’initiative intéressés aux honoraires juridiques substantiels qui peuvent en découler. Les actions au civil peuvent s’étirer sur des années, de sorte qu’il faut être très motivé pour les entamer. Finalement, sauf en de rares affaires de dommages punitifs, le résultat de la poursuite ne se mesure pas en fonction du caractère préjudiciable du comportement, mais plutôt par ce qu’il en coûte au demandeur. En résumé, les actions au civil ne fournissent pas le meilleur véhicule pour l’application des lois face aux préoccupations liées à l’ordre public, comme la désapprobation de pratiques à grande échelle comme les faux semblants.
La meilleure option – Établir une infraction réglementaire pour s’attaquer aux formes préjudiciables de faux semblant
À mon avis, la meilleure option pour donner suite au faux semblant est l’établissement d’une infraction réglementaire. Le faux semblant est suffisamment préjudiciable pour qu’on soutienne de façon convaincante que les organes juridiques se doivent de réagir. La question est de savoir comment s’y prendre.
On peut rejeter de façon sommaire l’option de la poursuite en responsabilité. Le faux semblant souvent n’engendre pas de dommages ou de pertes tangibles. Par conséquent, les promesses d’avantages pour les éventuels demandeurs seront fréquemment faibles. Entre temps, les coûts d’une poursuite et les retards inhérents au processus sont des contre incitations positives à l’application. Si l’objectif est de démontrer que le faux semblant est préjudiciable et de lancer une offensive frontale sur le problème, alors s’en remettre uniquement aux poursuites en responsabilité est une stratégie médiocre.
À mon avis, l’option des lois incriminantes présente également peu d’intérêt. Trois éléments invitent à faire preuve de retenue dans le recours à l’option du droit pénal pour faire du faux semblant une infraction criminelle à part entière.
Premièrement, s’il est vrai que le simple fait de duper quelqu’un pour l’amener à fournir des renseignements personnels constitue en soi une action préjudiciable, j’estime que tous les cas de faux semblant ne sont pas suffisamment graves pour qu’on les criminalise. Je trouve qu’il y a une différence énorme entre l’obtention malhonnête des renseignements personnels d’une personne dans le cadre d’une vérification de la solvabilité ou par un défenseur des droits des consommateurs, et l’obtention des renseignements personnels d’une personne dans le but de perpétrer une fraude d’identité. Hors de tout doute, une fraude liée à l’identité est profondément perturbante, assez pour nécessiter une intervention criminelle. Cet acte met en péril la réputation, la propriété et même l’accès aux services publics. Le projet de loi C 27 répondra à ce but tout en évitant de criminaliser les cas de faux semblant moins préjudiciables ou inquiétants. Selon moi, le projet de loi C 27 honore le principe de restriction en limitant son traitement du faux semblant aux cas qui engendrent un préjudice ou un tort grave plutôt qu’un simple dérangement ou une infraction symbolique45.
Deuxièmement, le droit pénal fonctionne à son mieux lorsque le comportement est tellement préjudiciable qu’il faudrait l’interdire à tout prix. La chose n’est pas uniformément vraie dans le cas des faux semblants. En fait, on peut faire valoir que certains types de faux semblants devraient être permis. Chose certaine, les faux semblants auxquels ont recours les enquêteurs de police ont une utilité sociale46. Tout comme le sont, par conséquent, les faux semblants servant à tester les systèmes de sécurité, à déceler les fraudes dans les établissements ou à retracer les pères irresponsables. Il est permis de croire que les faux semblants auxquels ont recours les journalistes d’enquête ont une valeur sociale, tout comme dans le cas des faux semblants servant à mettre au jour des violations de la loi ou des comportements irresponsables sur le plan environnemental ou social. Je ne suis pas aussi optimiste à l’idée qu’on accède à mes renseignements identificateurs pour les ajouter à des listes de clients ou pour vérifier mes antécédents en matière de crédit. Cela dit, indépendamment de l’endroit où il faudrait fixer une limite, l’utilisation du faux semblant m’apparaît au bout du compte comme un comportement qu’il faudrait a priori réglementer plutôt qu’interdire.
Troisièmement, les régimes de réglementation sont plus efficaces et, par conséquent, plus exécutoires. Qui plus est, il est possible de rédiger des lois de réglementation pour aborder le problème de manière plus énergique que ne le pourrait un règlement criminel. En termes simples, la réglementation du faux semblant par le biais d’infractions ciblées se révélerait plus efficace que ne le serait la criminalisation.
Si la commissaire à la protection de la vie privée souhaite que le faux semblant devienne une infraction à part entière, qui serait visée par la Loi sur la protection des renseignements personnels47 ou la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques48, cela constituerait à mon avis une meilleure option que la poursuite au criminel. Bien entendu, il se pose des questions de compétence qui nécessitent un examen plus minutieux que je ne peux le faire ici. Le gouvernement fédéral pourrait-il rendre la loi exécutoire face aux infractions réglementaires, ou s’agirait il d’un empiétement sur les compétences provinciales? Mon instinct me dit que la démarche s’inscrirait dans le pouvoir résiduaire fédéral axé sur la paix, l’ordre et la saine gouvernance puisque le faux semblant, particulièrement par le biais de la cybertechnologie, implique un objet qui n’existait pas au moment de la Confédération et qu’il n’est pas simplement de nature locale ou privée. Autrement, le faux semblant déborde des préoccupations locales et provinciales et doit, du fait de sa nature intrinsèque, toucher la fédération dans son ensemble49.
Compte tenu qu’on m’a donné le privilège d’exprimer mon point de vue, je suis d’avis qu’il ne faudrait pas amender le projet de loi C 27 pour l’amener à criminaliser le faux semblant. Il faudrait plutôt approfondir la recherche pour déterminer si la compétence du gouvernement fédéral en matière non criminelle appuierait la création d’un système de réglementation. Si la situation se révélait telle, et s’il existait une volonté politique d’intervenir sur la question du faux semblant hors du domaine du vol d’identité, on pourrait proposer un régime de réglementation.
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David M. Paciocco
1 Federal Trade Commission: Protecting America’s Consumers: Facts for Consumers, 4/21/2008. Dans son mémoire sur le vol d’identité présenté au Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique, la commissaire à la protection de la vie privée du Canada a défini le « faux semblant » comme suit : « Les personnes qui ont recours à ce procédé utilisent certains renseignements qu’elles possèdent sur une personne pour obtenir d’une organisation qu’elle leur en communique d’autres. ».
2 Dans son document de consultation intitulé « Vol d’identité : Consultation sur les propositions de modification au Code criminel » (juin 2006), la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice du Canada indique en page 2 qu’elle ne voit pas les choses de cette manière. Pour la Section, l’« écrémage » n’entre pas dans la définition du « faux semblant » parce qu’il n’implique pas l’obtention de renseignements par des manœuvres frauduleuses, mais concerne plutôt la conversion ou l’obtention à des fins non autorisées de renseignements volontairement partagés.
3 « Obtaining Confidential Financial Information by Pretexting », document de la Federal Trade Commission présenté devant le comité sur les services bancaires et financiers de la Chambre des représentants des États Unis, Washington D.C., 28 juillet 1998, page 2 de 10.
4 Cette utilisation a été expressément exclue de l’American Federal Gramm-Leach-Bliley Act, 15 USC, section du chapitre II, articles 6821-6827 – Fraudulent Access to Information, alinéa 6821g).
5 Cette utilisation a été expressément exclue de l’American Federal Gramm-Leach-Bliley Act, 15 USC, section du chapitre II, articles 6821-6827 – Fraudulent Access to Information, alinéa 6821e).
6 Cette utilisation a été expressément exclue de l’American Federal Gramm-Leach-Bliley Act, 15 USC, section du chapitre II, articles 6821-6827 – Fraudulent Access to Information, alinéa 6821d).
7 « Vol d’identité : Consultation sur les propositions de modification au Code criminel », document de consultation préparé par la Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada, juin 2006, page 2.
8 « Obtaining Confidential Financial Information by Pretexting », document de la Federal Trade Commission présenté devant le comité sur les services bancaires et financiers de la Chambre des représentants des États Unis, Washington D.C., 28 juillet 1998, page 2 de 10.
9 Fiche d’information intitulée « Vol d’identité » du ministère de la Justice du Canada, page 1 de 3. Bien que la plupart des définitions du vol d’identité ressemblent à celle qu’en donne le ministère de la Justice, à savoir en établissant un lien entre l’acquisition de renseignements identificateurs et l’intention d’utiliser ces renseignements pour commettre des crimes fondés sur la fraude, il existe des définitions plus larges. Dans certains cas, on n’associe pas le vol d’identité aux crimes fondés sur la fraude, mais on le décrit comme incluant toute appropriation illicite d’information pour obtenir un certain avantage, habituellement financier, par tromperie. Dans d’autres cas, le simple fait d’obtenir de manière frauduleuse des renseignements identificateurs est considéré comme un vol d’identité. Autrement dit, on définit le « tort » en question comme le recours à la fraude pour obtenir des renseignements liés à l’identité, alors que le ministère de la Justice définit ce tort comme l’intention d’utiliser les renseignements liés à l’identité pour commettre une certaine fraude criminelle. Diverses définitions figurent dans l’annexe A du document intitulé « Identity Theft: Introduction and Background », document de travail no 1 de la CIPPIC (Série sur le vol d’identité), mars 2007, Ottawa : Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada.
10 Comme dans le cas de l’article 402.3, l’infraction visée dans l’article 402.2 s’accompagne de deux dispositions définitoires, soit une disposition traitant de la compétence, et une disposition ayant trait à la peine.
11 « Vol d’identité : Consultation sur les propositions de modification au Code criminel », document de consultation préparé par la Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada, juin 2006, page 7.
12 « Vol d’identité : Consultation sur les propositions de modification au Code criminel », document de consultation préparé par la Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada, juin 2006, page 7.
13 Dans ce contexte, le projet de loi C 27 a une portée plus générale que la proposition de projet de loi d'initiative parlementaire C 299, Loi modifiant le Code criminel (obtention de renseignements identificateurs par fraude ou par un faux semblant), qui était limitée aux renseignements recueillis sous un faux prétexte dans l’intention de les utiliser pour commettre une infraction mentionnée aux articles 380 ou 403. (Chambre des communes, 2e session, 39e Parlement, 56 Elizabeth II, 2007).
14 « Vol d’identité : Consultation sur les propositions de modification au Code criminel », document de consultation préparé par la Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada, juin 2006, page 5.
15 Fiche d’information intitulée « Vol d’identité » du ministère de la Justice du Canada, page 1 de 3.
16 Les infractions punissables par mise en accusation relatives à la fraude qui sont recensées dans la liste non exhaustive du paragraphe 402.3(3) comprennent celles de l’article 342 (vol, falsification, etc., de cartes de crédit), de l’article 362 (escroquerie : faux semblant ou fausse déclaration [infraction limitée à la propriété ou aux instruments monétaires]), et des articles 366 et 368 (fabrication de faux [infraction plus générale que la fraude financière, mais impliquant habituellement une fraude financière]).
17 Le paragraphe 402.3(3) comprend dans sa liste des crimes fondés sur la fraude, l’article 57 (faux ou usage de faux en matière de passeport) et l’article 58 (emploi frauduleux d’un certificat de citoyenneté).
18 Le paragraphe 402.3(3) englobe également l’article 130 (prétendre faussement être un agent de la paix) et l’article 131 (parjure).
19 L’article 403 est compris dans la liste du paragraphe 402.3(3). Voir la discussion ci dessous.
20 « Vol d’identité : Consultation sur les propositions de modification au Code criminel », document de consultation préparé par la Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada, juin 2006, page 5.
21 Article 402.1.
22 Il faut retenir que la seule chose qui fait en sorte que l’article puisse viser l’acquisition d’un tel éventail de données est la limite dont il est assorti, selon laquelle la poursuite ne peut réussir que si les renseignements sont recueillis « dans des circonstances qui permettent raisonnablement de conclure qu’ils seront utilisés dans l’intention de commettre un acte criminel dont l’un des éléments constitutifs est la fraude, la supercherie ou le mensonge ».
23 Voir par exemple l’article 340 (destruction de titre); l’article 341 (fait de cacher frauduleusement); l’article 381 (emploi de la poste pour frauder); l’article 389 (aliénation frauduleuse de marchandises).
24 Voir par exemple l’article 336 (abus de confiance criminel); l’article 361 (faux semblants); l’article 363 (obtention par fraude de la signature d’une valeur); l’article 366 (faux); le paragraphe 380(2) (influence sur le marché public); l’article 382 (manipulations frauduleuses d’opérations boursières); l’article 385 (cacher frauduleusement des titres); l’article 386 (enregistrement frauduleux de titres); l’article 397 (falsification de livres et de documents); l’article 398 (falsifier un registre d’emploi); l’article 435 (incendie criminel : intention frauduleuse).
25 C’est le test pour déterminer une violation de l’article 11d) : R. c. Whyte [1988] 2 R.C.S. 3. Dans un argument complexe en faveur de la disposition, on ferait valoir que l’élément de l’infraction est lié au fait que « des circonstances permettent raisonnablement de conclure [que les renseignements] seront utilisés dans l’intention de commettre un acte criminel [fondé sur une fraude] » et que cet élément doit être prouvé hors de tout doute raisonnable, conformément à l’obligation énoncée dans l’affaire Whyte. Selon moi, on cherche à noyer le poisson. L’article a été clairement rédigé de manière à atténuer le fardeau de la preuve requise pour une condamnation. Pour ce faire, on passe de la nécessité d’une preuve hors de tout doute raisonnable vis à vis de l’essence de l’infraction à une simple conclusion raisonnable. Bien que les violations de l’article 11d) soient souvent justifiables en vertu de l’article premier de la Charte, il ne peut en être ainsi dans le cas présent, étant donné que l’accusé n’a pas la permission de réfuter la conclusion raisonnable. La disposition actuelle n’est pas fidèle à l’ambition exprimée par le ministère de la Justice dans son document de travail, qui est d’élaborer une présomption réfutable et serrée pour aider les procureurs : « Vol d’identité : Consultation sur les propositions de modification au Code criminel », document de consultation préparé par la Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada, juin 2006, page 5.
26 Les parties soulignées indiquent les amendements présents dans le projet de loi C 27. En fait, la plupart de ces amendements sont en grande partie superficiels. Le premier est d’ordre grammatical (les trois premiers changements de la version anglaise sont d’ordre grammatical)..Bien que l’alinéa 403(1)d) ait l’air d’un changement, c’est en fait un éclaircissement étant donné qu’une personne qui se fait passer pour quelqu’un d’autre dans l’intention d’éviter une arrestation ou une poursuite ou d’entraver le cours de la justice aurait presque certainement été inculpée en vertu de l’alinéa 403(1)a) même sans l’amendement. Il est difficile d’imaginer comment le fait de tenter d’éviter une arrestation ou une poursuite ou d’entraver le cours de la justice en se faisant passer pour une autre personne n’aurait pas pour objet de profiter à l’accusé ou à quelqu’un d’autre. On ne sera pas surpris de constater qu’il se trouve de nombreux cas préalables au projet de loi C 27 où des condamnations pour supposition de personne faisaient suite à des tentatives pour éviter une arrestation en donnant un faux nom : consulter à ce propos R. c. Grafe [1987] O.J. 796 (C.A. Ont.), et R. c. Hall [1984] O.J. 42 (C.A. Ont.). En fait, il pourrait s’agir de l’utilisation la plus courante de l’article 403. Le seul changement d’importance dans le projet de loi C 27 est le paragraphe (2), qui dit clairement qu’il peut y avoir infraction sans que l’accusé se présente physiquement comme étant quelqu’un d’autre; la présentation de documents visant à créer cette fausse impression suffit maintenant à établir l’infraction.
27 L’infraction n’englobe pas l’utilisation de noms fictifs : R. c. Northrup (1982), 41 N.B.R. (2d) 610 (N.S.C.A.).
28 L’infraction dans R. c. Gooden [2007] O.J. no 268 (C.S.J. Ont.), par exemple, n’est pas survenue avec l’acquisition des cartes d’identité et de crédit d’autres personnes. Elle a eu lieu au moment de la signature des reçus des cartes de crédit. Voir également R. c. Fraser [1985] B.C.J. no 2330 (B.C.C.A), le fait que les chèques ont été remis a déclenché l’infraction, et R. c. Carew [1992] B.C.J. no 995 (B.C.C.A.), l’utilisation du NAS d’une autre personne pour étayer les chèques frauduleux.
29 Voir par exemple R. c. Chahine (2006), 401 A.R. 6 (Alta. C.A.).
30 Mme Lisa Madelon Campbell, conseillère juridique principale, Commissariat à la protection de la vie privée, correspondance électronique du mercredi 2 avril 2008 à l’intention de David M. Paciocco.
31 R. c. Hetsberger [1979] O.J. no 1818 (C.S. Ont (D.A.)).
32 R. c. Hetsberger [1979] O.J. no 1818 (C.S. Ont (D.A.)).
33 Voir R. c. Atkinson [2007] B.C.J. no 1423 (Cour prov. C. B.), alors qu’Atkinson s’est servi de la carte Visa et du certificat de naissance de Cousin pour étayer son identification et obtenir une carte d’identité de la Colombie Britannique.
34 R. c. Dyment [1988] 2 R.C.S. 417, paragraphe 22.
35 R. c. Plant [1993] 3 R.C.S. 281, page 293.
36 R. c. Harris (2007), 49 C.R. (6e) 220, pages 231-234 (C.A. Ont.).
37 Voir R. c. Wholesale Travel Group Inc. [1991] 3 R.C.S. 154, où est fournie une description des différences théoriques entre les infractions criminelles et réglementaires.
38 R. c. Malmo-Levine 2003 CSC 74, paragraphe 74.
39 15 USC, section du chapitre II, articles 6821-6827 – Fraudulent Access to Financial Information.
40 Rapport de la Commission canadienne de réforme du droit intitulé « Notre droit pénal » (Ottawa : ministre des Approvisionnements et Services, 1976), page 28. Aucune de ces conditions n’est universellement respectée dans la pratique, mais elles fournissent une assise de principes pour la prise en considération du rôle du droit pénal.
41 La Cour suprême du Canada a rendu une décision âprement divisée sur le rôle du droit pénal face à une conduite indécente dans l’affaire R. c. Labaye (2005), 203 C.C.C. (3d) 170 (C.S.C.) en raison des différentes approches philosophiques à l’égard du comportement indécent et du rôle du droit pénal.
42 Aux États Unis, certains les appellent « sanctions civiles », mais c’est un terme trompeur, car l’utilisation du terme « civil » devrait se limiter aux poursuites au civil pour éviter toute confusion.
43 R. c. Wholesale Travel Group Inc. [1991] 3 R.C.S. 154.
44 R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299.
45 Pour tout dire, il n’y a rien de restrictif dans l’utilisation de conclusions raisonnables au lieu de l’exercice consistant à prouver une intention. Je fais référence ici aux limites à décréter dans la définition du type de faux semblant que devrait viser la disposition.
46 Certains cas pourraient être une violation de l’article 8 de la Charte, mais on peut invoquer cette dernière dans de tels cas. Il est possible de contrôler les enquêtes sur les faux semblants menées par les agents de l’État sans rendre criminel a priori ce qui peut s’avérer du travail valable de la police.
47 Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R., 1985, chap. P 21.
48 Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, chap. 5.
49 Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Procureur général du Canada, [1980] 1 R.C.S. 914, pages 944-945.
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